26 février 2019

Deux films de Denys Arcand

Le Déclin de l'empire américain, 1986 
Un dispositif rigoureux en trois actes (femmes et hommes entre eux / le dîner / l'après-dîner), formidablement nourris par des dialogues en verve et la justesse collective de l'interprétation. Mention spéciale à la fraîcheur du personnage de Louise (Dorothée Berryman). Le regard porté par Arcand sur les acteurs de son petit théâtre est assez cruel, entre hypocrisie assumée et aveuglement conscient, avec une mise en rapport très intelligente et fine entre l'Histoire et la société de cette époque, au cœur des années 80. 

La forme est également très soignée, la mise en scène se montrant même souvent virtuose dans sa façon de chorégraphier les discussions. Le montage est parfaitement maîtrisé, avec de réguliers inserts de flashbacks toujours pertinents, et des plans de paysages dont la présence tranquille contraste gentiment avec la nature finalement peu généreuse des personnages. Les scènes s'enchaînent ainsi sans jamais montrer de baisse d'inspiration, au contraire même (la séance de massage). Tout ça aurait pu tourner au jeu de massacre épuisant, laissant à distance le spectateur, sauf qu'Arcand fait preuve d'une vraie tendresse pour ses personnages, malgré tout. Il y a en effet de l'humour et beaucoup de chaleur dans le portrait de ces amitiés, tout comme on ressent une profonde tristesse et amertume dans la conscience qu'ils ont de leurs relations. Le Déclin de l'empire américain c'est donc autant un film de dialogues qu'un film d'acteurs, pour un résultat qui n'est ni austère ni théâtral. Une réussite impressionnante.




Les Invasions barbares, 2003 
On reprend les mêmes et on recommence, presque 20 ans plus tard. Le réalisateur bascule cette fois au format scope, le récit s'aère davantage par rapport au premier opus. On peut certes découvrir l'un sans l'autre, mais les retrouvailles apparaîtront forcément plus touchantes à ceux qui ont déjà rencontré les personnages. Inattendu dans un rôle grave, Stéphane Rousseau convainc sans peine, tandis que Marie-Josée Croze illumine le film dès qu'elle apparaît, ce qui lui vaudra un mérité prix d'interprétation à Cannes. Arcand enfonce le clou avec peut-être un peu plus de lourdeur dans le symbolisme, mais cela participe bien de cette atmosphère de déliquescence généralisée qu'il souhaite imposer, à l'image de cette belle scène de la visite du bric-à-brac sans valeur du clergé.

Et derrière la désillusion plus présente que jamais, l'émotion s'installe progressivement, bloquant parfois dans leur élan les quelques envies de rire qui pourraient encore nous rester. C'est l'heure du bilan, et on sait qu'il y a des choses qu'on ne rattrapera plus. Le sentiment d'avoir raté quelque chose — sa vie, par exemple — peut être partagé par tous, le film devenant alors poignant. Comme lorsque je l'avais vu en salle, je suis à chaque fois gagné par les larmes sur la fin. Comment en effet rester insensible devant un film qui s'achève sur L'Amitié de Françoise Hardy, une chanson qui m'est chère et qui s'avère être la parfaite conclusion de ce formidable diptyque ?

24 février 2019

Le Cinéma de Stanley Donen, 1952-1967

Singin' in the rain (Chantons sous la pluie), coréal. Gene Kelly, 1952
Apothéose du musical selon la Freed unit chez MGM. Un de mes films fétiches pour lequel je serais bien tenté d'employer une formule aussi définitive que stupide (ce qui me ressemble si peu) : la plus belle comédie musicale de tous les temps (découper selon les pointillés) ! Souvenir d'une projection en plein air sur la pelouse de La Villette. Avant que le film commence, on avait eu le temps de pique-niquer... sous la pluie, en se demandant combien de temps on allait tenir avant de remballer. Et puis (miraculeusement ?), la pluie cessa quelques minutes avant la projection. Nous étions trempés mais heureux. Le public, incroyablement réceptif, applaudissait à chaque fin de numéro de danse, emporté par l'enthousiasme communicatif de Gene Kelly, Donald O'Connor et Debbie Reynolds. À la fin du film, tout le monde chantonnait You are my lucky star, Good morning ou Singin'in the rain, en rassemblant ses affaires, le sourire aux lèvres, exécutant des pas de danse jusqu'à la sortie !

