24 juillet 2018

Le Cinéma de P.T. Anderson IV. 2014-2018

Inherent vice, 2014
Joaquin Phoenix m'énerve à force de se montrer aussi constant dans le génie, tout en proposant à chaque fois une composition différente. Drôle mais sans jouer la bouffonnerie, donc foncièrement touchant, son personnage incarne ici plus que jamais l'âme du film, tout le récit donnant l'impression de se passer dans sa tête. En effet, pratiquement tous les éléments de son enquête (noms de personnages, de lieux) semblent lui être fournis par le hasard des rencontres : à moins d'avoir raté un truc, les personnages de Tariq et Hope prennent eux-même l'initiative de le contacter, et comme par hasard leur problème s'avère être une pièce du puzzle sur lequel il enquête. Et même quand Sashta vient lui parler de Wolfmann, il avait lu son nom dans le journal. Ajoutons à ça, la sensation étrange que la chronologie des faits ne semble pas toujours rigoureusement agencée, et on finit par se dire que le film pousse à interroger constamment les apparences, et donc à précisément favoriser l'identification avec ce personnage de privé défoncé qui assume par conséquent pleinement le risque de paranoïa et d'hallucination. Mais même sous influence, et même s'il passe par des moments douloureux, le héros s'avère redoutablement compétent, et c'est assez touchant de le voir réagir et redéfinir ses priorités en fonction de ses découvertes et de son sens réel de la justice.

On serait donc là face à un genre de The Big Lebowski lynchien (la présence de Benicio Del Toro qui revient faire l'avocat zarbi, renvoyant également à l'univers de Las Vegas parano). On est dans cette Amérique de Nixoncelle dépeinte par Philip K. Dick dans ses romans des 70's, où les flics et les feds traquent les hippies drogués de Californie. En fait, je n'ai sans doute pas compris grand chose au film, mais me suis laissé porter par son atmosphère. La musique est cool et il y a du beau monde (coucou Martin Short !). Au-delà de tout ça, ce que j'ai adoré c'est d'assister à l'évolution du cinéma d'Anderson, ce film semblant finalement proposer une nouvelle direction après l'hermétisme glaçant de The Master, qui faisait lui-même suite à la rigueur implacable de There will be blood, qui lui-même faisait suite à la recherche d'une narration anticonventionnelle de Punch-drunk love. Et j'aime qu'Anderson ne soit désormais plus un cinéaste rare, et qu'il puisse tourner pratiquement un nouveau film tous les deux ans. 

Ici, donc, la mise en scène apparaît moins léchée, caméra souvent portée, près des visages. Mais ça reste d'une constante fluidité alors que le récit se déroule de façon totalement imprévisible (décidément un mot-clé dans l'œuvre du cinéaste), tant par son rythme que par son sujet. Ce n'est donc pas une rupture, ni une progression, c'est juste que ça vit. De même pour Jonny Greenwood qui a mis de l'eau dans son vin. J'aime bien les cinéastes qui refont toujours le même film, dont l'univers formel rassure, mais c'est aussi passionnant de suivre ceux qui se réinventent, même si ça ne touche pas toujours.




Daydreaming, 2016
Un clip puissant et plein de mystère réalisé pour Radiohead, issu de leur dernier album à ce jour, A moon shaped pool :





Phantom thread, 2018
Avec : Daniel Day-Lewis, Lesley Manville, Vicky Krieps, Brian Gleeson, Gina McKee.
Chronique du film prochainement...


















DOSSIER PT ANDERSON :

19 juillet 2018

George R.R. Martin, A song of ice and fire, 1996-...


