31 janvier 2019

Tribute to Legrand Michel


J'adore la musique de Michel Legrand (1932-2019), compositeur virtuose qui maîtrise comme peu d'artistes l'art du pastiche sans pour autant verser dans la parodie. Je le mettrais sans hésitation dans le top 3 de mes compositeurs préférés. J'aime son goût pour les cordes qui dégoulinent, sa générosité qui l'encourage à multiplier dans un même morceau des variations de rythme, basculant en quelques secondes du baroque au swing. Arrangeur de génie et mélodiste sans pareil, il fut à l'aise dans tous les styles, témoignant d'une connaissance encyclopédique de l'art musical.

Un peu comme Morricone, Legrand n'est pas hermétique, il aime expérimenter, est ouvert à la musique moderne, au jazz, à la variété, qu'il marie ensemble sans hypocrisie ni opportunisme. C'est cette inventivité constante qui rend ses créations si passionnantes à écouter, adoptant une construction labyrinthique dans laquelle il est plaisant de se perdre. On devine un compositeur passionné et irréductible, ne pouvant œuvrer que libre, et cela se ressent jusque dans ses musiques de film, œuvres par essence réalisées sous contraintes.



En pensant à lui, on sera tenté de mettre tout de suite en avant son association avec Jacques Demy... et on aura raison. Frères spirituels, les deux artistes partagent le même goût du romantisme et du mélodrame. La rencontre se fera dès Lola (1960), qui donnera l'occasion à Legrand de rejoindre la nouvelle vague de cinéastes (Godard, Varda) qui se partageaient déjà producteur (De Beauregard) et chef opérateur (Coutard). Je suis admiratif de la prouesse accomplie sur les Parapluies de Cherbourg, avec son thème principal d'un lyrisme absolument déchirant. J'ai écrit ailleurs l'amour que je porte aux Demoiselles de Rochefort et à sa Chanson de Maxence qui me touche en plein cœur, paroles comme musique. Les Rêves secrets d'un Prince et d'une Princesse chantés dans Peau d'âne sont un autre petit bijou, d'une écriture incroyablement ciselée et tout à fait délicieuse. Je citerai également l'instrumental délicat pour le méconnu L'Événement le plus important... J'ai regretté que les deux hommes se soient ratés pour Une chambre en ville, et c'est peu de dire que leurs retrouvailles aux sonorités synthétiques sur Parking et Trois places pour le 26 font un peu grincer les oreilles.



Legrand est aussi associé aux premiers films de Rappeneau, livrant pour Les Mariés de l'an deux et Le Sauvage quelques-unes de ses compositions les plus riches. Accompagnant Demy et Varda à Hollywood à la fin des 60's, Legrand s'y fera immédiatement une place et connaîtra la consécration internationale. Le diptyque des Trois Mousquetaires de Richard Lester propose un score étonnant de variété, à l'image d'un film qui valse entre exubérance bouffonne et soudaine mélancolie. Et je place au sommet la beauté impressionnante du thème du Messager de Joseph Loseypour lequel il avait déjà fourni le très beau thème d'Eva.



J'ai d'autant plus d'admiration pour lui, qu'en plus de ses contributions essentielles à la musique de film, Legrand fut aussi un très grand du jazz, reconnu et admiré par ses pairs. En témoignent les légendaires sessions pour l'album Legrand jazz en 1958, qui virent l'arrangeur et chef d'orchestre rejoint notamment par Miles Davis et les membres de son mythique premier quintet, celui de Kind of blue (ColtraneBill EvansPaul Chambers). Legrand fait entrer le swing dans le cinéma. 



