Devenue star du jour
au lendemain avec son tout premier 45t, Tous les garçons et les filles, — un classique instantané — Françoise Hardy construit depuis plus de 40 ans
une œuvre profondément personnelle et cohérente. Elle compose et écrit la plupart
du temps elle-même, s'accompagnant à la guitare, et ceci joue sans doute pas
mal dans le fait que ses chansons me touchent, parce qu'on y devine une voix et
des pensées en parfait accord avec la sincérité de leur auteur. Un ton qu'on retrouvera intact dans son indispensable autobiographie.
La première décennie
de sa carrière (1962-1973) est véritablement son âge d'or, même si elle-même
estime aujourd'hui qu'elle avait encore énormément de progrès à faire
musicalement. Le lyrisme et la délicatesse des arrangements frappent par leur
évidence, souvent dépouillés mais sachant à l'occasion faire la part belle aux
cordes et aux chœurs. Le travail sur les harmonies est particulièrement
réussi. Hardy profitera d'ailleurs des orchestrations d'Ennio Morricone
sur l'excellent Je changerai d'avis. Le résultat est d'autant plus impressionnant
que ses chansons s'inscrivent dans la durée standard des 45t — soit rarement
plus de 3 minutes — et apparaissent ainsi comme de véritables bijoux, d'autant
plus fragiles et attachants (Des ronds dans l'eau). Elles se distinguent
par leurs ambiances très mélancoliques (La Nuit est sur la ville),
désabusées (Ma jeunesse fout le camp), et des paroles étonnamment
matures. La pudeur qui s'y exprime se nourrit de l'enfance complexée d'une
interprète qui n'imagine alors pas d'autre source d'inspiration qu'elle-même.
Elle fait ainsi preuve
d'une véritable réflexion sur l'être, ses désirs et ses doutes (La Question).
L'Amitié est d'une justesse et d'une poésie assez bouleversantes. Ses
histoires d'amours tues tranchent pas mal avec la musique yéyé de l'époque, aux
préoccupations assez inconséquentes (voir ce que chantaient Sheila ou Sylvie
Vartan de leur côté). Et bien qu'elle en ait été l'égérie, elle apparaît
assez loin du cirque de Salut Les Copains !, cessant toute prestation
scénique à partir de 1968. Regard tourné vers l'Angleterre, look androgyne et
mini-jupes, elle se tient à l'avant-garde de la scène française. Son compagnon
d'alors, le photographe Jean-Marie Perier, contribue à façonner cette
image de girl next door, loin de la star inaccessible, et dont les
chansons peuvent parler à chacun de nous aujourd'hui encore.
La plupart du temps,
c'est beau parce que c'est triste. Hardy a de toutes façons une prédisposition
aux ballades et je suis hypersensible à la façon qu'elle a de communiquer certains
sentiments, au premier rang desquels le sentiment amoureux bien sûr. À ce
titre, Comme, Viens là, et surtout À quoi ça sert ? me détruisent
à chaque écoute tant leurs mots résonnent en moi. Je résiste ici à l'envie de
citer certaines de ses paroles, car c'est vraiment couplées à la musique et au
chant, portées par une voix douce et confidente, qu'elles révèlent leur force.
Elles disent avec grâce ce que nous ne pourrions exprimer que laborieusement,
et en cela m'apparaissent comme le genre de chansons qui réconforte, voire secourent.
Et puis l'humour n'est
pas absent. Même quand les chansons sont tristes, les somptueux arrangements
font que l'atmosphère n'est jamais lourde. Et si je m'en vais avant toi
est ainsi d'une étonnante légèreté par rapport à son sujet. Les jeux de mots
autour desquels est construit Point ne sont pas très éloignés de ceux de
Gainsbourg sur le délicieux Comment te dire adieu. De même, Le
Crabe (écrit par Roda Gil), aux orchestrations et chant
particulièrement originaux, est rempli de malice.
