29 avril 2015

Tempête sur Arrakis

« C'est à l'heure du commencement qu'il faut tout particulièrement veiller à ce que les équilibres soient précis. »
Princesse Irulan, Manuel de Muad'Dib


Dune, David Lynch (1984)
Précisons qu'avant d'être spectateurs, nous avons été lecteurs. La connaissance de l'œuvre de Herbert est devenue un élément déterminant dans notre appréciation du film. Le Cycle de Dune demeure pour nous une inoubliable expérience de lecture que son adaptation filmique nous permet de revivre. Quand bien même nous souscririons au principe qu'une adaptation doit avoir une valeur en soi, décontextualisée, nous reconnaissons volontiers que le plaisir pris devant ce film précis repose sur la connaissance préalable de l'histoire et des personnages. Ceci nous rend en effet capable de combler les lacunes du scénario, d'en relativiser les trahisons. Nous en venons alors à considérer Dune, le film, comme l'illustration d'un monument de la littérature, avec tout ce que cela comporte de simplification. Et nous nous réjouissons simplement de voir s'animer sous nos yeux les Duncan Idaho, Gurney Halleck, Feyd-Rautha ou Révérende Mère, et de les entendre prononcer les étranges et familières inventions lexicales de Herbert.

Des spectateurs aux lecteurs, en passant par le réalisateur lui-même, il est une opinion assez largement partagée : l'adaptation à l'écran du roman-fleuve de Frank Herbert est une œuvre d'inspiration au mieux inégale, parfois fulgurante, souvent maladroite. À tel point que le film est non seulement renié par son réalisateur, mais régulièrement éludé par les commentateurs de sa filmographie. Ces derniers refusent en général de considérer Dune autrement que comme une commande impersonnelle qui ne mérite que la pudeur de l'oubli. Nous avons voulu aborder ici avec honnêteté les qualités et les défauts d'un film auquel - malgré tout - nous sommes personnellement attachés...



  
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20 avril 2015

You're off to see the wizard, the wonderful wizard of Oz...

The Wizard of Oz (Le Magicien d'Oz), Victor Fleming, 1939
Il est des films qui sont pour nous comme des brouettes pleines de souvenirs. The Wizard of Oz est de ceux-là, vu et revu au fil des Noëls de mon enfance, au même titre que The Ten commandments ou Clash of the titans. Et c'est à chaque fois la même belle et grande émotion à l'arrivée de ce plan où Judy Garland ouvre la porte de sa maison et découvre le monde de Oz, faisant soudainement basculer le film du sépia au Technicolor. Je crois que c'est le passage qui me faisait le plus d'effet quand j'étais gamin. Le film est certes très enfantin dans son propos et dans ses personnages, mais c'est un vrai bonheur que d'accompagner Dorothy et ses amis sur la route de briques jaunes. 

Je crois que je suis particulièrement fan du personnage de l'Épouvantail, joliment habillé et maquillé, aux chansons et chorégraphies toutes très réussies. Ray Bolger, son interprète, avait d'ailleurs tourné une séquence éblouissante, hélas non retenue au montage, où on le voyait rebondir sur les barrières et faire des bonds câblés dignes d'un cascadeur hongkongais :




Le voyage initiatique est souvent drôle et plastiquement charmant. Le château de la méchante sorcière est superbe, de même que le look de ses singes volants. Devenues des standards, les chansons font toujours plaisir à entendre. La quête de Dorothy s'achève curieusement sur une forme de déception où il apparaît finalement que la réalité familière vaut mieux que les risques du merveilleux. Cette morale pleine de bon sens du « There's no place like home » sera en quelque sorte reprise en un écho complètement désabusé par Joe Dante sur son attachant Explorers. Le film de Fleming fut en son temps une énorme production et signa le démarrage de la "Freed unit", ce département de la MGM dirigé par Arthur Freed, responsable des plus grandes comédies musicales hollywoodiennes. Certainement pas un chef-d'œuvre du genre (d'autres musicals ont pour moi plus de grâce), mais le spectacle est toujours ravissant et j'adore la façon dont il continue à influencer et nourrir un paquet d'artistes, du cinéaste Lynch (Wild at heart en particulier) au romancier Claro (le génial CosmoZ).





