19 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth VI. 2000-2016

Titan A.E., 2000
Pour ce qui est à ce jour leur plus gros budget (75 millions de dollars), Don Bluth et Gary Goldman vont basculer vers un tout autre univers, la science-fiction, qu'ils n'avaient plus abordé depuis Space ace. Avec ce genre très populaire, les réalisateurs tentent de donner un coup de jeune à leur cinéma, livrant un grand spectacle distrayant mais ne prenant aucun risque, et perdant surtout toute la poésie qu'ils avaient toujours su insuffler dans leurs films. Visant une cible précise, les jeunes ados, Titan A.E. ("A.E." pour "After Earth") va tomber sans subtilité dans les pires concessions à la mode : le héros a une attitude agaçante de gamin, une séquence de pilotage mise en scène pour racoler les gamers, et de brutales insertions de chansons pop-rock, quand bien même Graeme Revell signe une partition ample et appréciable.

Si le film respire autant la compromission, c'est que Bluth se retrouve une nouvelle fois à devoir gérer les ingérences de la Fox qui va complètement recalibrer ses intentions initiales, mettant notamment la pression pour que la date de sortie soit respectée. Blockbuster estival, Titan A.E. sera donc à l'arrivée un space opera certes spectaculaire, mais qui ne laissera hélas que peu paraître l'ambition qui a présidé à son élaboration. Sans cesse remanié en cours de production, le scénario n'est vraiment pas satisfaisant, les gags sont faciles et les péripéties paresseuses (à base de trahison improbable d'un des personnages). Le tout s'achevant sur un happy end absurde où la Terre se voit recréée en quelques minutes, passant d'un caillou calciné à une vaste prairie à l'atmosphère respirable, avec cours d'eau et cascades ! On envisage un temps le tout 3D, avant de se rabattre sur un mélange 2D/3D pas encore au point et qui fera vieillir prématurément le film. Ainsi les véhicules, décors et les nombreux effets spéciaux seront en images de synthèse, de même que les ennemis aliens, faits d'énergie pure.

Le casting voix est quant à lui de premier choix : Matt DamonBill PullmanJohn LeguizamoDrew Barrymore et Ron Perlman. Mais leurs personnages sont tous d'une désolante fadeur, n'échappant jamais aux pires clichés hollywoodiens. Le spectaculaire est heureusement bien là. L'ouverture du film est impressionnante, et la suite du métrage est riche en scènes d'action. Question animation, rien à redire, c'est maîtrisé et impeccable, le soin accordé à la gestuelle et aux expressions est saisissant. Au moins pour ces qualités, le film peut se regarder sans déplaisir. Une scène sublime sort véritablement du lot : lorsque le vaisseau des héros tente d'échapper à ses poursuivants au milieu d'énormes blocs de glace qui renvoient leur reflet. L'action semble étrangement suspendue, et on reste fasciné par un jeu de cache-cache qui tournerait presque à l'abstraction. Parti sur de mauvaises bases, le film est un échec colossal au box-office — à l'image des tentatives de Disney de cibler le même public, avec Atlantis puis Treasure planet — causant rien de moins que la banqueroute du département animation de la Fox (qui se renflouera néanmoins brillamment deux ans plus tard avec The Ice age). On pensait assister au renouveau de l'animation traditionnelle, or il s'agissait de ses derniers feux. On est là dans ces années décisives où les grands acteurs du cinéma d'animation vont progressivement tourner le dos à la 2D, confortés par le carton des films Pixar et du Shrek de Dreamworks. La technique d'animation a été un peu trop facilement jugée responsable de cette désaffection du public, alors que c'est avant tout la qualité des films qui aurait du être remise en question.





Pour Bluth, l'histoire se répète. En dehors de quelques coups de chance, il aura régulièrement fait des choix de partenariat malheureux. Si son savoir-faire et sa patte restent un délice pour les amateurs, sa filmographie aurait pu briller davantage. Il s'est battu pour pouvoir travailler en indépendant, imposer son nom comme une marque, mais il se sera finalement toujours heurté aux exigences des différents boss qui ont chapeauté ses projets. The Secret of NIMH demeure sans doute encore l'œuvre la plus représentative de sa personnalité.

