28 octobre 2016

J.K. Rowling's Harry Potter, 1997-2007




Harry Potter à l'École des sorciers, 1997
Au début des années 2000, j'assistais de loin au phénomène médiatique lié à l'œuvre de J.K. Rowling, avec curiosité mais sans réelle animosité. Je n'avais pas vraiment d'a priori négatif sur les bouquins mais avais posé le principe que c'était de la littérature pour môme et que j'avais donc d'autres priorités (sans doute refusais-je également de rentrer dans un pseudo-moule, et de me retrouver assis dans le métro à côté des lecteurs du Da Vinci code). C'est à l'occasion d'un été de désœuvrement en bord de mer, ma lecture en cours me tombant des mains, que je me suis alors égaré et ai jeté un œil au premier tome, emprunté à un de mes hôtes qui se farcissait de son côté la saga en VO.

Ce pathétique préambule pour dire que j'ai été très agréablement séduit, et que j'ai vraiment apprécié le petit univers qu'a mis en place Rowling, ses personnages et leur mystérieux destin, que je ne connaissais jusqu'ici qu'à travers les filmsCela m'a d'ailleurs permis de réaliser à quel point ces adaptations retranscrivent fidèlement le caractère des personnages (je voyais leur visage, j'entendais leur voix et tout collait parfaitement). L'écriture est d'une impeccable fluidité, le mélange d'humour, de suspense et de petites frayeurs fonctionne merveilleusement, et le fait de connaître un peu la suite m'a certainement poussé à y percevoir une profondeur et une gravité qui ne se repèrent peut-être pas lorsqu'il s'agit d'une totale découverte. Il me semble en effet évident rétrospectivement que l'auteur ne pouvait avoir dès ce premier tome l'ambition de composer l'œuvre complexe à venir (au mieux l'espoir). On a encore affaire ici à un roman jeunesse, certes original et bien troussé, mais encore prudemment inscrit dans les canons du genre. C'est vraiment le succès colossal inattendu qui l'autorisera à avoir les coudées franches et à ne pas hésiter à pousser progressivement les murs de la littérature jeunesse, ne serait-ce qu'en augmentant spectaculairement la pagination. Et je dis gloire à Jean-Claude Götting qui signera les élégantes illustrations des premières éditions Gallimard, que j'ai choisi de mettre ici à l'honneur.



Harry Potter et la Chambre des secrets, 1998
Abordé avec une même absence d'a priori, ce deuxième volet s'est révélé tout simplement épatant parce qu'assez irréprochable. Certes, l'enquête proprement dite ne tient pas vraiment la route mais elle m'a finalement bien moins intéressé que le fait de voir vivre ce petit univers qui acquiert au fil des chapitres une fascinante crédibilité.

On prend en effet un réel plaisir à emboîter le pas à des personnages désormais familiers dans les fascinants couloirs de leur école, et d'en apprendre davantage sur la toile touffue tissée par l'auteur. Ça se dévore littéralement, et c'est porté par une ironie constante et délicieuse, qu'on qualifiera de typiquement anglaise puisqu'elle nous est apparue pas si éloigné d'un Dickens, grand maître du feuilleton XIXe dont on suppose que Rowling se réclame.



Harry Potter et le Prisonnier d'Azkaban, 1999
Comparativement, ce troisième tome m'a semblé moins inspiré que les autres. La raison étant sans doute que cette fois Potter et ses amis ne jouent plus aux petits détectives et se contentent d'attendre que le danger vienne à eux en la personne de Sirius Black. Les personnages sont donc un peu plus passifs et le rythme du récit moins immédiatement prenant. 

