30 octobre 2015

Ghost kung fu comedy

Survol des œuvres emblématiques de la ghost kung fu comedy, qui dans les années 80 associa au genre déjà balisé de la kung fu comedy des éléments fantastico-horrifiques inspirés du surnaturel chinois. Antérieur à cette vague, je me souviens du très mauvais L'Irrésistible (Lo Wei, 1978) où Jackie Chan s'associait à des esprits malins qu'il avait rendu visible par inadvertance en leur urinant dessus, usant ensuite de leurs pouvoirs pour vaincre son rival. Mais la formule fut réellement brevetée en 1981 par Sammo Hung avec le premier volet de L'Exorciste chinois. Elle repose en gros sur le même schéma : un moine taoïste et ses deux crétins de disciples affrontent des morts-vivants. On est cependant loin de la mythologie occidentale du vampire ou du zombie, telle que revitalisée notamment par George Romero et ses collègues. Aux gousses d'ail et autres crucifix répondent ici le riz gluant et les prières écrites sur des bouts de papier. 

Les films sont en général très décousus et pas très ambitieux artistiquement, mais le genre connaîtra un vrai succès commercial pendant une décennie, avant d'évoluer vers la veine plus romantique des Histoires de fantômes chinois produits par Tsui Hark, ou du Jiang Hu de Ronny Yu. Dans les films de ghost kung fu comedy, l'ambiance est au burlesque et à la rigolade. Le spectacle est en général très distrayant et surtout on prend beaucoup de plaisir à voir de film en film la récurrence de leurs thématiques et la continuité d'un véritable artisanat. On assiste en effet aux prouesses de vrais talents martiaux, chaque affrontement méritant d'être regardé avec beaucoup d'attention, la souplesse et la rapidité de certains mouvements pouvant parfois passer inaperçue tant ils sont exécutés avec brio.




Encounters of the spooky kind (L'Exorciste chinois), Sammo Hung, 1981
Un scenario bidon, une narration un peu branque dont la brutalité des transitions me fait me demander si le film n'a pas subi quelques coupes franches. En dehors de ça, le spectacle est follement divertissant, avec quelques excès burlesques irrésistibles (le zombie qui répète tous les gestes de Sammo). Le rythme est très soutenu et les chorégraphies sont d'une grâce constante, dans des combats habilement répartis au long du métrage. 

De tous les films dont je parle ici, c'est le seul tourné en scope. La mise en scène très soignée participe beaucoup au plaisir pris au visionnage. La scène du réveil du premier gyonshi, cet espèce de vampire qui saute à pieds joints, est en particulier un superbe morceau de cinéma. Le final est tout aussi anthologique, avec son duel de sorciers sur échafaudages, véritable feu d'artifice d'action à la fois acrobatique et pyrotechnique. On se désolera cependant de la mysogine totalement assumée du film. Il a beau être le moteur du récit, le personnage féminin est méchamment déconsidéré et présenté comme la cause des malheurs du pauvre Sammo.




Mr. Vampire, Ricky Lau, 1985
Mélange détonnant d'ambiances contradictoires où l'on nous demande tantôt d'être horrifiés tantôt de rire. Sur le plan de la comédie, le film est très efficace, le comique reposant en grande partie sur la bouffonnerie des deux disciples particulièrement idiots et maladroits. On se régale tout autant de la variété des menaces, tout comme de l'excellente de l'interprétation. 

Avec ce film, Lam Ching-Ying devient instantanément LE héros du genre, et l'acteur impose son élégance de jeu ainsi que sa grâce martiale. La déception est cependant de mise lors du climax : le combat final contre le zombie, qui est censé être l'ennemi le plus sérieux, ne sera pas le plus spectaculaire. Le film est d'ailleurs relativement avare en scènes de kung fu, les vampires étant plutôt rigides dans leurs déplacements. Pour ma part, le meilleur du film est dans la scène d'ouverture, qui synthétise le mieux l'alliance de comédie, d'horreur et de kung-fu. 




Mr. Vampire 2 (Le Retour de Mr. Vampire), Ricky Lau, 1986
C'est le film que les amateurs du genre préfèrent oublier, à juste titre. Cette suite opportuniste est plombée par un scénario qu'on croirait écrit par un gamin de dix ans... pour des spectateurs du même âge. L'intrigue se voit brutalement projetée à l'époque moderne. Le résultat est un manque total d'ambition, qui rend le spectacle franchement pénible. Le plus agaçant étant certainement la façon dont sont utilisés les mômes dans tout ce qui concerne l'enfant-vampire (pompage évident de E.T.). La mise en scène est sans éclats, ponctuée de gags navrants et d'une musique au synthé parfaitement indigeste, et qu'on croirait presque (mal) improvisée.