Return to Oz (Oz, un monde extraordinaire), Walter Murch, 1985
L'action se déroule quelques semaines, voire quelques jours, après le retour de Dorothy au Kansas. Sa maison laisse encore voir les dégâts causés par la tornade, tandis que son oncle et sa tante s'inquiètent de sa santé mentale lorsqu'elle se met à leur parler de ses étranges aventures au pays d'Oz. Pour la guérir de ses délires, ils la font interner dans un asile psychiatrique pour lui faire subir... des électrochocs.

Ils devaient vraiment avoir la tête ailleurs chez Walt Disney pictures à cette époque pour accepter de démarrer un film pour enfants sur ces bases ! Je ne suis pas sûr de l'avoir vu à sa sortie (j'ai surtout le souvenir de la "critique" du Journal de Mickey), mais je sais que pas mal de mômes ont été traumatisés par l'ambiance très sombre de ce long-métrage. Ce retour au pays d'Oz n'a en effet plus grand chose de charmant, et sur ce plan-là le titre français s'avère un peu pernicieux. Il est fini le temps des danses et des chansons des Munchkins. Dorothy débarque dans un univers dévasté. La route de brique jaunes est en morceaux, Emerald city en ruine et ses habitants pétrifiés. Ses nouveaux compagnons ont changé d'apparence : un robot tout rond, un Jack Pumpkinhead aux proportions dérangeantes (néanmoins très beau) et un mix entre une tête de cerf et un sofa (oui, oui : un sofa) nommé Gump. Leur quête, manquant cruellement d'ampleur, va les amener à affronter dans sa montagne le Roi des Gnomes, responsable de cette décadence.


Le gros échec du film réside sans doute dans son incapacité à réveiller la magie du film d'origine. Visuellement c'est très beau certes, mais l'émotion est trop rarement conviée. Ainsi, les retrouvailles finales avec ces bons vieux Épouvantail, le Tin man et le Lion sont trop vite expédiées. Dorothy échangera à peine un mot avec les deux derniers, tandis que le premier a vraiment une tête de demeuré. Au point de se demander si le film n'a pas eu à subir quelques coupes ou si son scénario n'a pas été plus ou moins improvisé en cours de route (j'ignore quelle part revient à L. Frank Baum, l'auteur des bouquins, sur cette histoire). 

Cela étant, ce Return to Oz possède de vraies qualités, en particulier sur le plan des effets spéciaux qui dégagent un vrai parfum de nostalgie. Entièrement tourné en studio, le film est produit par Gary Kurtz et réalisé par Walter Murch, deux collaborateurs majeurs de George Lucas. Murch s'était notamment distingué par son travail de sound designer sur THX-1138, et c'est un monteur-orfèvre dont j'adore les trouvailles sur les films de Coppola ou Minghella. Return to Oz reste à ce jour son unique réalisation et sur ce plan il lui manquait peut-être les épaules. La photographie est du talentueux David Watkin, qui avait déjà épaté par son travail sur le Catch-22 de Mike Nichols

On retrouve ici tout un tas d'effets spéciaux qu'on qualifiera aujourd'hui d'à l'ancienne : matte paintings, incrustations, etc. Brian Henson crée les costumes et animatronics très réussis, en particulier la poule parlante qui accompagne l'héroïne. Le meilleur étant assuré par Will Vinton et ses animations de pâte à modeler en stop-motion, technique qu'il avait breveté sous le terme de Claymation. Ses effets sont  ambitieux et d'une poésie délicieuse, animant dans la roche le superbe Roi des Gnomes. Ses scènes, où on le voit prendre progressivement forme humaine, sont vraiment fascinantes, et c'est bien agréable de constater que les plans d'animation sont ici nombreux et variés : 



Il faut également mentionner le remarquable score de David Shire, d'une richesse assez inattendue, imposant dès l'ouverture une mélancolie fort à propos. Enfin, du côté des acteurs, la toute jeune Fairuza Balk, future Cécile de Volanges dans le Valmont de Milos Forman, fait ici ses débuts, livrant une interprétation correcte mais sans réel éclat, quasiment seul personnaghe humain au sein d'une galerie de freaks. Elle fait surtout bien plus jeune que Judy Garland, et apparaît en cela plus crédible dans le rôle de Dorothy. 


Un film un peu raté dans son concept et son rythme, donc, mais qui mérite le coup d'oeil pour ses qualités visuelles et en tant que représentant de toute une série de productions bizarres estampillées Disney (The Black hole, Dragonslayer, Tron).