Porteur d'énormes espoirs dans les années 80, revenu brièvement sur le devant de la scène en cette fin de millénaire, Don Bluth se fait aujourd'hui toujours attendre. Aux dernières nouvelles, il travaillerait sur l'adaptation en long-métrage de son jeu vidéo culte, Dragon's Lair. Projet a priori peu enthousiasmant, davantage porté par l'intérêt d'une fanbase que par un univers à potentiel, et dont le financement participatif stagne tristement depuis des années. Bluth aura sans doute formé plusieurs générations d'animateurs, mais je n'ai pas l'impression qu'il ait véritablement laissé un héritage dans l'industrie actuelle du cinéma d'animation, son art se nourrissant à la fois de tradition et d'audace. 


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16 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth V. 1997-1999

Anastasia, 1997
Au cours des années 90, le succès commercial de Disney suggère l'idée que le long-métrage d'animation peut être un modèle économique viable pour l'industrie hollywoodienne. La plupart des majors vont alors revitaliser leur département dessin animé, jusqu'ici essentiellement tourné vers la télévision, quand il n'a pas purement et simplement été abandonné. Face à l'arrivée de Dreamworks, nouveau et puissant challenger, Columbia distribue Le Cygne et la princesse, Warner produit le médiocre Excalibur et donne une chance à Brad Bird avec son merveilleux Géant de fer. C'est dans ce contexte plutôt porteur que Don Bluth et son complice Gary Goldman ressurgissent en Californie, propulsés à la tête du département animation de la Fox, studio qui n'avait jamais trop brillé dans ce domaine. Après avoir connu la gloire dans les années 80 puis la débâcle au début des années 90, le talent de Bluth va à nouveau bénéficier d'un luxe inespéré pour son nouveau projet

Visuellement, après une série de films qui tiraient un peu la langue, Anastasia en met plein les yeux, se mettant sans trop de mauvais goût à la page des progrès techniques de son temps (CGI, fin du dessin sur cellos). Les couleurs, les décors et l'animation sont époustouflants de réalisme, avec une mise en scène qui joue la carte du grand spectacle en CinémaScope (format rarement usité en animation). À l'inverse des précédents films de Bluth, l'emploi de la rotoscopie est ici enfin retravaillé pour aboutir à un résultat élégant et stylisé. Le doublage est assuré par un prestigieux casting comprenant Meg RyanJohn CusackChristopher Lloyd ou encore Kirsten Dunst

Ne cherchant pas à révolutionner le genre, Bluth conserve prudemment la structure de comédie musicale à laquelle il est resté fidèle, avec chansons confiés au compositeur de Broadway Stephen Flaherty, et score grandiloquent signé David Newman teinté de folklore européenIci, les héros sont adultes, on ne trouve pratiquement pas d'animaux, en dehors de Bartok, chauve-souris jouant le comique de service, concession à la formule du sidekick Disney. La poésie montre son nez dans la jolie scène de la salle de balle abandonnée que viennent soudain remplir des danseurs fantômes, ravivés par le souvenir des murs. Fidèle à lui-même, Bluth nous offre une nouvelle descente aux enfers avec un Raspoutine soudainement transformé en mort-vivant maléfique. Le duel final qui l'oppose au jeune premier sur les quais de Seine devient alors un beau moment de démesure, dans sa mise en scène comme dans son éclairage.

Le film n'aurait finalement pas dépareillé chez Disney, qui à cette époque commence à orienter davantage ses œuvres vers un public moins enfantin. On se retrouve donc avec une héroïne charismatique, en route vers son destin de princesse à la Cendrillon. L'approche et les ingrédients conviés étaient prometteurs, partant d'un contexte historique plutôt tragique pour en extraire un pur conte de fée. Le résultat manque toutefois de magie et d'intensité. Brodant à partir de faits réels — la chute des Romanov et la fin de l'Empire russe, la Révolution d'Octobre, les personnages mythiques de Raspoutine, et d'Anastasia — Bluth et ses auteurs font des choix finalement peu transcendants, sans atteindre l'équilibre de Fievelqui jouait aussi avec la grande HistoirePeu d'émotion, pas de grand rire franc, ni de véritable effroi (même lors des apparitions de Raspoutine, personnage très agité mais finalement peu impressionnant).