Quel que soit le nombre de visionnage, le film reste toujours aussi étonnant par certaines audaces de mise en scène, ses cascades, son délire contrôlé, le côté documentaire sur le passage d'Hollywood au parlant, prétexte à de nombreux gags et pastiches, le génial cabotinage de Jean Hagen, le charme fou de Reynolds, la magie d'O'Connor, et le sourire de Kelly (bien placé dans mon panthéon personnel). Intemporel.




Seven brides for seven brothers (Les Sept femmes de Barberousse), 1954
Sur un scénario trèèèès léger et franchement peu moderniste sur la place dévolue à la femme (épouse et ménagère), Donen concocte un spectacle qui déborde de bonne humeur et d'énergie. Le réalisateur accorde un soin maniaque à sa mise en scène, exploitant le format large avec une vraie intelligence dès lors que les scènes se déroulent à l'extérieur dans cette campagne de studio.

Les comédiens (Howard Keel, Jane Powell, Russ Tamblyn) jouent avec générosité, incarnant des personnages aussi caricaturaux qu'amusants. Ce qui emporte le morceau, ce qui lui permet d'acquérir cette dimension ébouriffante et irrésistible, ce sont bel et bien les extraordinaires chorégraphies du génial Michael Kidd, follement acrobatiques où les corps des danseurs semblent traités comme autant d'accessoires.




It's always fair weather (Beau fixe sur New York), coreal. Gene Kelly, 1955
Ultime association du duo qui fit souffler un vent nouveau sur le musical hollywoodien avec On the town. Un film éblouissant, tourné en Cinemascope, et c'est peu de dire qu'il s'affirme dans toute sa dimension lorsqu'il est projeté sur grand écran. Signé Betty Comden et Adolph Green, les auteurs d'On the town — le titre français suggère clairement une passerelle avec ce dernier — Singin' in the rain et The Band wagon, le film propose un récit aux détours surprenants. Derrière le pur entertainment des scènes de danse rafraîchissantes et de comédie débridée, It's always fair weather est aussi une très belle histoire d'amitié, qui sait distiller quand il le faut une certaine gravité. Les retrouvailles de ces trois anciens camarades de régiment, 10 ans après, tournent au désastre, et la scène du restaurant chicos où on entend les pensées de chacun est pleine d'amertume. On y évoque les désillusions de l'existence lorsqu'on prend conscience qu'on est bien loin de ses rêves de jeunesse. Le film est également une mise en boîte aussi méchante que jubilatoire de la télévision. Satire d'autant plus inspirée qu'elle prend ici pour cible une émission de télé-réalité (déjà !) qui se propose de filmer en direct, sans les avoir prévenus, la réunion des copains, le tout au bénéfice d'une marque de savon.

Donen fait des merveilles avec sa caméra, incroyablement mouvante. Une séquence est particulièrement bluffante, qui nous montre les trois amis danser simultanément mais chacun dans un endroit différent, grâce au split-screen. Effet réutilisé à plusieurs moments, souvent avec beaucoup de drôlerie. Les orchestrations sont riches et les chorégraphies de Michael Kidd pleines d'humour. Le saccage complètement burlesque de la party guindée par l'excellent Dan Dailey où il se lance dans une série d'imitations en bousillant tout sur son passage est un grand moment, de même que le numéro à la Marilyn de Dolores GrayCyd Charisse est comme toujours sublime, et lors de son incroyable scène de danse dans le gymnase on pouvait sentir un frisson parcourir la salle tellement chacun de ses mouvements respirait la grâce. Pour ce mélange au sommet entre profondeur scénaristique et génie de la mise en scène, je considère ce film comme un chef-d'œuvre.