I. A game of thrones, 1996
Pour démarrer, j'ai préféré l'édition surdécoupée par J'ai Lu / Pygmalion, plus facilement transportable que les monstrueuses intégrales. Ces deux tomes correspondent donc au 1er volet de ce cycle qu'on nommait encore il y a peu Le Trône de fer. Je ne suis personnellement pas grand amateur de littérature fantasy, mais la série d'HBO a suffisamment nourri ma curiosité pour que je me décide à aller à la source. Et ça ne me gène pas si l'intrigue m'est déjà pour une bonne part connue. Mon envie étant précisément de replonger et reparcourir ces terres désormais familières, d'assister aux conflits vécus par cette incroyable foule de personnages tous formidablement campés. Et la satisfaction fut au rendez-vous.

Quand bien même la traduction de Jean Sola serait contestée par les experts, car jugée trop précieuse, la séduction du roman vient en grande partie de son style, aussi précis que fluide. Qu'il s'agisse de décrire des lieux rendus étonnamment crédibles ou les tourments intérieurs de personnages aussi complexes qu'attachants, mais aussi de mettre en scène des dialogues vifs, spirituels ou émouvants, George R.R. Martin fait preuve d'un talent de conteur d'une redoutable efficacité qui fait de son bouquin un extraordinaire page-turnerLa construction qui alterne entre différents points de vue pourrait paraître lourde. Elle nourrit en réalité l'envie d'avancer, Martin mettant à profit toute son expérience de scénariste de feuilleton télévisé.

C'est aussi l'occasion de constater à quel point les auteurs de la série ont fait preuve d'une fidélité admirable, et même rare. La saison 1 est en effet parvenue, sans raccourcis et encore moins de trahison, non seulement à capturer l'essence du récit, mais pratiquement à restituer l'ensemble de ses péripéties, sans jamais donner l'impression d'un manque de moyens (travail sur les décors et costumes plein de zèle). L'occasion aussi de reconnaître la réussite du casting, puisqu'il est évidemment impossible pour le lecteur qui comme moi fait le même chemin de la série vers le livre, de ne pas avoir en tête les visages des acteurs, et ça colle merveilleusement. Bref, je me régale.


II. A clash of kings, 1999
Pas de rupture avec le premier roman, on est dans la parfaite continuité, les personnages progressant chacun de leur côté. Et c'est non sans une certaine cruauté — sadisme ? — que Martin joue la carte du pire, dépeignant ce monde où la mort est partout, où la loyauté et l'honneur sont constamment bafoués et où a l'impression d'être où qu'on aille environné d'horreurs. L'idée de faire alterner les points de vue à chaque chapitre est ici plus que jamais pertinente, créant ainsi de vrais moments de suspense lorsque les personnages assistent à un même événement mais d'endroits différents. Suspense certes relatif si on a comme moi déjà vu la série. Le procédé est à ce titre merveilleusement employé lors de la bataille de Port-Réal, prodigieux morceau de bravoure littéraire, presque célinien par son ampleur et la fièvre de ses descriptions. Martin compose le tableau furieux d'un affrontement épique dans lequel on est projeté, que ce soit sur les eaux, au cœur de la mêlée ou derrière les murs qui résonnent. Une vraie boucherie.


Si l'intelligence des dialogues, leur finesse et leur ironie, sont toujours au rendez-vous, j'ai plus que jamais apprécié le goût de l'auteur pour les détails du monde qu'il nous invite à partager : les descriptions des différents paysages, mais aussi des costumes et armures, des habitations, la toponymie des châteaux, et même la bouffe... Ce n'est jamais gratuit, puisque tous ces éléments sont traités comme des extensions des personnages et de leurs émotions, et tout concourt à composer un univers crédible, riche de sensations. On est en effet régulièrement happé tantôt par le froid, tantôt par la chaleur, mais aussi par les odeurs, le vent, la mer ou le feu.



III. A storm of swords, 2000
Je suis toujours autant captivé par la lecture, l'univers et les personnages du roman. Si je voulais faire la fine bouche, je dirais que comparativement aux deux précédents tomes, quasi sans-fautes, j'ai eu avec celui-ci quand même le sentiment de ralentissement, l'auteur s'attardant parfois sur des éléments qui n'ont pas vraiment l'air de faire progresser l'intrigue, ou sur des personnages au sujet desquels on se sent un peu moins concerné. Mais c'est si habilement construit, que cette impression ne persiste jamais longtemps.