Ce deuxième volet de la franchise ne compense même pas cette triste donne par ses scènes de kung fu, pratiquement aux abonnés absents, ce qui est d'autant plus consternant que le casting bénéficie de la présence du grand Yuen Biao, dont le personnage dégage une vraie sympathie mais qui ne voit quasiment pas exploitées ses capacités martiales. 




Mr. Vampire III (Mr. Vampire et les démons de l'enfer), Ricky Lau, 1987
Retour avisé aux fondamentaux. On sent qu'un effort est fait dans la première partie pour mettre en place une véritable intrigue, riche en péripéties, quiproquos et gags burlesques vraiment tordants. Puis cette préoccupation semble disparaitre complètement pour laisser libre cours aux affrontements, un peu au détriment des personnages et de l'environnement. Billy Lau et ses lunettes triple foyer est en roue libre pour notre plus grande joie, et l'on notera l'apparition clin d'œil de Sammo Hung.

Ce manque d'enjeux amoindrit par conséquent quelque peu l'intérêt du spectateur pour ce qui se passe à l'écran, d'autant qu'il n'est pas vraiment aidé par une photographie sans saveurs. En effet, à l'exception de deux ou trois scènes, tous les éclairages sont plein phares, sans nuances, ne créant aucune dramatisation. Nulle frayeur, ni suspense. Mais niveau action, on est comblé, et on finira par pardonner ce manque de rigueur narrative et artistique. Ici magie et kung fu sont plus liés que jamais, et les combats câblés sont aussi nombreux qu'éblouissants, notamment celui du début dans la forêt.  




Mr. Vampire saga 4 (La Fin de Mr. Vampire), Ricky Lau, 1988
L'intrigue est encore plus amincie, ce qui n'est pas peu dire, et se retrouve brutalement scindée en deux parties aux atmosphères complètement différentes. La première décrit une cocasse guerre de voisins entre deux moines, le taoïste Anthony Chan et le bouddhiste Wu Ma, qui rivalisent de duels de baguettes et autres envoûtements, tandis que leurs deux disciples, la plus que charmante Rachel Lee et le phénoménal Chin Kar Lok, fricotent gentiment. Puis c'est l'irruption brutale des vampires et zombies — dont un gay (Yuen Wah qui ne cherche pas la subtilité — qui investissent leurs maisons et déclenchent une bonne heure de baston et cascades non-stop, toujours mêlées à des gags assez réjouissants dont certains ne craignant pas de virer au cartoon, à base de bâtons de dynamite. 

Si Lam Ching-Ying n'est plus de la partie, c'est l'agilité de Chin Kar Lok qui marque le plus la rétine. Cet opus se distingue également par une mise en scène éblouissante de fluidité et une photographie enfin en accord avec l'atmosphère lugubre du récit. Le résultat est donc consternant de paresse scénaristique mais particulièrement distrayant. Même la musique orchestrée comme toujours au bontempi est d'une cheaperie qui force la sympathie.




Encounters of the spooky kind 2 (L'Exorciste chinois 2), Sammo Hung & Ricky Lau, 1989
On peut vraiment sans aucune hésitation considérer ce titre comme un Mr. Vampire 5, tant la formule ne varie pas d'un iota. Lam Ching-ying reprend son rôle d'Oncle Neuf, le sifu taoïste. Le retrouver de film en film est comme un clin d'œil adressé au spectateur. Ce n'est pas exactement le même personnage, tout en étant quand même le même rôle. Et son charisme reste intact. Le personnage est une nouvelle fois condamné à être accompagné de deux disciples peu fûtés : Meng Hoi (génial) et Sammo. En ce qui concerne les personnages, ça n'a strictement plus aucun lien avec L'Exorciste chinois premier du nom. On appréciera d'ailleurs la différence de traitement du sifu qui apparaît ici mesquin, borné et assez fourbe avec ses disciples. Plus humain, dira-t-on. L'aspect comédie est très réussi et on s'esclaffe souvent de bon cœur. 