Kiss them for me (Embrasse-la pour moi / Une sacrée blonde)1957
Affiche prometteuse pour ce film relativement méconnu. L'action se situe en 1944, trois héros de guerre profitent d'une permission de 4 jours pour foncer faire la nouba à San Francisco. Au programme, party dans la suite d'un grand hôtel, descente dans des clubs de jazz, et courir les filles (Jayne Mansfield gloussante et ondulante, mise à l'honneur par le titre français, et la très belle rousse Suzy Parker). Le service des relations publiques de la Navy ainsi que plusieurs industriels s'efforceront en vain de profiter de la renommée grandissante des gars.

Le scénario est signé Julius Epstein (Casablanca), d'après une pièce de théâtre et un roman. J'avoue que le début du film m'avait moyennement enthousiasmé. La mise en scène de Donen, en scope couleurs me semblait un peu figée. Et puis, progressivement, le vernis de la comédie se craquelle. On se rend compte que la soif de délire des trois soldats cache en fait le besoin de s'abstraire des horreurs vécues sur le front. La rencontre au milieu du récit avec l'un de leurs compagnons, invalide et condamné, fait son petit effet. J'ai trouvé ça assez audacieux de balancer ainsi dans une comédie typiquement hollywoodienne un commentaire aussi sec sur les réalités de la guerre. L'amitié entre les trois soldats est touchante, la romance entre Cary Grant et Suzy Parker vraiment réussie, et pas mal de répliques font mouche. Bref, une excellente surprise, un film attachant.




Two for the road (Voyage à deux), 1967 
Voilà typiquement le genre de film dans lequel je marche à fond. Cette chronique d'une passion, tantôt drôle par sa légéreté, tantôt impitoyable de trivialité, m'a touché au plus haut point. C'est un vrai film adulte, qui aborde la relation de couple dans toute sa douloureuse et belle complexité, forçant à l'occasion le trait pour renforcer précisément les sentiments (l'impayable famille de vacanciers avec la gamine tête à claque). Quelle merveilleuse idée de représenter les allers-retours dans les différentes époques par des passages de relais entre les voitures, sur la même route, dans la campagne française. On retrouve les mêmes étapes mais vécues de façon différente, avec une science du montage pas loin de m'évoquer ce que faisait à la même époque Alain Resnais. C'est d'une inventivité constante, et ça n'empêche jamais les personnage d'exister au contraire.

Les dialogues, brillants, ne sonnent jamais faux ou sursignifiants. C'est fluide, et l'interprétation absolument magistrale de Finney et Hepburn rend plus que vivants les personnages qu'ils incarnent. Alors qu'on n'a passé qu'un peu plus d'une heure et demi avec lui, on finit par avoir l'impression de connaître ce couple de façon incroyablement intime, d'avoir véritablement partagé leur existence, sans jamais être tenté de les juger, conscient du miroir qu'ils peuvent aussi renvoyer de nous-même. Et puis bon sang, le somptueux thème de Mancini qui apporte tout de suite une mélancolie, un goût doux-amer. Et puis le générique de Maurice Binder étonnant de modernité. Un bijou, une merveille, qui hantera durablement le spectateur.

22 février 2019

Conversations cinématographiques

De tous les ouvrages sur le cinéma (autobiographies, biographies, monographies, artbook, making of, etc.), ceux que je savoure le plus sont les livres d'entretiens où l'artiste commente ses films les uns après les autres, évoquant les personnalités croisées au cours de sa carrière, livrant des anecdotes de tournage, abordant les projets avortés et faisant son autocritique. Du séminal Hitchock/Truffaut au Joe Dante de Bill Krohn, du De Palma de Blumenfeld et Vachaud aux recueils d'entretiens menés par Michael Henry Wilson (Scorsese, Eastwood), j'aime partager ces dialogues vivants et sans complaisance puisque bénéficiant à la fois du recul des années et de la réactivité d'un intervieweur capable de rebondir sur ce qui est dit...