Autre petit reproche, alors que je trouve le style de Rowling d'une fluidité délicieuse, j'ai été assez étonné de la voir tomber dans le piège de la grosse révélation finale qui s'étale laborieusement sur des dizaines de pages. L'intrigue aboutit en effet à une grosse réunion de personnages qui se mettent alors à déballer longuement leur version de l'histoire, et c'est assez indigeste. C'est là que j'ai pu apprécier le travail d'adaptation de Steve Kloves et Alfonso Cuarón pour le troisième film qui, contrairement aux réalisations de Columbus, se permet quelques trahisons, ajouts et modifications de l'œuvre originale. Comme s'ils s'étaient eux-même rendus compte que Rowling avait un peu chargé la mule avec ce climax et qu'il fallait un peu harmoniser tout ça (le résultat là aussi ne m'a pas pour autant semblé pleinement convaincant, mais on se rend compte en lisant le bouquin qu'ils partaient de loin).



Harry Potter et la Coupe de feu, 2000
J'en garde le souvenir d'une lecture enthousiaste, qui me faisait conclure que Rowling franchissait là un nouveau palier, affirmant un impressionnant talent par sa capacité à agrandir de livre en livre les dimensions de ce qui est une formidable fresque, où les personnages commencent méchamment à s'accumuler mais sans jamais perdre son lecteur fidèle. Non seulement, on sait parfaitement qui est qui, mais en plus on connaît leur histoire, leur personnalité nous est familière, leurs relations se sont étoffées. 

L'auteur fait preuve d'une justesse assez admirable dans la caractérisation psychologique de ses héros, avec une complexification bienvenue des rapports entre les uns et les autres. On les regarde vivre, fasciné, et véritablement happé dans un univers plus attachant que jamais et à la cohérence rarement mise en question. Et puis les situations deviennent de plus en plus dramatiques, jusqu'à ce vertigineux final dans le cimetière, moment de bravoure à la fois terrifiant, épique et émouvant. On achève alors sa lecture avec l'impression que tout est dévasté, qu'on entre dans une nouvelle ère (ce que le tome suivant confirmera bien au-delà de mes attentes).



Harry Potter et l'Ordre du phénix, 2003
Encore plus jubilatoire que le précédent. Affirmant son talent de feuilletoniste, l'auteur n'hésite vraiment pas à noircir son univers, à plonger son protagoniste dans les affres les moins reluisants de l'adolescence, avec toujours cette absence de complaisance, cette finesse dans l'observation psychologique, et ce souffle épique apte à captiver durant des centaines de pages. On est presque épuisé par l'avalanche de problèmes qu'ont à affronter les héros, la préparation des examens scolaires n'en étant pas des moindres. Potter est plus enragé que jamais, la façon dont Poudlard tourne à la société fasciste parvient formidablement à provoquer l'indignation du lecteur lui-même, et le final est encore une fois incroyablement tendu et palpitant. 

Par contre, je crois qu'il va vraiment falloir que je me fasse une raison et que j'accepte ces tunnels explicatifs qui achèvent ici encore l'ouvrage. D'une certaine manière, ça m'impressionne parce que ça prouve que Rowling a mis au point son intrigue et une foultitude de détails avec une méticulosité rare, mais en même temps ça me déçoit un peu parce que ça ne laisse plus vraiment d'ombre ou de mystère au tableau, et surtout c'est un peu lourd sur le plan littéraire. Mais à part ça, je me suis encore régalé, estomaqué par toutes ces trouvailles et l'ampleur de cette fresque.



Harry potter et le Prince de sang-mêlé, 2005
Je n'y ai malheureusement pas retrouvé l'extraordinaire atmosphère de L'Ordre du phénix, qui m'avait conquis dès les premières pages par son ton désespéré et ses paysages désolés. Ici, j'avais presque l'impression d'être revenu à l'époque du troisième tome, qui m'avait relativement moins passionné, avec des héros finalement très passifs, où la réelle menace est longuement reléguée à l'arrière-plan, ce qui fait perdre énormément de tension au récit. Rowling déballe le passé du grand méchant de façon un peu lourde, façon roman dans le roman aux articulations pas toujours heureuses. 

