31 mai 2019

Le Cinéma X part I. 2000-2006

X-men, Bryan Singer, 2000
C'était l'époque où le label Marvel n'offrait encore aucune garantie de succès. Après l'excellente surprise de son Usual suspects, Bryan Singer s'empare donc d'une des franchises les plus populaires du monde des comics de superhéros, en particulier grâce au travail de Chris Claremont. Il supervise plutôt adroitement un scénario qui s'efforce de donner sa pleine mesure à l'univers des mutants, tout en apportant un regard relativement adulte sur le sujet, alors qu'on pouvait craindre davantage de concessions au public adolescent ciblé par la Fox pour son blockbuster estival. La dimension politique est assez finement amenée dans un tel contexte de comic book movie. C'est bien raconté, on profite d'ambiances variées et d'effets spéciaux franchement superbes au vu des défis techniques posés par la retranscription à l'écran des pouvoirs spectaculaires des différents mutants. Confiées à Corey Yuen, les chorégraphies des bastons sont délectables. Les acteurs et la mise en scène peinent parfois à y injecter toute la grâce nécessaire, mais il y a un effort plus que louable pour rendre ces séquences belles et cinégéniques.

X-men c'est aussi la révélation d'un acteur qui m'avait méchamment impressionné en salle. Alors totalement inconnu, l'Australien Hugh Jackman s'impose dès son apparition comme le Wolverine idéal, incarnant magnifiquement l'animalité du personnage, son côté loup solitaire. Divertissement de qualité, qui laisse néanmoins une impression finale de superficialité, le film sera un succès inespéré qui permettra enfin à Marvel de voir s'ouvrir son horizon cinématographique, après des années de gestion catastrophique de ses licences. Blade avait un peu ouvert la voie dès 1998, mais le personnage était encore confidentiel. Suivront de façon un peu désordonnée Spider-man, Hulk et Daredevil, mais aussi les autres projets que Singer, en véritable showrunner, a en réserve pour son équipe de mutants.




X2 (X-men 2), Bryan Singer, 2003 
Jusqu'ici j'étais resté sur l'idée que cette suite était supérieure. Or à la revoyure, je l'ai trouvée un peu bancale dans son rythme et sa construction. Le montage parallèle n'est pas toujours très heureux, ça patine souvent à cause d'un scénario peut-être trop ambitieux et donc un peu plombé par la nécessité de bien lier ses nombreuses trames et leur progression. À partir de l'arrivée dans la base souterraine vers la fin, la narration devient particulièrement chaotique avec le suivi des différentes actions mais ça reste assez intense. À l'exception du face à face entre Wolverine et son alter-ego féminin Lady Deathstrike, dont la mise en scène est illisible et qui échoue à être le clou du film.

Les personnages restent heureusement joliment peints. Storm est mieux exploitée que dans le premier, où elle devait avoir 3 lignes de dialogue, et j'ai apprécié le rôle plus important accordé à la fascinante Mystique. Ayant toujours éprouvé une inexplicable sympathie pour Alan Cumming (The Anniversary party), j'ai regretté que son Diablo soit si vite sacrifié alors qu'il s'était vu offrir le meilleur du film. Passée la splendide ouverture, il se rend utile mais ne brille plus. On appréciera également l'ambiguïté bienvenue dans la caractérisation des mutants et la complexité de leurs relations, notamment concernant le gang de Magneto dont on peut partager les motivations. Une alliance est possible pour servir les mêmes intérêts, seule la méthode change. Enfin, le film bénéficié du score exubérant de John Ottman, qui me paraît plus réussi ou en tous cas mieux exploité que celui de Kamen qui ne m'avait absolument pas accroché sur le premier.




X-men III : the last stand (L'Affrontement final), Brett Ratner, 2006
Un bon pop corn movie. Comme pour les deux premiers, j'ai pris du plaisir au visionnage même si, sorti de la salle, le film avait déjà cessé de m'habiter. J'aime bien le principe qui fait qu'on s'efforce de nous caser un maximum de personnages en leur accordant un minimum d'attention. Chacun a plus ou moins l'occasion de se mettre en valeur (Kitty et la poursuite dans le labo, par exemple), même s'il y a d'inévitables sacrifiés (Angel dont l'utilité laisse perplexe). J'ai par contre été vraiment déçu de ne pas retrouver Alan Cumming et son Diablo qui avait marqué le second volet de sa présence. Dommage également pour le traitement réservé à Mystique, mon autre perso fétiche lui aussi bien mis à l'honneur dans le 2. Autre faute de goût, le look douteux des espèces de punkettes qui rejoignent Magneto. Et j'ai bien halluciné de voir apparaître Olivia Williams sur deux pauvres bouts de plans, avant de réaliser qu'elle ne tournait en fait que le teaser d'un hypothétique 4e volet.

