25 mars 2016

Légendes de l'Ouest IV. 2003-2012


Cold mountain (Retour à Cold mountain), Anthony Minghella, 2003
Après son vénéneux Ripley, le talent du regretté Minghella s'impose ici avec grâce et évidence, tant sur le plan visuel que sur celui des dialogues. Je suis tout à fait client de sa poésie et de son goût du romanesque, qu'il peinera malheureusement à faire exister dans le dernier film qu'il nous aura laissé, le bizarre Breaking & entering. Ce superbe Cold mountain fait lui partie de ces films vers lesquels j'aime régulièrement revenir, qui me charment davantage à chaque nouvelle vision, estompant mes dernières réserves. Le personnage de Zellweger, de même que la caractérisation des "méchants", et notamment de leur "chef" Teague, révèlent alors leur douce complexité. 

Œuvre d'orfèvre, le film est fignolé à tous les niveaux, et parvient tout de même à faire respirer et exister l'émotion. C'est d'autant plus fort, que tout le récit de cette odyssée qui s'assume comme telle, parle de la façon dont des personnages sont contraints de conserver douloureusement en eux leurs sentiments, de maintenir la passion intacte jusqu'au moment où ils auront la possibilité de la libérer, de la faire exploser, dans un monde en guerre qui vient les mettre à l'épreuve. Fidèle au réalisateur, Walter Murch livre un travail de montage remarquable. Le film ne cesse en effet de faire des basculements dans le temps et l'espace, s'accordant au rythme des cœurs des amants séparés. Au début, on alterne entre le présent (la guerre) et le passé (la rencontre). Puis ces deux dimensions finissent par se rejoindre, jusqu'à ce que les personnages se rapprochent et atteignent le même plan. Leurs retrouvailles sont d'ailleurs plus que belles, Minghella traitant avec intelligence et inspiration le moment où leurs corps vont enfin ne faire plus qu'un, eux qui n'avaient alors qu'à peine échangé un baiser, revécu mille fois depuis (eJude Law porte vraiment bien la barbe). 

Également signés Murch, les effets sonores participent de ce grand degré de réalisme qui donne une force peu commune à ce spectacle souvent flamboyant. Rien que le rendu du bruit des armes est du niveau de ce qui avait été fait sur le Soldat Ryan de Spielberg. On devine chaque balle qui fuse, avec un son d'armes de l'époque pour autant que mon oreille puisse en juger. La musique n'est une nouvelle fois pas en reste, entre chansons folks généreusement partagées et score symphonique qui joue la retenue de Gabriel Yared.




The Three burials of Melquiades Estrada (Trois enterrements), Tommy Lee Jones, 2005
Un film aride comme le désert qui l'accueille, et sur lequel planent inévitablement les ombres de Peckinpah et Leone. Le film ne tient peut-être pas toutes ses promesses, laissant pas mal de personnages en manque de réels développements (les deux rôles féminins en particulier). Cependant, j'ai bien apprécié son ambition à partir d'un script extrêmement simple, et plus encore la force de sa mise en scène que je trouve tout sauf impersonnelle. La photographie est de même très réussie, avec une lumière assez étrange tout le long du film. 

Le chemin de croix de Barry Pepper est réellement terrifiant, et donne lieu à de grands moments de cinéma, où toute l'intensité du duo de comédiens trouve l'occasion de s'exprimer dans un huis-clos à ciel ouvert. J'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour Tommy Lee Jones, que j'ai du découvrir dans Piège en haute mer, et qui fait ici des débuts plus que convaincants derrière la caméra (pas eu l'occasion de voir ses opus suivants à cette date).




The Assassination of Jesse James by the coward Robert Ford (L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford), Andrew Dominik, 2007
Un bien beau film, d'une mélancolie insondable. Le réalisateur opte pour un rythme très contemplatif, qui s'accorde aux images sublimées par la photographie crépusculaire du maître Roger Deakins. Et pourtant, malgré la profusion de détails, le tissage assez serré d'événements et de relations entre les uns et les autres, avec cette bande qui finit véritablement par devenir une authentique famille redonnant un nouveau sens à l'expression "les liens du sang", on reste avec l'impression pas désagréable que le monde intérieur des personnages nous échappera jusqu'au bout. Seul demeurera ce que la légende aura choisi de graver. L'épilogue désabusé de cet anti-western m'a beaucoup touché, et j'avoue que j'avais envie de prolonger le voyage avec ces personnages au pathétique destin. 