Bartok the magnificent (Bartok le magnifique), 1999
Production assurément ambitieuse, programmée pour Noël, et pour le coup soutenue par une promotion solide enfin digne d'un grand studio, Anastasia fait sensation à sa sortie, finissant même par devenir le film le plus rentable du réalisateur. Pour ceux qui avaient suivi la carrière de Bluth dans les années 80, le film signe son grand retour sur le devant de la scène cinématographique. Retour néanmoins discret car, contrairement à ses précédentes productions, le nom de Bluth est désormais remisé au bas de l'affiche. 

À cette époque, Disney est engagé dans une curieuse stratégie qui vise à exploiter systématiquement ses succès en franchises vidéos, produits dérivés fabriqués à moindre coût. En toute logique, la Fox commande immédiatement au réalisateur le même genre de spin-of. Seule suite tirée de ses films que Bluth ait lui-même réalisée, Bartok the magnificent met donc en scène la petite chauve-souris dans une aventure parallèle, davantage destinée à un tout jeune public. Le film a au moins pour avantage d'avoir bénéficié d'une qualité de réalisation et d'un soin technique légèrement supérieur à la plupart des direct-to-video proposés alors sur le marché. Ça n'en fait pas pour autant un indispensable.




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13 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth IV. 1991-1995

Rock-a-doodle (Rock-o-rico), 1991
Alors que le cinéma de Don Bluth incarnait au cours de la décennie précédente, davantage qu'une simple alternative à la prédominance de Disney, la marque d'un grand artisan de l'animation, ses films vont soudainement passer sous le radar. Tout ne s'explique pas cependant par le retour en force de son principal concurrent. Le studio monté en Irlande par Bluth et ses collègues Gary Goldman et John Pomeroy pâtit d'une réelle baisse d'inspiration. Adaptation lointaine de Chantecler, la pièce d'Edmond Rostand, Rock-o-ricko met en scène un coq sosie d'Elvis qui fait des ravages chez les poulettes de la basse-cour. 

Prétexte à de nombreux numéros musicaux, cmélange d'ambiances de ferme et de rock n'roll 50's aurait pu être amusant, mais prend bientôt une improbable direction lorsque le King Chantecler se retrouve détrôné et échoue dans une ville corrompue. Le film bénéficie heureusement encore de beaux moments d'animation, mais au sein d'un ensemble trop riche, ou trop confus, comme provenant d'éléments disparates grossièrement montés ensemble, dont on finit par ne plus trop savoir à quel public il s'adresse. Le pire étant peut-être le mix opportuniste d'animation avec des séquences en prises de vues réelles, techniquement pas au point qui plus est. En France, la présence d'Eddy Mitchell, mais aussi de Lio et Tom Novembre, comme doubleurs et chanteurs fut pratiquement le seul argument commercial de ce Rock-o-ricko.




Thumbelina (Poucelina), 1994
Après une série de projets originaux, au sens où ils adaptaient des œuvres relativement peu connues, Bluth optait ici pour un sage retour au conte traditionnel européen, avec cette adaptation d'Andersen (auteur qui porta bonheur à Disney pour sa Petite sirène). Des créatures fantastiques au design cartoonesque cohabitent sans trop de grâce avec des personnages humains qui passent ainsi pour la première fois au premier plan, avec un usage de la rotoscopie qui manque un peu de magie, et John Hurt prête sa voix à un des personnages. S'efforçant de rester à la page, le film fait également un usage assez primitif de décors en 3D. Sauf qu'on n'a pas la même magie, et que malgré le savoir-faire de Bluth et de ses équipes, le résultat est loin d'afficher la même qualité de finition que chez Disney, apparaissant alors comme un pauvre ersatz qui ne fait pas illusion. 

Il faut dire que chaque nouveau film du studio multiplie les cartons au box-office, et que l'année 1994 en particulier sera celle de tous les records avec The Lion kingEn fait, c'est comme si Bluth se retrouvait désormais à la traîne, et tentait de recalibrer ses films pour un public encore plus jeune, tel un marché qui resterait à prendre. Ce retour au conte de fée semble en effet davantage destiné aux petites filles. La promotion sera quasiment inexistante. Je me souviens d'avoir vu l'affiche de Poucelina fièrement étalée sur la devanture du Grand Rex, suscitant plutôt un sentiment d'anachronisme. Il n'y a plus de place pour le cinéma de Bluth sur les écrans, et déjà certains de ses animateurs ont commencé à quitter le navire. Au bord de la faillite, le studio doit brader ses projets à diverses compagnies et, afin de pouvoir continuer à faire travailler — et à payer — ses équipes, contraint de les finaliser malgré tout.




