2 février 2019

Clint 5. 2009-2010

Gran Torino, 2009
Le goût pour le masochisme du cinéaste est poussé ici à plein régime. Clint réinvestit l'avatar qu'on a régulièrement rencontré au cours de sa filmographie, de Dirty Harry à Million dollar baby, mais l'âge aidant, et même carrément mis à la retraite, il est en quelque sorte passé à un nouveau statut, celui du vieux bougon. L'acteur assume sa sale gueule. Son Walt Kowaski est un voisin antipathique aux valeurs en berne. Ne cultivant aucun sens de la famille, il est non seulement malpoli, mais ouvertement raciste, ce que manifeste son repli sur soi et son amour pour cette vieille Ford, relique de la gloire industrielle perdue d'une Amérique que plus personne ne vénère.

Une fois ce portrait jusqu'auboutiste établi aux yeux du spectateur, le film montre avec plus ou moins de subtilité comment ce bloc rugueux qu'est Kowalski va, si ce n'est s'humaniser, tout du moins remettre en cause son rapport à l'autre. Cet étranger qui se retrouve face à lui est lui-même en lutte, cherchant sa place dans un monde qui ne lui accorde aucun droit. Gran Torino se présente ainsi comme une nouvelle variation sur la figure de la famille d'adoption, celle qui traverse une bonne part de l'œuvre du cinéaste, de Honkytonk man à Un monde parfait. La cohérence du film n'est jamais prise en défaut, jusqu'à ce final tragique qui pourrait laisser penser que c'est pour réaliser cette scène qu'Eastwood a fait ce film. Sa dimension funèbre et sa résonance n'échappent pas au spectateur qui est alors convié à un spectacle presque plus dérangeant que réellement émouvant. Le film nous accorde néanmoins de sortir sur de belles notes d'espoir, la relève ayant eu lieu, une nouvelle génération ayant été jugée digne de l'héritage.



Invictus, 2009
Par bien des aspects, Invictus a toutes les apparences du film memorial. Mais au lieu de pondre un biopic convenu, quand bien même nécessaire, sur Mandela, Eastwood a l'intelligence d'aborder le sujet sous un angle particulier, celui de l'organisation de la Coupe du monde de rugby dans un pays qui doit sceller aux yeux du monde sa nouvelle alliance. Base scénaristique en soi passionnante, riche de possibilités, offrant plusieurs niveaux de récit, que le metteur en scène pourra approcher par strates, des gamins des townships au chef de l'État, en passant par les joueurs qui doivent incarner ce nouvel idéal de société.

Sans rien dissimuler des horreurs d'un régime, Invictus montre que rien n'est acquis dans le long chemin vers la paix. Dans ses intentions, ça en fait un film en soi inattaquable. Digne. Trop digne ? Freeman est investi, Damon est impeccable comme toujours. Mais le résultat donne l'impression de manquer de cinéma, tellement il est soucieux de servir sa thèse au détriment de l'efficacité dramatique. Dans mon souvenir, les passages les plus convaincants sont d'ailleurs ceux qui justement jouaient la carte de la fiction et du suspense. Il faudrait le revoir.




Hereafter (Au-delà), 2010
Trois long-métrages ambitieux en deux ans... Eastwood 80 balais plus que jamais hanté par la mort. Son œuvre finirait presque par incarner à elle seule la définition du cinéma crépusculaire. Par ses préoccupations, comme par son (beau) titre, ce Hereafter pouvait s'imposer comme une étape logique. Nouveau témoignage de la solidité de son métier et de l'équipe sur laquelle il s'appuie, le réalisateur démarre sur une reconstitution des effets dévastateurs du tsunami qui ravagea notamment la côté thaïlandaise en 2004 (comme le fera deux ans plus tard avec autant de réussite The Impossible de Bayona). Cette ouverture spectaculaire laisse ensuite place à un étonnant entrecroisement de trois récits parallèles, qui vont au contraire aller chercher les personnages dans leurs moments les plus intimes. Et c'est rien de moins que leur âme que le film va tenter d'explorer. 

C'est une œuvre à part dans l'œuvre d'Eastwood, une tentative courageuse de se renouveler qui a décontenancé ses spectateurs... un peu à juste titre. Car on se retrouve avec 3 films en 1, mais l'un des trois est raté. Par quelque bout qu'on les prenne, les séquences françaises plombent en effet le film. Tout y semble artificiel, pas habité, y compris au niveau de la photographie. Comme si Eastwood était incapable de composer une vision crédible de cette société-là. Il est alors difficile de faire l'impasse sur ce tiers du film, et c'est d'autant plus désolant que les deux autres récits sont eux vraiment réussis, à fleur de peau, avec des moments souvent formidables dans la justesse et l'émotion. Le film à l'intelligence de rester à la lisière du fantastique, se contentant d'interroger nos doutes et nos espoirs, observant ces vies confrontées à la perte et au sens de la mort. En cela, ça aurait pu être un beau film-testament, sauf que la carrière de Clint est loin d'être arrivée à son dernier chapitre, enchaînant au contraire plus que jamais les tournages, dépassant en productivité les champions en la matière que sont Spielberg ou Woody Allen. Hereafter demeurera néanmoins un titre difficile à réévaluer car inévitablement parasité par ses scènes parisiennes insauvables.


DOSSIER CLINT EASTWOOD :

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