Sa science de l'arrangement offrira un écrin idéal et évident à la chanson. Avant Maurice Vander, c'est avec Legrand que Nougaro connut ses premiers succès, association géniale entre deux fous de jazz, dont un poète qui savait faire swinguer les mots comme personne. Le cinéma lui donnera d'autres occasions de parfaire cet art de la chanson. Legrand arrive en effet à une époque où l'industrie cinématographique est demandeuse, consciente du potentiel commercial de ce qui pourra ensuite donner lieu à des 45 tours. Le phénomène ne cesse de s'amplifier depuis le triomphe rencontré par les chansons signées John Barry pour les films James Bond à partir de From Russia with love (1963), Burt Bacharach (What's new pussycat, The Look of loveRaindrops keeps fallin on my head), de Simon & Garfunkel (The Sound of silence), et bientôt Morricone (Here's to you). Pour Legrand, ce sera The Windmills of your mind pour The Thomas Crown affair (1968), appelé à devenir un nouveau standard, la très jolie Breezy's song pour le film d'Eastwood (1973). J'ai envie de citer en particulier l'extraordinaire Nobody knows pour l'oublié The Magic garden of Stanley Sweetheart (1969), réinterprété ici par Bill Medley :



Legrand s'autorisait à quelques rares mais précieuses occasions de pousser lui-même la chansonnette. D'ailleurs dans les films de Demy, on peut s'amuser à essayer de reconnaître sa voix chantant pour certains personnages secondaires, parfois pour une unique réplique (un collègue garagiste de Nino Castelnuovo dans Les Parapluies, par exemple). Pour finir en mode petite madelaine, je m'en voudrais d'omettre ses contributions aux séries animées d'Albert Barillé, au premier rang desquelles le thème d'Il était une fois l'espace chanté par Jean-Pierre Savelli, à l'incroyable lyrisme :




28 janvier 2019

Angoo trip 2008

Ça ne nous rajeunit pas. Voici le compte-rendu que j'avais réalisé suite à mon passage au FIBD d'Angoulême 2008. Celui de 2007 est à voir ici. Celui de 2006, là...


26 janvier 2019

Angoo trip 2007

Après l'édition 2006, et avant l'édition 2008, voici le compte-rendu que j'avais fait de mon passage au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême 2007. Année-charnière puisque c'est sous la présidence de Lewis Trondheim que fut instauré le Fauve, à la fois nouvelle mascotte du festival et nouvelle dénomination des prix décernés...


24 janvier 2019

Angoo trip 2006

C'est aujourd'hui et jusqu'à dimanche que démarre le Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, un rendez-vous auquel j'avais été régulièrement fidèle à une lointaine époque. À cette occasion, j'ai ressorti de mes archives les planches réalisées au cours de mes passages. Je commence par l'édition 2006, et je publierai dans les prochains jours les pages de 2007 puis 2008Toi aussi, vis ma vie de festivalier...

19 janvier 2019

Kings of Hong Kong I. 1984-1986

Aces go places III, our man from Bond street (Mad mission 3), Tsui Hark, 1984 
Un spectacle épatant et très bon enfant, mené tambour battant et rempli à craquer de gags et d'action. L'impression de rythme frénétique est en réalité renforcée par le charcutage impitoyable de la version française, qui zappe une bonne dizaine de minutes de film. Sam Hui est irrésistible en voleur à la cool, ne se départissant jamais de son sourire même dans les situations de danger. Le film ne se prend jamais au sérieux, multipliant les effets spéciaux, les gadgets improbables et les comportements idiots des personnages, avec un mauvais esprit typique de cet humour cantonais qui ne connaît pas la finesse.

La franchise Mad Mission étant conçue comme une parodie des films de James Bond, le scénario de cet opus s'offre le luxe de convoquer sosies et authentiques acteurs venus autant de l'univers de 007 (Richard Kiel) que de Mission : impossible (Peter Graves). C'est là d'ailleurs où le doublage français s'apprécie, quand le sosie de Sean Connery s'exprime avec la voix de son doubleur officiel. J'oserais même jusqu'à écrire qu'on n'est pas très loin non plus de l'esprit des Panthère rose avec ses cascades burlesques et ces plans machiavéliques déjoués par la bêtise. Dans ce qui reste un film de commande, on ne retrouve pas vraiment la patte de Tsui Hark, sauf peut-être dans cette scène de vol au-dessus de la ville qui rappellera les inoubliables incrustations atroces à la fin de Zu, les guerriers de la Montagne magique (1983), coup fatal porté au spectateur le plus tolérant.