11 avril 2015

Monsieur Ferré (1916-1993)

« Le génie est une révolte qui a créé sa propre mesure. »
Albert Camus, L'Homme révolté

 

Je me garderai bien d'employer des expressions galvaudées, mais ce qui est sûr c'est que je considère ce (méta-)mec comme un génie et je croule sous le respect. Son œuvre est immense et portée par une ambition folle qui s'est affirmée au fil de sa carrière. La poésie de ses textes, la fièvre de ses interprétations, la richesse de ses orchestrations en font un artiste absolument hors-norme.

Sa carrière démarre bien sûr de façon plus modeste. Il galère en peu avec des tours de chant dans des cabarets plus ou moins miteux de la capitale et grave ses premiers enregistrements pour le label Odéon, au début des années 50. Entre chansons-sketches et ballades romantiques, certains titres sont assez attachants et surtout imposent une voix qui détonne pas mal par son ironie ou ses accents lyriques (Judas, Monsieur William, L'Amour, ou l'émouvante nostalgie de Mon Sébasto). Les arrangements, signés par d'autres, sont assez sobres, un peu jazzy.

Il est ensuite pris sous contrat chez Barclay, et c'est dans ce cadre qu'il va vraiment connaître le succès avec des disques de très haute tenue. Son écriture s'affine, il célèbre l'amour et les poètes (Verlaine, Rimbaud, Baudelaire) comme personne, avec sensualité et amertume, en même temps qu'il donne libre cours à sa veine anarchiste (Les Quat'cents coups). Sa première très grande réussite est à coup sûr l'album Léo Ferré chante Aragon, paru en 1961. L'Affiche rouge, Il n'aurait fallu, Je chante pour passer le temps sont aussi beaux que bouleversants. Il n'a toujours pas la responsabilité des arrangements ce qui le fait beaucoup souffrir, mais il faut bien dire que sur certains de ces titres les chœurs s'harmonisent merveilleusement avec les cordes.

Ferré atteint ensuite un véritable âge d'or dans la seconde moitié de la décennie. Ses textes parlent avec une justesse parfois déchirante de sentiments profonds, ce qui les rend d'autant plus touchants (La Mélancolie, Tu sors souvent la mer, La Mort, C'est un air, Vingt ans). L'écoute en devient presque difficile à partager tellement on a parfois l'impression qu'il s'adresse à nous seul, rapport précieux et fragile qu'on aimerait exclusif. Le poète sait parler d'amour, sans doute parce qu'il a su l'éprouver jusqu'à l'abîme.

1969, c'est l'année du carton. La chanson C'est extra, d'un érotisme plus que troublant, est sur toutes les ondes. Ferré y révèle un intérêt inattendu pour la pop à la Moody Blues ou Procol Harum. L'année suivante il gravera un classique instantané, bien qu'assez vite encombrant à son goût : Avec le temps. Deux CDs de cette période sont particulièrement recommandables : les volumes 6 et 7 de l'anthologie Barclay. Les compositions de Léo deviennent de plus en plus aventureuses. La Mémoire et la mer est un pur bijou, longue litanie sur l'amour et la chair, d'une tristesse infinie, chantée d'une voix déchirante. Je ne crois pas connaître un compositeur-interprète faisant autant corps — littéralement — avec son œuvre. Disons qu'un Ferrat ou une Hardy me touchent, tandis qu'un Ferré m'impressionne. A partir de là, Ferré va de plus en plus exploser les format standards de la chanson. Ainsi Psaume 151 s'étale sur plus de 10 minutes, bien loin de ce que peuvent admettre les diffuseurs radio.