Pour en revenir au comparatif avec la série, alors que le premier tome avait été assez exactement transposé à l'écran, l'adaptation télé s'autorise quelques divergences à partir du deuxième volet, et cet éloignement sera de plus en plus patent dans les suivants, jusqu'à ce rebondissement ultime à la fin du troisième tome, d'autant plus jubilatoire qu'inattendu. Et du coup, ça devient assez savoureux de découvrir d'autres événements, et de se savoir pas à l'abri de nouvelles surprises.


IV. A feast for crows, 2005
Je trouve toujours aussi phénoménal cet appétit romanesque dont fait preuve l'auteur, qui semble avoir tellement réfléchi, développé son univers et ses personnages, qu'il ne peut s'empêcher d'en restituer le plus possible sa richesse, tous ses détails, notamment par la suggestion d'un passé d'ordre mythique. Et c'est assurément là que sa filiation avec l'autre R.R. acquiert sa légitimité. Le risque étant cependant de trop rallonger la sauce. 

Alors que c'était déjà bien peuplé, Martin se permet dans ce tome de rajouter encore des dizaines de figures, chacune avec son passé et son réseau de relations. On pourra avoir là encore le sentiment d'un tome qui davantage que le précédent ne progresse pas tellement dans sa narration, impression certainement renforcée par ce choix risqué de laisser complètement de côté la moitié du casting, qui fera sans doute l'objet du volume suivant (syndrome Les Deux tours). Ce n'est pas fastidieux pour autant, et ces centaines de pages se dévorent avec la même gourmandise.

V. A dance with dragons, 2011
(Oui, j'ai opté pour l'intégrale). Pas grand chose de plus à ajouter à mes précédents avis sur ce feuilleton. Contrairement au précédent, ce tome a l'avantage de revenir aux personnages les plus passionnants de la fresque de Martin, et de combler les trous. Je suis toujours saisi par cette impression de plonger dans un monde qui semble réellement exister pour l'auteur, dont il en connaît les moindres détails, qu'il s'agisse de la topographie ou des soubresauts d'une Histoire teinte de mythes et de récits devenus légendaires. Et ce n'est jamais fastidieux, au contraire. Et encore une fois, connaître la série n'est en rien un désavantage puisqu'ici le roman suit plus que jamais ses propres traces, nouvelle preuve que l'adaptation a été intelligemment réalisée.

J'ai donc fait la rencontre d'une œuvre monumentale... qui m'aura néanmoins laissé frustré puisque ça reste à ce jour le dernier tome publié (et j'ai vraiment pris mon temps pour lire la saga). J'avoue qu'en entamant le cycle, j'avais le naïf espoir que Martin l'aurait achevé d'ici à ce que j'arrive au bout de ce qui avait été publié à ce stade. J'étais même autorisé des pauses entre chaque volume pour gagner du temps. Ma lecture se sera étalée sur pratiquement 10 mois, mais la bibliographie de l'auteur n'aura finalement pas bougé d'un pouce... 

13 juillet 2018

Summer page-turners

Dmitry Glukhovsky, Metro 2033, 2005
Trouvé dans une boîte à troc, et ce ne fut pas une pioche particulièrement heureuse. C'est de la SF postapocalyptique dont la seule — mais vraie — originalité est son cadre, à savoir Moscou et le pittoresque de son réseau de transport souterrain. Ici, abritant les rescapés d'une surface inhabitable, chaque station est devenue une sorte de territoire autonome, où survit laborieusement une population parano. L'auteur se débrouille plutôt bien pour faire exister ce petit monde, imaginant et mettant en scène les particularités de chaque microsociété. Et comme si cet univers dévasté ne suffisait pas, il faut qu'en plus de ça il rallonge la sauce en faisant également intervenir des zombies, des mutants, des néonazis, et une entité télépathe.