C'est un peu déroutant dans un premier temps, mais on y trouvera néanmoins suffisamment de contreparties pour ne pas trop s'y arrêter. Les histoires sentimentales entre les personnages se développent joliment, avec toujours ce talent d'observation dénué de miévrerie de l'auteur. Ce n'est réellement que dans les cent dernières pages, une fois que Rowling a achevé de rassembler les pièces du puzzle, qu'elle se décide enfin à mettre en branle l'action proprement dite et là ça redevient grandiose. Le souffle de l'aventure et du mystère souffle avec une force nouvelle, et ça donne lieu à des scènes absolument magnifiques et bien prenantes. On n'échappera pas à l'arrivée à l'impression d'avoir affaire à un tome de transition, sans pour autant céder réellement à l'accusation de remplissage.



Harry Potter et les Reliques de la mort, 2007
Conclure définitivement une saga aussi ambitieuse est assurément un redoutable défi. Rowling a désormais mis en place tellement d'éléments, qu'elle pourrait presque se mettre en pilotage automatique et se contenter d'observer ses personnages se dépatouiller tous seuls. D'ailleurs c'est un peu ce qui se passe. Cet ultime volet n'est pas du tout décevant, renouvelant bien les attentes justement en bousculant l'univers patiemment élaboré auparavant, offrant son lot de révélations, d'approfondissements, d'émotion et de spectaculaire. 

Sur le plan de la construction, Rowling peine néanmoins à retrouver la grâce des précédents tomes, on y retrouve un peu la même lourdeur narrative que dans Le Prince. On pourra en contrepartie apprécier ce refus d'une mécanique trop parfaite, peut-être plus réaliste, faite de temps morts et d'imprévisibilité totale. Et lorsque le rythme se réaccélère, le savoir-faire et l'efficacité désormais bien rodée de la conteuse s'imposent sans contestation. On pourra cependant légitimement et sans trop se forcer faire la fine bouche devant un épilogue totalement dénué de la moindre prise de risque qui nous abandonne sur une note qu'on aurait espéré plus marquante.


19 octobre 2016

True detective, 2014-2016

True detective, 2014-2016
Une série créée par Nic Pizzolatto
2 saisons de 8 épisodes
Avec : Matthew McConaughey, Woody Harrelson, Michelle Monaghan, Colin Farrell, Rachel Mc Adams, Vince Vaughn, Taylor Kitsch...

Ambitieuse série d'auteur HBO, particulièrement soignée, quand bien même on y retrouve tous les ingrédients d'une écriture feuilletonesqueLa construction est éclatée avec suffisamment d'intelligence et de finesse pour maintenir en éveil l'attention du spectateur, invité à reconstituer la chronologie des événements et à faire ses propres hypothèses. Et il y a ce qu'il faut de perversité dans les fins d'épisode pour faire monter la tension. Le spectacle proposé est particulièrement plombant. On plonge dans une sorte de philosophie du désespoir qui ne manque cependant pas d'autodérision à l'occasion. Sur le papier, on a affaire à un polar touffu, genre enquête à laquelle personne ne croit, menée sur plusieurs années par un duo d'inspecteurs antagonistes, plus ou moins désireux de s'acharner, relativement respectueux en cela des codes du buddy movie. Mais c'est le traitement qui va ici faire la différence. La réalisation de Cary Fukunaga, à l'œuvre sur tous les épisodes, donne d'emblée une cohérence visuelle à l'ensembleLa musique est splendide, et la photographie surnaturelle met particulièrement en valeur les nombreux plans aériens de paysages. Alternant enquête sur le terrain et scènes d'interrogatoire, le show s'offre aussi en son milieu un époustouflant morceau de bravoure, avec ce plan séquence du dernier quart d'heure de l'épisode 4, où l'harmonie parfaite entre forme et fond — jusqu'à la bande son ronronnante — crée une tension insupportable, en même temps qu'une atroce jubilation.