A Troll in Central Park (Le Lutin magique), 1994
Nouveau mélange de fantastique et de réalisme, avec ce personnage de troll à la main verte, banni de son pays magique et se retrouvant à New York. Le film apparaît plus que jamais conçu pour un public de moins de 5 ans qui échapperaient à la surveillance de leurs parents. Les personnages sont laids, aucunement attachants, et leurs objectifs sont dénués d'intérêt. Et je ne parle même pas des chansons tout simplement pénibles. Techniquement, le studio semble avoir revu ses exigences à la baisse, même si la travail sur les décors s'efforce de faire preuve d'inventivité. Le fidèle Dom DeLuise est de retour pour prêter sa voix, accompagné de Jonathan Pryce.

Peu soutenu, le film a beau essayer de capitaliser sur la réputation de Bluth, il passe inaperçu, et ne sera même pas distribué en France. Ce sera tout simplement le plus gros échec financier du studio, qui va encore vivoter quelques mois. Le plus triste, c'est que cet échec ne semble même pas injuste, tant son concept semblait dès le départ n'avoir rien pour convaincre. Et l'on continue à assister impuissant à l'irrésistible déchéance des ambitions d'un studio qui voulait créer en indépendant.




The Pebble and the penguin (Les aventures de Youbi le pingouin), 1995
Après le désastre du titre précédent, et face au rouleau-compresseur Disney, aucune major ne veut défendre les productions du studio de Don Bluth. Commencé pour Warner, The Pebble and the penguin est récupéré par une MGM peu enthousiaste qui va raccourcir les délais afin de se débarrasser le plus tôt possible de ce qui a peu de chance d'être un succès. Anticipant de dix ans la mode des manchots au cinéma (de Happy feet aux Pingouins de Madagascar), le film profite de son cadre antarctique pour créer des ambiances assez réussies à la Charlie, avec de spectaculaires représentations fantasmagoriques et des éclairages expressionnistes qui semblent renouer avec la poésie macabre du réalisateur. La bande son compte les voix de Martin ShortTim Curry et James Belushi, mais les nombreuses chansons sont le plus souvent navrantes et surtout le scénario dissimule mal ses nombreuses réécrituresConséquence des délais imposés, une part de la réalisation va être sous-traitée par d'autres studios européens. Visuellement, le film alterne donc de façon criante les plans toujours soignés et énergiques de Bluth, avec des décors et des animations clairement bâclées, parfois complétés par des images de synthèse à peine finalisées. 

Contactés en pleine production par la Fox qui souhaite ouvrir son propre studio d'animation, Bluth et Goldman ne se le font pas dire deux fois. Ils abandonnent leur bébé déjà difforme, et font en sorte que leurs noms disparaissent du générique. Et c'est une triste fin de dégringolade pour leur studio qui ferme dans l'indifférence totale, scellant leur rêve de liberté artistique. La MGM bricolera tant bien que mal avec ce qu'il reste pour l'achever, mais The Pebble and the penguin demeurera quoi qu'il en soit inédit en salle, exploité uniquement à la télévision (je l'ai découvert personnellement sur Canal +)C'est d'ailleurs à cette époque que Bluth, ayant cédé ses droits, voit ses films transformés en lucratives franchises pour un marché vidéo en plein essor, avec diverses suites sacrilèges de Fievel, Brisby et Charlie.


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9 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth III. 1988-1989

The Land before time (Le Petit dinosaure et la vallée des merveilles), 1988
Conscient de disposer d'une poule aux œufs d'or après l'énorme succès de FievelSpielberg (dont on connait le goût pour les dinosaures) prolonge son association avec Don Bluth et le nouveau studio qu'il a mis en place en Irlande. Ils sont rejoints par l'ami George Lucas, et confient une nouvelle fois la bande originale à James HornerC'est donc une véritable dream team qui met en chantier The Land before time.

Au-delà de son environnement qui semble développer sur la durée d'un long-métrage le segment préhistorique de Fantasia, The Land before time fait preuve d'assez peu d'audace dans sa trame, racontant l'histoire classique d'un petit herbivore qui perd ses parents, rencontre de nouveaux amis et doit affronter en la personne d'un T-rex les obstacles de l'existence. C'est donc un peu Bambi chez les dinos, une trame tellement basique que Disney s'en resservira quelques années plus tard pour son propre Dinosaur. De même, l'attention portée à la découverte du monde par un personnage innocent n'est évidemment pas sans rappeler le personnage de Fievel. Mais là où le souriceau s'efforçait de décrypter les mensonges d'un monde d'adultes, Littlefoot est ici surtout entouré de mignons petits dinosaures multipliant les cabrioles.

