Né avec la Nouvelle vague, Jacques Demy fut bien moins prolifique que ses confrères Godard, Chabrol ou Truffaut, ne laissant derrière lui qu'une douzaine de films en trente ans, souvent péniblement montés. Cinéaste précieux, il fait ainsi partie de ces artistes qui ont réussi à imposer un univers qui n'appartient qu'à eux, dont la cohérence s'est affirmée de film en film, et qui entretient avec le spectateur une relation privilégiée, de l'ordre de l'intime. C'est cette relation que je vais tenter de partager ici...
Lola, 1960
Pour la petite histoire, c'est un soir en revenant de Nantes que j'ai découvert ce premier long-métrage du réalisateur. J'étais donc dans le mood idéal pour plonger dans l'univers poétique si particulier de Demy. On
est là devant ce que la Nouvelle vague a pu donner de meilleur (c'est une production Georges de Beauregard). De même qu'À bout de souffle ou Les 400 coups, on a face à Lola l'impression d'assister en direct à l'invention d'un nouveau langage. Les personnages parlent et agissent selon une logique légèrement autre, comme s'ils n'appartenaient pas exactement au même monde que nous.
À l'image du dilettantisme revendiqué de son protagoniste, l'intrigue semble un peu lâche mais est rendue constamment passionnante et allègre par la liberté de ton de ses dialogues, portés par des personnages à la fois parfaitement authentiques et pourtant en décalage avec le réel. J'ai vraiment adoré ce Roland Cassard (Marc Michel), antihéros prêt à tout mais bon à rien qui traîne son ennui dans le rues de Nantes et qui va tenter de s'accrocher à un amour perdu, merveilleusement incarné par la beauté — et la voix — d'Anouk Aimée. En fait, Lola magnétise son spectateur dès sa superbe et fascinante ouverture sur la 7e de Beethoven. Le frère d'armes Michel Legrand est pour sa part déjà au pupitre, livrant quelques jazz bien endiablés mais aussi un bouleversant thème principal.
Tourné en pleine rue en Franscope noir et blanc, photographié par Raoul Coutard, le film nous plonge dans le bain de la vraie vie, avec des plans qui semblent pris sur le vif, et ne donne pourtant jamais l'impression d'être filmé à l'arrachée, se montrant aussi élégant dans ses mouvements que dans ses cadrages. Metteur en scène méticuleux, Demy se révèle autant à l'aise dans les scènes d'intérieur (l'appartement de Cécile, le studio de Lola) que dans les extérieurs, et son film est aussi une irrésistible déclaration d'amour à Nantes. Je ne me lasse pas de refaire le voyage, dont je ressors le cœur brisé, mais bien vivant.
À l'image du dilettantisme revendiqué de son protagoniste, l'intrigue semble un peu lâche mais est rendue constamment passionnante et allègre par la liberté de ton de ses dialogues, portés par des personnages à la fois parfaitement authentiques et pourtant en décalage avec le réel. J'ai vraiment adoré ce Roland Cassard (Marc Michel), antihéros prêt à tout mais bon à rien qui traîne son ennui dans le rues de Nantes et qui va tenter de s'accrocher à un amour perdu, merveilleusement incarné par la beauté — et la voix — d'Anouk Aimée. En fait, Lola magnétise son spectateur dès sa superbe et fascinante ouverture sur la 7e de Beethoven. Le frère d'armes Michel Legrand est pour sa part déjà au pupitre, livrant quelques jazz bien endiablés mais aussi un bouleversant thème principal.
Tourné en pleine rue en Franscope noir et blanc, photographié par Raoul Coutard, le film nous plonge dans le bain de la vraie vie, avec des plans qui semblent pris sur le vif, et ne donne pourtant jamais l'impression d'être filmé à l'arrachée, se montrant aussi élégant dans ses mouvements que dans ses cadrages. Metteur en scène méticuleux, Demy se révèle autant à l'aise dans les scènes d'intérieur (l'appartement de Cécile, le studio de Lola) que dans les extérieurs, et son film est aussi une irrésistible déclaration d'amour à Nantes. Je ne me lasse pas de refaire le voyage, dont je ressors le cœur brisé, mais bien vivant.
Les Parapluies de Cherbourg, 1964
L'univers de Demy me touche par sa façon paradoxalement enjouée de raconter des histoires d'amour profondément tristes. Un peu comme Rozier sur Adieu Philippine, il place ici en toile de fond un sujet assez brûlant à l'époque de sa réalisation, la guerre d'Algérie, tout en donnant l'impression de ne pas y toucher. Comme si le fait de laisser l'événement à l'arrière-plan le rendait inoffensif. Pourtant c'est bien de séquelles et de blessures inconsolables qu'il est ici question, et, sans rien dissimuler, la fable de Demy vise l'universalité. Le sentiment amoureux est mis à l'épreuve de la guerre, et c'est bien évidemment le thème musical principal du film, d'un lyrisme absolument déchirant, qui en contient toute la charge émotionnelle. Quand Legrand déchaîne ses violons au milieu et à la fin du récit, chez moi les vannes s'ouvrent. En vérité, rien que le superbe générique, seule véritable chorégraphie du film, me colle des frissons.
Ce qui me régale ici, c'est à la fois le côté mélo ultime à fendre les cœurs de pierre, et la volonté quasi démiurgique du metteur en scène de fabriquer son monde de toutes pièces. Cherbourg apparaît comme un espace clos dont on revisite les lieux, places, rues, chambres, qui se colorent d'une émotion différente avec le temps. La ville devient le foyer des amants, à l'intérieur duquel leur amour va tragiquement se consumer. Demy est ici parvenu à imposer sa vision, sans céder aux compromis, et cela tient presque du miracle qu'il ait réussi à ce point un pari aussi risqué, obtenant succès public et Palme d'or (la reproduction de la même formule n'atteindra pas toujours la même grâce dans les années 80). Chaque élément de décor, chaque centimètre carré de l'écran, viennent participer à sa création. On retrouve d'ailleurs ici le Roland Cassard abandonné à la fin de Lola, ayant enfin fait fortune dans le trafic de diamant, et par conséquent cessé d'être un personnage touchant. Sa présence n'a cependant rien d'un clin d'œil, elle est justement l'affirmation de cette continuité d'un même univers artistique et mental.
Film entièrement « en chanté », le projet sans équivalent de Demy et Legrand est aussi de réinventer la comédie musicale, d'en assumer les références hollywoodiennes tout en la modernisant. Cela va notamment passer par la trivialité assumée des paroles, comme lorsque des pompistes échangent entre eux dans les vestiaires d'une station service. L'effet est d'autant plus saisissant qu'il s'agit justement des toutes premières phrases que fait entendre le film. Quant aux chorégraphies, elles existent d'une certaine manière puisque chaque déplacement d'acteur et de caméra est forcément rigoureusement minuté et calibré pour coller exactement à la partition. C'est un travail qui est peut-être discret à l'écran mais qui, quand on y pense, ne peut qu'impressionner. Les Parapluies de Cherbourg représente une date capitale dans l'Histoire du cinéma français, puisqu'à partir de là, le moindre cinéaste qui voudra tourner une comédie musicale se verra inscrit d'office dans cette incontournable filiation (de Ducastel & Martineau à Christophe Honoré).
2 commentaires:
Lola, Les Parapluies, Les Demoiselles (pas vu La Baie des Anges) : quelle entrée en la matière pour Demy ! J'aime beaucoup également.
Pas vu non plus la Baie des anges dont je ne connais que la musique de Legrand, ici encore sublime. Le film étant encore dans la période de grâce de Demy, j'ai plutôt confiance.
E.
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