Ça faisait très longtemps que je n'avais pas recroisé Matthew McConaughey sur un écran et il est aussi impressionnant que méconnaissable, impliqué corps et âme dans son rôle, formidablement crédible et touchant. Par contre, les tics de jeu d'Harrelson ne se sont pas arrangés, et je n'ai jamais compris ce souci qu'il avait avec sa mâchoire. Bref, performance d'acteurs, suspense insoutenable, construction audacieuse, soin visuel, et lorsque l'action déboule, elle est percutante. Le travail est de qualité et je me suis gentiment fait cueillir. Une fois bouclée cette première saison, mon cerveau n'a cependant pas tardé à ressentir une étrange impression d'esbroufe quand même puisque, même si là n'est pas le seul intérêt, la façon dont l'enquête se résout semble étonnamment simple, alors que tout donnait plutôt l'impression d'un sac de nœuds bien ficelé, et j'en suis venu à me demander si je ne m'étais pas laissé enfumer. Ça n'empêche heureusement pas la tension d'être à son comble, et j'ai été complètement saisi durant l'éprouvant final. Par contre, l'épilogue se traîne un peu, comme si la résolution, arrivée trop tôt, conduisait à un dernier épisode contraint de meubler sans qu'on retrouve la même qualité d'écriture. Cette réserve mise à part, c'est quand même un sacré show, au ton singulier et produit de façon ultra classieuse.

La saison 2 partant sur un tout nouvel environnement avait été accueillie plutôt froidement, et j'ai hésité à me l'imposer. J'ai finalement eu bien raison de céder à ma curiosité, car c'est peu de dire que j'ai été agréablement surpris et que mon appréhension a vite laissé place au plaisir. J'ai franchement adoré ce polar sans doute plus balisé que la saison 1, mais certainement pas moins travaillé, bénéficiant d'interprétations admirables, et peut-être encore plus impressionnant par son ampleur (on y suit davantage de personnages). J'avais oublié que j'avais vu Rachel McAdams dans Midnight in Paris (film il est vrai anecdotique), et elle se montre ici terrifiante de conviction. J'ai surtout été fasciné par le jeu magnétique de Vince Vaughn. Je savais depuis The Cell qu'il avait parfaitement les épaules pour un rôle dramatique, et il m'a ici tout du long impressionné par le charisme de sa seule présence en parrain qui, reparti au bas de l'échelle va s'efforcer de capitaliser ce qu'il peut sur ce qui lui reste de réputation. Ses nombreux face-à-face ou tout semble passer par sa voix et son immobilité donnent à chaque fois lieu à de formidables moments de tension. Colin Farrell est une nouvelle fois parfait et bouleversant dans un rôle de loser qui n'a pas encore éteint sa part d'humanité. Je ne vois que Kelly Reilly qui montre ici ses limites.


Alors oui, c'est peut-être excessivement noir et désespéré, oui ça joue avec des codes de polar relativement éculés (mais pas plus que la saison 1 à y regarder de plus près), mais j'ai vraiment aimé le résultat. On a une vraie enquête bien tordue sur fond de ville corrompue jusqu'à l'os, avec des personnages touchants et complexes, qui ont accepté de se laisser envahir par l'amertume et tentent un dernier sursaut. Chacun suivra son propre chemin de croix, et cela donnera lieu à une suite de scènes aux enjeux riches et variés, et qui surtout ne seront pas dénuées d'émotion, les personnages n'ayant pas définitivement tourné le dos à certains de leurs idéaux. Cette dimension de tragédie en rien artificielle à mes yeux m'a passionné. La saison s'offre encore de formidables moments d'anthologie, entre une scène de fusillade urbaine dévastatrice et une fuite nocturne au suspense étouffant. Et j'ai également été bien séduit par la bande son, avec en particulier ces quelques parenthèses musicales sur la scène du bouge ténébreux où se donnent rendez-vous Farrell et Vaughn, petits moments en apesanteur presque surréalistes et vraiment poignants. 