Malgré des personnages au design pas très heureux, où l'anthropomorphisme révèle ses limites, le film propose des atmosphères visuellement souvent réussies, témoignant une nouvelle fois du style graphique si poussé et si expressif du réalisateur. Il contient son lot de scènes spectaculaires et traumatiques, à base de cataclysmes, morts poignantes de personnages importants et prédateurs féroces. Au point que Spielberg et Lucas trouvèrent cette approche trop effrayante pour le public visé et imposèrent d'importantes coupes, qui affadirent davantage le film. Parti pour conquérir son indépendance, Bluth se retrouve donc avec ses encombrants parrains privé d'une partie de sa liberté créatrice, et les reproches autrefois faits à Disney semblent désormais guetter son cinéma. Le succès public est néanmoins une nouvelle fois au rendez-vous, et sa popularité entraînera pas moins d'une douzaine de suites, destinées au marché video donc de qualité médiocre et sans aucune participation des créateurs d'origine.




All dogs go to heaven (Charlie), 1989
Même si grâce à Spielberg, ses films ont pu rencontrer leur public et se rentabiliser, Bluth préfère tourner le dos à Amblin et Lucasfilm, espérant retrouver une pleine liberté artistisque. Lui qui s'est battu dès le début pour avoir son nom en gros sur l'affiche veut pouvoir entièrement assumer ses œuvres. Formidablement ambitieux, son studio basé en Irlande mène plusieurs projets en parallèle, selon le modèle Disney, afin d'être régulièrement présent sur les écrans. Premier titre à sortir, All dogs go to heaven est un film que j'aime beaucoup, plein de fantaisie. Même s'il met à nouveau en scène un personnage de gentille orpheline, et même s'il a des allures de remake de Heaven can wait (de Warren Beatty) ou Switch (de Blake Edwards)ce nouveau long-métrage propose un mélange d'ingrédients assez original, où le merveilleux et le fantastique ne nuisent pas à la justesse des émotions. 

Capable de parler aux animaux, la jeune héroïne va faire la rencontre de Charlie, un sale cabot, gentil voyou — excellement doublé par Burt Reynolds — qu'on a vu mourir au début du film, et qui est renvoyé sur Terre pour laver ses péchés. Contraint de jouer l'ange gardien de la petite fille, cet authentique antihéros espère ainsi accéder au Paradis des chiens. Aussi roublard que foncièrement sympathique, Charlie est entouré de ses potes chiens magouilleurs, personnages secondaires tous très attachants, à l'humour jamais lourd, et leurs relations sont développées avec une profondeur bienvenue. Fable morale assumée, le film échappe à la mièvrerie justement par le choix de cet environnement de bas-fonds et de décors désolés, où règne la pègre et les déclassés. L'action, située dans les années 30, permet à Bluth de mettre enfin au premier plan des personnages humains, et l'animation de la petite Anne-Marie bénéficie d'une délicatesse absolument exquise. Le fantastique n'est néanmoins pas absent, et on a à nouveau droit à d'impressionnantes et très belles visions lorsque Charlie est renvoyé du Paradis pour atterrir sur un lac de lave symbolisant les Enfers. Le genre de séquences que seule l'animation permet de porter avec autant de poésie à l'écran. Le rythme est enlevé, plein de péripéties et de moments touchants. Les numéros musicaux reviennent en nombre mais peinent à marquer les mémoires. 

Au cours de cette décennie 80, les productions de Don Bluth ont profité du relatif creux de la vague dans lequel vivotait Disney son principal concurrent. Cette période est révolue.  L'année 1989 marque en effet le retour inespéré du studio de Burbank qui, avec La Petite sirène, fait un carton et retrouve pour longtemps un nouveau souffle. Bluth est brutalement plongé dans l'ombre et, sans non plus être un échec commercial, Charlie devra véritablement attendre sa sortie en vidéo pour rencontrer son public. Le film apparaît retrospectivement comme sa dernière grande réussite, peut-être la dernière occasion qu'il a eu de faire pleinement entendre sa voix si singulière.