Le scénario ne propose pas de réelle avancée, nouvelle occasion pour Magneto de soulever les mutants contre les humains. Belle idée cependant d'avoir choisi Alcatraz comme centre d'expérimentation du sérum, où l'on fait passer une prison pour un lieu de vie, un vaccin pour une arme. Sans trop faire de surinterprétation, le discours politique du film semble distiller en filigrane une critique de l'Amérique de George W. Bush : on prétexte la paix pour justifier la guerre, on profite d'une transformation de Mystique pour dire « shut the fuck up » au Président. J'ai été également pas mal surpris par cette scène franchement dérangeante d'Angel dans sa salle de bain. Démarrer un film sur une image où l'enfance se lie à l'automutilation est assez osé dans pareil spectacle familial hollywoodien. D'autant plus que par la suite, le film se retient dans ses effets sanglants, malgré le nombre plutôt conséquent de morts (les corps réduits en poussière sèche par Phénix).

Singer est parti faire joujou avec son Superman returns, confiant le bébé à un Brett Ratner (Rush Hour) qu'on n'attendait pas là. Or la réalisation est franchement impeccable, avec de beaux mouvements de caméra et des scènes d'action parfaitement lisibles. Énorme plaisir pris devant la réussite des effets spéciaux : la scène de la maison est un fabuleux spectacle, quasi surréaliste (j'adore ce gros plan sur l'éclat de verre tranchant qui passe devant le visage de Wolvie), et Phénix elle-même est vraiment impressionnante lorsqu'elle fait ses yeux noirs. Dans un genre peut-être moins spectaculaire mais certainement pas moins admirable, le rajeunissement de Patrick Stewart et McKellen sur la scène d'ouverture est assez bluffant (ce type d'effet est même une première à ma connaissance). Là où Ratner échoue c'est dans sa relative incapacité à laisser vivre l'émotion dans un récit pourtant peu avare en moments forts. Et comment justifier cet honteux faux raccord qui fait qu'on passe brutalement du jour à la nuit en descendant du Golden Gate ?! Dernier ingrédient qui participe à la réussite de ce 3e opus, le score monumental de John Powell, malheureusement sous-mixé par rapport aux effets sonores. Lors du climax ça me désolait de distinguer à peine des chœurs et des cuivres qui me semblaient pas mal, au milieu d'une purée de bruitages. Enfin, très chouette dernier plan qui ajoute une ultime note d'excitation pour conclure la trilogie sur une fin logiquement ouverte.


DOSSIER X-MEN :

13 mai 2019

Kings of Hong Kong IX. 2005-2007

Election, Johnnie To, 2005-2006
Magistral diptyque et à cette date sans doute le film le plus ambitieux produit par Johnnie To. Le réalisateur trace l'impitoyable portrait du Hong Kong des Triades, quelques années après la rétrocession. Prenant prétexte de la traque symbolique d'un objet qui passe de main en main, le premier volet décrit avec brio une conquête du pouvoir, course poursuite presque surréaliste qui permettra de définir les rôles de chacun au sein de la nouvelle organisation. Dans ce jeu d'échec à balles réelles, chaque mouvement de pièce devient un petit morceau de bravoure (magnifique scène de l'affrontement avec ce jeune chien fou qu'est le motard), porté par un nouveau et génial thème musical minimaliste.

Comme toujours chez le cinéaste, derrière une construction en apparence ludique, le film peut basculer soudainement dans d'étonnants moments de violence qui balancent entre horreur pure (la scène de démembrement n'était pas loin de me filer la nausée) et comique dérangeant. Cette ambivalence constante et cette imprévisibilité perturbante sont à l'image du visage rassurant de Simon Yam, dont le sourire conciliant cache bien une nature de véritable ordure. Le deuxième volet parvient à déjouer les attentes avec pas mal d'audaces, proposant de ralentir l'élan pour mieux approfondir la tragédie. La photographie elle-même semble gagnée par l'obscurité. La lutte devient cérébrale. Louis Koo impose sa classe et sa prestance, émergeant progressivement comme une figure d'avenir. Son Jimmy est un peu le cousin d'un Michael Corleone ou d'un Carlito Brigante, condamné à n'exister que dans le milieu alors qu'il aspire à une vie légale avec femme, enfants et maison sur la colline.