En soi, ça pourrait être fun, sauf que l'humour est ici absent, et que je n'ai à aucun moment véritablement ressenti la volonté de l'auteur d'appuyer le registre pulp. Le plus aberrant étant le fait que ce Metro 2033, déjà longuet de 800 pages, s'est vu prolongé par DEUX AUTRES PUTAINS DE TOMES ! Alors même si j'ai bien conscience que d'autres stations du métro moscovite restaient à explorer, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait s'y trouver encore à développer, et je préfère de loin relire l'indétrônable I am legend de Matheson, gage de davantage de frissons sur cette thématique...




Connie Willis, Blitz, 2010
Mais quelle arnaqueuse, cette Connie Willis ! Je ne peux plus nier ma nature de lecteur masochiste : de Willis, j'avais déjà lu Le Grand livre, donl'écriture m'avait consterné. Et pourtant, j'ai eu envie d'y revenir, intrigué par le sujet de ce roman-ci, par son épaisseur prometteuse d'immersion et aussi sa floppée de prix auxquels j'accorde encore du crédit. Avant d'être réuni en intégrale sous le titre Blitz, le roman est paru en deux volumes respectivement intitulés Black-out et All clear. L'auteur y reprend son petit monde des historiens d'Oxford qui voyagent dans le passé pour l'étudier. Leur sujet porte cette fois sur la Seconde guerre mondiale, et en particulier le blitz londonien, sur lequel Willis s'est incontestablement documentée, livrant une reconstitution ultra minutieuse de la ville sous les bombes, de toutes les implications plus ou moins dramatiques sur la vie des gens. 

Ça avait donc tout pour être une plongée passionnante et même amusante (l'humour est souvent de la partie), avec en plus un argument SF censé être fascinant. Car évidemment, les explorateurs du futur vont ici encore se retrouver coincés dans le passé. Impossible pour le lecteur de ne pas s'interroger sur ce principe aberrant d'envoyer des gens à une époque ultra-dangereuse avec un tel risque de ne pas pouvoir être récupéré. Les personnages sont eux-mêmes les premiers à régulièrement exprimer leurs craintes d'avoir modifié le cours des choses, et ce n'est pas comme si la Seconde guerre mondiale ne représentait pas à elle seule un périlleux carrefour temporel.


Mais le pire c'est vraiment cette écriture dénuée de la moindre ellipse, qui pourrait relever du tour de force, genre James Joyce ou Nouveau roman, s'il avait été intentionnel mais qui m'est plutôt apparu comme une épreuve. Dans sa préface, Willis reconnaît elle-même qu'elle s'est laissée entraîner, et qu'il n'était pas du tout prévu que le roman prenne les dimensions d'un diptyque. On a donc un récit qui n'avance pas, qui repose sur les mêmes effets, entre description de lassants trajets à pieds ou en train qui n'aboutissent à rien, avec des pensées qui tournent en rond, le pire étant ces faux-suspenses dont abuse l'auteur. Si j'ai parlé de masochisme de ma part au début, c'est parce qu'au lieu de passer à autre chose, je me suis quand même acharné jusqu'à la 700e page (sur 1200), avant de laisser tomber. Et je ne conçois même pas que ça ait fait illusion une seule seconde auprès des jurés des prix Locus, Nebula et Hugo (ou alors c'était une année particulièrement médiocre)...