En 1971, Ferré s'acoquine avec Zoo, groupe français qui l'avait pas mal séduit. Ensemble ils publient La Solitude qui part clairement dans une direction rock aux accents parfois psychédéliques (orgue, guitare électrique, saxo) sans trop paraître daté, et c'est franchement sublime (rien que le morceau-titre). Barclay a enfin concédé à Ferré le droit de se charger lui-même des arrangements et de l'orchestration. Sa musique, disposant désormais d'une liberté totale va s'envoler dans les hautes sphères de la grâce. Cet événement s'incarne dans un disque pour moi essentiel : Il n'y a plus rien (1973). La chanson-titre est indescriptible, vaste pièce symphonique de presque 20 minutes aux circonvolutions démentes. Ferré avait déjà tenté l'expérience un peu plus tôt avec l'album ...Et basta ! où chaque face était constituée d'un seul morceau mais le résultat était moins convaincant. Sur Il n'y a plus rien, Ferré parle, chante, crie, éructe, enrage, s'attendrit, caresse ou fout des pains à l'auditeur. Une véritable expérience à écouter sans distraction. Et que dire de Ne chantez pas la mort sous influence mozartienne ? L'album suivant, L'Espoir, revient à des formats comparativement plus classiques mais toujours aussi subtilement orchestrés, aux accents espagnols fortement marqués (Manuel De Falla).


Le contrat signé avec Barclay arrivant à échéance, Ferré ne se le fait pas dire deux fois et s'installe à son compte. Là, on entre dans la troisième et dernière période de son œuvre, qui devient réellement sans équivalent. Jusqu'à sa mort en 1993, il va livrer régulièrement des disques tous plus magnifiques les uns que les autres, affranchis de toute contrainte. Ça force d'autant plus le respect qu'il sera incroyablement prolifique, accouchant non seulement d'un nombre considérable de nouvelles chansons mais revenant également sur des projets abandonnés, réenregistrant de vieux titres dont il n'était pas satisfait, avec un soin des arrangements incroyablement poussé. En 1982, il sortira carrément un triple album. Ses compositions gagnent une nouvelle ampleur, proprement stupéfiante grâce à la présence de l'Orchestre philharmonique de Milan que Ferré dirige lui-même. Monumental ! Les chef-d'œuvres s'enchaînent, aujourd'hui tous superbement édités en CD, sous la direction de son fils, par le label La Mémoire et la mer. J'en citerai deux en particulier : Je te donne (1976) sublime de bout en bout, où Ferré paye son tribut à Beethoven (Muss es sein, es muss sein, Coriolan) ; et La Violence et l'ennui (1980) qui contient Words...words...words et F.L.B., deux sommets bouleversants.


5 avril 2015

No more heroes anymore


Peter Milligan & Chris Bachalo, Shade the changing man : The American scream, 1990
Scénariste irlandais œuvrant dans l'industrie du comics, Peter Milligan a tout à fait sa place aux côtés des British Alan Moore ou Neil Gaiman par cette capacité à jouer avec les codes et les mythologies d'un genre. Shade the changing man est la reprise d'une série un peu oubliée créé à l'origine par Steve Ditko. Milligan fait subir à ce superhéros un traitement tout à fait déstabilisant, au sein d'un récit ouvertement politique. 

Car l' "american scream" du titre, c'est toute la mauvaise conscience de l'Amérique, toute cette culpabilité qui trouve sa source dans l'assassinat de Kennedy et se poursuit dans les rêves putrides fabriqués par Hollywood. La narration prend la forme d'un road trip franchement cauchemardesque qui finit par ne plus avoir de but, dans un monde où la réalité se voit littéralement contaminée par la folie qui gangrène les esprits. Le scénario de Milligan ne semble parfois pas loin du pamphlet mais est constamment sauvé par de véritables fulgurances poétiques, par certaines idées visuelles, par des rebondissements imprévus. Voyant ses origines redéfinies, Shade se présente comme un personnage assez bizarre, s'incarnant dans un premier temps dans le corps d'un serial killer en train de passer sur la chaise électrique, puis retrouvant progressivement son passé, ses attributs et la maîtrise d'un bien étrange pouvoir.




Le dessin de Bachalo et la mise en couleur peuvent faire un peu peur au début par certains excès et maladresses (les traits des visages sont assez inconstants). Heureusement ça s'améliore assez vite, donnant lieu à quelques pages franchement superbes, sans parler des délirantes couvertures signées Brendan McCarthy. En fait, tant du point de vue graphique que scénaristique, je n'ai cessé de rapprocher ce Shade des premiers Sandman. Les deux titres inaugurèrent la collection Vertigo de DC, bandes dessinées audacieuses, foncièrement adultes, à part.




