28 février 2017

Deux (excellents) romans australiens

Christos Tsiolkas, La Gifle, 2008
Gros uppercut dans la face. Une mise à nu impitoyable de la société d'aujourd'hui à travers un portrait de groupe. Même si ça se passe en Australie et que ça évoque de front la culture et l'état d'un pays qui a ses spécificités (l'émigration, les aborigènes), c'est un roman qui résonne sans problème au-delà de ces frontières. Tsiolkas nous fait assister sans pudeur à la façon dont les faux-semblants qui lient les personnages vont brutalement tomber. Le déclencheur, c'est ce geste qui donne son titre au livre, qui apparaît à la fois comme un dérapage et un moment de vérité. La jalousie, les mensonges, les mesquineries mais aussi l'amour vont alors entrer dans la danse, entre lutte des classes et conflits de génération.

C'est à la fois très cru dans l'écriture et très acéré dans la capacité qu'a l'auteur de nous faire accéder au cœur de ses personnages. Et derrière la rage, l'émotion parvient encore à surgir, lorsqu'il s'agira notamment d'explorer le présent un peu en marge des aînés comme des enfants (tout le roman alterne entre les différentes voix qui l'habitent). La Gifle prend ainsi des allures de fresque incroyablement puissante. Devenu best-seller en ses terres, le roman a inspiré en 2011 une mini-série qui fit l'événement en Australie, avant d'être réadaptée aux États-unis.



Karen Viggers, La Mémoire des embruns, 2011
On aurait tort de s'arrêter à sa couverture et son titre peu engageants (le titre VO, The Lightkeeper's wife n'étant pas plus attirant), qui m'évoqueraient plutôt une édition France loisirs pour mémés. Je ne l'ai pas fait et j'ai ainsi eu droit à une vraie et belle surprise. La Mémoire des embruns est un premier roman, particulièrement plaisant parce qu'on sent que l'auteur y a mis beaucoup d'elle-même (donc une œuvre personnelle), sans pour autant perdre de vue le goût du romanesque (donc pas complaisante). Certes, le début semble annoncer des enjeux plutôt balisés. Viggers nous présente un personnage de vielle femme au bord de sa vie, qui se retrouve soudain contrainte de reporter son regard sur un passé qu'elle a longtemps voulu taire. 

Et puis on se retrouve progressivement emporté par un sens de l'atmosphère aussi convaincant que dépaysant. La romancière nous promène en effet entre la côte australienne désolée, où les insulaires vivent en autarcie, et le grand froid de l'Antarctique. Et elle en parle évidemment d'expérience, ayant elle-même mené plusieurs missions sur le continent. Ainsi, en plus d'une histoire pleine de sensibilité et d'un suspense plutôt bien géré, on est aussi complétement pris par le talent de l'auteur pour nous immerger dans ses paysages. On sent véritablement le vent qui souffle sur ces pages, et toutes les forces de la Nature à l'œuvre. Le roman s'avère très adroitement construit, prenant son temps sans pour autant s'attarder sur des éléments inutiles, et l'on en vient à partager de très près toute la complexité et la profondeur de personnages pleins de vie. Captivant et même assez mémorable.

24 février 2017

Le Palais de la découverte, l'art de la science (2/2)

Première partie de l'article ici...



Aux marches du Palais
Sans doute est-on loin aujourd'hui de l’apparence qu'avait le Palais de la découverte inauguré en 1937. Le quartier, encadré des avenues Roosevelt et Eisenhower, des statues de De Gaulle et Churchill, et d’une stèle commémorant la chute du Mur de Berlin, est un intimidant lieu de mémoire. Les expositions des Galeries nationales du Grand Palais jouent l’événementiel. Une porte ouverte sur la grande nef montre un horizon si vaste qu’il en paraît irréel. On croit voir une toile peinte. Le périmètre du Grand Palais fait peu vibrer notre sensibilité. Il impressionne. Le contourner est une manière de nous conditionner pour aborder le Palais de la découverte comme un lieu protégé. Les espaces verts et la rotonde du Panorama apportent une touche de discrétion bienvenue et reposent le regard. Malheureusement, de très laids escaliers de secours cylndriques en métal gris, greffés tout le long du bâtiment depuis le premier balcon, en défigurent un peu la façade. L’entrée du Palais se situe juste en face du restaurant Lasserre. Fait curieux, officiellement, l’adresse n’a pas de numéro de rue.