Michel Ciment, Kazan par Kazan, 1985
Dans cette série d'ouvrage, Michel Ciment tient une place particulière à mes yeux. Ses entretiens avec Kubrick et Boorman ont longtemps tenu pour moi une place mythique, considérant encore comme miraculeux que des cinéastes de cette trempe aient bien voulu s'exprimer sur leur art. Interviewant ici Elia Kazan, qui a alors tourné le dos au cinéma, le journaliste évoque chronologiquement la carrière et la filmographie du réalisateur d'America Amercia.

On perçoit bien la cohérence du bonhomme et il apparaît alors comme un cinéaste vraiment en marge par rapport au travail de ses confrères, dès ses débuts dans le Hollywood des années 50, pratiquant un cinéma moderne et courageux, distillant une conscience sociale dans des films pourtant produits par et pour la machine hollywoodienne. Je suis sorti de cette lecture avec l'envie de (re)voir plein de films, et c'est aussi ce que j'étais venu chercher.




Cameron Crowe, Conversations avec Billy Wilder, 1999
Le titre est plus que bien choisi puisque Cameron Crowe (Jerry Maguire, Almost famous) reconstitue le fil de ses discussions avec Wilder, nous entretenant à l'occasion des à-côtés de l'interview, de la façon dont le vénérable cinéaste accepte de se prêter au jeu. C'est complétement immersif, et le plus agréable est que Wilder conserve malgré les années une mémoire étonnamment précise de certains événements, de certaines productions. 

Si je l'ai parfois trouvé injustement sévère sur des films que j'aime beaucoup (Kiss me stupid, Avanti !), j'ai apprécié l'expression toujours vivace de son amour pour certains interprètes qui ont tourné sous sa direction (Audrey Hepburn, William Holden, Lemmon, Matthau), qu'il évoque avec une émotion qui m'a beaucoup touché. Un témoignage passionnant et précieux.





Stig Björkman, Woody Allen, entretiens, 2002
Se prêtant à l'exercice avec intelligence, Allen commente minutieusement sa foisonnante filmographie, un titre après l'autre. L'édition que j'ai lue allait jusqu'à Hollywood ending, mais je suppose que ça a eu le temps d'être augmenté depuis. C'est aussi passionnant que forcément frustrant, Björkman s'attardant parfois sur des sujets non directement liés au film en question. 

Comme toujours avec ce genre de bouquins, tout ça m'a surtout donné envie de compléter et approfondir ma connaissance de l'œuvre du cinéaste. J'en étais presque venu à perdre de vue l'excellence de sa production, noyée parmi beaucoup de films plus anecdotiques. Du même Björkman, on lira aussi avec profit un autre indispensable recueil d'entretiens qu'il avait consacré à Lars Von Trier, livrant des clés indispensables à la compréhension de l'œuvre.




Michael Ondaatje, Conversations avec Walter Murch, 2002
Discussion au long cours entre l'auteur du Patient anglais et le monteur / mixeur de Coppola, Lucas et Minghella, également signataire d'une unique réalisation, le bizarre Return to Oz. Cette fois la conversation ne prend pas la forme d'une filmographie commentée mais plutôt d'une sorte de profession de foi, même si évidemment on apprend énormément de choses sur la fabrication des divers films auxquels Murch a collaboré.

Ça parle de technique de façon brillante et passionnante, donnant quelques exemples très précis sur la façon dont il a pu aborder le montage de telle ou telle séquence mythique sur Apocalypse now ou The Talented Mr Ripley. Une manière d'encourager à revoir certains films et à mieux apprécier encore l'intelligence de leur fabrication. Et ça confirme bien évidemment le talent de cet artisan singulier, qui n'a jamais bradé son travail. Un ouvrage rare sur le sujet, dont on pourra compléter la lecture avec l'indispensable En un clin d'œil, essai pédagogique où Murch a rassemblé toute son expérience.




