26 février 2019

Deux films de Denys Arcand

Le Déclin de l'empire américain, 1986 
Un dispositif rigoureux en trois actes (femmes et hommes entre eux / le dîner / l'après-dîner), formidablement nourris par des dialogues en verve et la justesse collective de l'interprétation. Mention spéciale à la fraîcheur du personnage de Louise (Dorothée Berryman). Le regard porté par Arcand sur les acteurs de son petit théâtre est assez cruel, entre hypocrisie assumée et aveuglement conscient, avec une mise en rapport très intelligente et fine entre l'Histoire et la société de cette époque, au cœur des années 80. 

La forme est également très soignée, la mise en scène se montrant même souvent virtuose dans sa façon de chorégraphier les discussions. Le montage est parfaitement maîtrisé, avec de réguliers inserts de flashbacks toujours pertinents, et des plans de paysages dont la présence tranquille contraste gentiment avec la nature finalement peu généreuse des personnages. Les scènes s'enchaînent ainsi sans jamais montrer de baisse d'inspiration, au contraire même (la séance de massage). Tout ça aurait pu tourner au jeu de massacre épuisant, laissant à distance le spectateur, sauf qu'Arcand fait preuve d'une vraie tendresse pour ses personnages, malgré tout. Il y a en effet de l'humour et beaucoup de chaleur dans le portrait de ces amitiés, tout comme on ressent une profonde tristesse et amertume dans la conscience qu'ils ont de leurs relations. Le Déclin de l'empire américain c'est donc autant un film de dialogues qu'un film d'acteurs, pour un résultat qui n'est ni austère ni théâtral. Une réussite impressionnante.




Les Invasions barbares, 2003 
On reprend les mêmes et on recommence, presque 20 ans plus tard. Le réalisateur bascule cette fois au format scope, le récit s'aère davantage par rapport au premier opus. On peut certes découvrir l'un sans l'autre, mais les retrouvailles apparaîtront forcément plus touchantes à ceux qui ont déjà rencontré les personnages. Inattendu dans un rôle grave, Stéphane Rousseau convainc sans peine, tandis que Marie-Josée Croze illumine le film dès qu'elle apparaît, ce qui lui vaudra un mérité prix d'interprétation à Cannes. Arcand enfonce le clou avec peut-être un peu plus de lourdeur dans le symbolisme, mais cela participe bien de cette atmosphère de déliquescence généralisée qu'il souhaite imposer, à l'image de cette belle scène de la visite du bric-à-brac sans valeur du clergé.

Et derrière la désillusion plus présente que jamais, l'émotion s'installe progressivement, bloquant parfois dans leur élan les quelques envies de rire qui pourraient encore nous rester. C'est l'heure du bilan, et on sait qu'il y a des choses qu'on ne rattrapera plus. Le sentiment d'avoir raté quelque chose — sa vie, par exemple — peut être partagé par tous, le film devenant alors poignant. Comme lorsque je l'avais vu en salle, je suis à chaque fois gagné par les larmes sur la fin. Comment en effet rester insensible devant un film qui s'achève sur L'Amitié de Françoise Hardy, une chanson qui m'est chère et qui s'avère être la parfaite conclusion de ce formidable diptyque ?

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