Témoignage de cette direction narrative, je crois que Brad Pitt n'a jamais été aussi sobre, fermant son visage par des expressions plutôt fixes. Magnifique, Casey Affleck est quant à lui véritablement le protagoniste du film et il trouve assurément là son premier grand rôle. J'ai bien aimé la façon très brutale dont sont rendus les actes de violence, avec un travail sur le son très réaliste, qui dit bien que la mort est un sale boulot. Mes seules réserves concernent à la rigueur la construction du film comme une suite de petits chapitres avec la répétition de transitions sous la forme d'une voix off pas toujours pertinente accompagnée par les orchestrations de Nick Cave et Warren Ellis. J'ai trouvé ces thèmes très beaux, et ils impriment clairement une ambiance de douce tragédie, mais j'ai un peu regretté que Dominik ne leur fasse pas suffisamment confiance pour mieux les intégrer à son récit, et non pas comme de simples interludes. Certains dialogues m'ont semblé de même un peu trop paresseusement filmés en champ/contrechamp. Le film néanmoins continue de hanter ma mémoire, non pour des scènes précises, mais pour son atmosphère presque rêvée.





Appaloosa, Ed Harris, 2008
Acteur de première classe, dont la présence est aussi fascinante qu'indéfinissable, quel que soit le type de film, Ed Harris avait signé avec Pollock une première réalisation franchement loin d'être encourageante, tant elle ne sortait en rien des lassantes conventions du biopic hollywoodien. Manifestement décidé à continuer de se faire plaisir, il rempile ici encore derrière et devant la caméra, et s'offre le luxe d'un western particulièrement décontracté, plein d'élégance dans la forme et l'écriture, mais aussi de rudesse. 

Classieux et (néo- ?) classique, le récit se développe agréablement autour de paysages et de situations qui respectent parfaitement le genre, tout en s'attardant sur les relations entre des personnages légèrement décalés. Si le film est illuminé par la complicité contagieuse qui existe entre Harris et de Mortensen, et qui s'illustre notamment dans des échanges de dialogues savoureux et de regards pétillants, il nous épargne intelligemment tout second degré et tout cynisme. Aussi, lorsqu'il s'agit de jouer la carte du drame et de la gravité, ça fonctionne merveilleusement, et le spectateur n'a pas l'impression qu'on se joue de lui. La violence fait mal, on ne rigole plus. Plus qu'un hommage simplement honnête à un cinéma révolu, Appaloosa est un authentique western, soit un vrai bon film.




Django unchained, Quentin Tarantino, 2012
Cinéaste de la passion boulimique, pour le pire comme pour le meilleur, Tarantino n'a jamais vraiment cherché l'équilibre dans ses scripts, pourtant ciselés avec amour. Il compose plutôt ses films comme une succession de morceaux de bravoure à même de stupéfier et faire basculer les attentes d'un spectateur intégré au processus d'écriture, et ainsi pratiquement promu au rang d'acteur du film, invité à dialoguer avec lui. Se confrontant enfin à ce qui est peut-être le seul genre authentiquement américain, mais ici digéré de façon perverse par l'héritage italien, le réalisateur se révèle ici plus inspiré que jamais dans l'écriture de scènes qui s'étirent jusqu'aux limites du point de rupture. L'alchimie savante entre dialogues, interprètes, mise en scène et musique donne lieu une nouvelle fois à des séquences souvent époustouflantes. 

Et contrairement à la farce de mauvais goût d'Inglorious basterds, le film en costumes est ici porté par une rage qui prend vraiment à la gorge. Le thème de l'esclavage n'est pas traité que par rapport à une imagerie cinématographique, même si on est dans un monde référentiel. On devine que le jeu a ses limites, qu'on parle aussi de drames humains et d'injustices qui ont existé, Tarantino opérant mine de rien un brutal rafraîchissement de mémoire. Paradoxalement, ce sont les scènes d'action et de violence qui m'ont le moins convaincu ici, tandis que la capacité du scénariste à écrire des scènes à l'humour destabilisant est intacte, mention spéciale au débat sur les cagoules du KKK, hilarante à rendre jaloux les Monty pythons.




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