Alessandro De Rosa, Ennio Morricone : ma musique, ma vie, 2018
Témoignagne de première main non seulement sur la carrière, mais surtout sur l'art du compositeur. Contrairement à ce qu'indique le titre, il ne s'agit ni de mémoires, ni d'une biographie, mais bien d'un recueil d'entretien entre deux compositeurs. La discussion peut ainsi voler assez haut, et pour les musicologues ça doit être assez inespéré d'avoir accès à des développements aussi pointus sur la technique d'écriture d'un génie, avec commentaires de partitions. L'occasion pour eux de pas mal s'attarder sur ses compositions de musique dite "absolue" c'est-à-dire hors musique de film. Le livre est évidemment également riche en anecdotes, portraits et commentaires sur telle ou telle œuvre, Morricone faisant savoir quelles partitions lui sont restées chères.

Le plus touchant c'est surtout de constater que malgré la prestige auquel il est parvenu, l'artiste semble conserver une modestie et un respect pour les réalisateurs au service desquels il s'est mis, et qu'à ce jour encore il s'investit dans son art avec la même passion, le même désir d'expérimenter (il se montre particulièrement fier de ses toutes dernières compositions, notamment pour Tornatore). Et forcément, ça donne envie de réécouter avec une oreille enrichie certaines œuvres qu'on aurait trop rapidement survolé.

18 février 2019

Top films lacrymaux

Le grand maso que je suis s'est "amusé" à lister les films qui le font immanquablement chouiner, spectacles bouleversants, poignants, déchirants, ayant porté haut l'art du mélodrame. Pas de classement autre que chronologique, sans commentaire, sans souci d'exhaustivité et en assumant d'inévitables oublis. Soit 34 titres et autant de séances éprouvantes après lesquelles j'étais bon à ramasser à la paille. 

Les symptômes alternent en général entre débordements de larmes et suffocation sous les sanglots. L'œuvre peut à l'occasion user de certains clichés et autres facilités, mais l'émotion ne sera atteinte que par la sincérité exprimée par le regard du cinéaste (aidé parfois par la musique) et par la sensibilité de l'interprétation. On constatera que dans ce domaine, un réalisateur en particulier se taille la part du lion, mais aussi quelles sont mes cordes sensibles (l'enfance orpheline, le rapport filial). Ceux qui les ont vus savent...


City lights (Les Lumières de la ville), Charlie Chaplin, 1931


It's a wonderful life (La Vie est belle), Frank Capra, 1946


Ladri di biciclette (Le Voleur de bicyclette), Vittorio De Sica, 1948


Germania anno zero (Allemagne année zéro), Roberto Rossellini, 1948


West side story, Robert Wise & Jerome Robbins, 1961


Les Parapluies de Cherbourg, Jacques Demy, 1964


L'Incompresso (L'Incompris), Luigi Comencini, 1966

Being there (Bienvenue Mister Chance), Hal Ashby, 1979


Elephant man, David Lynch, 1980


Le Roi et l'oiseau, Paul Grimault, 1980


E.T. the extraterrestrial (E.T. l'extra-terrestre), Steven Spielberg, 1982
Empire of the sun (Empire du soleil), Steven Spielberg, 1987


