27 mars 2019

Kings of Hong Kong V. 1995

A chinese odyssey (Le Roi-singe), Jeff Lau, 1995
J'ai beaucoup d'affection pour ce film sorti en deux parties, qui peut s'apprécier rétrospectivement comme un témoignage esthétique sur la façon de faire des films à Hong Kong à cette époque. Énième transposition de l'incontournable roman chinois Voyage vers l'occident, A chinese odyssey s'appuie sur la tradition pour déraper vers un récit totalement délirant, riche de personnages comme de situations, et mené d'une main de maître sur un rythme déchaîné. Au menu : magie, mythologie, légendes, prophétie et très jolis combats tournoyants signés Ching Siu-Tung. Peu de décors au final, mais grâce au jeu sur les couleurs et aux rebondissements échevelés à base de paradoxes spatio-temporels, on ne s’ennuie pas une seconde. Lorsque la première partie s’achève, on n’a ainsi qu’une envie, enchaîner avec la suite. Les gags — souvent en mode en-dessous de la ceinture — pleuvent avec une efficacité réjouissante et un sens du burlesque digne de Tex Avery. L'intrigue se complique dans la seconde partie, avec de nouveaux personnages et des échanges de corps qui tournent au vaudeville. On s'y perd mais l'inventivité permanente nous emporte, culminant dans un incroyable affrontement final.

Contrairement à ce qu’aurait pu faire craindre le registre comique sans freins, les acteurs sont vraiment bien dirigés, et l'énergie de Stephen Chow est intelligemment secondée par celle de son complice Ng Man-Tat. La seconde partie se démarque particulièrement par l’irruption au sein de la bouffonnerie d’une gravité inattendue, avec une histoire d'amour torturée qui se marie étonnamment à l’ensemble. Les rôles féminins sont à ce titre particulièrement réussis, beaux et dignes (les actrices sont sublimes). Le personnage de Chow lui-même gagne en maturité et, constamment dépassé par les événements, affiche progressivement une lassitude qui finit par le rendre touchant. Ajoutons à ça une très belle musique de Lowell Lo et une conclusion magnifique qui font que je garde du film plutôt le souvenir d'un spectacle émouvant, alors qu'il a toutes les apparences de la grosse farce. Stephen Chow reinvestira le personnage du Roi singe et son univers 20 ans plus tard avec un nouveau diptyque — le second coréalisé par Tsui Hark — phénoménal carton au box-office hongkongais.





The Chinese feast (Le Festin chinois), Tsui Hark, 1995
Je reconnais que le premier tiers du film est rude et pourrait décourager les spectateurs les plus aguerris. Accordant à sa narration ce rythme furieux qui va caractériser tous ses films de cette période, Tsui Hark verse à fond dans l'humour pesant et les gags au burlesque appuyé, laissant ses comédiens en totale roue libre. L'intrigue fuit de toutes parts, avec des personnages à peine introduits, dont on ne saisit pas bien les intentions, certains d'ailleurs bientôt laissés de côté.

Et puis, progressivement, le récit trouve sa direction, se résumant finalement à une compétition culinaire opposant un gros méchant prêt à tout à une bande de bras cassés forcément incapables, qui va devoir ressortir un vieux maître de sa tanière. La bonne humeur et la folie des situations trouvent alors un équilibre inespéré. Leslie Cheung et la craquante Anita Yuen forment un couple réussi, et on se régale des scènes d'entraînement et des folles chorégraphies que Yuen Bun adapte à la cuisine, créant ce qu'on pourrait appeler le genre kung food (que Stephen Chow prolongera dès l'année suivante avec son God of cookery à l'esprit similaire). Le clin d'œil final où toute l'équipe du film apparaît à l'image pour saluer le spectateur ajoute encore à la sympathie que dégage cette entreprise.




Love in the time of twilight (Dans la nuit des temps), Tsui Hark, 1995
Voilà une bien étrange comédie fantastique aux accents romantiques. Loin de renouer avec l'esprit des Histoires de fantômes chinois, Tsui Hark opte certes pour un film en costume mais ancré dans une époque plus récente, celle de l'arrivée de l'électricité. Rythme ébouriffant, sensation de danger constant, quiproquos permanents, et un peu d'émotion pour apporter ce qu'il faut de profondeur, telle est la recette de cet objet inclassable. Par un phénomène qui sera laborieusement expliqué par l'un des personnages, les héros se retrouvent à voyager dans le passé pour sauver l'un d'eux d'une mort injuste. Plus qu'à Back to the future, Dans la nuit des temps donne plutôt l'impression de rejouer la partition du Roi singe de Jeff Lau, avec cette course en boucle contre la montre, où les personnages se retrouvent à croiser leur Moi du passé. Ici également, il sera difficile de modifier le cours du temps. Le film s'ouvre sur une scène d'opéra chinois qui insiste sur l'importance de l'amour sincère, et à force de lutter contre un destin funeste, le couple de héros parviendra même à défier les oracles qui lui prédisaient une totale incompatibilité de sentiments. Dans les rôles principaux, Tsui Hark réunit Nicky Wu et Charlie Young, son couple de The Loverset leur alchimie intacte fait vraiment l'essentiel de l'intérêt du film, bien que leurs personnages soient relativement inexistants.

Cette veine romantique est tout de même bien mise à mal par un climax aussi laid que lassant, épuisant combat face à un double personnage de méchant qui sera victime de son cabotinage éhonté. Toujours prêt à prendre le train du progrès en marche, même avec un billet de seconde classe, le réalisateur recourt à une poignée de trucages numériques, avec sans doute l'ambition de recréer les effets révolutionnaires de The Mask... pour un résultat qui devait déjà être embarrassant à l'époque. Et pourtant, là encore malgré toutes ces fautes de goût, cette vision très infantile des relations amoureuses et cette lourdeur dans la caractérisation, le film suscite un irrépressible charme.




The Blade, Tsui Hark, 1995 
Alors que la rétrocession de la colonie est imminente, le réalisateur-producteur Hark affiche une boulimie de tournage presque inquiétante, avec des films copieux. Hallucinant de constater qu'avant que cette année 1995 ne s'achève, il aura encore le temps de mettre en boîte son chef-d'œuvre, The Blade, pur morceau de cinéma sauvage, limite traumatisant

Je renvoie à ma chronique précédemment publiée ici...














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