La musique est encore une fois désolante d'inintérêt, mais le découpage des scènes d'action est magistral. On atteint ici un sommet d'inventivité dans les affrontements puisque tous les monstres du genre y passent, comme conviés à une ultime rétrospective : momies, zombies pourrissants, gyonshis, possédés, fantômes, moines pratiquant la magie noire, etc. Les effets spéciaux très bricolés participent au charme du spectacle. Du coup, le scénario part encore dans tous les sens et une des fins les plus abusivement éjectées qu'il m'ait été donné de voir, laissant évidemment plein d'éléments narratifs non résolus.


28 octobre 2015

Zombies vous avez dit zombies ?

George A. Romero n'a pas inventé la figure cinématographique du zombie, qui est à l'origine une victime de la magie vaudou et qui inspirait déjà les expressionnistes allemands des années 1920 (le Cesare du Cabinet des Dr. Caligari, par exemple). Mais sa Nuit des morts-vivants et plus encore son prolongement Dawn of the dead en ont redéfini le sens et les motivations. L'influence du cinéaste fut donc majeure puisqu'elle a véritablement inauguré ce qui est devenu un authentique sous-genre du cinéma fantastique, qui a donné lieu — comme toujours dès qu'il est question d'une recette qu'on espère commerciale — au meilleur comme au pire. Avant d'aborder les amusants avatars hongkongais, et préférant passer sous silence ceux craspecs du bis italien, voici quelques incarnations plus ou moins avariées de cet étonnant miroir de nos âmes qu'est le zombie...




Return of the living dead (Le Retour des morts-vivants), Dan O'Bannon, 1985
La comédie horrifique est un genre particulièrement délicat qui n'affiche à son compteur que peu de réussites. Je citerai Evil dead 2, de Sam Raimi, ou Braindead, de Peter Jackson. Auteur à part entière (Dark star, Alien), Dan O'Bannon emballe un film réjouissant, drôle du début à la fin et ne souffrant d'aucune baisse de rythme. Les gags sont excellents (les zombies appelant eux-mêmes les flics pour avoir davantage de cerveaux à manger), l'interprétation (inoubliable Linnea Quigley) irrésistible, les dialogues jubilatoires (le film de Romero est évoqué à plusieurs reprises), et les maquillages réussis et inventifs. Et si la mise en scène est sans réel génie, O'Bannon livre un travail plus que digne. Quant à la fin,  si son côté inattendu fait également plaisir, elle laisse quand même l'impression d'avoir été un peu expédiée, comme s'il n'y avait plus de budget pour le film et que deux ou trois stock-shots avec voix off suffirait à faire comprendre le nécessaire. Cette impression perdure jusqu'à ce générique de fin sur des images du film qui rappelle ceux des séries télé de l'époque qui reprennaient pareillement des plans figés de l'épisode qu'on venait de voir.

Aux yeux et aux oreilles du spectateur contemporain, le film a incontestablement un côté daté : le look des punks, la bande son qui mixe des morceaux des Cramps et de The Damned. Mais ça donne encore plus de saveur à ce qu'on imagine avoir été en son temps un grand succès de videoclub. Le film généra à son tour une série de suites sans vrai rapport avec le ton et l'histoire contée ici, se contentant de décliner des chiffres après le titre original.




Dawn of the dead (L'Armée des morts), Zack Snyder, 2004
Les remake ont par principe mauvaise presse, et c'est pourtant encouragé par les critiques (notamment Le Monde) que j'avais eu la curiosité d'aller voir celui-ci à sa sortie. Forcément (?), l'attente une fois nourrie a débouché sur une déception. Le film commençait pourtant sur d'excellentes bases. Une description sociale réaliste (l'hôpital, la banlieue, la vie de couple). Un casting qui évite les belles gueules de teenagers abonnés à ce genre de film depuis Scream. Le film de Romero trouvait justement une grande part de son intérêt dans l'observation et le soin accordé à la caractérisation de ses personnages. Ici, les meilleures idées tournent autour d'Andy, le voisin sur le toit, personnage complexe et vraiment intéressant. Pour son premier long métrage, Snyder signe une mise en scène intelligente, d'abord précise puis de plus en plus déstructurée, avec cette insistance sur les écrans des vidéos de surveillance et des médias. Quelques beaux-plans d'ensemble autour du véhicule de l'héroïne, ou certains plans larges du parking extérieur du centre commercial. Bref je me disais qu'on était là effectivement devant autre chose qu'un remake opportuniste et sans âme. Et puis...