14 octobre 2016

Les Films de Richard Fleischer XI. 1984-1987


Ainsi se boucle mon tour d'horizon de la filmographie du prolifique Richard Fleischer, qui aura tourné quasiment sans discontinuer pendant quarante ans, livrant quelques-uns des films les plus emblématiques du cinéma hollywoodien. Au cours de sa carrière, Fleischer a prouvé qu'il était autant un artisan faisant preuve du maximum de savoir-faire, qu'un véritable auteur s'efforçant lorsqu'on lui en laissait l'occasion de traiter chaque sujet dans toutes ses dimensions. Et il manque encore à ce panorama une quinzaine de titres que je n'ai toujours pas eu l'occasion de voir, et pas des moindres (The Narrow margin, Violent saturday ou Ten Rillington place sont par exemple auréolés d'une belle réputation)...



Conan the destroyer (Conan le destructeur), 1984
C'est donc sous la houlette du mogul Dino De Laurentiis, ici secondé de sa fille Rafaella, que va se poursuivre — et s'achever — la carrière du grand Fleischer. Après Amityville 3D, le réalisateur se voit à nouveau confier une suite. Le succès du Conan the barbarian de John Milius a logiquement engendré une multitude de clones plus ou moins heureux. De Laurentiis possède lui les droits officiels des romans de Robert E. Howard. Pour réduire les coûts, la production s'installe au Mexique où est tourné en parallèle le Dune de Lynch. Côté positif, Poledouris propose des variations sympathiques de sa monumentale partition de 1982, et on retiendra le soin accordé aux costumes, quelques décors intérieurs impressionnants, et une poignée de jolies séquences : la scène des miroirs (malgré son craignos monster à la technique de catcheur), le combat à cheval dans la clairière avec la blonde planquée derrière un rocher, ou la grande scène d'action dans la grotte sacrée. L'affrontement final contre le Dieu en mousse Dagoth créé par Carlo Rambaldi parvient même à certains moments à rappeler la féérie des films d'Harryhausen.

Intelligemment exploitée par Milius ou Cameron, l'inexpressivité de Schwarzenegger ne fait plus illusion sous la direction de Fleischer, et ce ne sont pas ses compagnons à l'utilité douteuse qui suffiront à lui donner du relief, l'inoubliable Subotaï ayant été remplacé par un indigne sidekick aux blagues poussives. D'ailleurs toutes les tentatives d'humour se révèlent aussi dispensables que laborieuses, pas aidées par un doublage médiocre, à l'exception peut-être de la scène du feu de camp avec un Conan ivre plutôt rigolo. Seul le charisme de Grace Jones suscitera un peu d'intérêt. La toute fin plagiera sans vergogne Star wars, avec la Princesse récompensant ses héros, et sera suivie par la reprise du plan du Roi Conan sur sa montagne, bien loin cependant de la puissance d'évocation que cette image possédait dans le premier volet. Bref, l'inspiration n'est plus vraiment au rendez-vous. Le monde brutal et tragique composé par Milius et Oliver Stone s'est vu ici redéfini en un inoffensif divertissement familial, où l'on cherchera en vain la patte du cinéaste transformé semble-t-il en "yes-man".




Red Sonja (Kalidor, la légende du talisman), 1985
Nouvelle exploitation opportuniste de l'œuvre de Robert Howard, juteux filon du moment. Dans mon souvenir j'estimais ce Red Sonja moins réussi que Conan the destroyer, déjà pas fameux. Or à la revoyure il m'est apparu finalement bien plus égal et satisfaisant. Le récit, plus adulte, n'est plus parasité par des tentatives d'humour puériles. Quand bien même on y trouve un gamin, celui-ci parvient à ne pas être trop crispant. Les dialogues, pour ce qu'en laisse percevoir la décidément médiocre VF, sonnent plus littéraires, donnant ainsi un peu plus de poids au monde fantastique où se déroule l'action. Le scénario basique au possible fait néanmoins peu d'efforts pour se montrer créatif, et il est certain que la séance doit être pénible pour ceux qui sont allergiques au genre. Mais personnellement j'ai réussi à passer outre, et à savourer la promenade, le film proposant une quête très premier degré pas moins valable qu'une autre.

