À l'origine : Patricia
Highsmith, The Talented Mr. Ripley (Mr. Ripley en français). Thriller réellement brillant, prenant et d'autant plus réussi que la
romancière nous invite à épouser la subjectivité de son antihéros, à trembler
pour un personnage qui n'a franchement rien de sympathique, imposteur, fourbe
et meurtrier, jusqu'à en avoir des sueurs froides. Comme le dit bien le 4e de
couverture : « Highsmith pousse jusqu'aux limites du soutenable l'étude
envoûtante d'un cas de schizophrénie meurtrière. » Le cinéma s'était très
tôt intéressé à elle (Strangers on a train/L'Inconnu du Nord-express, Hitchcock,
1951), et ce roman en particulier a donné lieu à deux adaptations que j'adore
tout autant sans que l'une vienne faire de l'ombre à l'autre, réalisées à 40 ans d'intervalle.
[ATTENTION
: les lignes qui suivent contiennent quelques révélations qui pourraient gâcher le suspense à ceux qui n'auraient pas vu les films ou lu le livre.]
Plein soleil,
René Clément, 1960
Avec Alain Delon, Maurice Ronet, Marie Laforêt...
La ressemblance entre Delon et Ronet rend déjà le principe de
substitution crédible. Leurs nombreux faces à faces sont vraiment excellemment écrits et
amusants, en particulier celui sur le bateau où ils discutent justement de la
possibilité de l'imposture, sans qu'on sache qui joue, qui est sincère (la
discussion prend place autour d'une partie de cartes). Clément cosigne
l'adaptation avec Paul Gégauff, scénariste dont la collaboration
soutenue avec Chabrol a montré qu'il s'y connassait en matière de
perversité. Les modifications par rapport au roman sont assez importantes mais
on n'ira pas jusqu'à parler de trahison. Le meurtre a ainsi lieu à coups de couteau
sur le voilier de Dickie (rebaptisé ici Philippe), et non plus à coups de rames
sur une barque de location. Et plus tard, en abandonnant son identité
d'emprunt, Ripley se débarrassera de l'argent détourné en faisant croire que
Philippe le lègue à Marge. Il entreprendra alors la séduction de cette dernière
pour récupérer le magot en toute légalité. Il aura ainsi volé jusqu'au moindre
bien de Philippe, de ses chaussures à sa promise, alors que le Tom Ripley du
bouquin méprise Marge et n'est absolument pas intéressé par sa conquête. Dans
ce rôle, Marie Laforêt est un peu irritante mais s'en sort quand même
bien. Delon, de tous les plans, est tout simplement éblouissant. Le concept de
charme vénéneux aura rarement trouvé plus belle incarnation. Notons l'agréable
et prémonitoire apparition de Romy Schneider dans un rôle de figuration
au tout début du film.
Le suspense fonctionne bien, notamment dans la scène où
Ripley fuit la police par les toits. L'utilisation des décors naturels
d'Italie, l'impression de filmage en pleine rue, à la volée, créent une
esthétique un peu Nouvelle vague qui favorise l'immersion du spectateur. Clément trouve de belles idées pour
représenter les meurtres en hors champ (ainsi celui de Freddie, qui s'écroule
sur des images de poulet et de tomates roulant au sol). Une scène est
particulièrement remarquable : Ripley se promène peu de temps après le meurtre
de Philippe dans un marché et semble fasciné par les poissons sur les étals. En
fond musical, Nino Rota tisse une étrange partition avec un piano qui
semble désaccordé. Toute la séquence donne le tournis, reflétant la culpabilité
et le désordre mental qui agitent alors le protagoniste.
La fin est carrément géniale, et se détache elle aussi complètement du bouquin. On devine que Clément a voulu faire en sorte que la morale soit sauve et que le crime ne demeure pas impuni. Il amorce une conclusion faussement détendue, laissant croire au spectateur que Ripley a réussi. Et c'est un incroyable choc que de voir ressurgir le cadavre de Philippe. Le dernier plan — Ripley au soleil marchant totalement apaisé vers son arrestation — fait partie de ces fins que je qualifie de cosmique. Et l'on quitte alors le film sur une note sublime.
La fin est carrément géniale, et se détache elle aussi complètement du bouquin. On devine que Clément a voulu faire en sorte que la morale soit sauve et que le crime ne demeure pas impuni. Il amorce une conclusion faussement détendue, laissant croire au spectateur que Ripley a réussi. Et c'est un incroyable choc que de voir ressurgir le cadavre de Philippe. Le dernier plan — Ripley au soleil marchant totalement apaisé vers son arrestation — fait partie de ces fins que je qualifie de cosmique. Et l'on quitte alors le film sur une note sublime.
The Talented Mr. Ripley (Le
Talentueux Mr. Ripley), Anthony
Minghella, 1999
Avec Matt Damon, Jude Law, Gwyneth Paltrow, Cate Blanchett, Jack Davenport,
Philip Seymour Hoffman, Philip Baker Hall...