Aces go places IV, you never die twice (Mad mission IV, rien ne sert de mourir), Ringo Lam, 1986 
Tourné entre Hong Kong et la Nouvelle-Zélande, ce 4e volet paraît, comparativement au précédent, un peu plus cheap. Techniquement, la réalisation de Ringo Lam dissimule moins bien le manque de moyens, perd un peu de prestance. Le scénario n'est pas aussi agréablement délirant et on commence même dangereusement à s'approcher du nanar. Le fait de s'inscrire dans le registre de la parodie n'excuse pas la paresse d'écriture. Le film donne l'impression d'enfiler consciencieusement tous les clichés possibles du genre, et si on rit ce n'est pas de l'intelligence de ces trouvailles. Le niveau a également baissé du côté des guest stars, le vilain de service étant interprété par le nazi qui dans Les Aventuriers de l'arche perdue se brûlait la main en retirant le médaillon du feu. Son plan de domination du monde est bien crétin, son rire ridicule et sa base secrète minable.

En revanche, là où le film laisse stupéfait, c'est dans la folie de ses cascades : poursuite entre un hors-bord et un hélico, bagnole qui saute du toit d'un immeuble, corps-à-corps énervés et chutes particulièrement violentes qui rompent avec le côté spectacle familial initial. Le plus dingue étant le sort cruel (mais drôle) réservé au gamin de Karl Maka et Sylvia Chang qui est pendu dans le vide par les pieds et impitoyablement balloté d'étage en étage.



DOSSIER KINGS OF HONG KONG :

17 janvier 2019

Deux films d'Éric Rohmer 1967-1987

Présent dès les débuts de la Nouvelle vague, produit par Barbet Schroeder et mené sur presque cinquante ans, le cinéma d'Eric Rohmer (1920-2010) pourrait prétendre avoir ausculté la société française en long et en large. Si la sociologie y trouve effectivement un écrin de choix, la démarche est bien éloignée de celle d'un Sautet, qui capturait lui avec précision l'air du temps. Disposant d'une connaissance encyclopédique de l'Histoire, passionné par l'art du discours des grands moralistes français du XVIIIe, Rohmer a une façon bien à lui de faire naitre l'authenticité, comme en témoignent ses régulières incursions dans le film en costumes (La Marquise d'O., Perceval Le Gallois, L'Anglaise et le Duc, Les Amours d'Astrée et de Céladon).


Toujours soucieuses de filmer la jeunesse, ses œuvres contemporaines ne sont pas pour autant décontextualisées du réel. Et pourtant, peuplées de ses acteurs fétiches (Luchini, Dombasle, Pascal Greggory, Pascale Ogier, Marie Rivière, Rosette), elles se présentent tout de même comme un monde en soi. J'aurais bien vu Rohmer s'essayer à la comédie musicale...




La Collectionneuse, 1967
Encore succombé au charme indéfinissable de l'univers rohmerien. Premières minutes toujours déstabilisantes où je suis prêt à régler leur compte aux acteurs dont le jeu et à la diction semblent si artificiels, à la mise en scène et au montage faussement détachés. Et puis tous ces éléments se mettent en place, imposent leur rythme et je finis par me régaler de me retrouver dans des terres à la fois familières et génératrices de surprises permanentes. Le postulat du film est en soi formidable : un squatt dans une superbe maison de campagne, où parade un personnage de dandy qui  s'applique à ne surtout rien faire. Ambiance délicieuse et fascinante. Un triangle amoureux se met en place, les personnages s'approchent, discutent. Rien de linéaire, on tente des trucs, on croit maîtriser la situation avant de repenser sa stratégie. Et nous, spectateurs, sommes invités à regarder ces scandaleux marivaudages, parfois cruels, souvent touchants.