DOSSIER DON BLUTH :

6 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth II. 1983-1986

Dragon's lair, 1983
Après le succès critique de The Secret of N.I.M.H. ce n'est pas au cinéma mais dans les salles d'arcades que se retrouve la production suivante de Don Bluth. Il a en effet dirigé et animé un jeu vidéo d'un nouveau genre, proprement révolutionnaire, tirant parti de la technologie naissante du disque laser et destiné aux salles d'arcade. À des années-lumière du rendu pixelisé des jeux d'alors, Dragon's lair offrait au joueur la possibilité de se déplacer au sein d'un véritable dessin animé interactif. Graphisme, animation et effets sonores à base de voix digitalisées proposaient la même qualité de finition que les films de Bluth. En salle d'arcade, la borne ne pouvait dont qu'attirer l'œil... et vider les porte-monnaies. Le jeu fut donc un carton et ce n'est qu'une fois les pièces insérées dans la machine qu'on réalisait la vaste arnaque.

Le concept, simplissime, consiste à incarner un grand dadais peu héroïque, chargé de libérer une princesse sexy d'un château truffé de monstres et de pièges. Malheureusement, faute à un gameplay aberrant en mode die and retry, le jeu s'avére vite injouable. Le rôle du joueur se résume en effet à deviner quand l'animation va passer du mode automatique au mode manuel, puis à exécuter à la seconde près la bonne combinaison de mouvements pour échapper à un piège systématiquement mortel (sachant qu'aucune indication n'est présente à l'écran pour aider à déterminer la bonne action). Une mauvaise synchronisation et on est bon pour tout recommencer.  La tension et la sollicitation du joueur sont telles qu'il ne parvient même pas véritablement à profiter du travail des animateurs. Titre mythique en raison d'une esthétique qui promettait du rêve, Dragon's lair l'était donc aussi en tant que puissant pourvoyeur de frustration. Le concept du film interactif fut abandonné lors du portage sur NES et Gameboy, transformant ça en un jeu de plateformes parfaitement conventionnel (seule l'atroce difficulté fut conservée).




Space ace, 1984
Tellement confiant dans sa technique, Bluth réalise dès l'année suivante, et exactement sur le même principe, l'animation d'un autre jeu laserdisc. La SF a remplacé la fantasy, mais on dirige toujours un grand dadais dont la princesse est cette fois prisonnière d'un vaisseau spatial. Space ace propose cependant un déroulement un peu moins linéaire. La plupart des joueurs qui bavèrent à l'époque sur la borne d'arcade durent attendre l'arrivée des Atari ST et Amiga pour avoir enfin l'opportunité d'y jouer sans trop se ruiner (le jeu tenait alors sur une demi-douzaine de disquettes, avec des temps de chargement décourageants et était quand même bien moins beau). 

Gameplay toujours aussi aberrant, donc, mais il faut reconnaître que le média en était alors à ses balbutiements, et que visuellement une telle proposition non seulement n'avait pas d'équivalent mais passait même pour avant-gardiste. Malgré le succès commercial du jeu, l'industrie du jeu vidéo sombre au même moment dans une crise économique qui fait disparaître une grande partie des acteurs du marché (c'est la faillite d'Atari). Développée dans la foulée par le studio, la suite Dragon's lair II : Timewarp attendra 1991 pour arriver en salles d'arcade.




An american tail (Fievel et le nouveau monde), 1986
Après avoir révélé au grand public Zemeckis et Joe Dante, Spielberg, producteur heureux avec sa maison de production Amblin', souhaite logiquement se frotter au cinéma d'animation dont il est un grand fan. Impressionné par la qualité technique et la poésie de The Secret of N.I.M.H. il fait appel à Bluth, dans lequel il voit le seul artiste véritablement compétent capable de rivaliser avec Disney.  C'est grâce à l'entremise de Jerry Goldsmith que la rencontre aura lieu. Ne rejetant pas la tradition disneyienne de la comédie musicale, Bluth confie cette fois à James Horner et Barry Mann la tâche de composer une bande originale très inspirée. On a ainsi droit à des chorégraphies endiablées (There are no cats in America faisant écho au I like to be in America de West side story) et à des complaintes qui donnent la chair de poule (le poignant duo Somewhere out there, devenu un standard).