Peter Milligan & Mike Allred, X-Force/X-Statix, 2001
Il y a quelque chose de pourri au royaume de Marvel. L’équipe de mutants de la X-Force (rien à voir avec la série bourrine du même nom créée autrefois par l'immonde Rob Liefield) est devenue le jouet de puissants entrepreneurs. Ces derniers concoctent de belles missions-suicides aux rebondissements édifiants, histoire de tenir la foule en haleine et d’assurer la pérennité des produits dérivés et autres chaînes de restaurants. Dans un monde où toucher la gloire des doigts, c’est avoir déjà un pied dans la tombe, les choses ne sont jamais très stables. Captain Sensible dans sa combinaison inhibitrice, L’Anarchiste et sa sueur radioactive, la téléporteuse Edie qui carbure aux amphés, et Spike l’homme-hérisson l’ont vite compris. 

Formidablement soutenu par le dessin très fifties de Mike Allred, Peter Milligan nous régale avec ce jeu de massacre à l’audace salutaire qui ne verse pas pour autant dans la parodie. Ici, ce sont les actionnaires et les politiques qui décident des causes à défendre, car les veuves et les orphelins ont perdu de leur impact commercial.



On s’amuse beaucoup à voir ainsi bafoués tant de codes. Là où Alan Moore en appellait à la nostalgie d’un âge d’or du comics (Tom Strong, Promethea, Top Ten), Milligan nous révèle dans quels conditions psychologiques, économiques et politiques une équipe de justiciers masqués peut être amenée à fonctionner. Il nous montre des superhéros dépressifs, gonflés d’orgueil, prêts à s’entretuer pour le titre de chef ou de grande gueule. 

Ici, on trahit et on meurt quasiment à chaque page. C'est souvent cruel mais derrière la charge et la caricature, les personnages n’en sont pas moins touchants. Et c’est là que le trait plein d'élégance d'Allred fait très fort. Les visages sont beaux (aah les yeux d’Edie !) et particulièrement expressif. Ses mutants demeurent avant tout des humains. La grande richesse des scenarii aurait sans doute gagné à dépasser le format 22 pages du comics, les actions se succédant sur un rythme parfois frustrant. Cette indispensable série fut assez vite retitrée X-Statix aux États-Unis, certains lecteurs étant quelque peu indisposés par une telle mise en abîme de leur société des loisirs.




Sam Kieth, Wolverine/Hulk : La Délivrance, 2002
Voici un livre qui peut être raisonnablement qualifié d’ovni. Ce recueil des quatre épisodes d’une mini-série parue outre-atlantique entre avril et juillet 2002 est écrit et réalisé par Sam Kieth, artiste qui s’est définitivement fait un nom après avoir été révélé sur des séries comme Aliens et surtout Sandman, avant de créer The Maxx dont la réputation flatteuse laisse espérer une prochaine édition en France. 

La Délivrance est une sorte de fantaisie surréaliste qui met en scène un Wolverine presque à poils, paumé dans une étendue neigeuse suite à un crash pathétique. C’est là qu’il va rencontrer son petit prince : Po, une fillette en pyjama rose qui aura besoin de lui pour une étrange mission. Par hasard, l’ami Hulk traîne dans le coin, pas mieux vêtu, et il a la migraine. Après de douloureuses tentatives d’explications, il acceptera de filer un coup de main verte. À l’exception d’un gros ours blanc, il n’y aura pas d’autres protagonistes.

En plus d’être un récit enlevé (le scénario est d’une liberté rare) aux dialogues pleins d’esprit, La Délivrance est aussi un véritable plaisir visuel. Kieth ne craint ni la technique mixte (encre, peinture, infographie, collages) ni la stylisation à outrance de ses personnages. 




D’une case à l’autre, leur traitement peut brutalement changer. Les têtes s’étirent, les épaules s’étalent, on passe du réalisme photographique au cartoon. Le résultat est unique et parfaitement jubilatoire. Pour vous donner une idée, on est proche ici des délires graphiques d’un Bill Sienkiewicz ou d’un Simon Bisley (voire d’un Mark Martin pour les connaisseurs). Le diagnostic du lecteur sera formel : ce Sam Kieth est fou et c’est un génie. 

On défie quiconque feuillettera ne serait-ce que distraitement ces pages de rester insensible à leur profonde originalité. Que vous soyez fan ou allergique au comics, ne passez pas à côté. Il est vraiment agréable de voir Marvel accueillir et éditer avec tant de soin de telles œuvres qui échappent clairement aux critères commerciaux attendus. Du même auteur je recommande son Lobo Vs. Batman tout autant savoureux.