On notera le titre français trompeur, puisqu'il met le personnage d'Arnold au premier plan alors qu'il est clairement un second rôle artificiellement gonflé pour profiter de la notoriété planétaire de l'acteur. Son manque d'implication crève l'écran, comme s'il avait pleinement conscience d'être une vache à lait embarquée dans une évidente tentative de reconduire une formule à succès. Kalidor est plus civilisé que Conan et pour cause puisqu'il s'agit d'un prince, mais il échoue à développer une personnalité un tant soit peu attachante. Le véritable protagoniste c'est donc bien Sonja la rousse, soit Brigitte Nielsenqui compose un personnage fier et endurci. Top modèle danois débauché par De Laurentiis, elle fait preuve d'une belle conviction dans son rôle de guerrière, malgré la limite vite atteinte de ses moyens. En 1979, le remake de The Jazz singer avait valu à Fleischer l'insigne honneur d'étrenner la cérémonie satirique des Razzie awards. Si par la suite tous ses films se retrouveront régulièrement nommés, Red Sonja verra carrément son actrice principale récompensée (et doublement puisqu'elle concourrait malgré elle également pour Rocky IV). 

Fleischer retrouvait ici pas mal de ses collaborateurs de Conan the destroyer (costumes, maquettes, cascades) et le résultat me semble plus abouti, alors que paradoxalement le cinéaste estimait avoir raté son film. Les paysages, italiens et non plus mexicains, sont souvent superbes avec quelques matte paintings fascinants, notamment ce gouffre qui sépare la plaine verdoyante de la terre des ténêbres. Les combats à l'épée sont plutôt bien troussés — seul celui du début dans le temple des gardiennes du talisman paraît un peu bâclé — et lors de l'affrontement final dans le magnifique palais à la décoration macabre et aux dominantes rouges de la reine maléfique, j'avais la très excitante impression de voir ressurgir des bribes du talent de celui qui nous avait offert autrefois Les Vikings. La photographie de Giuseppe Rottuno est superbement stylisée, et la très belle musique de Morricone apporte pas mal de poésie à certaines scènes. Bref, sur le plan visuel, j'ai vraiment été très agréablement séduit, et le film gagne incontestablement à être vu sur grand écran.




Million dollar mystery (Money mania), 1987
J'ignorais totalement l'existence de ce film, généralement passé sous silence par les exégèses fleischeriens. N'en attendant donc rien, j'eus l'agréable surprise de me retrouver devant une comédie délirante et très efficace. Fleischer signait ici un remake inavoué — et pourtant évident — d'Un monde fou, fou, fou de Stanley Kramer (film-culte pour moi), avec cette chasse au trésor mettant en scène une bonne vingtaine de personnages comme autant de caricatures de l'Américain moyen. Le film est en effet une satire impitoyable dans laquelle tout le monde en prend pour son grade. Même si on n'a droit qu'à un casting de seconde zone, les interprètes en rajoutent dans l'outrance et c'est encore plus jubilatoire. Les gags s'enchaînent de façon irrésistible sur un rythme fou, gags la plupart du temps burlesques avec un sens de l'absurde souvent réjouissant. On assiste ainsi avec gourmandise à un festival de cascades en voiture, supervisées par le génial Vic Armstrong, séquences hallucinantes et quasiment cartoonesques dont chaque plan respire la prise de risque.

Filmé en scope, et photographié par le vieux complice Jack Cardiff, cette folle course-poursuite nous balade à travers le Grand Canyon. Plus que jamais à l'aise avec les implications techniques d'un tel projet, Fleischer livre une mise en scène impeccable qui fourmille d'idées. Et même la musique, une espèce d'atroce rock FM millésimé eighties, a son charme. Le film n'est donc qu'une énorme bouffonnerie aux ambitions expressément commerciales, et sans doute aurait-on préféré voir le réalisateur de The New centurions finir sa carrière sur une œuvre testament plus prestigieuse. Mais si on met ces attentes de côté, ce Million dollar mystery est un spectacle absolument réjouissant.