Robert Charles Wilson, Burning paradise (Les Derniers jours du paradis), 2014
Wilson est décidément capable d'alterner entre le fabuleux (À travers temps, Spin) et le moyen (Julian). Ces Derniers jours du paradis appartiendrait plutôt à la catégorie "roman alimentaire", à savoir une production parfaitement dispensable. On pourra apprécier la modestie de la proposition, son côté roman-feuilleton très S.F. des fifties, avec cette menace alien et ces humains traqués seuls à détenir la vérité, sur fond d'ambiance paranoïaque et de simulacre de réalité à la K. Dick

Mais je n'y ai pas retrouvé le talent de l'auteur pour peindre des personnages émouvants, et l'on suit sans grand enthousiasme les péripéties d'un récit construit sur un rythme de fuite, et ne proposant pas vraiment de profonde réflexion. Ça reste en effet très premier degré, le suspense et l'action priment, et en tant que lecteur, j'ai personnellement besoin d'un peu plus d'ambition. Z'êtes pas obligé de pondre un bouquin par an, Monsieur Wilson...

10 juillet 2018

Le Cinéma de F.F. Coppola V. 1988-1992

Tucker, 1988
Film irrémédiablement associé à mes premières vraies découvertes cinéphiles. Je me délecte de son histoire édifiante, de l’ambiance familiale retranscrite, de l’état d’esprit d’atelier, de l’humanisme de ses personnages, notamment celui de Martin Landau, remarquablement écrit. Dans le rôle-titre, Jeff Bridges incarne à merveille l'ingénu(os)ité et l'enthousiasme du rêveur américain.

La narration est exemplaire. Tucker tient à la fois du biopic, de la success story et du film de procès, avec une patine très classique hollywoodien. Offrant une reconstitution impeccable baignée dans la lumière chaleureuse de Vittorio Storaro, Coppola surfe sur touts ces genres avec une maîtrise totale de ses moyens. Il faudra attendre The Aviator de Scorsese pour retrouver un traitement équivalent, approché avec autant de passion (Howard Hughes apparaît d'ailleurs dans Tucker).

Retrouvant pour l'occasion son vieux compère George Lucas, collectionneur comme lui des voitures du constructeur, Coppola fait de son film une peinture de l'Amérique, de ses pionniers et de la façon dont ils durent lutter avec les institutions pour imposer leurs idées novatrices. Preston Tucker est vu comme une sorte d'artiste maudit, un créateur visionnaire seul contre tous, et le film apparaît alors comme un autoportrait évident de son réalisateur, donc une œuvre profondément personnelle.




The Godfather part III (Le Parrain 3e partie), 1990
Suite et fin de la saga Corleone, avec un Michael au destin plus tragique que jamais. Ses efforts pour parvenir enfin au bout du chemin vers la rédemption ont quelque chose de bouleversant, tant on sent que l'homme est animé d'une volonté sincère. Mais son désir de protéger sa famille n'aura cessé de provoquer la perte de tout ce qu'il aimait. 

Au moment de sa sortie, cette suite ne semblait pas s'imposer, et on pouvait soupçonner Coppola de céder à la pression de la Paramount. Or, le film possède à mes yeux toutes les qualités de ses prédécesseurs, parvenant brillamment à renouveller son scénario avec l'attention portée cette fois à la génération suivante. Cette saga cinématographique est une nouvelle fois l'occasion de fabuleux numéros d'acteurs et c'est peu de dire que Pacino se montre encore impressionnant. Le parcours du personnage d'Andy Garcia, son évolution du début à la fin, est absolument passionnant, et l'acteur y déploie vraiment tout son talent, gagnant progressivement en épaisseur. 

Tourné vers la notion de transmission et d'héritage, ce troisième volet joue aussi le retour aux sources, en nous ramenant en Sicile. L'opéra qui se déroule sur scène montre bien que dans ce milieu les méthodes sont restées les mêmes, que l'Histoire se répète et qu'on n'échappe pas à son destin. Tout ça se dénoue lors d'une véritable apothéose du goût de Coppola pour le montage parallèle. Bref, par son ambiance, sa mise en scène peut-être encore plus maîtrisée que dans les deux premiers volets, The Godfather part III est un film magistral.