J'ai été un peu frustré de ne pas y trouver davantage qu'un survival pas si horror que ça, où les corps-à-corps ne sont pas très fréquents. Du coup, les zombies ne m'ont jamais semblés être une vraie menace et assez vite, je me suis senti loin du film. Bien qu'au-dessus du tout-venant de la production hollywoodienne, ce Dawn of the dead 2004 manque finalement un peu d'ambition par rapport au sous-texte politique et social qui convient pourtant si bien aux zombies et autres profanateurs de sépultures.





The Dead, Ford brothers, 2010
Une vraie série B pour laquelle j'aurais eu du mal à m'enthousiasmer au démarrage : scène d'ouverture aux effets démonstratifs, interprétation de troisième zone, bande sonore sans subtilité et surtout une mise en scène chaotique au sens de mal maîtrisée. Une grammaire qui se résume à des cadrages serrés et un montage épileptique, et qui m'a immédiatement agacé. On se désintéresse un peu trop tôt de ce qu'il se passe sur l'écran, et en dehors du cadre assurément original de l'Afrique noire pour un zombie-flick, on se dit qu'on a déjà vu ça. Une fois ces moments d'exposition passés, étape forcément ingrate, le film a cependant le bon goût de ne pas se donner davantage de prétention, et déroule alors un survival plutôt convaincant et épuré de péripéties trop idiotes.


Les relations entre les personnages sont réduites au minimum, leur parcours et motivations esquissés sans caricature. Seule compte la façon dont ils vont progresser dans un environnement hostile à chaque coin de dune. Le désert apparaît d'ailleurs étonnamment peuplé et il n'y a pratiquement aucun moment où la tension pourra se relâcher. Le protagoniste avance sans aucun espoir, tout juste préoccupé de sa prochaine heure. Tout ça parvient à être crédible, notamment grâce à des effets de maquillage quand même bien saisissants de réalisme. Je n'aurais donc pas été très emballé pendant le visionnage, mais c'est après coup que je me suis dit que ça restait quand même une honnête proposition de film, jusqu'à un final qui parvient à surprendre tant tout semblait mener à l'impasse. Dommage donc que la réalisation soit si ratée. J'aurais aimé pouvoir encourager davantage sa découverte.

26 octobre 2015

Le cinéma de George A. Romero


Night of the living dead (La Nuit des morts-vivants), 1968
Agé de seulement 28 ans et n'ayant semble-t-il rien à perdre, George A. Romero réalisait ici un petit miracle, à l'instar d'un Tobe Hooper dont le restant de l'œuvre ne transcendera jamais le coup d'éclat du premier opus. Sous son apparence de série B horrifique, le film dut faire son petit effet sur les spectateurs de l'époque, habitués à un traitement du genre qui jusqu'alors tenait davantage du carnaval. Cette Nuit des morts-vivants donne aujourd'hui rien de moins que l'impression d'assister à la réinvention du cinéma. Au-delà de la figure du mort-vivant, c'est par son approche du genre que ce titre eut une influence fondamentable sur le septième art, mélange audacieux de huis-clos psychologique et de fantastique au style documentaire. Le film demeure donc pour le spectateur contemporain une expérience toujours aussi terrifiante, étouffante, à la fois pour ses zombies plus qu'efficaces mais aussi pour sa vision d'une humanité devenue égoïste et aveugle face à une situation qui la dépasse. Tout cela filmé avec une sécheresse qui rend cet objet filmique très inconfortable (la dernière descente des escaliers de la mère...).

L'univers composé par Romero apparaît d'autant plus crédible qu'il bénéficie d'une interprétation généralement remarquable, prouvant que Romero sut être ici à la fois un fin observateur des comportements humains et un directeur d'acteur avisé. Les efforts désespérés de Ben (Duane Jones) pour rester en vie ne seront pas payés de retour, et le final du film en devient absolument glaçant, avec ces photographies sur lesquelles se déroule le générique qui tracent sans équivoque un parallèle avec des images de sinistre mémoire. Cet épilogue livre sans conteste la clé du discours ici à l'œuvre, soit une parabole impitoyable sur la condition humaine.