Une fois dans le hall elliptique aux proportions majestueuses, l’œil est sollicité de toutes parts. Premier directeur de l'institution, André Léveillé écrivait avec justesse dès 1937 : « Vous ne pourrez rester insensibles à la grandeur qui se dégage des puissantes colonnades qui supportent la coupole. Les grandes lignes verticales sont heureusement coupées par des horizontales qui assurent le calme et l’apaisement. » Le Palais a accueilli des générations d'écoliers, qui déambulent ainsi chaque jour par grappes jusqu'aux balcons. Alors que des sons indéfinissables résonnent dans le vaste hall, des images en mouvement sont projetées sur le sol et sur les montants des vastes arcades. Sous nos pieds, une mosaïque (très en vogue autour de 1900) dessine des motifs végétaux style arts déco. Au sommet, trône l’énorme coupole de verre soutenue par du béton. Trois autres coupoles plus modestes sont aménagées l’une en planétarium (aile Sud, 15 mètres de diamètre, 200 places, plusieurs séances thématiques par jour), l’autre en salle d’optique (aile Nord). La plus petite (coin Sud-Est) abrite la salle du nombre π.

Régulièrement contesté dans sa pédagogie et menacé dans ses moyens, le Palais de la découverte se voit renforcé en 2010. L'édifice se voit en effet associé à la Cité des sciences et de l'industrie de La Villette au sein d'un nouvel établissement public baptisé Universcience. Divisé en huit sections (astronomie, chimie, mathématiques, physique, sciences de la terre, sciences de la vie, numérique, salle eurêka), il accueille en moyenne 700 000 visiteurs par an, dont 20% de scolaires.




Palais ou Temple ?
La réussite de l’exposition de 1937 (3 millions de visiteurs), prolongée de deux ans, assure la pérennité de l’invention de Jean Perrin. Face à l’intérêt toujours vivant de la population pour la culture scientifique, et à la régularité de la fréquentation depuis 80 ans, nous pouvons nous demander si ce lieu ne serait pas finalement plus proche du temple que du palais. En effet, ce qui préside à sa création est l’apologie d’une "mystique populaire" selon laquelle « la Science, par l’entremise des découvertes, assurera l’affranchissement des hommes. »  (texte de présentation du Palais). D’ailleurs, pour Perrin, les visiteurs se sont montrés face aux expériences, « respectueux comme on l’est dans une église. » Le temple a même ses idoles — la machine électrostatique, le planétarium et l’homme de verre — présentes dès 1937 et dont le succès n’a jamais été démenti, nourrissant pour longtemps les souvenirs du public. Ce modèle d’un lieu voué à la communion des fidèles autour de la science a fait des émules dans le monde (La Cité des sciences bien sûr, mais aussi l'Exploratorium de San Francisco, l'Exploradôme de Vitry-sur-Seine ou le Quai des savoirs de Toulouse).



Palais ou Cirque ?
Le Palais de la découverte souhaite offrir une relation directe avec la science. On devine la nécessité d’une installation électrique solide et d’un matériel à l’épreuve des manipulations infantiles quotidiennes. Panneaux explicatifs, expériences “presse-bouton”, médiateurs scientifiques rompus aux calembours. C’est ici que l’aspect forain du Palais est le plus tangible. Le public est invité à participer. La vulgarisation scientifique (la fameuse « science en train de se faire ») est alors proche du spectacle. La localisation de la salle d’électrostatique, où les cheveux longs se dressent, est par exemple facilitée par les rires que provoque l’expérience. Des vedettes parrainent à l'occasion certaines expositions-événéments, tenant parfois plus de l'attraction que de la rigueur scientifique.