La photographie de Nestor Almendros est absolument sublime, avec notamment des plans fixes au rendu incroyablement pictural qui personnellement m'évoquent certains clichés de Willy Ronis. Dans le rôle du dandy, Patrick Bauchau a un charme fou — sa voix, ses gestes. Son commentaire habite véritablement le film, remarquablement bien écrit. Et puis il y a cette séquence magnifique où il découvre soudain l'ennui à la terrasse d'un café, observant les passants, réalisant alors qu'il ressent sans doute vraiment quelque chose pour cette « petite salope » d'Haydée qu'il méprisait jusqu'ici avec une facilité autosatisfaite. La toute dernière scène de ce conte moral est d'un cynisme parfait. Je n'en reviens pas de savoir que le film ait écopé d'une interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie (désolante époque qui voyait la même année La Religieuse de Rivette carrément interdite de diffusion).




L'Ami de mon amie, 1987
Pour moi il y a un décidément un mystère Rohmer. Pendant le visionnage, je suis plus qu'agacé par sa volonté de dépouillement, d'artificialité à la fois dans le jeu et dans une mise en scène a priori sans attraits. Et pourtant. Pourtant, de La Boulangère de Monceau à Triple agent, en passant par L'Arbre, Le Maire et la médiathèque, j'en sors à chaque fois conquis. Inexplicablement. Et je conserve d'excellents souvenirs et une grande affection pour l'émotion et l'intelligence ressenties devant Pauline à la plage ou Conte d'été (seule exception à ce jour : Ma Nuit chez Maud qui m'avait bien agacé mais qui mériterait que je lui redonne sa chance).

L'Ami de mon amie est un autre de mes Rohmer préférés. S'inscrivant dans son cycle des Comédies et proverbes, il s'agit bien d'un nouveau conte moral. Sous des dehors faussement austères, faits d'intérieurs sans cachet ni relief et de discussions triviales, le film parvient à surprendre et à nous laisser sous le charme d'une belle et touchante histoire, dans laquelle on peut très bien se reconnaître. Dénué de glamour et de poids dramatique, le parcours des personnages dans la cité est particulièrement intéressant. Toujours à l'arrière-plan mais exerçant une incontestable fascination sur le cinéaste, la ville nouvelle de Cergy offre un terrain de marivaudage riche et poétique. Pendant un temps, on a accompagné de près ces êtres et on conserve durablement le sentiment d'un précieux partage. Ce qui fait également que je suis un peu dépourvu d'arguments et qu'il me semblerait vain de chercher à convaincre le spectateur qui serait resté insensible, sur le seuil de ce film-bulle.

14 janvier 2019

Le Cinéma de F.F. Coppola II. 1974-1979

The Conversation (Conversation secrète), 1974
Après le prodigieux succès du Parrain (1972), Coppola fait feu de tous bois, produisant, écrivant et réalisant ce projet sans concessions, qu'elles soient artistiques ou commerciales, qui obtiendra tout de même la Palme d'or au Festival de Cannes cette année-là. Discrètement soutenu par la musique épurée de David ShireThe Conversation est un film d'espionnage froid et déprimant, comme le sont les meilleurs (L'Espion qui venait du froid, La Lettre du Kremlin). Il se propose comme un jeu de pistes volontairement hermétique (comme nous l'est son protagoniste) dans son déroulement, mais passionnant, aussi bien formellement que dans son interprétation.

Coppola plonge le genre dans la sauce du Nouvel Hollywood, fait d'errance et de personnages en rupture, et nous invite à marcher dans les traces d'un impressionnant Gene Hackman, et à s'abandonner progressivement avec lui à la paranoïa. Cette façon d'aller faire surgir d'indices sonores l'idée d'un complot inspirera certainement De Palma pour son Blow outqui lui même payait son tribut au séminal Blow up d'Antonioni. J'avoue ne l’avoir vu qu’une fois et en VF, or il me semble que le doublage dénature pas mal le sens des mots recueillis par Hackman lors de son écoute du parc, qui contiennent la clé de l'intrigue. Quand bien même l'intérêt du film repose moins sur l'élucidation de l'énigme que sur ses mécanismes, c'est d'autant plus impardonnable lorsqu'on sait que le montage est l'œuvre du perfectionniste Walter Murch. Un bijou.