Martin, 1977
J'ai eu la chance et le bonheur de découvrir le film à la Cinémathèque française, présenté par Romero himself, tout étonné qu'il était de bénéficier d'autant d'honneurs. Film de vampire démystificateur, Martin offre une vision à la fois très juste et très originale du vampirisme contemporain, qui tente de se débarasser du folklore habituel (gousses d'ail et crucifix) tout en y étant tragiquement condamné. Une veine intimiste et dérangeante curieusement explorée cette même année 1977 par Cronenberg et son dérangeant Rabid (Rage), et qui sera prolongée bien plus tard par Ferrara (The Addiction, 1995) puis plus récemment encore par Thomas Alfredson et son très beau Let the right one in (Morse).

Le film de Romero est tourné avec très peu de moyens, dans les décors naturels et sans apprêts de Pittsburgh, avec une volonté d'antispectaculaire et une volonté affirmée d'inscrire son récit dans un environnement réaliste. Le format 1.33 et le ton granuleux du 16mm renforce encore davantage l'impression de réalisme documentaire, proche du home movie. Tous ces éléments créent une atmosphère assez insoutenable et mettent vraiment en valeur le destin poignant d'un protagoniste inoubliable. Le montage du film est vraiment virtuose, entre le jeu alambiqué des flashbacks et certaines scènes (mention spéciale à la scène où Martin "attaque" un couple bourgeois dans une étonnante maison à étage, qui m'avait pas mal impressionné). 




Dawn of the dead (Zombie), 1978
Un spectacle aussi impressionnant par la pertinence de son propos qu'enthousiasmant par sa mise en forme. Il y a une telle variété de situations dans ce film, qui plus est à chaque fois cinematographiquement très riches, avec une approche  qui se veut la plus crédible possible, et sans jamais que les personnages et leur logique comportementale ne soient sacrifiés. Ceux-ci présentent différents profils humains sans jamais paraître artificiellement caractérisés. Le personnage féminin est tout à fait étonnant, et ne ressemble vraiment à aucun autre issu de ce cinéma de genre. Romero nous montre tels que nous pourrions agir dans semblable situation apocalyptique où l'on n'est plus sûr du lendemain. Du chaos à l'incompréhension, de l'acceptation à la complaisance, du profit à la perte. La sensation de catastrophe est incroyablement palpable dès la percutante séquence d'ouverture. C'est vraiment plein d'idées de mise en scène, et en évitant l'épate facile, Romero ne fait que rendre son univers et ses zombies plus vrais, passant clairement à une vitesse supérieure par rapport à sa Nuit de 1968.

Le film a bénéficié d'un montage plus vif pour sa distribution européenne, supervisée par Dario Argento. Si cette dernière a clairement ma préférence, j'aurais juste un reproche à faire à la zique des Goblin qui, si elle est tout à fait efficace au début, m'a semblé assez vite manquer d'imagination (Le montage Romero est pour sa part pauvrement habillé d'un score orchestral issu d'une banque de sons libres de droits). Et puis peut-être une certaine complaisance sur les effets gores. Rien à voir avec ma sensibilité, mais en enchaînant trop souvent des gros plans sur des cervelles explosées, des corps éviscerés ou des membres bouffés, l'effet perd un peu de sa force. On sent que Tom Savini a eu carte blanche lors de la séquence des bikers, véritable festival d'effets de maquillage et de trucages grand-guignol.





Day of the dead (Le Jour des morts-vivants), 1985
Pris isolément, le film doit certainement décevoir. Mais en tant que pièce de ce qui est longtemps resté une trilogie, il devient tout à fait appréciable et fait de cet ensemble une œuvre assez admirable. Avec le temps, j'ai de plus en plus d'affection pour ce titre, qui est assez appréciable dans sa façon de s'arranger avec la petitesse de son budget, tout en poussant encore plus loin le degré de réalisme avec des scènes très étirées de conflits dialogués, qui débordent d'une tension assez suprenante. Ici, bien plus que dans les deux premiers volets, les zombies sont relégués en hors-champ pendant la majeure partie du métrage. Les humains survivants n'ont presque plus besoin d'eux pour se détruire, incapables de s'accorder sur les moyens de leur survie. Aux rabatteurs et bikers fachos, succède ici une poignée de militaires sexistes et particulièrement vulgaires, déments et décérebrés. Autrement dit : l'ennemi est déjà dans la place. On assiste à leur pêtage de plomb, tels qu'ils sont terrés dans leur trou, comme si cela faisait tout simplement partie de leur nature.