Le Tombeau des lucioles, Isao Takahata, 1988


Nuovo cinema paradiso (Cinema paradiso), Giuseppe Tornatore, 1989


The Last of the Mohicans (Le Dernier des Mohicans), Michael Mann, 1992


A perfect world (Un monde parfait), Clint Eastwood, 1993


Schindler's list (La Liste de Schindler), Steven Spielberg, 1993


Titanic, James Cameron, 1997


Los Amantes del circulo polar (Les Amants du cercle polaire), Julio Medem, 1998


Magnolia, Paul Thomas Anderson, 1999


The Sixth sense (Sixième sens), M. Night Shyamalan, 1999


The Iron giant (Le Géant de fer), Brad Bird, 1999


Todo sobre mi madre (Tout sur ma mère), Pedro Almodovar, 1999


Dancer in the dark, Lars von Trier, 2000


A.I. Artificial intelligenceSteven Spielberg, 2001


Les Invasions barbares, Denys Arcand, 2003


Mar adentro, Alejandro Amenabar, 2004


United 93 (Vol 93), Paul Greengrass, 2006


Je vais bien ne t'en fais pas, Philippe Lioret, 2006


Up (Là-haut), Pete Docter & Bob Peterson, 2009 


Room, Lenny Abrahamson, 2015


La Tortue rouge, Michael Dudok de Witt, 2016




Et vous, quels sont les vôtres ?

13 février 2019

Kings of Hong Kong III. 1989-1991

The Master, Tsui Hark, 1989
Première collaboration entre Tsui Hark et un Jet Li âgé de 26 ans, déjà auréolé du succès de ses films sur les moines Shaolin. Sans doute dans une volonté d'en favoriser l'exportation, le film est tourné à Los Angeles mais échoue à exploiter le caractère emblématique de la cité. Entre ruelles anonymes et terrains vagues, on pourrait aussi bien se croire à Toronto, ville souvent exploitée par l'industrie HK pour figurer les États-unis à peu de frais. À l'arrivée, avec ses loubards au look de carnaval, la vision de l'Amérique proposée ici par Tsui Hark semble devoir davantage à Double dragon et Final fight qu'à Hollywood. Le résultat souffre en fait d'un manque d'ambition sur tous les plans.

On cesse vite de relever les incohérences d'un script sans queue ni tête, prétexte à créer des scènes de bagarre autour de personnages dont les motivations nous échappent souvent. La mise en scène se montre nerveuse, exploitant la grâce et la rapidité de Jet Li et Yuen Wah face à la brutalité de leurs méchants adversaires occidentaux, dominés par un big boss impayable (tant par le mulet de premier choix qu'il arbore sans complexe que par son jeu dénué de la moindre subtilité). On appréciera donc des affrontements réguliers dans des situations variées, profitant à chaque fois de la spécificité des lieux et des accessoires qui y traînent, allant généreusement jusqu'à inclure des poursuites motorisées. Les coups sont violents, parfois même sanglants, contrastant avec l'humour plutôt bon enfant du film. On ne s'ennuie donc pas, mais The Master ne déborde jamais du cadre de la série B de videoclub, distrayante mais idiote.

Par sa façon de jouer sur l'opposition Orient / Occident, à base de gags puérils où le Chinois naïf se retrouve plongé dans un monde dont les codes lui échappent, mais aussi par sa façon d'interroger les raisons qui poussent à émigrer — la promesse déçue d'un monde meilleur — le film se présente comme un décalque évident de La Fureur du dragon  également produit par Golden Harvest. Il est ainsi symptomatique de la carrière en construction de Jet Li, destiné presque malgré lui à se voir projeté dans l'héritage laissé vacant de Bruce Lee. De nombreuses scènes jouent la carte du remake sans l'assumer, et l'on ne s'étonnera pas de voir le talent de Jet Li trouver son meilleur écrin lorsqu'il sera temps pour lui de reprendre fièrement le flambeau avec Fist of legend (Gordon Chan, 1994), somptueuse apothéose du genre.