The Godfather part II (Le Parrain deuxième partie), 1974
La figure du yoyo est décidément celle qui figure la mieux la carrière du cinéaste. Après l'échec du précédent film, Coppola retrouve le goût du triomphe avec cet indisputable chef-d'œuvre, magistralement mis en scène, qui défie tous les superlatifs. Une vraie leçon exécutée par un maître de 35 ans qui ne semble jamais dépassé par l'ampleur d'une production qui multiplie personnages, époques et lieux de tournage, mais aussi atmosphères. La photographie de Gordon Willis surpasse encore les prodiges du premier volet. Le score de Nino Rota est renversant de beauté.

Adoptant plus que jamais le ton funèbre et poignant de la tragédie, exploitant tous les recoins de l'œuvre de Mario Puzo, le scénario avec sa construction en flashback conçue comme une immense boucle est un modèle d'écriture, captivant du début à la fin. J’adore la façon dont on ressent au long de la saga le poids de la culpabilité, du remords et de la fatalité qui entraîne la famille Corleone sur la voie du sang. C'est une fresque époustouflante qui ne devrait pas intimider par sa longueur, et que je placerais devant les autres épisodes seulement parce que j’aime beaucoup tout ce qui y concerne John Cazale, acteur dont la trop courte carrière rend précieuse chacune de ses apparitions. On savoure également la présence de Lee Strasberg, évoluant avec Pacino son élève de l'Actor's studio. Et on sourira aussi du petit rôle donné à Roger Corman, histoire de solder les comptes avec celui qui lança la carrière de Coppola.

En 1977, pour contribuer au difficile financement d'Apocalypse now, Coppola remontera pour la NBC les deux premiers volets du Parrain en incluant des scènes inédites et en replaçant l'intégralité des séquences dans l'ordre chronologique. Cette mini-série se verra augmentée après la sortie du troisième film, et diffusée sous le titre The Godfather trilogy : 1901-1980, aboutissant à un métrage d'une dizaine d'heures.




Apocalypse now, 1979
Une œuvre fondamentale de ma cinéphilie. Un poème épique et halluciné dont j'oublie vite les folles conditions de tournage pour me laisser emporter par son rythme sinueux et me perdre dans sa jungle et sa fièvre. L’ouverture du film m’avait tout simplement terrassé lors de ma première vision. Harmonie miraculeuse de l'image et du son (Walter Murch aux commandes), Martin Sheen faisant littéralement corps avec son personnage, Marlon Brando sculpté par la lumière de Vittorio Storaro, et présence tellement logique de l'easy rider Dennis Hopper, fondateur malgré lui d'un Nouvel Hollywood arrivé ici au bout de sa route.

On peut se laisser emporter par l'étrange folie des images, mais percevoir aussi de vision en vision les interrogations soulevées par le film. Le Vietnam est transfiguré en champ de bataille où l'homme a fini par se hisser au rang de Dieu. Coppola réussissait là quelque chose de rare, poussant jusqu'à l'excès sa volonté de maîtrise et des tournages sans limites. Deuxième Palme d'or en une décennie pour le cinéaste qui verra cependant cette même année 1979 ses collègues Spielberg et Cimino fracasser leur propres rêves de mégalomanes (le premier avec 1941, le second avec Heaven's gate).

Selon mon humeur, je n'ai pas d'hésitation à opter parfois pour la version dite "redux", proposée par Coppola en 2000. Absente du montage de 1979, la scène de la plantation française est sans doute trop longue, imposant aux 3/4 du récit un retour à un rythme narratif plus conventionnel avant le basculement final dans l'hallucination. Mais je continue à la trouver intéressante sur le fond comme sur la forme. C'est une sorte de purgatoire, un monde de fantômes encore accrochés à leurs fantasmes, le dernier cercle à traverser avant d'atteindre l'apocalypse.