L'importance donnée à ces affrontements dialogués dans la première partie place un peu le spectateur dans la position de l'observateur, comme ces scientifiques qui assistent aux  expériences sur les zombies derrière la vitre de leur laboratoire. Nouvelle avancée par rapport aux deux premiers films, ici il n'y a plus de communication avec l'extérieur. Ni radio, ni télé. Les informations concernant le mode de fonctionnement des zombies nous sont données de l'intérieur, par l'intermédiaire d'un docteur Frankenstein qui parviendra à retrouver la part perdue d'humanité de ces créatures. Ainsi la distance qui les sépare de nous-même se rétrécit de film en film. Notons, comme dans Dawn of the dead le rôle fort et peu conventionnel donné au (seul) personnage féminin, semblant au début marcher un peu sur les traces du Ripley d'Alien, avant de se révéler tout autre.

Tourné dans des décors extrêmement réduits, le film se sort tant bien que mal de son esthétique du pauvre. Ce minimalisme est suffisamment bien géré par Romero, habitué à bosser avec peu de moyens, et Tom Savini s'en donne une nouvelle fois à cœur joie. On pourra cependant regretter de ne pas sentir suffisamment l'ampleur de la situation. L'atmosphère de chaos inéluctable est laissée à notre imagination, mais de façon moins palpable qu'auparavant. Néanmoins, très belle scène d'ouverture dans une rue déserte en Floride. Musique labelisée eighties pour amateurs.





Land of the dead, 2005
Après l'inattendu succès du remake de Dawn of the dead par Zack Snyder en 2004, Romero qui avait pratiquement disparu se retrouve pour un temps les faveurs d'Hollywood. Mais les zombies sont devenus à la mode et on n'attend pas de lui autre chose. Premier bon point : les acteurs sont très bons, notamment Simon Baker, l'interprète de Riley le désabusé. Encore une fois, ce qui distingue Romero de ses pseudo-concurrents, c'est son talent à faire exister ses personnages et à rendre les situations réalistes et crédibles. Son camarade au visage à moitié défiguré est une belle création, se révélant assez touchant, et même Leguizamo, dont le personnage semblait un peu exagéré, finit par dévoiler son humanité lorsqu'il baisse les bras suite à l'échec de son plan. De même, Dennis Hopper pourtant habitué aux rôles de cabotin échappe au portrait du méchant capitaliste par des dialogues assez peu conventionnels. Ce soin de la caractérisation se retrouve jusqu'aux seconds rôles et leurs courtes apparitions ont une vraie présence dans la limite de leur rôle (les GI's qui accompagnent notre trio de héros).

Si on n'a pas forcément le sentiment que l'invasion a pris de l'ampleur, c'est surtout la figure du zombie qui est ici encore développée, avec le pompiste qui prend d'étonnantes initiatives pour mener l'assaut. Romero fait réellement progresser son discours et nous réserve de très belles idées de scènes, dont la force est souvent joliment soulignée par une musique qui se fait ici lyrique. Robert Kurtzman, Howard Berger et Greg Nicotero signent de très chouettes effets spéciaux, notamment dans les impacts de balles, très nombreux et réalistes. Leur studio KNB tient aujourd'hui le haut du pavé en la matière avec leurs créations pour Kill Bill, House of wax, La Colline a des yeux ou tous les épisodes des Masters of horror, et on devine que cette opportunité de travailler pour Romero fut pour eux comme un rêve d'enfant réalisé. La très belle photo gris anthracite modère sans doute l'impact des plans gores par rapport aux éclairages crus et blafards de Dawn et Day, qui ne laissaient eux rien dans l'ombre. Esthétiquement assez léché, ce Land of the dead est sans doute le film le plus soigné de Romero, jusqu'à avoir presque des atours de film à gros budget. 

Bien que la satire semble ici plus présente (l'instrumentalisation du zombie en jeux de société), Romero est loin d'avoir abandonné sa vision particulièrement désespérée de l'humanité. Ici encore, l'atmosphère de fin du monde semble moins être du fait des morts-vivants que des vivants eux-mêmes, mettant les plus démunis au ban afin de mieux garantir le bien-être des plus fortunés. C'est encore un pas franchi par rapport à Day, où le débat portait plus sur des questions de méthodes de combat et de survie. Ici, on préfère carrément créer des classes sociales qui n'ont plus à cohabiter. La fin a un goût un peu moins amer que dans les précédents volets, signe d'un espoir enfin possible ou  aménagement commercial pour une suite, chacun jugera selon son cynisme. 