Exiled (Exilé), Johnnie To, 2006
Puissant. Après la fresque mafieuse d'Election, To peut donner l'impression de s'offrir une récréation avec cet Exilé au scénario quasi inexistant. Et pourtant, loin d'être anecdotique, le film s'avère une de ses œuvres les plus marquantes. C'est une fabuleuse chanson de geste qui atteint une dimension intemporelle, une épure somptueuse qui réduit personnages et situations à des archétypes sans paraître les appauvrir pour autant. To filme un monde en train de disparaître, où s'agitent encore des chevaliers égarés, prêts pour un dernier baroud d'honneur et conscients qu'il n'y a plus rien à gagner.

D'une élégance vertigineuse, le style du metteur en scène explose à chaque plan. Les actes comptent davantage que les paroles, et on est saisi par ce pur ballet de corps, de flingues et de balles. Les scènes d'anthologie s'enchaînent et se complètent jusqu'à l'extase, exploitant à chaque fois toutes les potentialités des différents décors traversés, comme si To reprenait l'héritage du film d'action hongkongais là où John Woo l'avait laissé avec Hard boiledUne certaine idée de la perfection cinématographique.




Wu Ji, Chen Kaige, 2006
Chen Kaige prend le parti-pris de l'épate visuelle. Soit. Chaque image, chaque geste, chaque regard va être enluminé par la photographie, les mouvements de caméra et les effets spéciaux. Pour le meilleur comme pour le pire. Le résultat est un livre d'images parfois réellement somptueux et délectable à l'œil (les costumes, certains combats, la cage à oiseaux et la fuite de Cecilia Chung vêtue de plumes et tirée par sa ficelle, la robe noire), parfois vraiment indigeste voire grotesque (la course à quatre pattes pour échapper aux buffles, les plans aériens sur les décors numériques, la musique ultra-pompière de Klaus Badelt). J'ai donc constamment basculé entre l'ahurissement fendard et l'indulgence joyeuse.

Car l'histoire est plutôt belle, avec des personnages intéressants et ce parfum envoûtant de conte né de la nuit des temps. Le Vénérable Général en particulier offre une complexité bienvenue. Tout le jeu des échanges d'identités entre le maître et l'esclave, thématique classique au possible, fonctionne bien. Ça ne manque pas d'action, on ne s'ennuie pas, avec une multiplication assez feuilletonesque des péripéties. Donc, si on accepte d'office cette volonté du réalisateur de ne jamais se brider et d'y aller à fond dans l'excès visuel, le spectacle demeure quand même très agréable.




Triangle, Tsui Hark, Ringo Lam & Johnnie To, 2007
Extraordinaire projet de retrouvailles entre trois des Kings of Hong Kong. Tsui Hark sort d'une expérience pénible avec l'échec de Seven swords. Ringo Lam s'était pas mal attardé à Hollywood, accumulant au compteur trois films avec le passeur Jean-Claude Van Damme. Au cœur de l'industrie, To mène désormais sa barque à une belle vitesse de croisière. Leurs carrières s'étaient déjà régulièrement croisées par le passé, mais cette fois la collaboration est d'un tout autre ordre puisque chacun se voit ici confié la réalisation et l'écriture d'un segment du film, selon le principe du cadavre exquis, que je crois inédit au cinéma. On n'est donc pas dans le film à sketches, mais le concept risquait tout autant d'aboutir à un résultat inégal. L'addition aurait pu être décevante, chacun tirant la couverture à soi ou ruinant la cohérence de l'ensemble.

Si chaque segment porte bien une patte différente, le trio de metteurs en scène s'en sort brillamment, composant avec un appétit communicatif une chasse au trésor réjouissante, aussi libre que ludique, qui s'achève en apothéose par un nouveau somptueux et délirant ballet minimaliste réglé par Maître To. Avec cette fois plus du tout des tueurs froids et des flics experts, mais de petites gens embarqués dans une situation que les dépasse. Le spectateur se fait génialement malmener au fil d'un récit jubilatoire. Cette même année 2007, Johnnie To produira encore une poignée de films que j'ai pratiquement déjà oubliés : le très moyen Filatures confié à son scénariste Yau Na Hoi, un plutôt réussi Mad Detective coréalisé avec Wai Kai Fai, et le joli Sparrowgourmandise succulente sur le moment mais trop volatile pour imprimer les mémoires.