1 avril 2019

Kings of Hong Kong VI. 1996-1998

Beyond hypothermia, Patrick Leung, 1996
À cette date sur le point d'être rétrocédé à la République Populaire de Chine, Hong Kong voit son industrie cinématographique peu à peu désertée par les grands noms qui l'ont consolidée durant une décennie, désormais tous passés à l'Ouest. Du côté des réalisateurs ce sera John Woo (Hard target), Tsui Hark (Double team), Ringo Lam (Risque maximum), Ronny Yu (Magic warriors) ou encore Kirk Wong (l'excellent The Big hit). Du côté des acteurs, on aura rien de moins que Jackie Chan (Rush hour)Jet Li (Lethal weapon 4), Michelle Yeoh (Demain ne meurt jamais), Chow Yun Fat (The Replacement killers) et même Sammo Hung réduit pour sa part au petit écran (Le Flic de Shanghai). Profitant de ce boulevard laissé vacant, le réalisateur Johnnie To s'associe à son collègue scénariste Wai Ka-Fai pour fonder Milkyway image.

Ce studio repose sur un système économique très équilibré, avec des films au budget serré tournés à la chaîne — donc facilement rentables — et pourtant amoureusement fignolés, qui sont autant de vraies propositions personnelles et artistiques, comme insérées en contrebande dans ce qui reste du cinéma commercial où le polar domine. Pour optimiser les coûts, To place sous contrat et emploie les mêmes équipes de techniciens, scénaristes, réalisateurs, compositeurs et chorégraphes. Il tourne autant que possible dans les décors des environs, transformant de film en film la ville en un étonnant terrain de jeu, parcouru par les sempiternels mêmes archétypes — truands, tueurs à gages, flics — avares en dialogues. Ce sens de l'épure se retrouve jusque dans l'action, chorégraphiée avec un goût du minimalisme qui transforme gestes et gunfights en autant de figures quasi-abstraites. L'influence du polar froid français à la Melville est certaine, comme chez John Woo, mais avec une attention peut-être davantage portée à l'alchimie du groupe qu'aux individualités. L'ensemble met à l'honneur une troupe d'acteurs solides, superstars comme seconds couteaux, qui composent pour le spectateur un univers familier Simon YamAndy LauAnthony WongLau Ching WanLam Suet ou encore Wong Tin Lam. La formule est tellement au point, qu'elle aboutit cependant souvent à des œuvres qui, à quelques exceptions, n'ont pas vocation à s'inscrire dans le temps et laissent un souvenir qu'on aimerait moins volatil. Outre Beyond hypothermia, extraordinaire polar conceptuel, je retiendrais de cette première période The Odd one dies (parfois lourdingue, parfois rafraîchissant de liberté), le très bon Expect the unexpected, ainsi que le sympathique A hero never dies, que To signe seul en 1998.




The Longest nite, Patrick Yau, 1997
Dix ans plus tôt, Johnnie To s'était vu dépossédé de la réalisation de The Big heat par Tsui Hark. Devenu patron de studio, il n'hésitera pas à procéder de même avec son poulain Patrick Yau. On ne saura dire à quel point il aura ici sauvé les meubles, mais The Longest nite m'avait plutôt déçu. J'avais trouvé le film prétentieux, se la jouant petit malin, un peu comme le personnage interprété par Lau Ching Wan. Manifestement réécrit en cours de route, le scénario en fait trop, en rajoute dans la noirceur, la violence et les manipulations improbables. Le spectateur avale couleuvres sur couleuvres, contraint d'accepter que toutes les réactions de Tony Leung ont été évidemment prévues depuis le début.

C'est faussement machiavélique, d'autant plus qu'une fois qu'il est clair que le spectateur s'est fait avoir, au lieu de défaire ce sac de nœud, l'intrigue lâche définitivement la rampe pour ne proposer que de la confrontation armée, sans le moindre enjeu, avec une scène de duel absurde dans un entrepôt plein de miroirs forcément très joliment et judicieusement disposés. Ma crédulité à ses limites et ça m'a un peu fait hausser les sourcils. Par contre la musique synthétique de Raymond Wong est assez étonnante. On croirait entendre le Hans Zimmer de Backdraft ou Black rain, et moi j'aime bien.