Dracula, 1992
Fantastique. Sa découverte à 15 ans fut un choc et le film demeurera à jamais pour moi une pierre essentielle de mon parcours cinéphile. Je me souviens parfaitement de la salle, un samedi soir à Montparnasse, de l'ambiance qui y régnait, de la place que j'occupais, des gens qui m'entouraient. Je ne me suis jamais véritablement remis du prologue, et je regardais défiler ces somptueuses images, captivé d'une façon nouvelle par le travail de la mise en scène et du montage.

S'appuyant sur les conceptions visuelles de Mignola et les trucages vintage de Roman Coppola (ces ombres qui s'avancent, ces maquettes, ses surimpressions), mais tâtant également des possibilités naissantes des effets numériques, Coppola semble retrouver la fougue et l'énergie d'un débutant. La beauté des maquillages, la majesté sombre de la musique de Kilar, la sublime photographie de Michael Ballhaus, chaque élément participe de la composition d'un monde imaginaire fascinant, que seul le cinéma est capable de concevoir. C'est du travail d’orfèvre, intelligent et visuellement jubilatoire.

Avec la volonté de revenir à la source du roman de Stoker, avec sa vision flamboyante, romantique et audacieuse (l'aspect sexuel explicite) du vampireCoppola refit de ce dernier une figure cinématographique à la mode, pour le pire comme le meilleur. C'est d'ailleurs très peu de temps après, à la faveur d'une Thema d'arte consacrée à la créature, que je découvrais le Nosferatu de Murnau


DOSSIER FRANCIS FORD COPPOLA :

4 juillet 2018

Le Cinéma musical de Brian De Palma III. 1981-1984

Blow out, 1981
La richesse et l'intelligence de ce film, où De Palma concentre ses obsessions en une parfaite harmonie, en font pour moi son chef-d'oeuvre. Le scénario repose sur un dispositif magnifiquement inspiré, transcendant celui du Blow out d'Antonioni avec le son qui viendrait remplacer l'image, et des trouvailles poétiques qui tourneraient presque à l'abstraction. Au-delà d'Antonioni on pourra aussi légitimement penser à The Conversation de Coppola, qui mettait lui aussi en scène un personnage hanté par le sens à donner à de maigres indices, témoin accidentel errant seul dans les eaux troubles de la paranoïa et du complot. Avec ce rôle habité et tragique, Travolta faisait clairement là une de ses meilleures compositions

De Palma n'a pas tourné le dos à ses engagements de jeunesse et distille ici encore un vrai discours politique au sein de son thriller. Le fait que l'action se déroule à Philadelphie n'est évidemment pas du au hasard, la ville incarnant le berceau de la Constitution américaine, et devenant le théâtre du crime d'État. Enfin, le film s'achève sur une des plus belles fins du monde, du climax anthologique sous un ciel de feu à la conclusion douloureuse d'amertume. De Palma et Donaggio ne se quittent plus, et ce dernier se montre là à son sommet avec un score assez bouleversant, dont la tonalité romantique joue un rôle essentiel dans la justesse de ton du film :





Scarface, 1983
La grande fresque sur l'Amérique corruptrice, aux dimensions quasi-opératiques. Malgré le statut de remake du film de HawksScarface 1983 ne propose pas un univers décontextualisé, ne cherche pas à jouer au film de gangster référentiel. En ce début des années 80, l'innocence se voit foulée aux pieds, c'est le règne de l'arrivisme, de la vulgarité, de la coke et du fric. Oliver Stone signe un vrai chef-d'oeuvre de scénario, impeccable dans sa progression dramatique. Prenant le risque d'un rôle de brute antipathique, machiste et criminelle, Pacino est magistral et fait entrer Tony Montana dans l'Histoire. Du grand art.