Devant l’accumulation des sujets d’expérience, on finit par vaquer au hasard, manipulant au passage un écran tactile ou un objet-jeu, plus par curiosité que pour comprendre. L’appel du bouton rouge et la recherche du spectaculaire prennent le pas sur la lecture des notices explicatives. Le risque est grand alors de croire que « pour comprendre les acquis de la science moderne, il suffirait de voir, de toucher, de s’émerveiller. »[1] Car la science est le fruit d’un travail patient et acharné. Les séances de scolaires au planétarium peuvent à l'occasion être agitées, mettant à rude épreuve la patience des conférenciers. Au moins la sortie aura été l'occasion de se distraire et d'approcher la science sous un jour positif. Des prix Nobel de renom ont souvent témoigné tout ce que leur vocation devait au Palais. Avec une relative modestie de moyens — certaines installations affichent plusieurs décennies d’existence — mais beaucoup d’ingéniosité, grâce à la passion manifestée par les nombreux médiateurs rencontrés, « science et expérimentation se rejoignent pour notre plus grand plaisir », comme le dit le magicien Gérard Majax. Cette relative innocence, ce positivisme bon enfant (donc pas benêt) très IIIe République, forcent plutôt la sympathie. Nous sommes persuadés du caractère instructif des dispositifs du Palais. La séance au planétarium a été pour nous un beau moment de retour à une fascination de jeunesse, les étoiles.


Fermeture
Installé au cœur de Paris, dans un quartier éminemment touristique, logé par un édifice symbole de la capitale, le Palais de la découverte jouit toujours d’un franc succès. Malgré la concurrence non négligeable de la Cité des Sciences et de l’Industrie et des divers parcs d’attractions pseudo-scientifiques (Futuroscope), il attire toujours autant enfants et adultes, groupes scolaires et individuels, franciliens et provinciaux, filles et garçons. Il n’a jamais cessé de suivre à la lettre son programme, fidèle à Jean Perrin et à une République soucieuse de favoriser l’accès à la culture et au savoir au plus grand nombre. Son souvenir reste présent dans toutes les mémoires d’écolier.

Visuellement, grâce aux travaux qui lui ont définitivement rendu son espace intérieur, le Palais de la découverte peut à son tour témoigner des arts décoratifs de son temps. Son titre de “palais” est bien légitime. La cohabitation entre l’architecture d’un bâtiment né avec le siècle et la présentation d’expériences rendant compte des avancées les plus récentes de la science n’est sans doute pas pour rien dans ce qui fait son charme. C’est d’ailleurs dans les combles, des mansardes au toit en pente, que les ateliers de menuiserie et de mécanique élaborent et réalisent les ingénieux prototypes qui viendront prendre place dans les espaces d’expositions, confiés aux mains avides de savoir des visiteurs de tous âges. Là, le spectateur est Roi tout autant que la science.



BIBLIOGRAPHIE :
Pierre Cabanne, Nouveau guide des musées de France, Larousse, Paris, 1997
Chantal Georgel (sous la direction de), La Jeunesse des musées, Éditions de la RMN, Paris, 1994
Jean-Pierre Maury, Le Palais de la découverte, Découvertes Gallimard, Paris, 1994
Gilles Plum, Le Grand Palais, l’aventure du palais des beaux-arts, Éditions de la RMN, Paris, 1993



[1] Fabrice Noval et Fabrice Guého, Contre la culture gadget, in Libération, 14/09/1994

22 février 2017

Le Palais de la découverte, l'art de la science (1/2)

Palais de la découverte, avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris


Fondation
Pour retracer l’histoire de la conception du Palais qui nous occupe, il nous faut nous attarder sur celle du Grand Palais qui l’abrite. C’est sa première originalité. En France, une architecture dite "beaux-arts" se développe dans les dernières années du XIXe siècle, prenant le palais pour modèle. Les édifices se doivent d’être imposants. Ils célèbrent le triomphe d’un État moderne, d’une glorieuse puissance coloniale. À Paris, tous les onze ans, l’exposition universelle rend compte de l’avancée des techniques et des arts. Paris s’offre de nouveaux monuments (Palais de l’industrie en 1855, Trocadéro en 1878, Tour Eiffel en 1889). Pour l'exposition de 1900, il s’agira de se doter d’un palais des Beaux-arts qui en imposerait architecturalement. « Les progrès réalisés, ceux qui s’achèvent sous nos yeux, permettent d’entrevoir un spectacle dépassant encore par sa splendeur celui qu’il nous a été donné d’admirer. Quelle qu’ait été la magnificence des expositions précédentes, elles sont inévitablement éclipsées par les expositions nouvelles qui jalonnent la voie ouverte par l’humanité et résument ses conquêtes successives », déclarait le Ministre du commerce en 1892.


Se pose alors la question de l’emplacement. Les espaces du Champ de Mars, de la colline de Chaillot, de même que l’esplanade des Invalides sont occupés. La municipalité envisage de reprendre le périmètre de 1889, complété d’une annexe au Bois de Vincennes. La commission préparatoire de l’exposition vote finalement à l’unanimité pour celui de 1855. Là, se situe toujours le Palais de l’industrie, entre le rond-point des Champs Élysées et la Seine, lieu de fêtes et des manœuvres de la Garde nationale. En 1893 a été lancé le chantier de la gare souterraine des Invalides et du pont Alexandre III. C’est l’occasion de redonner un peu de mesure au lieu. Le massif Palais de l’industrie, dont l’architecture est critiquée, sera détruit. L’architecte Hénard estime qu’il « masque complètement l’esplanade des Invalides et coupe la surface des jardins des Champs Élysées en plusieurs tronçons isolés. » Le nouveau Palais sera donc disposé selon ce nouvel axe, ses deux façades plein Est et plein Ouest ne s’ouvrant ni sur la Seine, ni sur les Champs Élysées. Des jardins et diverses plantations tout autour font en sorte de rendre moins intimidantes ses dimensions.

Construit de 1897 à 1900 sous la direction de J. Bouvard, directeur des services d’architecture de l’exposition, de Charles Girault, architecte en chef, et des architectes Henri Deglaine, Albert Thomas et Albert Louvet, le Grand Palais des Champs Élysées, dit des Beaux-Arts, est inauguré le 1er mai 1900 par Émile Loubert président de la République. De l’autre côté de la nouvelle avenue Alexandre III (aujourd’hui avenue W. Churchill), s’installe le Petit Palais, construit dans un style plus baroque, mélange de Renaissance italienne et de XVIIIe siècle. Les monuments étant conçus pour durer, passée l'exposition l’État offrira le Petit Palais à la ville de Paris, propriétaire du terrain. Et c’est sous le nom de Musée municipal des Beaux-Arts que le bâtiment rouvre dès 1902. Musée du XIXe, les collections du Petit Palais souffrent aujourd’hui de la comparaison avec le musée national d’Orsay.



Le Grand Palais dispose, lui, d’un large espace couvert d’une verrière — la grande nef — entouré de galeries d’expositions sur deux niveaux. En tout 25 000 m2. Sans réel projet à long terme, le lieu se contentera d’abriter des manifestations aussi diverses que des concours hippiques ou agricoles, des ballets, congrès, cirques, salons de l’automobile, de l’aviation, de la T.S.F., expositions coloniales, quand il ne servira pas d'hôpital militaire. Le gigantisme de l’édifice donne encore aujourd’hui l’impression de plusieurs bâtiments autonomes.





Description
L’ouvrage mêle matériaux nouveaux comme le béton armé (brevet Hennebique 1892), et techniques traditionnelles du XIXe : pierre de taille pour la façade, meulières, mœllons (une partie venant des ruines du Palais de l’industrie), briques, charpentes métalliques et verrière pour la grande nef, dans un style proche des gares ou des palais d’exposition provisoires du Champ de Mars de 1889. 