Chapeauté par Universal, Bluth et son équipe bénéficient alors de tout le confort temporel et budgétaire pour réaliser ce qui est peut-être le chef-d'œuvre du studio, transposition habile de l'émigration des Juifs d'Europe centrale suite aux persécutions, et des désillusions du rêve américain. Mêlant une nouvelle fois des préoccupations graves sous couvert de divertissement familial, le film traite de l'exploitation par l'argent-roi, de la perte des parents, de la difficulté pour survivre, met en scène les luttes sociales, le duplicité et le mensonge (avec ce personnage de chat maffieux déguisé en rat). Spielberg a pris à cœur ce projet, y trouvant de nombreuses résonnances avec sa propre histoire (Fievel est le nom de son grand-père). 

Bluth crée des merveilles avec son personnage de souriceau, livré à lui-même et qui s'acharne à conserver son optimisme malgré les épreuves. Son animation est admirable, notamment dans sa façon de lutter constamment avec ses vêtements trop grands. Pour contraster avec le monde anthropomorphe des animaux parlants, les humains sont animés en rotoscopie, et l'ensemble s'intègre joliment dans des décors particulièrement soignés, et comme souvent chez Bluth à l'éclairage très travaillé. Riche en émotions, le film alterne avec réussite les moments de rire (géniale invention du gros chat Tiger qui joue au dur alors qu'il est incapable de faire de mal), le réalisme sordide (la misère new-yorkaise), l'effroi (superbe matérialisation de la tempête sur le bateau) et le tirage de larme (les retrouvailles de Fievel et de ses parents sont irrésistibles). Critique sur les illusions du rêve américain, le film se veut aussi porteur d'espoir, belle ode à la différence, à l'amitié et au multiculturalisme. 

Énorme succès planétaire, pourtant en concurrence avec un autre film de souris sorti de son côté par Disney (Basil détective privé), An american tail va permettre à Bluth d'installer en Irlande le plus grand studio d'animation européen. Notons qu'une suite cinéma à un film qui n'en demandait pas tant sera réalisée par Universal en 1991, Fievel au far-west, de qualité bien moindre et sans que Bluth ne soit impliqué. La plupart de ses films connaîtront d'ailleurs souvent un grand succès lors de leur sortie en vidéo, entraînant plusieurs direct to video sans intérêts (Fievel et le trésor perdu, 1998).



DOSSIER DON BLUTH :

2 décembre 2016

Le Monde animé de Don Bluth I. 1978-1982


The Small one (Le Petit âne de Bethléem), 1978
Né en 1937, Don Bluth se révèle très tôt attiré par l'animation. L'un de ses jobs d'été en tant qu'étudiant consistera ainsi à être intervalliste pour Disney sur La Belle au bois dormant (1959). Mais il devra attendre les années 70 pour rejoindre officiellement les studios de Burbank. Il y sera tout à tour animateur, animateur-clé puis directeur de l'animation sur les films de cette époque (Robin des Bois, Bernard et Bianca, Peter et Elliott le dragon, Les Aventures de Winnie l'ourson). 

Si ces titres possèdent aujourd'hui leurs amateurs nostalgiques, il faut néanmoins reconnaître qu'on est ici dans une période de faible inspiration pour Disney : sujets peu originaux développés par tellement de parties qu'ils en ont perdu toute personnalité, reprise sans risques de formules à succès, technique sans éclat et budgets en baisse. Au point que les productions en prises de vue réelles semblent même prendre le pas sur l'animation (série des CoccinellesLe Trou noir, Le Dragon du lac de feu), comme si le studio s'apprêtait à tirer un trait sur son savoir-faire. En 1978, devenu un artiste affirmé et prometteur, Bluth se voit promu au poste de réalisateur, chargé d'un court-métrage à livrer pour Noël. Il dirige donc et anime avec beaucoup de sensibilité le remarquable The Small one, une histoire pleine de tendresse entre un enfant et l'âne de la Nativité, et qui fera longtemps la fierté du studio.