En 1972, Françoise
publie If you listen, un album sublime, alternant reprises et morceaux originaux entièrement chantés en anglais, offrant
une lecture tout à fait personnelle de la chanson folk. Par la suite, le son
change quelque peu, se modernise tout en restant foncièrement marqué de
l'identité de son interprète. L'artiste s'ouvre de plus en plus aux collaborations. Ainsi Michel Berger, qui lui offre le mémorable Message
personnel, avec son final déchaîné. Les arpèges de Jean-Jacques Vannier
enrobent avec un incontestable talent L'Amour en privé, encore écrit par
l'ami Serge. Les déchets néanmoins existent, et on passera sous silence la période Michel Jonasz/Gabriel Yared chez Flarenasch, qui ne
trouve vraiment pas grâce à mes oreilles. Je saute directement aux années 90,
en n'omettant pas au passage le très beau Partir quand même de 1988,
cosigné avec Dutronc, déclaration d'amour paradoxale et touchante en ce
qu'elle révèle ici encore d'intime : partir avant qu'il ne soit trop tard. La
dame aux cheveux d'argent pousse la chansonnette avec Damon Albarn et
les Blur en 95 sur le très joli La Comédie (to the end).
L'année suivante, elle
s'associe à Alain Lubrano et Rodolphe Burger pour un album
remarquable, Le Danger, au style rock suffisamment aventureux
pour apporter une nouvelle image à l'artiste. Dix heures en été est une
perle, qui sonne vraiment comme du Kat Onoma (groupe que Hardy adore).
L'album suivant, Clair-obscur, contient un sympathique hommage à
Mireille, qui a lancé la carrière de Françoise, avec la reprise de Puisque
vous partez en voyage en duo avec Dutronc. Mais le sommet en est le
somptueux Contre vents et marées, tout simplement une de ses plus belles
chansons, magnifiquement écrite et composée, charriant une émotion
impressionnante.
Plus récemment, Tant de belles choses (2004) est peut-être un de ses plus inspirés depuis sa première époque, avec un son particulièrement bien ciselé, des mélodies originales, surprenantes et agréables. Le morceau-titre, par sa mélodie, son texte et son ambiance pourrait clairement avoir été enregistré à la fin des 60's. Au générique on retrouve Lubrano mais également Benjamin Biolay, Ben Christophers et Jacno (superbe Un air de guitare), mais c'est surtout Perry Blake qui signe les deux plus beaux titres, Moments et So Many things, sur lesquels on reconnaît clairement sa patte. Le chant de Hardy vous colle des frisons sur le dénudé Sur quel volcan ? Un très grand disque, qui prouve à quel point son talent est toujours en éveil, ce que confirmera l'opus suivant La Pluie sans parapluie, là aussi magnifiquement porté par Noir sur blanc, titre d'ouverture signé par un Calogero à l'inspiration pleine de grâce.
Plus récemment, Tant de belles choses (2004) est peut-être un de ses plus inspirés depuis sa première époque, avec un son particulièrement bien ciselé, des mélodies originales, surprenantes et agréables. Le morceau-titre, par sa mélodie, son texte et son ambiance pourrait clairement avoir été enregistré à la fin des 60's. Au générique on retrouve Lubrano mais également Benjamin Biolay, Ben Christophers et Jacno (superbe Un air de guitare), mais c'est surtout Perry Blake qui signe les deux plus beaux titres, Moments et So Many things, sur lesquels on reconnaît clairement sa patte. Le chant de Hardy vous colle des frisons sur le dénudé Sur quel volcan ? Un très grand disque, qui prouve à quel point son talent est toujours en éveil, ce que confirmera l'opus suivant La Pluie sans parapluie, là aussi magnifiquement porté par Noir sur blanc, titre d'ouverture signé par un Calogero à l'inspiration pleine de grâce.
D'album en album, Hardy persiste ainsi à affirmer qu'au-delà de la
dimension nostalgique de ses premiers 45 tours, elle reste une interprète tout
à fait contemporaine, sans jamais donner l'impression d'un pseudo-lifting ou
d'une suiveuse de mode. De Daho à Aubert, on ne compte plus les
chanteurs français qui lui vouent une sincère admiration. Quelle exemplaire carrière !
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