De nombreux décors viennent habiller les façades Est (Grand Palais) et Ouest (Palais de la découverte). Elles se distinguent par la présence de deux niveaux de balcons et une disposition de colonnes ioniques par paires (sur les faces Nord et côté Seine, les colonnes sont engagées). Une frise polychrome dessinée par Thomas et sculptée en grès cérame montre un défilé de chars symbolisant le progrès de l’humanité. La décoration de l’entrée, solennelle, du Palais de la découverte donne un aperçu des intentions des artistes ayant répondu aux architectes, intentions valables pour l’ensemble de l’édifice :

Encadrant la porte, deux statues équestres en bronze nous surplombent : La Science en marche en dépit de l’ignorance, de Victor Peter, et L’Inspiration guidée par la sagesse, de Falguière. Sur leurs bases respectives, deux médaillons de Daniel-Dupuis représentent La Peinture et La Sculpture. Deux lions chevauchés par des chérubins et exécutés par Germain bordent le perron. La muse de L’Art, sculptée par Barrias, veille sous la voûte au-dessus de la porte. Sur chacune des quatre doubles colonnes, quatre groupes de statues : La Poésie et la musique (Larche), L’Histoire et la peinture (Thomas), L’Architecture et la science (Cordier), La Sculpture et la gravure (Blanchard). Sur l’acrotère se tenait une fonte de Tony Noël représentant Apollon, trois muses et un lion. Fragilisée par la rouille, l’œuvre fut détruite en 1934. Sur le frontispice, cet épigramme de Victor Sardon, dramaturge oublié : « Ce monument a été consacré par la République à la gloire de l’Art français. » Ces allégories pleines d’assurance pompière ne dépareilleront point lorsqu’il sera temps pour elles d’encadrer l’entrée de ce qui deviendra Palais de la découverte.






Redéfinition
L’idée d’un musée des sciences est pensée dès 1932 par l’éminent Jean Perrin — prix Nobel de physique 1926, spécialiste de l’atome, fondateur du CNRS, créateur du Département chimie-physique à la Sorbonne et sous-secrétaire d’État à la recherche scientifique du Front Populaire. Secondé par le physicien Paul Langevin, proche du Parti communiste, et conseillé par André Léveillé, vice-président de la Confédération des Travailleurs intellectuels et futur premier directeur du Palais de la découverte, Perrin intègre le comité d’organisation de l’Exposition internationale des Arts et des techniques dans la vie moderne de 1937. Son intention est de faire comprendre que « nous ne pouvons espérer rien de vraiment nouveau, rien qui change la destinée, que par la recherche et la découverte. » Pour lui, le Palais qui se prépare se doit d’être  « mieux qu’un musée. » 

Depuis les cabinets de curiosité du XVIIIe siècle, recherche et relations publiques sont restées à distance. Le Muséum national d’Histoire naturelle était le seul modèle de musée scientifique. Avec le Palais de la découverte, le musée devient lieu d’expériences. Le professeur Hamburger, qui participa à l’élaboration de ce nouvel objet, résumait ainsi le projet : « Il ne s’agissait pas de présenter objets et souvenirs de l’histoire de la science, il s’agissait de montrer la science en train de se faire, d’ouvrir au public des laboratoires en activité, de faire participer le public aux démonstrations, à la naissance de la découverte : c’était vraiment, dans l’histoire des musées, une révolution. » Tout, dans l’aménagement de l’espace et des installations, doit participer d’une sorte d’esthétique relationnelle avant l’heure.




Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
Depuis 1900, la ville a changé. En 1937, il n’est plus question de bouleverser tout un quartier. Le Trocadéro finit d’être exploité en accueillant les Musées de l’Homme, d’Art moderne, et de la Marine. Profitant de l’importante superficie des salles inutilisées du Grand Palais, le Palais de la découverte s’installe dans l’aile Ouest, et dispose en outre d’une annexe avenue de Selve (abandonnée en 1942 par mesure de sécurité). Un minimum de travaux est nécessaire. L’architecte Germain Debré est chargé par un comité de scientifiques de décorer le Palais dans un style géométrique. Moulures et ferronneries disparaissent sous le contreplaqué. Les passages intérieurs vers le Grand Palais sont condamnés afin de constituer deux entités distinctes. L’entrée principale est déportée sur la façade postérieure à l’Ouest, avenue Victor-Emmanuel III (ex-avenue d’Antin, rebaptisée encore plus tard avenue Franklin D. Roosevelt). Elle est elle-même modernisée. 