Banjo the woodpile cat (Banjo le chat malicieux), 1979
Frustré et nostalgique des heures de gloire des premiers longs-métrages de Walt Disney, et ne voyant rien dans les projets du studio qui viendrait infirmer cette impression de déchéance, Bluth s'est préparé dès 1975 à prendre le large,  avec la complicité de deux de ses collègues animateurs, Gary Goldman et John Pomeroy. Ensemble, déterminés à gagner leur indépendance et à exprimer en toute liberté leur vision de ce que doit être l'animation, ils commencent par se faire la main sur un premier court-métrage, réalisé en dehors de leurs heures de travail. Le résultat, Banjo the woodpile cat bénéficiera de la voix de Scatman Crothers. Mignon sans être mièvre, animé avec un dynamisme rafraîchissant, ce premier essai n'a rien d'un travail d'amateurs et fera forte impression auprès des professionnels de la profession.

Ayant brillamment prouvé de quoi ils étaient capables, adoubés par la critique et les investisseurs, les jeunes loups aux dents longues trouvent ainsi les financements nécessaires pour leur projet d'indépendance. Embarquant avec eux une poignée d'animateurs, ils démissionnent de la firme aux grandes oreilles alors en pleine production de Rox et Rouky et fondent leur propre studio. Ils feront dans un premier temps bouillir la marmite en réalisant les séquences animées de la désastreuse comédie musicale Xanadu (1980), avant de pouvoir faire aboutir leur premier coup de maître. Car ce qu'ils visent est bien entendu le débouché le plus prestigieux, à savoir le long-métrage cinéma.




The Secret of N.I.M.H. (Brisby et le secret de NIMH), 1982
Pas de cruelle désillusion à craindre en le (ré)découvrant aujourd'hui : bénéficiant d'une réalisation extrêmement soignée, le film se présente comme un spectacle somptueux, qui intimide même dès son ouverture, posant d'emblée un cadre intriguant fait de magie et de mystère. Généreuse en mouvements, l'animation est riche et maîtrisée, avec une expressivité caractéristique des visages. En effet, même si Don Bluth œuvre dans le registre relativement convenu de l'animalier anthropomorphique, sa "patte" est reconnaissable. Se chargeant lui-même du character design, il crée une galerie de personnages inoubliables tant par leur visuel que par leur animation ou la façon dont ils sont mis en scène : le vieil hibou (doublé par John Carradine), le chat borgne Dragon ou le vieux rat Nicomède et ses mains ridées. Sidekick pas du tout pénible, le corbeau maladroit est doublé par Dom DeLuise, acteur qui restera fidèle au studio (chez nous ce sera Jacques Balutin). Preuve de son ambition, Bluth se paie même le luxe de solliciter Jerry Goldsmith pour la bande originale. Enregistrée avec le London Philarmonic Orchestra, celle-ci est tout simplement grandiose, par son ampleur et sa richesse mélodique, souvent agrémentée de chœurs. Même si tous les films de Bluth feront par la suite une grande place à la musique et aux chansons, cette collaboration avec le grand compositeur demeurera hélas sans suite. 

Bien que destiné aux enfants, le film est loin de la fadeur disneyenne. Ici les personnages saignent et meurent, et le manichéisme n'est pas le seul moteur du scénario. Ainsi le méchant du film, le rat Jenner — superbe à regarder — apparaît tardivement. Les thèmes sont franchement adultes : on débarque dans le récit avec un personnage de veuve, et plein de secrets en attente d'être révélés. De nombreux passages sont assez effrayants, notamment lorsque Brisby explore le repaire des rats, ou lors de l'inoubliable séquence qui montre les expériences de laboratoire, qui ne dépareillerait pas dans un film de Martin Rosen (The Plague dogs). Proposant un audacieux mélange de réalisme et de fantastique, le film baigne dans une atmosphère souvent oppressante. Bluth aime parsemer ses récits de visions terrifiantes, et d'effets lumineux aveuglants. Il donne ici libre cours à son goût pour des décors expressionnistes aux ombres marquées et aux couleurs stylisées qui participent à la dramatisation de chaque scène (les arrière-plans passent souvent au rouge ou à l'orange). On imagine l'impact sur les spectateurs de 1982 (dont je fus).

The Secret of N.I.M.H. apparaît donc comme un film d'animation largement supérieur à ce qui est produit à la même époque, en particulier par la maison-mère Disney, alors en pleine déroute sur la production de Taram et le chaudron magique. Distribué par United artists, le film ne bénéficiera cependant pas du succès escompté, et pâtira de la concurrence d'E.T. the extra-terrestrial, le blockbuster familial qui rafle toute l'attention des spectateurs cette année-là



DOSSIER DON BLUTH :