Dans le rôle-titre, Matt Damon se révèle un parfait Monsieur Ripley et
livre certainement une de ses plus mémorables performances. Il joue
assez audacieusement de son physique mal dégrossi, de son visage sans finesse,
de sa carrure sans grâce. Car le Tom Ripley de Patricia Highsmith est à la base
un être insignifiant, qui éprouve régulièrement la honte de lui-même. Envieux
de l'aisance de Dickie, il est également conscient des défauts qui le rendent
insupportable. Aussi il entreprendra le moment venu de recomposer un nouveau
Dickie, d'améliorer l'ancien. Signant lui-même l'adaptation, Minghella
illustre brillamment cet aspect du roman, apportant par ses dialogues ou par sa
mise en scène de nouvelles idées qui viennent intelligemment caractériser les
personnages. Son Ripley est une figure profondément pathétique, obsédé par le
désir de recommencer à zéro, de tout effacer, à commencer par lui-même. Il nous
est présenté dès le début comme ayant une tendance presque naturelle au
mensonge et à l'imposture. Jude Law parvient aussi bien que Maurice
Ronet à composer un Dickie tantôt séduisant par son enthousiasme, tantôt vrai
salaud d'égoïste. La nature ambiguë des rapports entre les deux hommes est
exprimée de façon plus que troublante. Paltrow apporte beaucoup au
personnage difficile de Marge, au départ chaleureuse et accueillante (alors que
dans le bouquin elle se méfie très vite de Tom), puis horrifiée et seule à
saisir la vérité.
Minghella ajoute encore d'importants rôles secondaires qui
donneront ainsi plus d'opportunité au protagoniste d'exprimer ses affres, de
révéler l'horreur de son crime et l'impasse dans laquelle son petit jeu l'a
fait plonger. L'impeccable James Rebhorn est très bon dans le rôle du père Greenleaf. Et le regretté Philip Seymour Hoffman est comme toujours parfait dans le rôle du copain Freddie (l'acteur sera également au générique du Minghella suivant avec Jude Law : le très beau Cold mountain). Les dernières scènes avec Jack Davenport sur le bateau
pour Athènes sont à ce titre magnifiques et bouleversantes de douleur. Le final
est sans doute moins spectaculaire que dans la version Clément, mais n'en est
pas moins puissant. Minghella pousse à fond l'exploration du tourment du
personnage et nous abandonne avec un héros déchiré. C'est une conclusion
extrêmement sombre, d'autant plus qu'elle ne résout rien, tandis que chez Clément, Delon
se faisait arrêter, scellant la fin de son aventure. On a également droit à de très
chouettes séquences de pur suspense où Ripley doit jongler entre ses deux
identités (à l'Opéra notamment). Et le spectateur se surprend à faire corps
avec l'imposteur, à espérer le voir échapper à la police.
Visuellement, le film est une splendeur, un spectacle d'une richesse infinie qui supporte plusieurs visionnages. Le montage de Walter Murch est une leçon de maître. Chaque plan, chaque raccord est soigneusement pensé, le tout étant encore embelli par des mouvements de caméra d'une grande élégance. Minghella donne peut-être encore plus d'importance que Clément aux décors naturels, qu'il s'agisse du village portuaire de Mongibello, de Naples, Rome ou Venise. Il s'efforce souvent de situer ses scènes dans des lieux connus (Panthéon, Piazza di Spagna, Fontaine des 4 fleuves, Forum), au risque de tomber dans le cliché carte postale, d'autant plus que la lumière est très travaillée. Mais le roman est précisément plein de l'émerveillement pour les beautés de ce pays. Il est donc assez justifié de nous amener à le partager.
Enfin, la partition de Gabriel Yared n'est pas pour rien dans l'attachement que j'éprouve pour ce film. Qu'il s'agisse des différents arrangements du thème principal — que Yared reprendra bizarrement à la note près sur le Bon voyage de Rappeneau — ou de la chanson écrite pour Sinead O'Connor qui ouvre le film, la musique est tout simplement somptueuse et en parfaite harmonie avec le récit. Art de l'improvisation, le jazz envahit régulièrement la bande son, à la fois pour renforcer la couleur d'époque et pour signifier les prouesses d'inventivité dont Ripley doit sans cesse faire preuve pour se tirer des situations dans lesquelles il s'est lui-même plongé. À sa sortie, le film est passé relativement inaperçu, considéré au mieux comme un remake sans intérêt du film de Clément. Pour moi, c'est une éblouissante réussite.
Visuellement, le film est une splendeur, un spectacle d'une richesse infinie qui supporte plusieurs visionnages. Le montage de Walter Murch est une leçon de maître. Chaque plan, chaque raccord est soigneusement pensé, le tout étant encore embelli par des mouvements de caméra d'une grande élégance. Minghella donne peut-être encore plus d'importance que Clément aux décors naturels, qu'il s'agisse du village portuaire de Mongibello, de Naples, Rome ou Venise. Il s'efforce souvent de situer ses scènes dans des lieux connus (Panthéon, Piazza di Spagna, Fontaine des 4 fleuves, Forum), au risque de tomber dans le cliché carte postale, d'autant plus que la lumière est très travaillée. Mais le roman est précisément plein de l'émerveillement pour les beautés de ce pays. Il est donc assez justifié de nous amener à le partager.
Enfin, la partition de Gabriel Yared n'est pas pour rien dans l'attachement que j'éprouve pour ce film. Qu'il s'agisse des différents arrangements du thème principal — que Yared reprendra bizarrement à la note près sur le Bon voyage de Rappeneau — ou de la chanson écrite pour Sinead O'Connor qui ouvre le film, la musique est tout simplement somptueuse et en parfaite harmonie avec le récit. Art de l'improvisation, le jazz envahit régulièrement la bande son, à la fois pour renforcer la couleur d'époque et pour signifier les prouesses d'inventivité dont Ripley doit sans cesse faire preuve pour se tirer des situations dans lesquelles il s'est lui-même plongé. À sa sortie, le film est passé relativement inaperçu, considéré au mieux comme un remake sans intérêt du film de Clément. Pour moi, c'est une éblouissante réussite.
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