On passe commande à des personnalités comme Marcel Gromaire, Jean Lurçat, André Lhote, Jacques Lipchitz. Fernand Léger peint la grande fresque installée dans un escalier, Le Transport des forces, ode à la science, au progrès et à l’effort humain d’inspiration clairement socialiste. Le 24 mai 1937, le Palais de la découverte est inauguré par le président de la République Albert Lebrun. Une publicité annonce 400 expériences en fonctionnement, 50 laboratoires, 1 500 kilowatts et 11 tonnes de tuyaux. La presse se fera l’écho de ce nouveau concept d’exposition. Le public est au rendez-vous.


En 1939, un déménagement est envisagé au Conservatoire national des Arts et Métiers. Car comme l’écrit Jacques Kayser, vice-président du Parti radical, « le Grand Palais se prête mal à l’exposition scientifique. » Perrin ne doute pas du transfert : « Le Parlement, la Ville de Paris et les pouvoirs publics semblent bien disposés ; nous aurons sans doute sans trop de peine le local et les crédits nécessaires pour réaliser à Paris le Louvre de la Science. » Mais le Palais de la découverte ne rendra jamais sa liberté au Grand Palais. La guerre interrompt les travaux confiés à l’architecte en chef du Conservatoire André Granet. En mai 1940, la verrière est endommagée par des éclats d’obus. En novembre, les Allemands parquent mille camions militaires dans la nef. En mai 1941, l’intérieur du Palais est transformé pour l’exposition pétainiste La France européenne. Les cloisons de bois qui servaient depuis 1900 pour les Salons sont retirées. L’accrochage s’inspire des méthodes pédagogiques du Palais de la découverte (dioramas, tableaux animés, maquettes).

À la Libération de Paris, le 23 août 44, les affrontements déclenchent un incendie dans le Grand Palais. Les premières années de l’après-guerre voient l’édifice vite reprendre son activité de parc d’expositions (Salons des arts ménagers, exposition Techniques américaines). La cohabitation avec le Palais de la découverte s’envenime. André Léveillé tentera même d’annexer la partie intermédiaire. Progressivement, le Palais devient une institution. On commence à remettre à jour ses moulures et ferronneries d’époque. Les verrières ne se cachent plus. Le goût de l’ancien revient en force. En 1979, le planétarium, installé dans le hall d’entrée depuis 1952, déménage dans la coupole Sud. En 1992, J.-L. Roubert, conservateur en chef du Grand Palais, dirige de nouveaux travaux, qui consistent à rendre au “Palais d’Antin” ses qualités essentielles : « symétrie, lumière et transparence... »




Deuxième partie de l'article ici...

20 février 2017

Saga La Planète des singes VI. 1974

Planet of the apes (La Planète des singes), 1974
Une série produite par Stan Hough

Scénarios de Anthony Wilson et Art Wallace

1 saison de 14 épisodes

Avec : Roddy McDowall, Ron Harper, James Naughton...


Définitivement installée comme franchise, la saga Planet of the Apes a achevé son parcours sur grand écran avec la sortie en 1973 de Battle for the planet of the apes. Il est vrai que l'histoire développée par le scénariste Paul Dehn a d'une certaine manière bouclé sa boucle temporelle et ce serait sans doute en gâcher la richesse que d'en imaginer de nouveaux prolongements, avec la crainte que le public se lasse. La mort du maître d'œuvre, le producteur Arthur P. Jacobs, survenue la même année, entérine symboliquement cette fin d'une époque.