11 janvier 2019

Le Cinéma musical de Brian De Palma IX. 2007-2012

Redacted, 2007
Sur le papier, Redacted procède d'une respectable ambition. Également inspiré de faits réels, le film pourrait donner l'impression de n'être que le prolongement d'Outrages dans sa dénonciation des crimes de guerre. Mais nous sommes loin du Vietnam, conflit sans images, et De Palma trouvait là un prétexte pour se mettre en phase avec une époque de multiplication des supports de communication. Pour pallier la censure des institutions, il faut rendre à l'image son statut de témoin, en interroger les filtres. Le résultat est un film puzzle qui, par sa déconstruction prétend mieux dire la vérité que les images officielles, autorisées par le gouvernement et les grands médias. Le mensonge des administrations est un sujet qui a très tôt habité De Palma, et sa sincérité sur ce projet est incontestable. Il est intéressant de voir ce grand formaliste qu'est De Palma s'autoriser une approche qui pousse à une apparente indistinction du rendu. Sauf qu'évidemment, ici tout est fabriqué, et il nous faut faire avec le jeu des acteurs (inconnus) qui suivent un scénario forcément démonstratif, et des choix de montage signifiants.

Là où le réalisateur touche juste, c'est lorsqu'il quitte le champ de bataille et laisse s'exprimer dans la sphère de l'intime le traumatisme du vétéran, face à une société qui n'est peut-être pas prête à l'entendre. Alors que l'Amérique s'efforce de montrer un front commun dans le deuxième conflit irakien, se mettant le reste du monde à dos, De Palma sait qu'il prend ici des risques. Et c'est l'inévitable échec pour cette modeste production à contrecourant, survenant pourtant à un moment où le style found footage redevient tendance à Hollywood, pour le meilleur et pour le pire : Rec, Paranormal activity, Diary of the dead, Cloverfield. Par sa nature de faux document brut, le film s'interdit logiquement tout recours à la musique originale, donc ce sera le seul titre de cette retrospective où je n'aurais pas de commentaire à faire à ce sujet.




Passion, 2012
J'ignore ce que vaut le thriller de Corneau que De Palma remake ici (Crime d'amour, sorti deux ans plus tôt à peine) et dont il signe seul l'adaptation, mais c'est peu de dire que le résultat ne convainc pas de sa nécessité. Traitant des rapports de domination, l'intrigue peine à prendre de l'ampleur, et la volonté d'en faire quelque chose d'un tant soit peu sulfureux est tragiquement contrebalancée par le choix de placer ses personnages dans des décors froids et inhumains. Personnages qui demeurent ébauchés à l'état de pantin, pauvrement définis par... leur couleurs de cheveux (après la blonde et la brune, la dernière membre du trio féminin sera forcément rousse). Aucun trouble, aucun frisson dans ces variations pseudo-hitchockiennes franchement indignes des précédentes tentatives dans ce domaine de De Palma. Les actrices ne semblent pas dirigées. J'aurais pu juger Rachel McAdams mauvaise si elle ne m'avait pas déjà impressionné dans True Detective. Quant à Noomi Rapace qui écope du rôle le plus difficile, son interprétation semble constamment desservie par les choix de mise en scène. Et lorsque le film s'achève enfin sur un faux final grotesque et invraisemblable, le spectateur a depuis longtemps cessé de se passionner.

De Palma ne profite en rien de la photographie de José Luis Alcaine. Rien ne se retrouve dans son film du talent de coloriste du chef-opérateur attitré d'Almodovar. Et je bloque sur ce choix inexpliqué d'un basculement brutal au milieu du récit dans une autre esthétique, où les arrières-plans se retrouvent soudainement envahis d'ombres de stores vénitiens. Reste la vague excitation de 
retrouver au générique le nom de Pino Donaggio qui n'avait plus travaillé avec De Palma depuis Raising Cain. Mais de l'eau a passé sous les ponts et si certains thèmes s'avèrent plaisantsle compositeur italien apparaît en petite forme, recourant aussi à des sonorités électroniques et à du saxophone douteux qui renforce cette triste impression de tout petit thriller :


5 janvier 2019

Au rendez-vous de la nouvelle année

Bonne année 2019 aux visiteurs de passage comme aux discrets fidèles. Je te la souhaite pleine de passions assouvies et d'érudition consolidée...



Et pour ceux que ça intéresse, la version noir et blanc :