11 avril 2020

Histoire permanente du cinéma américain 1976-1979

Silent Movie (La Dernière folie de Mel Brooks), Mel Brooks, 1976
À quelques exceptions près, Brooks n'a fait que puiser son inspiration dans les grands genres hollywoodiens, détournés avec une férocité équivalente aux bandes dessinées publiées par Mad magazine. Après les pastiches du western (Blazing Saddles) ou du fantastique (Frankenstein Jr), il se fait ici plaisir en mettant cette fois en scène directement l'usine à rêves. On y voit donc le cinéaste lui-même et ses potes les irrésistibles Marty Feldman et Dom DeLuise solliciter tout le gratin d'Hollywood pour réaliser un film muet, projet anticommercial s'il en est. Et — coup de génie — tout le film sera sans paroles (à une exception que je tairai pour ceux qui ne l'ont pas vu) !

Sous l'apparence d'une satire impitoyable du studio system, Silent movie peut ainsi également se savourer comme une  ode aux origines burlesque du cinéma hollywoodien. Cerise sur le gâteau, en plus de mettre en valeur les plateaux de la Fox, Brooks bénéficie d'un casting royal, avec notamment dans leur propre rôle et n'hésitant pas à jouer avec leur image Burt Reynolds, James Caan ou Paul Newman. Hilarant !




The Demon seed (Génération Proteus), Donald Cammel, 1977
J'ai passé un excellent moment devant ce film dont j'avais gardé quelques souvenirs flous de ma première vision, alors que j'étais bien jeune pour ce spectacle. Le format scope n'est pas pour rien dans l'efficacité de ce quasi huis-clos, tel qu'il s'instaure en particulier durant la partie centrale du film, entre Julie Christie et la présence invisible mais bien palpable de l'ordinateur. L'actrice livre d'ailleurs une véritable performance puisqu'elle rend tout à fait crédible son personnage au sein d'une intrigue assez culottée, et relativement en avance sur son temps. La notion d'intelligence artificielle a conservé le même potentiel menaçant qu'au temps du 2001 de Kubrick.

The Demon seed s'apprécie ainsi comme un très bel échantillon du genre fantastique américain tel qu'il s'exprime encore à cette époque, un cinéma pour adultes, où la science est systématiquement vectrice d'une terreur froide (The Andromeda strainEmbryo, The Stepford wives, Altered states, L'Emprise). Partition assez intéressante de Jerry Fielding, tantôt atonale, tantôt mélodique mais constamment crispante.




Sextette, Ken Hughes, 1978
Une véritable monstruosité dont on ressort avec les tripes un peu de travers. Superstar sulfureuse de Broadway (Sex) et Hollywood (Klondike Annie) dans les années 1920-1930, Mae West avait 85 ans quand elle a tourné dans cette tardive adaptation d'une de ses pièces. Elle y joue le rôle d'une star de la scène qui vient de se marier avec Timothy Dalton. Ne transcendant jamais son origine théâtrale, tout le film se déroule dans l'hôtel où le couple doit passer sa nuit de noces, sans cesse interrompue par les anciens maris de la dame, ou par les aléas d'une conférence internationale qui réunit au même endroit les grandes puissances de ce monde.

Le problème, c'est que malgré le maquillage outrancier, malgré les efforts du metteur en scène pour limiter les gros plans, et l'emploi de pudiques effets de flou artistique, il est impossible de ne pas être embarrassé par l'état de délabrement de celle qui fut une vamp géniale... dans les années 30 !  Elle est vraiment censée être plus jeune, en âge de faire tomber tous les jeunes hommes qui croisent son chemin. Même dans sa manière de se trémousser, on sent que Madame West grince. Elle porte une affreuse choucroute blonde sur la tête, un continuel sourire crispé, se dandine à deux à l'heure et chante affreusement mal. Oui, car ce truc se veut aussi comédie musicale, ce qui se traduit par des chorégraphies absolument minables, désynchronisées et très mal filmées (comme tout le reste du film de toutes façons). Dans ce naufrage total surnagent alors quelques moments de grâce : Dalton (très bon au demeurant — mais qu'allait-il faire en cette galère), qui chante à sa douce et tendre Love will keep us together, Mae West qui balance des vannes bien salaces à un parterre de gymnastes moustachus, Ringo Starr en réalisateur assez irrésistible qui humilie un jeune acteur, Alice Cooper en groom qui vient jouer sur un piano transparent, Tony Curtis (génial) en homme d'affaires russe, Keith Moon en couturier complètement allumé ! Un grand moment d'hallucination.




Being there (Bienvenue Mr Chance), Hal Ashby, 1979
L'un de mes films fétiches. Being there révèle à chaque vision de nouvelles beautés, et je n'en suis toujours pas revenu. Tour à tour drôle et émouvant, constamment surprenant et d'une audace confondante, le film est porté par des dialogues brillantsAdaptant son propre roman, Jerzy Kosinski signe une fable contemporaine intelligente, sans lourdeur démonstrative tout en étant merveilleusement limpide. Telle une spirale qui s'éloigne de son infime point de départ, le récit dévoile progressivement ses richesses et gagne en ampleur. Ce monde saturé d'images qui est le nôtre se cherche désespérément un nouveau prophète. Libre à nous de considérer alors la parole de Mr Chance comme celle du pur innocent ou celle du parfait idiot. 

Si le film touche au sublime, c'est dans l'équilibre miraculeux qu'il trouve entre son propos incontestablement satirique et le regard profondément humain porté sur ses personnages. Nulle condescendance de la part d'Ashby, qui bénéficie d'une troupe d'excellents acteurs. Shirley McLaine compose un rôle de femme vraiment magnifique, loin de tout idéalisme glamour, touchante sans être pathétique (mémorable scène de drague). Et Peter Sellers tout en intériorisation trouve sans doute là son plus beau rôle (son dernier en l'occurence). La relation que son personnage noue avec le vieux milliardaire (Melvyn Douglas) est absolument bouleversanteLa fin — ah, ce dernier plan — m'émeut toujours aux larmes. 

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