21 juin 2018

Le Cinéma musical de Brian De Palma I. 1964-1976

Brian De Palma est issu de la fabuleuse génération des barbus du Nouvel Hollywood, celle des Spielberg, Scorsese, Lucas et Coppola, cinéastes cinéphiles qui ébranlèrent le studio system hollywoodien et affirmèrent leur indépendance au cœur des années 70. Comme la plupart d'entre eux, De Palma a construit de film en film une œuvre passionnante de cohérence, enrichissant ses influences européennes au cinéma virtuose d'Hitchcock. Chez lui, la forme épouse le fond au plus près, quitte à parfois faire preuve de complaisance.

À travers la rétrospective que j'entame ici, je tenais à souligner en particulier la qualité constante et remarquable de ses bandes originales. Toujours en quête de morceaux de bravoure, témoignant d'une maîtrise totale du langage cinématographique, sa mise en scène possède une vraie musicalité. De Palma se montre très attentif au choix de ses compositeurs. Ils ne sont pas si nombreux ceux qui peuvent ainsi afficher à leur palmarès des noms aussi prestigieux que Bernard Herrmann, Pino Donaggio, Ennio Morricone, John Williams, Ryuichi Sakamoto, Danny Elfman ou Patrick Doyle. Et pour un résultat qui n'a jamais été anecdotique, au contraire, puisqu'à mes oreilles ça a à chaque fois donné lieu à ce que je considère comme faisant partie de leurs plus belles réussites.




Greetings, 1968
Tournant en totale indépendance pour des circuits undergrounds, De Palma profite de la permissivité nouvelle de cette fin sixties et livre ici ce qu'on peut considérer comme un film de potes, retrouvant Robert De Niro qu'il avait fait débuter sur The Wedding party. Assumant une écriture décousue, Greetings a un petit côté film à sketches, potache et un peu brouillon, mais avec des moments vraiment rigolos. L'ensemble est assez rafraîchissant par l'irrévérence qu'il s'autorise, tant dans le ton que dans la forme. De Palma capte en effet caméra au poing les préoccupations de le jeunesse de cette époque, pas encore punk, mais toujours hippie. Et il y est question autant de sexe que de politique.

L'occasion pour le cinéaste d'exprimer déjà ses grandes obsessions sur le regard — le voyeurisme — et le sens des images — la manipulation — dans cette Amérique qui triche et dont le gouvernement envoie ses enfants faire une guerre injuste. En toute logique, la bande son se la joue psychédélique mettant à l'honneur les chansons d'un groupe de l'époque, Bear :





Phantom of the paradise, 1974
Un film fou, très osé et plus que réussi dans son audacieux mélange d'influences et de références qui fonctionnent parfaitement ensemble. Loin de se résumer à la rencontre du Fantôme de l'opéra avec le mythe de Faust, la comédie musicale propulse également dans son shaker Frankenstein, le cinéma expressionniste allemand de Caligari à Mabuse, la douche de Psychose, Pygmalion ou encore La Belle et la Bête. En plus d'un récit plein à craquer d'idées jubilatoires, le film est visuellement superbe et enchaîne les tours de force, inventant même un mémorable plan-séquence en split-screen.

C'est toujours délicat quand une comédie musicale met en scène un compositeur que les personnages du film jugent génial. Il faut en effet que le spectateur partage ce sentiment pour que l'histoire fonctionne. Ici c'est le cas, et question paroles et musique Paul Williams crée rien de moins qu'un chef-d'œuvre, suite de chansons aux orchestrations ébouissantes, pastiches virtuoses de la musique d'alors (mauvais goût inclus), qui assurent le show tout en demeurant au service du scénario. Et l'on alterne ainsi entre pop bubble gum, glam décadent, métal brutal et ballades frissonnantesInexplicablement, ce sommet semble être resté sans trop de postérité. À part se faire grimer en singe dans le plus mauvais épisode de La Planète des singes ou avoir son rond de serviettes chez les Muppets, Paul Williams n'a pas vraiment laissé d'œuvre à la hauteur. Mais rien que pour ça, respect éternel néanmoins :








Obsession, 1976
Les précédents films visaient un public jeune. Cette fois De Palma passe la vitesse supérieure : tournage avec des acteurs de prestige, production de gros studio, scénario de Paul Schrader alors en pleine hype, pour un thriller pleinement adulte jouant de la référence classieuse au Vertigo d'Hitchcock, auquel De Palma ne cessera de payer tribut. J'aime beaucoup tout le discours à l'œuvre ici sur la restauration des œuvres du passé. La ballade dans Florence et le travail sur la fresque de l'église font littéralement corps avec le récit lui-même, De Palma proposant en quelque sorte une restauration de Vertigo. Que doit-on conserver ? Que doit-on refaire, avec quelle part d'interprétation ? 

Le cinéaste étant toujours soucieux de la qualité visuelle de ses films, il a su faire en sorte que ses collaborateurs se dépassent en sa compagnie. Progressivement, il s'est entouré d'une équipe de fidèles qu'il sait judicieusement utiliser parce qu'il connaît leur travail. C'est le cas pour la musique, comme je le développe dans ces lignes, mais aussi de la photographie. Obsession signe le début de sa fructueuse association avec le grand Vilmos Zsigmond, qui trouve ici avec Florence et cette histoire de fantasme un écrin idéal pour sculpter ses images.

Ce n'est pas un film immédiatement séduisant, sans doute alourdi par une intrigue abusivement tortueuse, l'interprétation épaisse de Cliff Robertson et des rebondissements frôlant le grotesque. C'est cependant une œuvre touchante par son premier degré, exempte du cynisme cultivé habituellement par De Palma, et qui se revoit très bien, s'achevant en un mélodrame flamboyant sur un travelling tournoyant incroyablement perturbant. Enfin, le réalisateur peut s'estimer chanceux d'avoir pu, après Sisters, bénéficier une seconde fois du talent de Bernard Herrmann, qui devait vraiment avoir le sentiment de travailler pour le fils spirituel de maître Hitch :

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