En 1974, les cinq films ressortent pourtant déjà en salle, soutenus par une importante campagne publicitaire. La cohérence de l'ensemble peut ainsi être appréciée, et il sera par la suite difficile de considérer chaque épisode comme un film isolé du reste. Le merchandising qui envahit la planète (déguisements, mugs, figurines, comic books, cahiers de coloriage, jeux de société...) impose de nouveaux standards...


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17 février 2017

Craig Thompson, Habibi, 2011

Craig Thompson, Habibi, 2011
Les mots me manquent pour exprimer la chef-d'œuvritude de ce roman graphique. Déjà en 2003, Blankets avait créé l'événement par la maturité impressionnante dont y faisait preuve son auteur, avec un récit ample, impudique et sensible. Nouvel accomplissement, Habibi se révèle comme un pavé d'une prodigieuse richesse visuelle et narrative, une lecture qui procure un choc émotionnel comme j'ai rarement eu l'occasion d'en connaître. 

Du point de vue romanesque, c'est aussi dense que le plus gros des romans, les personnages passent par toute une série d'épreuves initiatiques, et grâce à un vrai sens du suspense et de l'invention, leur parcours est rendu captivant. Et Thompson de parvenir à mêler harmonieusement à son intrigue déjà bien riche toute une série de récits envoûtants issus en majeure partie des traditions orientales et des religions du Livre, ce qui lui donne une dimension aussi intemporelle qu'universelle, au parfum de légende, avec une volonté d'indétermination très intéressante quant à l'époque où est censée se dérouler l'histoire. Ce qui créé des moments très forts lorsqu'un élément moderne surgit, qu'on serait presque tenté de considérer comme anachronique. 

La claque ne serait évidemment pas totale sans la maestria graphique du dessinateur, avec un trait extrêmement vivant, et en même temps une perfection dans le tracé des visages, le rendu des expressions et des mouvements qui rend chaque planche fascinante à contempler, en plus de ne jamais céder à la facilité. Inspirée par l'art de l'enluminure et de la calligraphie, la composition des pages est absolument splendide, multipliant les trouvailles graphiques virtuoses mais jamais gratuites puisqu'ici la forme épouse le fond comme rarement.



Après un tel travail, le gars peut tranquillement prendre sa retraite. Il s'affirme sans conteste au niveau des plus grands, et ce n'est pas lui faire déshonneur que de préciser que j'ai très souvent pensé au cours de ma lecture à Will Eisner. Les deux auteurs américains semblent en effet partager un même humanisme et une même approche de la mise en scène, où les cases se libèrent des canons narratifs tout en offrant une suprême lisibilité.




15 février 2017

Saga La Planète des singes V. 1973

Battle for the planet of the apes (La Bataille de la planète des singes), Jack Lee Thompson, 1973
Avec : Roddy McDowall, Natalie Trundy, Claude Akins, LewAyres, Paul Williams, John Huston...


Même si l'on sait que l'industrie cinématographique a le goût des post-scriptum, en 1973 Battle for the planet of the apes se présente comme le chapitre final d'un récit inauguré cinq ans plus tôt. Ce film s'annonce donc comme fondamental, chargé de faire définitivement le lien avec la situation telle qu'on l'a connue dans le tout premier opus réalisé par Franklin Schaffner, et bouclant ainsi la vertigineuse boucle temporelle. 

Sans doute effrayé par le ton très noir de Conquest of the planet of the apes (rattrapé in extremis par le remontage de la fin), le producteur Arthur P. Jacobs se ressaisit et propose d'achever le cycle sur une note plus optimiste. Paul Dehn, malade en début de production, se voit adjoindre un couple de scénaristes qui devront assurer cette orientation vers un divertissement plus familial, une perspective qui sera incarnée à l'écran par le personnage du fils de Caesar, auquel les jeunes spectateurs pourront s'identifier. Choix étrange en plus de contredire le ton adulte des précédents films, puisqu'on suppose que le jeune public n'a pas été autorisé à voir Conquest of the planet of the apes. Recouvrant la santé pendant le tournage, Dehn s'autorisera de nouvelles et importantes modifications du script, ce qui se ressentira sur le résultat final...

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