Double Team, Tsui Hark, 1997
Comme ses confrères fuyant la rétrocession John Woo et Ringo Lam, en débarquant à Hollywood Tsui Hark passe obligatoirement par la case Jean-Claude Van Damme. L'acteur américano-belge est alors plus ou moins au sommet de sa popularité, seul dans le genre à voir encore ses films sortir en salle (Chuck Norris fait sa préretraite à la télévision, Steven Seagal voit se profiler les DTV, et Wesley Snipes est juste derrière la porte). Il vient d'achever son propre grand-œuvre avec The Quest et accueille donc l'ex-empereur du cinéma hongkongais. Mais c'est bel et bien d'une série B sans génie qu'écope le réalisateur, dont le nom ne sera même pas jugé digne de servir d'argument promotionnel.

Buddy movie d'action teinté d'espionnage, Double team déroule un scénario crétin, rempli de clichés et de punchlines désolantes. Seule idée amusante, presque involontairement parodique : l'île pour espions en retraite. Sammo Hung vient prêter main forte aux scènes d'action, mais le résultat est la plupart du temps informe, Tsui Hark étant manifestement contraint de brider son style. Le summum de l'indécence étant ce climax où Mickey Rourke, méconnaissable et imposante masse de muscle ressortie du placard, vient castagner Van Damme et l'ex-star de la NBA Dennis Rodman en plein Colisée. Honteuse et douloureuse tentative de rappeler La Fureur du dragon de Bruce Lee au triste souvenir du spectateur.





Knock Off (Piège à Hong Kong), Tsui Hark, 1998
Si John Woo avait pu monter en grade avec son deuxième film hollywoodien, écopant de stars du calibre de Travolta et Christian Slater, Tsui Hark est pour sa part toujours bloqué chez Van Damme, auquel s'adjoint cette fois le pesant comique du Saturday night live Rob SchneiderCe qui aboutit logiquement à un autre film crétin, certes, mais aussi proprement jouissif. Van Damme et Schneider en roue libre jouent les pieds nickelés dans une intrigue absurde qui mêle mafia russe, taupes de la CIA, complot terroriste international, courses de pousse-pousse, angoisse de la rétrocession et personnages féminins forts. C'est un des rares rôles ou JCVD joue clairement un benêt. En dehors de son personnage d'homme d'affaire un peu escroc et pas futé, de nombreuses scènes le ridiculisent ouvertement : sa première apparition lorsqu'il chantonne en cantonais dans sa décapotable, lorsqu'il est fouetté au cul par une anguille pendant la course de pousse-pousse, ou encore quand il craque sa chemise au restaurant. Il est tout à fait possible qu'il s'amuse lui-même de ce jeu avec son image, mais on peut aussi douter que l'humour soit de sa part volontaire.

Il semble donc évident que Knock off n'est à aucun moment à prendre au sérieux. Si la première vision est un choc face à toutes les aberrations que le film propose, on se rend compte par la suite que le talent de Hark est ici très loin d'être en berne. Le rythme du film ne ralentit presque jamais. Supervisées par Yuen Bun et Sammo Hung, les scènes d'action et les cascades en plus d'être nombreuses sont toutes époustouflantes et d'une générosité folle. Tsui Hark est en pleine possession de ses moyens, s'autorisant des angles de prise de vue hallucinants qui ne seront cette fois pas défigurés au montage. Le réalisateur livre au final à la fois un film d'action brillant et qui témoigne parfaitement de sa manière de faire, et une comédie hilarante impitoyable avec ses personnages. Comme un grand bras d'honneur aux exécutifs hollywoodiens qui pensaient le faire rentrer dans le moule. Je suis fan et ça fonctionne étonnamment aussi bien en VO qu'en VF (il est par contre impératif de le voir au format scope respecté).



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