Once upon a time in China (Il était une fois en Chine), Tsui Hark, 1991
Réinvestissant la figure de Wong Fei-Hong, un personnage emblématique du kung fu pian, Tsui Hark redonne ses lettres de noblesse à un genre un peu passé de mode au cours de la décennie précédente, dominée par les polars urbains. Il était une fois en Chine offre un spectacle grandiose tant dans la forme que dans le fond, une plongée passionnante dans une époque de lutte entre tradition et modernité, alors que la Chine s'ouvre malgré elle à l'Occident et rattrape l'inéluctable marche du temps. Au cœur de ces soubresauts, Maître Wong joue à la fois le rôle du témoin qui tente d'accompagner l'évolution, et celui de gardien des traditions, préservant la société des risques de corruption.  Loin du jeune pitre qu'en firent Jackie Chan et Yuen Woo-Ping à la fin des 70's, Jet Li incarne un Wong Fei-Hong qui impose une autorité tranquille par sa seule présence. Humour, sens du danger, caractérisation réussie des disciples (parmi lesquels l'électron libre Yuen Biao), le film régale par son intrigue complexe — comme souvent chez Hark — avec des idées suffisamment nombreuses pour que l'intérêt ne se résume pas à attendre les seuls passages spectaculaires. Les scènes d'action, chorégraphies à l'inventivité folle multipliant les effets de câble, exploitent à merveille la grâce de Jet Li.

Ce sera un énorme succès que le cinéaste-producteur va s'empresser d'exploiter en tournant plusieurs films dans la foulée, mais pas dans la précipitation pour autant, chaque volet offrant un spectacle riche et soigné, et continuant à développer les relations entre le maître, ses disciples, ses ennemis et sa tante (délicieuse Rosamund Kwan), avec un côté serial de luxe. Il était une fois en Chine 2 (1992) se bonifie à chaque vision, et Il était une fois en Chine 3 (1993) est très impressionnant. Tsui Hark et Jet Li passeront le relais pour le 4e volet (1993), le rôle étant confié au petit protégé Chiu Man-Cheuk qui s'en sortira fort honorablement. Hark reprendra la main sur Il était une fois en Chine 5 : Dr Wong et les pirates (1994), dont j'ai un souvenir déjà lointain de chouettes ambiances. Jet Li réendossera son rôle sous la direction de Sammo Hung avec Il était une fois en Chine 6 : Dr Wong en Amérique (1997), dernier round en forme de conquête de l'Ouest. Mais à cette date, Jackie Chan avait déjà remis les pendules à l'heure en reprenant son rôle du jeune Wong pour l'extraordinaire Drunken master 2 (1994).


DOSSIER KINGS OF HONG KONG :

7 février 2019

Kings of Hong Kong II. 1982-1989

The Miracle fighters, Yuen Woo-ping, 1982 
Produit par Golden harvest, le film ne brille pas par un scénario réduit à son plus simple argument, histoire de vengeance et de relation maître-disciple telle que l'industrie en a produite à la chaîne. Yuen Woo-ping n'a pour objectif que de concocter une suite d'affrontements délirants, de la première à la dernière image. Le recours à la sorcellerie lui autorise toutes les audaces, pour un résultat pas si éloigné des ghost kung fu comedies de Sammo Hung qui triomphent à la même époque au box-office hongkongais. 

Ici, les moines taoïstes sont plus proches de Gérard Majax que des sorciers chinois. On n'est même plus dans le ballet mais bien dans le grand numéro de cirque, avec escamotages en tous genres, équilibrisme et manipulations à vue. Ça ne se prend pas une seconde au sérieux, et les idées de chorégraphies sont jubilatoires (mention spéciale à la séquence du faux nain sur son banc). L'humour y est sans complexe, à l'image du cabotinage outrancier des comédiens, dont un méchant au rire forcément démoniaque. Les scènes s'enchaînent sur un rythme trépidant, sans que jamais ne cesse l'étonnement du spectateur.