La première trilogie profitait davantage d'une temporalité étirée pour installer l'oppression. Cette fois, c'est l'efficacité de l'action qui prime. Le récit est dans son ensemble bien serré, le rythme nerveux, la mise en scène sans graisse. Bref, une excellente série B, comme seuls quelques vétérans sont encore capables d'en trousser (Big John Carpenter était de ceux-là). Et je me réjouissais à la sortie du film que Romero soit revenu nous rappeler qu'il en faisait bien partie. Trois ans plus tard, il réalisait pourtant un Diary of the dead, qui semblait pour sa part totalement abandonner ses ambitions thématiques et n'être qu'un divertissement bien emballé mais parfaitement inconséquent, aux personnages et situations remplis des clichés habituels d'un genre, et surtout qui aurait pu être signé par n'importe qui d'autre que Romero.

19 octobre 2015

Clara Sheller, 2005-2008

Découverte un peu acrobatique puisque je n'aurais vu que les deux premiers épisodes de la saison 1 avant d'enchaîner avec la seconde saison.

Le démarrage manque peut-être de subtilité mais il fallait bien qu'on situe assez vite les personnages et le passif de leurs relations. Une fois ces jalons posés, la série se révèle dans ses deux premiers épisodes plutôt très finement écrite, avec surtout une réalisation particulièrement soignée, intelligente, et sans faute de goût (ce que j'ai rarement ressenti dans une production télévisée française jusqu'ici). Cette mise en image porte notamment une très jolie attention au décor parisien. Les choix musicaux sont également remarquables (Mirwais, Daho, AS Dragon).

Le comportement des personnages ne manque pas de justesse, et le scénario sait faire place à la comédie sans verser pour autant dans les artifices du vaudeville facile. Et lorsque survienne des éléments plus dramatiques, ces derniers s'intègrent harmonieusement et de façon tout à fait crédible. Enfin, ce qui emporte le morceau c'est la qualité générale de l'interprétation, avec en tête Mélanie Doutey et Fréderic Diefenthal qui jouent avec autant de simplicité que de charme. L'ensemble procure un réel délice.

J'ignore les raisons qui ont fait que le casting a complétement changé pour la saison 2. J'ai eu du mal à accrocher à l'incarnation de l'héroïne par Zoé Félix, pas aidée par une écriture qui semble vraiment gâcher son personnage en en faisant quelqu'un de parfaitement indéfendable, tête à claque et antipathique, soudainement caractérisé par une tendance pathologique au mensonge. On n'a même plus envie d'être à ses côtés, pire encore, on en vient à se réjouir lorsque le sort se retourne contre elle. Sa voix off est un peu trop présente et cette omniprésence entraîne un fréquent manque de profondeur dans le discours. C'est évidemment un peu dommage et on regrettera jusqu'au bout cette malheureuse passation de bâton. 

À l'inverse, tout ce qui concerne les deux autres membres du trio, Gilles et JP, m'a semblé vraiment réussi, les personnages étant formidablement campés par deux excellents comédiens. Patrick Mille (qui demeurera éternellement pour moi le Chico de la bande à Edouard Baer) se montre parfaitement convaincant, tandis que François Vincentelli est impeccablement juste et s'impose sans problème dans le rôle tenu avant lui par Thierry Neuvic

Si certains rebondissements relèvent des conventions feuilletonesques, les ressorts de l'histoire restent heureusement suffisamment intriguants pour qu'on n'abandonne pas l'affaire en route. Tant dans l'écriture que dans ce qui est donné à voir, ni censure, ni racolage. On ne sent jamais de compromis qui serait lié à des contraintes de diffusion télé. Au contraire, les situations et sentiments décrits sonnent souvent très justes et finissent par toucher. D'autant plus que la comédie finit par céder le champ à une tonalité plus grave. Le final laisse d'ailleurs soudainement beaucoup de place à l'entourage de l'héroïne, prouvant une volonté de les faire exister bien au-delà d'un rôle de faire-valoir. Ça compose un univers assez attachant.

Alain Berliner soigne sa réalisation, avec toujours ces moments de respiration sur la ville nimbés dans de jolies mélodies. On retiendra en particulier une escapade campagnarde qui évoque gentiment des ambiances à la SautetBref, c'est à l'arrivée une production avec une vraie personnalité et finalement assez riche à commenter.