22 février 2019

Conversations cinématographiques

De tous les ouvrages sur le cinéma (autobiographies, biographies, monographies, artbook, making of, etc.), ceux que je savoure le plus sont les livres d'entretiens où l'artiste commente ses films les uns après les autres, évoquant les personnalités croisées au cours de sa carrière, livrant des anecdotes de tournage, abordant les projets avortés et faisant son autocritique. Du séminal Hitchock/Truffaut au Joe Dante de Bill Krohn, du De Palma de Blumenfeld et Vachaud aux recueils d'entretiens menés par Michael Henry Wilson (Scorsese, Eastwood), j'aime partager ces dialogues vivants et sans complaisance puisque bénéficiant à la fois du recul des années et de la réactivité d'un intervieweur capable de rebondir sur ce qui est dit...



Michel Ciment, Kazan par Kazan, 1985
Dans cette série d'ouvrage, Michel Ciment tient une place particulière à mes yeux. Ses entretiens avec Kubrick et Boorman ont longtemps tenu pour moi une place mythique, considérant encore comme miraculeux que des cinéastes de cette trempe aient bien voulu s'exprimer sur leur art. Interviewant ici Elia Kazan, qui a alors tourné le dos au cinéma, le journaliste évoque chronologiquement la carrière et la filmographie du réalisateur d'America Amercia.

On perçoit bien la cohérence du bonhomme et il apparaît alors comme un cinéaste vraiment en marge par rapport au travail de ses confrères, dès ses débuts dans le Hollywood des années 50, pratiquant un cinéma moderne et courageux, distillant une conscience sociale dans des films pourtant produits par et pour la machine hollywoodienne. Je suis sorti de cette lecture avec l'envie de (re)voir plein de films, et c'est aussi ce que j'étais venu chercher.




Cameron Crowe, Conversations avec Billy Wilder, 1999
Le titre est plus que bien choisi puisque Cameron Crowe (Jerry Maguire, Almost famous) reconstitue le fil de ses discussions avec Wilder, nous entretenant à l'occasion des à-côtés de l'interview, de la façon dont le vénérable cinéaste accepte de se prêter au jeu. C'est complétement immersif, et le plus agréable est que Wilder conserve malgré les années une mémoire étonnamment précise de certains événements, de certaines productions. 

Si je l'ai parfois trouvé injustement sévère sur des films que j'aime beaucoup (Kiss me stupid, Avanti !), j'ai apprécié l'expression toujours vivace de son amour pour certains interprètes qui ont tourné sous sa direction (Audrey Hepburn, William Holden, Lemmon, Matthau), qu'il évoque avec une émotion qui m'a beaucoup touché. Un témoignage passionnant et précieux.





Stig Björkman, Woody Allen, entretiens, 2002
Se prêtant à l'exercice avec intelligence, Allen commente minutieusement sa foisonnante filmographie, un titre après l'autre. L'édition que j'ai lue allait jusqu'à Hollywood ending, mais je suppose que ça a eu le temps d'être augmenté depuis. C'est aussi passionnant que forcément frustrant, Björkman s'attardant parfois sur des sujets non directement liés au film en question. 

Comme toujours avec ce genre de bouquins, tout ça m'a surtout donné envie de compléter et approfondir ma connaissance de l'œuvre du cinéaste. J'en étais presque venu à perdre de vue l'excellence de sa production, noyée parmi beaucoup de films plus anecdotiques. Du même Björkman, on lira aussi avec profit un autre indispensable recueil d'entretiens qu'il avait consacré à Lars Von Trier, livrant des clés indispensables à la compréhension de l'œuvre.




Michael Ondaatje, Conversations avec Walter Murch, 2002
Discussion au long cours entre l'auteur du Patient anglais et le monteur / mixeur de Coppola, Lucas et Minghella, également signataire d'une unique réalisation, le bizarre Return to Oz. Cette fois la conversation ne prend pas la forme d'une filmographie commentée mais plutôt d'une sorte de profession de foi, même si évidemment on apprend énormément de choses sur la fabrication des divers films auxquels Murch a collaboré.

Ça parle de technique de façon brillante et passionnante, donnant quelques exemples très précis sur la façon dont il a pu aborder le montage de telle ou telle séquence mythique sur Apocalypse now ou The Talented Mr Ripley. Une manière d'encourager à revoir certains films et à mieux apprécier encore l'intelligence de leur fabrication. Et ça confirme bien évidemment le talent de cet artisan singulier, qui n'a jamais bradé son travail. Un ouvrage rare sur le sujet, dont on pourra compléter la lecture avec l'indispensable En un clin d'œil, essai pédagogique où Murch a rassemblé toute son expérience.




Alessandro De Rosa, Ennio Morricone : ma musique, ma vie, 2018
Témoignagne de première main non seulement sur la carrière, mais surtout sur l'art du compositeur. Contrairement à ce qu'indique le titre, il ne s'agit ni de mémoires, ni d'une biographie, mais bien d'un recueil d'entretien entre deux compositeurs. La discussion peut ainsi voler assez haut, et pour les musicologues ça doit être assez inespéré d'avoir accès à des développements aussi pointus sur la technique d'écriture d'un génie, avec commentaires de partitions. L'occasion pour eux de pas mal s'attarder sur ses compositions de musique dite "absolue" c'est-à-dire hors musique de film. Le livre est évidemment également riche en anecdotes, portraits et commentaires sur telle ou telle œuvre, Morricone faisant savoir quelles partitions lui sont restées chères.

Le plus touchant c'est surtout de constater que malgré la prestige auquel il est parvenu, l'artiste semble conserver une modestie et un respect pour les réalisateurs au service desquels il s'est mis, et qu'à ce jour encore il s'investit dans son art avec la même passion, le même désir d'expérimenter (il se montre particulièrement fier de ses toutes dernières compositions, notamment pour Tornatore). Et forcément, ça donne envie de réécouter avec une oreille enrichie certaines œuvres qu'on aurait trop rapidement survolé.

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