The Big heat, Johnnie To, Andrew Kam & Tsui Hark, 1988 
Un polar HK assez foutraque labelisé Film Workshop, dont le tournage fut apparemment chaotique et qui mérite assez sa catégorie 3. L'action s'enchaîne sans temps mort. La scène de l'hopital est à ce titre un grand moment de cinéma speed. Quand ça canarde, la bidoche gicle avec une générosité douteuse. Réalisé à plus de quatre mains, selon les méthodes de tournage hongkongaises expéditives, on conçoit que la cohérence de l'ensemble n'a jamais été un souci. Dans sa réalisation, le film semble tantôt traité par-dessus la jambe (scènes tournées à l'arrache en pleine rue), tantôt verse dans un lyrisme efficace, soutenu par une splendide musique signée David Wu (également monteur) où dominent les synthétiseurs. Les scènes d'actions ne sont pas toujours très claires, cherchant davantage à exprimer le danger et la fièvre. En terme de mise en scène, le climax sort vraiment du lot, avec cette fuite hallucinante du méchant en bagnole.

Dans ses grandes lignes, l'intrigue ne cherche pas l'originalité. Un flic torturé (Waise Lee correct), accepte une dernière enquête pour élucider la mort d'un collègue, dont de délicieux flashbacks montrent l'amitié passée. Quand j'ai vu débarquer sa copine dont la première réplique a été « Chéri, dans deux semaines nous nous marions... », j'ai su tout de suite que le scénario de Gordon Chan avait déjà décidé de la faire assassiner. La retrocession de Hong Kong huit ans plus tard sert déjà de background. On nous montre une société en pleine deliquescence, les autorités comme la police sont corrompues, la mafia locale s'allie avec les Russes et les big boss des multinationales s'avèrent n'être que des pantins. Le film prend également l'apparence d'un buddy movie dégénéré puisqu'il ne s'agit pas de deux potes flics mais de quatre, chacun sommairement caractérisés mais néanmoins convaincants, où l'on retrouve notamment un flic malaisien qui ne quittera pas sa paire de lunettes noires (assumé comme une excentricité), un bleu gaffeur destiné à mourir le premier, et surtout le génial Phillip Kwok également à l'œuvre aux chorégraphies. En salopard intégral, Paul Chu est impayable. Film certainement pas inoubliable, mais réjouissant par son côté viscéral.




A better tomorrow III (Le Syndicat du crime 3), Tsui Hark, 1989 
Un excellent cru, étonnant sur bien des points, qui bénéficie lui pour le coup d'un scénario vraiment solide. Je m'attendais à un truc un peu paresseux, aux visées avant tout commerciales destiné à exploiter le succès du diptyque de John Woo, produit par Tsui Hark et qui avait assis l'autorité de sa compagnie Film workshop. Il n'en est rien. Reprenant les rênes, Hark livre une œuvre étonnamment riche et complètement imprévisible. Il s'offre une vraie histoire romanesque mettant en scène des personnages attachants. Le film a de superbes moments et ne manque pas de lyrisme. Se présentant comme un prequel, il a en plus l'avantage d'être relativement autonome, repartant à zéro avec une intrigue se déroulant de Hong Kong à Saigon, alors que la guerre du Vietnam est sur le point d'éclater. On peut raisonnablement penser qu'il s'agissait pour le réalisateur d'origine vietnamienne d'un projet suffisamment personnel pour qu'il décide de le mettre en scène lui-même.

Alors qu'avec ses films Woo avait en quelque sorte redéfini une nouvelle écriture du cinéma d'action, celle-ci est ici très mesurée, et c'est sans doute ce qui peut destabiliser le spectateur s'attendant à un prolongement du polar fiévreux de maître Woo. On s'intéresse avant tout aux personnages, avec à leur tête un trio très émouvant formé par Chow Yun Fat (clope constammant visée au bec), Tony Leung Ka-fai (très attachant) et Anita Mui (vraiment resplendissante et magnifiée). Le ton est romantique jusque dans le désespoir, la mise en scène a un superbe style, avec de très beaux effets de ralenti. Le final est incroyablement fort, d'un noir lyrisme. On pourrait trouver kitsch le score 100% synthétique, personnellement j'ai bien aimé. Bref, un film vraiment passionnant, trop souvent ignoré dans la foisonnante filmographie du cinéaste.


DOSSIER KINGS OF HONG KONG :