Pour la bande son, j'ignore si ce fut la volonté du réalisateur, toujours est-il que le choix de Moroder apparaît comme une véritable concession à la mode. Le compositeur vit en effet à ce moment-là sa période de gloire à Hollywood (Midnight express, American gigolo, Cat people, Flashdance). Tout ce qu'il touche se transforme en or et ses bandes originales triomphent chez les disquaires. Plus que ses rythmes synthétiques aux couleurs discos qui se veulent le triste reflet des personnages, j'en retiens personnellement surtout le thème d'ouverture, ses nappes sombres associées aux images et au texte d'introduction qui ancre le film dans une réalité politique et sociale essentielle :






Body double, 1984
Jouant jusqu'au vertige avec les notions de voyeurisme et de mise en scène, Body double est un festival pour cinéphiles. Fenêtre sur cour et Vertigo sont une nouvelle fois explicitement conviés, mais de façon presque désacralisée. Le héros manipulé est cette fois un benêt plongé dans un monde de dupes, celui du Hollywood. Non pas le Hollywood glamour des grands studios, mais celui de la porte de derrière, du cinéma d'exploitation, des acteurs qui galèrent et des rôles de figuration où l'on disparaît sous le masque. Pour De Palma c'est un peu l'heure de la récréation, presque du plaisir solitaire. Je conçois donc que le résultat ne soit pas du goût de tout le monde, mais continue à trouver le film très rigolo, et finalement pas tant caricatural qu'ironique. 

Le film est également intéressant parce qu'après Pulsions, le réalisateur continue à œuvrer aux codes du thriller érotique de psychopathe, genre qui va surtout éclore dans la première moitié des années 90 : Fatal attraction, Basic instinct (qui payait lui aussi sa dette à Vertigo), ou encore J.F. partagerait appartement. C'est donc loin d'être une œuvre impersonnelle, et on peut aussi le voir comme une autocritique De Palma sur ses propres trucs de metteur en scène. Difficile néanmoins d'avaler son climax qui se dégonfle et qui donnerait presque l'impression que le film tient de la blague. Impossible également d'être ému par la dimension romantique du récit malgré les efforts qu'y mettent le réalisateur et son compositeur. Les thèmes lancinants aux sonorités électroniques datent sans doute un peu trop le film, mais le score de Donaggio est pleinement à l'image du film, sournoisement séducteur tout en assumant l'héritage hitchockien par des accents très herrmanniens :




Dancing in the dark, 1984
À cette date, ils n'étaient pas très nombreux les cinéastes bien en place prêt à se compromettre dans la réalisation de clips musicaux. C'est un format encore naissant, bientôt célébré par Easton Ellis mais d'abord imposé par l'événement que fut le Thriller de John Landis, et qui fit la gloire d'MTV. Soudainement, la vidéo devient un outil marketing incontournable. Parmi les réalisateurs s'essayant à l'exercice on peut relever Besson pour Adjani, Gainsbourg et Mylène Farmer, Scorsese pour le Bad de Michael JacksonGus Van Sant pour Bowie ou les Red Hot Chili Peppers, ou encore P.T. Anderson (je parle bien de cinéastes tâtant du clip, et pas de clippeurs passés au cinéma comme Fincher, Jonze, Corbijn ou Gondry).

Faisant donc vraiment figure de pionnier en 1984, De Palma réalise d'abord le clip de Relax, premier single phénoménal de Frankie goes to Hollywood, qu'il intègre au cœur se son Body double (et que le groupe refusera finalement). Puis il se met au service de Springsteen qui triomphe alors avec son Born in U.S.A. Je ne m'emballerai pas trop sur le résultat. Déjà ce n'est pas ce que le Boss a fait de plus intéressant musicalement. Et puis là où la plupart des cinéastes trouvent dans le clip l'occasion d'expérimenter, De Palma opte pour une mise en scène franchement sage voire conventionnelle en mode captation de live, sans doute le concept de clip le plus paresseux. Seule originalité, l'invitation à monter sur scène d'une spectatrice, incarné par la toute jeune et mimi Courtney Cox. Image sympathique mais qui ne suffit pas à insuffler le moindre soupçon de dramaturgie :



DOSSIER BRIAN DE PALMA :