13 mai 2019

Kings of Hong Kong IX. 2005-2007

Election, Johnnie To, 2005-2006
Magistral diptyque et à cette date sans doute le film le plus ambitieux produit par Johnnie To. Le réalisateur trace l'impitoyable portrait du Hong Kong des Triades, quelques années après la rétrocession. Prenant prétexte de la traque symbolique d'un objet qui passe de main en main, le premier volet décrit avec brio une conquête du pouvoir, course poursuite presque surréaliste qui permettra de définir les rôles de chacun au sein de la nouvelle organisation. Dans ce jeu d'échec à balles réelles, chaque mouvement de pièce devient un petit morceau de bravoure (magnifique scène de l'affrontement avec ce jeune chien fou qu'est le motard), porté par un nouveau et génial thème musical minimaliste.

Comme toujours chez le cinéaste, derrière une construction en apparence ludique, le film peut basculer soudainement dans d'étonnants moments de violence qui balancent entre horreur pure (la scène de démembrement n'était pas loin de me filer la nausée) et comique dérangeant. Cette ambivalence constante et cette imprévisibilité perturbante sont à l'image du visage rassurant de Simon Yam, dont le sourire conciliant cache bien une nature de véritable ordure. Le deuxième volet parvient à déjouer les attentes avec pas mal d'audaces, proposant de ralentir l'élan pour mieux approfondir la tragédie. La photographie elle-même semble gagnée par l'obscurité. La lutte devient cérébrale. Louis Koo impose sa classe et sa prestance, émergeant progressivement comme une figure d'avenir. Son Jimmy est un peu le cousin d'un Michael Corleone ou d'un Carlito Brigante, condamné à n'exister que dans le milieu alors qu'il aspire à une vie légale avec femme, enfants et maison sur la colline.



Exiled (Exilé), Johnnie To, 2006
Puissant. Après la fresque mafieuse d'Election, To peut donner l'impression de s'offrir une récréation avec cet Exilé au scénario quasi inexistant. Et pourtant, loin d'être anecdotique, le film s'avère une de ses œuvres les plus marquantes. C'est une fabuleuse chanson de geste qui atteint une dimension intemporelle, une épure somptueuse qui réduit personnages et situations à des archétypes sans paraître les appauvrir pour autant. To filme un monde en train de disparaître, où s'agitent encore des chevaliers égarés, prêts pour un dernier baroud d'honneur et conscients qu'il n'y a plus rien à gagner.

D'une élégance vertigineuse, le style du metteur en scène explose à chaque plan. Les actes comptent davantage que les paroles, et on est saisi par ce pur ballet de corps, de flingues et de balles. Les scènes d'anthologie s'enchaînent et se complètent jusqu'à l'extase, exploitant à chaque fois toutes les potentialités des différents décors traversés, comme si To reprenait l'héritage du film d'action hongkongais là où John Woo l'avait laissé avec Hard boiledUne certaine idée de la perfection cinématographique.




Wu Ji, Chen Kaige, 2006
Chen Kaige prend le parti-pris de l'épate visuelle. Soit. Chaque image, chaque geste, chaque regard va être enluminé par la photographie, les mouvements de caméra et les effets spéciaux. Pour le meilleur comme pour le pire. Le résultat est un livre d'images parfois réellement somptueux et délectable à l'œil (les costumes, certains combats, la cage à oiseaux et la fuite de Cecilia Chung vêtue de plumes et tirée par sa ficelle, la robe noire), parfois vraiment indigeste voire grotesque (la course à quatre pattes pour échapper aux buffles, les plans aériens sur les décors numériques, la musique ultra-pompière de Klaus Badelt). J'ai donc constamment basculé entre l'ahurissement fendard et l'indulgence joyeuse.

Car l'histoire est plutôt belle, avec des personnages intéressants et ce parfum envoûtant de conte né de la nuit des temps. Le Vénérable Général en particulier offre une complexité bienvenue. Tout le jeu des échanges d'identités entre le maître et l'esclave, thématique classique au possible, fonctionne bien. Ça ne manque pas d'action, on ne s'ennuie pas, avec une multiplication assez feuilletonesque des péripéties. Donc, si on accepte d'office cette volonté du réalisateur de ne jamais se brider et d'y aller à fond dans l'excès visuel, le spectacle demeure quand même très agréable.




Triangle, Tsui Hark, Ringo Lam & Johnnie To, 2007
Extraordinaire projet de retrouvailles entre trois des Kings of Hong Kong. Tsui Hark sort d'une expérience pénible avec l'échec de Seven swords. Ringo Lam s'était pas mal attardé à Hollywood, accumulant au compteur trois films avec le passeur Jean-Claude Van Damme. Au cœur de l'industrie, To mène désormais sa barque à une belle vitesse de croisière. Leurs carrières s'étaient déjà régulièrement croisées par le passé, mais cette fois la collaboration est d'un tout autre ordre puisque chacun se voit ici confié la réalisation et l'écriture d'un segment du film, selon le principe du cadavre exquis, que je crois inédit au cinéma. On n'est donc pas dans le film à sketches, mais le concept risquait tout autant d'aboutir à un résultat inégal. L'addition aurait pu être décevante, chacun tirant la couverture à soi ou ruinant la cohérence de l'ensemble.

Si chaque segment porte bien une patte différente, le trio de metteurs en scène s'en sort brillamment, composant avec un appétit communicatif une chasse au trésor réjouissante, aussi libre que ludique, qui s'achève en apothéose par un nouveau somptueux et délirant ballet minimaliste réglé par Maître To. Avec cette fois plus du tout des tueurs froids et des flics experts, mais de petites gens embarqués dans une situation que les dépasse. Le spectateur se fait génialement malmener au fil d'un récit jubilatoire. Cette même année 2007, Johnnie To produira encore une poignée de films que j'ai pratiquement déjà oubliés : le très moyen Filatures confié à son scénariste Yau Na Hoi, un plutôt réussi Mad Detective coréalisé avec Wai Kai Fai, et le joli Sparrowgourmandise succulente sur le moment mais trop volatile pour imprimer les mémoires.

Aucun commentaire: