25 décembre 2015

Noël ! Noël !

King of kings (Le Roi des rois), Nicholas Ray, 1961

La superproduction antique a été à partir du milieu des années 50 une étape presque obligée pour un grand nombre de réalisateurs hollywoodiens. Parmi les plus notables : De Mille (The Ten commandments), Hawks (Land of the Pharaohs), Wyler (Ben-Hur), Vidor (l'embarrassant Solomon and Sheba), Aldrich (Sodom and Gomorrah), Mankiewicz (Cleopatra)Anthony Mann (l'intelligent et somptueux The Fall of the roman empire), Kubrick (Spartacus), George Stevens (The Greatest story ever told) ou encore Huston (The Bible). Ce sont des œuvres mal aimées, déconsidérées souvent à raison par rapport aux autres films de ces cinéastes, car jugées comme de grands barnums forcément impersonnels.

Film peu connu, parce que vite mis dans le même panier, King of kings version 1961, c'est du Nicholas Ray en fin de carrière, à une époque où le cinéaste était plus que porté sur la bouteille. C'est un film de commande, qui se révèle avant tout très illustratif, n'ayant donc absolument pas pour ambition de proposer un semblant de réflexion sur les Évangiles. Certes. La raison pour laquelle j'en parle et le loue, c'est parce que c'est magnifiquement mis en scène. Le film ne trouve en effet pas son intérêt dans son récit mais bien dans sa forme. Pas un plan, pas un enchaînement qui ne soit surprenant, riche d'inventivité, rendant vraiment le visionnage d'autant plus jubilatoire qu'on n'en attendait pas tant. Ray ne s'est clairement pas endormi pendant le tournage, et l'on retrouve par moment la patte sophistiquée du metteur en scène de Rebel without a causeOrson Welles assure la narration en voix-off, tandis que dans le rôle-titre, les yeux bleus de Jeffrey Hunter incarnent ce qu'il faut de magnétisme. Mais c'est surtout Robert Ryan qui en impose en Jean le baptiste. L'acteur donne l'impression d'être fait d'un seul bloc, prêt à assumer son destin jusqu'au bout. Il ne faut vraiment pas rater l'occasion de découvrir ce film méconnu qui propose donc un spectacle visuellement époustouflant... avant d'enchaîner avec son pendant satirique, le génial Monty Python's life of Brian.



Barabbas, Richard Fleischer, 1961
Une superproduction chapeautée par De Laurentiis, le mogul italien que Fleischer retrouvera en fin de carrière pour ses adaptations rigolotes des romans de Robert E. Howard. J'ai écrit plus haut que s'il semblait pourtant idéalement s'y prêter, le genre du peplum n'a pas vraiment donné de films réussis sur le sujet religieux, préférant privilégier le folklore et le spectaculaire, plutôt que de traiter dignement la représentation et le sens des mythes, ou de poser la question de la croyance. Adaptant le roman du Suédois Pär Lagerkvist, prix Nobel de littérature, le film de Fleischer procède un peu comme le Ben-Hur de Lewis Wallace : il s'agit en effet dans les deux cas d'aborder la figure et le message du Christ via un personnage secondaire, en marge des textes canoniques. Là, le prince déchu Ben-Hur, ici le bandit Barabbas, être fruste grâcié par la foule et qui va lutter pendant des années pour donner un sens à ce nouveau destin. 

La force du film s'impose au spectateur dès les premières images, qui projettent sur l'écran les moments forts de la Passion du Christ. Clair-obscur impressionnant et maîtrise admirable d'un format cinemascope exploité dans toutes ses possibilités.  Et c'est peu de dire que le film prend une toute autre dimension si on a la chance de le voir sur grand écran. Fleischer définissait ce film comme une superproduction intimiste, et le résultat est en effet aussi spectaculaire qu'intelligent. Des mines de souffre, aux arènes de gladiateur, des bas-fonds de Jerusalem à l'émergence d'une lumière intérieure, la trajectoire du protagoniste propose un voyage d'une très grande richesse. Le film est vraiment une des plus belles réussites du genre selon moi — et sur tous les plans (interprétation, scénario, photo, musique, réalisation). Et dans le rôle-titre, Anthony Quinn est tout simplement prodigieux, trouvant certainement là un de ses rôles les plus intéressants.




Il Vangelo secondo Matteo (L'Évangile selon Saint-Matthieu), Pier Paolo Pasolini, 1964
Des visages, des figures... Soucieux de vérité et de retour aux sources, Pasolini refuse ici toute fabrication dramaturgique. Il donne corps au texte, rien qu'au texte et on a ainsi l'impression comme jamais auparavant que la parole du Christ nous est donnée dans toute sa force. L'Évangile de Saint-Matthieu procédant par épisodes, Pasolini respecte cette construction lacunaire et ne craint pas les ellipses brutales, au risque parfois de faire décrocher le spectateur devant l'avalanche des paraboles. Mais comme cette vision qui nous est proposée est inédite, on reste fasciné et, malgré tout, la voix et les idées du prophète nous pénètrent. 

Portée par la seule présence des acteurs, la force du film nait également de cette rigueur esthétique qu'impose le cinéaste. L'inscription des personnages dans la Nature et la lumière en devient alors souvent envoûtante. Le noir et blanc violemment contrasté de Tonino Delli Colli est absolument magnifique, et même si on peut trouver que Pasolini en abuse un peu à force de répétitions, les musiques choisies (Bach, Mozart, du gospel) créent de beaux moments, l'émotion parvenant finalement à surgir lorsque le Christ arrive au bout de son chemin et entre dans la douleur. 




The Last temptation of Christ (La Dernière tentation du Christ), Martin Scorsese, 1988
Au-delà de ses audaces discutables — la scène des baptêmes de Jean-Baptiste est un peu trop rock n'roll — il s'agit pour moi d'un des films les plus justes et intelligents jamais réalisés sur les origines du christianisme, l'approche la plus convaincante de ses mystères et de son message originel, un évangile qui me parle vraiment, un choc dont je ne me suis jamais remis (sans remettre en cause mon athéïsme, je précise). Formidablement secondé par le scénario de Paul Schrader, Scorsese nous fait assister à la naissance d'une morale moderne qui a pour but de libérer l'homme en lui révélant l'amour de son prochain. On constatera ensuite l'évolution douteuse de cette morale, et comment bien vite elle est détournée puis confisquée pour devenir dogme et mystique. 

Je trouve les partis-pris du scénariste et de son réalisateur passionnants, avec cette volonté de demeurer à hauteur d'homme, quand bien même il s'agirait de cet Homme-là (ecce homo). Scorsese n'élude pas les tourments qu'il aurait pu éventuellement connaître, sa conscience de se sentir réellement possédé, sa peur d'un destin de souffrance, l'horreur de soi-même. Autant de thèmes abordés avec une justesse et une poésie confondantes. Riche de réflexions, le film est aussi un spectacle fascinant, avec ce qu'il faut d'éléments romanesques et de tension. On sent qu'il a été tourné difficilement et avec peu de moyens, mais cette sobriété sert parfaitement son propos. Le score supervisé par Peter Gabriel s'associe avec grâce à la mise en scène de Scorsese qu'on sent viscéralement habité par son sujet, alternant entre moments de rage et de contemplation. Et Willem Dafoe, Harvey Keitel et Barbara Hershey en particulier livrent une interprétation absolument sublime. Bref, j'idolâtre ce film.

17 décembre 2015

Walt Disney pictures presents (2000-2009)


Dinosaur (Dinosaure), Ralph Zondag, Eric Leighton, 2000
En ce début de millénaire, Disney semble s'être transformé en une machine infernale, multipliant les sorties cinéma tout en inondant les bacs de directs to video aussi opportunistes que désolants de médiocrité. Cette productivité aura paradoxalement pour conséquence une relative nouvelle liberté, la chance offerte à quelques auteurs de s'approprier leur œuvre en livrant des films assez inhabituels, tant par leur ton que par leur style, mais bénéficiant toujours de cet inimitable savoir-faire technique du studio. Un peu comme si la direction avait eu moins de temps pour surveiller ses troupes.

Avant d'avoir donné les moyens à Pixar de produire son premier long-métrage, Toy story, Disney avait été pionnier dans le domaine de l'animation assistée par ordinateur. Depuis Basil détective privé, pratiquement chaque film contenait une scène avec un élément animé en 3D (la salle de bal de Beauty and the beast, la caverne à tête de tigre d'Aladdin, etc.). Sorti en 2000, Dinosaur représente une nouvelle date, étant le premier film du studio dont tous les personnages sont des créations numériques. Cette première expérience n'a cependant pas été couronnée de succès, et demeure à l'état de tentative timide destinée à prouver au monde que Disney est prêt à s'affranchir de la suprématie dans ce domaine de Pixar

Le résultat impressionne néanmoins, et on ne peut pas dire que les moyens n'ont pas été mis. L'ouverture du film cherche en effet à en mettre plein la vue, et à nous assurer de la parfaite maîtrise technique des animateurs. Suivant le périlleux parcours d'un œuf, la séquence est en fait une véritable bande démo, au rendu ultra-réaliste qui nous présente un monde préhistorique comme on ne l'a jamais vu, multipliant les points de vue, les interactions avec l'environnement, les mouvements de caméra et les variations de rythme au diapason du score ample de James Newton Howard. La splendeur visuelle du film, son originalité, viennent du fait que les décors sont authentiques, et que les dinosaures animés y ont été incrustés, tout en conservant le dynamisme d'une mise en scène alerte. Le plus efficace étant sans doute l'absence totale de dialogues qui donne pour un temps l'impression d'avoir affaire à un documentaire. Ce préambule laissait donc augurer du meilleur. Malheureusement, très vite la machine disneyienne se remet en branle, et décide de donner la parole aux animaux. Oubliée l'approche naturaliste, retour à de l'anthropomorphisme de base, porté par des personnages aussi peu attachants qu'agaçants, englués dans une histoire sans intérêt qui semble n'avoir pas fini d'être écrite. Le voyage réserve cependant quelques beaux moments, comme la spectaculaire scène du météorite qui annonce le cataclysme à venir, et qui visuellement ne manque pas de poésie.




The Emperor's new groove (Kuzco l'empereur mégalo), Mark Dindal, 2000
La bande annonce complètement loufoque m'avait déjà bien vendu le film, et j'ai été bien inspiré de céder à la curiosité. Kuzco ne s'inscrit pas vraiment dans la lignée des grands classiques Disney, donnant l'impression d'avoir été produit en marge. Ça s'explique par le fait qu'il s'agit de la reprise en main de dernière minute d'une production abandonnée intitulée Kingdom of the sun, que devait réaliser Roger Allers le coréalisateur du Roi lionet qui proposait une approche beaucoup plus sérieuse du monde Inca. Mark Dindal a donc pour tâche de boucler le film en catastrophe, quitte à lui faire prendre une toute nouvelle route. La direction du studio semble alors s'en désintéresser complétement et souhaiter seulement que le film sorte avant de passer à autre chose (soit le blockbuster Atlantis). D'où sans doute cette impression d'un film de contrebandier. Bénéficiant donc d'un budget moindre et d'un timing serré, c'est peu de dire que Dindal se sort brillamment de ces conditions de travail. Il opte avec réussite pour des décors très sobres et stylisés, reposant sur des formes géométriques épurées qui renvoient judicieusement à l'art précolombien. Pratiquement réduits à un quatuor, les personnages ont ainsi toute latitude pour s'y déployer. L'animation est évidemment impeccable, le réalisateur limitant les grands effets effets spéciaux, et s'appliquant plutôt à fignoler les poses et les expressions de ses personnages. Ceux-ci deviennent ainsi de purs objets cartoonesques, prompts aux déformations et au burlesque délirant. Le spectacle est ainsi aussi efficace dans les scènes de pur vaudeville (l'irrésistible scène de l'auberge), que dans les passages dialogués riches de second degré. 

Visant un public plus ado-adulte qu'enfant, le film est une comédie échevelée politiquement incorrecte, qui pourrait revendiquer la même filiation qu'Aladdin ou Hercule, de Clements et Musker. Mais dopé à l'irrévérence, il pousse le bouchon plus loin en s'affranchissant encore plus largement du sérieux et d'un scénario grand public trop balisé. Si l'épopée du protagoniste réserve d'inattendus moments d'émotions, on est avant tout là pour rire, y compris face aux menaces jamais inquiétantes des méchants. Et Kuzco ne se prive pas de saborder au passage certaines traditions du studio, détournant même les climax disneyiens avec ce mémorable affrontement final qui rappelle par son usage de la magie Merlin l'enchanteur. Bref, The Emperor's new groove est sans conteste l'un des Disney les plus anticonventionnels, se revoyant sans lassitude.




Atlantis the lost empire (Atlantide l'empire perdu), Kirk Wise, Gary Trousdale, 2001
On sent qu'avec ce film Disney s'essaye à autre chose, marchant presque sur les plates-bandes du malheureux Titan A.E. de Don Bluth sorti l'année précédente et qui ciblait lui aussi un public plus adolescent. Finis donc les contes de fées et le merveilleux, on tente cette fois l'expérience de la grande aventure de type serial, avec un récit empruntant à Jules Verne et Conan Doyle. Confié aux réalisateurs stars de la maison Trousdale et Wise, Atlantis est une production ambitieuse, un gros budget techniquement impeccable qui avait largement de quoi séduire.

Les réalisateurs de Beauty and the beast et de The Hunchback of Notre-Dame sont sans doute les auteurs des plus beaux films Disney, soignant toujours le rendu visuel de leurs films. On pouvait donc compter sur eux pour se dépasser encore. Ils s'associent au talent singulier de Mike Mignola pour la conception graphique, tandis que James Newton Howard signe une nouvelle fois une partition épique appropriée. Pas de chansons, des personnages aux préoccupations plus adultes, une atmosphère générale plutôt sombre avec de nombreuses scènes nocturnes ou sous-marines, et la menace constante du danger. Bénéficiant du format cinemascope inusité depuis Taram, le résultat est visuellement souvent impressionnant, nous plongeant dans des ambiances steampunks vraiment dépaysantes et offrant son lot de scènes d'action spectaculaires.  

Mais il faut quand même faire preuve de beaucoup d'indulgence pour accepter les raccourcis scénaristiques et le manque d'imagination des péripéties. On finit par totalement se désintéresser des enjeux comme du destin des personnages, pourtant nombreux mais insuffisamment développés. Le récit est de même plombé par des retournements de situations improbables avant de s'achever sur une conclusion sans éclat. Cependant, même si la déception fut clairement de mise lors de sa découverte en salle, je reste sur le souvenir d'avoir quand même eu des moments de satisfactions, et je ne refuserai donc pas d'y rejeter un œil à l'occasion.




Lilo & Stitch, Dean De Blois, Christopher Sanders, 2002
Après Kuzco, Disney semblait poursuivre dans une voie nouvelle de film plus discrets mais complètement hors-normes. Futurs réalisateurs d'How to train your dragonChris Sanders et Dean De Blois avaient auparavant travaillé sur le script de Mulan. L'idée originale de Lilo & Stitch appartient à Sanders, et remonte au milieu des années 80. Le projet a été encouragé par Disney, qui a vraiment voulu porter ce film d'auteur, ayant confiance dans le talent de ses deux collaborateurs. En terme de budget et de durée de production, il s'agit d'un "petit" film, qui aura néanmoins su réunir autour de lui d'immenses talents. On ne peut que louer l'intelligence du scénario, drôle, inventif et émouvant. Le récit peut en effet passer du déferlement d'action le plus jouissif (l'évasion de Stitch, la poursuite aérienne finale), à la drôlerie (gags visuels comme verbaux) et à l'émotion (la tristesse profonde de Lilo, l'ouverture au sentiment de Stitch). Un mélange des tons d'une justesse admirable, comme on en a rarement vu chez Disney. 

Plus étonnant encore, l'inscription de l'action dans une réalité sociale plutôt sombre, voire tragique. L'action se situe dans l'archipel de Hawaï. Assez subtilement, on devine le clivage entre les habitants de l'île et les touristes occidentaux, comme deux mondes qui ne se mélangent vraiment jamais, et dont l'un se présente comme supérieur à l'autre. Toute l'économie de l'île tournant autour du tourisme, le touriste y est Roi, et l'autochtone à son service. Lilo et sa grande sœur Nani sont les seuls vestiges d'une famille brisée, Nani s'efforçant de trouver un emploi afin de conserver la garde de sa petite sœur. Il ne s'agit pas pour autant de rendre l'atmosphère pesante, mais plutôt de ne pas idéaliser l'environnement. La culture hawaïenne y a tout autant sa place, et on sent que les réalisateurs on voulu en proposer une approche respectueuse, avec la danse hula et les chants, sans jamais donner l'impression de tomber dans l'exotisme facile. 

Le récit possède un rythme à la fois très enlevé et capable de créer de beaux moments d'intimité. Le tout sur une durée assez brève (75-80 minutes). Et ce qui joue beaucoup dans la réussite du film est aussi la façon dont est montrée la lutte de Stitch avec ses instincts. Issu d'une manipulation génétique, il s'inscrit clairement dans une filiation avec la créature de Frankenstein, enrichisant progressivement ses sentiments au contact des humains. Tout cela est montré avec beaucoup de subtilité, tout étant exprimé par l'animation : la façon dont il baisse les oreilles, détourne le regard, sa fascination pour l'histoire du vilain petit canard qu'il va tenter de reconstituer, etc. Animé avec soin par l'incontournable Andreas Deja, tous ses mouvements sont remarquables d'expressivité, aussi bien dans les moments de rage que dans les moments d'émotion. C'est bien simple, certaines scènes jouant sur la corde sensible font monter les larmes, à l'égal du Géant de fer, Monstres et Cie ou E.T. (ces trois films partagent d'ailleurs des traits communs). Dénuée de tout manichéisme, la fin du film est particulièrement réjouissante, avec les deux aliens gaffeurs qui se joignent à la cause de nos héros et la séquence euphorisante du sauvetage de Lilo dans un esprit très super-héros. Il y a des films, comme ça, où l'on est vraiment heureux de se voir offrir le spectacle que l'on espérait. Le happy end est au rendez-vous, mais il est parfaitement amené et justifié — à l'inverse de celui du Bossu de Notre-Dame qui semblait plutôt se moquer du spectateur.

Concernant la musique, il faut mentionner le score génial d'Alan Silvestri, que Sanders et De Blois tenaient vraiment à avoir. Il leur livrera une partition incroyablement inspirée et vive, parfaitement en accord avec le rythme du film, dans un esprit parfois très cartoon (mickeymousing), lorsque des accents aux ambiances complètement différentes se succèdent dans une même scène. Deux thèmes en particulier, l'un riche en émotion, l'autre ébouriffant de lyrisme, se détachent de l'ensemble et ajoutent encore au bonheur du visionnage. L'autre plaisir musical est sans nul doute la présence de chansons d'Elvis Presley dont Lilo est fan et qui vont dynamiser encore le film, chaque chanson étant utilisée de manière savoureuse.

Tout l'aspect visuel du film est de la main de Chris Sanders. Son style très personnel se caractérise par des rondeurs qui détonent de façon bienvenue par rapport aux canons du studio. Le résultat est particulièrement réussi, tant en ce qui concerne les personnages (humains comme aliens), que les vaisseaux spatiaux, avec un mélange 2D/3D parfaitement intégré. Les décors de l'arrière-plan sont pour leur part peints à l'aquarelle, technique délicate que Disney avait abandonné depuis Bambi ; les dessinateurs du studio ont d'ailleurs du suivre une formation pour maîtriser cette technique. Question animation, le travail est plein de finesse et d'expressivité. C'est là que tout le savoir-faire de la maison-mère est incontestable. On sent que chaque scène a été abordée avec le plus grand soin, et on ne se lasse pas d'observer les solutions visuelles imaginées pour rendre tel regard, telle mèche tombante, tel haussement d'épaule. Le personnage de Stitch à lui seul est une géniale création, combinant divers éléments d'animaux, sans jamais en évoquer spécifiquement un seul, capable d'endurer tous les coups, et dont la rencontre avec Lilo va le conduire à une lutte douloureuse contre sa nature destructrice. La créature sera une véritable aubaine pour le département merchandising de Disney telle qu'il n'en avait pas connu depuis The Lion king

Bref, il y aurait encore énormément à dire sur cette petite merveille, tant le film est riche. C'est pour moi un des meilleurs longs métrages d'animation de cette décennie, qui me ravit à chaque vision et dont je ne peux que constater le talent déployé à tous niveaux. Le makingof proposé sur l'édition collector du film est tout simplement exceptionnel. Soit deux bonnes heures elles-mêmes enrichies de 2 autres heures de documentaires annexes sur des vétérans de l'animation chez Disney ou Warner (Joe Grant, Maurice Noble), avec extraits de films et scènes coupées quasiment finalisées. Prenant la forme d'un journal de bord, il permet d'assister à des conférences destinées aux animateurs du film pour apprivoiser le design des personnages. Le tout sans aucune langue de bois et dans la bonne humeur, loin, très loin des commentaires habituellement bêtifiant de Disney (du genre « ici, on produit des chef-d'œuvres immortels de père en fils... »). Le montage est passionnant, on voit tous les collaborateurs du film s'exprimer et travailler, on suit toute la progression de la production, avec les importantes modifications qu'a subi le film. Au centre de tout ça, on a droit à un véritable portrait intime de Sanders et De Blois. Ceci enrichit considérablement l'appréciation du film, tant est confirmé l'immense soin accordé à leur bébé par les deux réalisateurs. Une référence.




Après ce film qui va connaître un heureux succès, le studio distribue en 2002 Treasure planet (La Planète au trésor), l'aboutissement d'un projet muri de longue date par Ron Clements et John Musker. Transposition dans un univers de science-fiction du roman mythique de Stevenson, je n'ai pas vu le film qui ne m'inspirait pas du tout, semblant creuser le sillon déjà mal tracé par Atlantis. 

Échec patent au box-office, Treasure planet symbolise la fin d'une époque, celle où le label Disney faisait autorité. Le studio semble en effet définitivement cesser d'accorder à ses long-métrages le traitement soigné qui en faisaient de véritables événements mondiaux. Les sorties sont plus confidentielles, le studio se compromet dans des suites de grands classiques qui essorent honteusement le filon de la moindre franchise. Le spectateur ne sait plus s'il a affaire à une production ambitieuse ou à un sous-produit. Peut-être suis-je passé à côté de réussites. À côté de l'irregardable Pocahontas 2, Tarzan 2 et Bambi 2 avaient l'air plutôt soigné (ce dernier bénéficiant même d'une sortie en salle). Les quelques séquences entrevues de Brother bear (Frère des ours, 2003) m'avaient semblé visuellement très belles mais le film a été distribué avec si peu de considération que je n'ai pas cherché à m'y intéresser. De même, La Ferme se rebelle (2004) qui célébrait pourtant le grand retour d'Alan Menken au pupitre. Ne parvenant plus à retrouver de second souffle, agacé à juste titre par les réussites commerciales et/ou critiques de ses concurrents, Disney a ensuite carrément annoncé la fermeture de son département d'animation 2D. Les films utilisant la technique traditionnelle sont jugés insuffisamment rentables et plus au goût du public qui en parallèle fait un triomphe à Finding Nemo (Pixar), Shrek (Dreamworks) ou Ice age (Fox), et le studio ne veut pas se retrouver à la traîne. Je n'ai pas vu Chicken little (2005) qui bénéficierait apparemment d'un bon scénario, ni The Wild qui en 2006 donnait la pénible impression de plagier Madagascar. C'est peut-être ça le plus dommage dans cette histoire. Mine de rien, la technique de l'animation en 3D a imposé de nouveaux standards, et en dehors de la qualité du scénario, il est parfois difficile de distinguer un studio d'un autre. En faisant ce choix, Disney risquait tout simplement de perdre ce qui faisait son identité, son inimitable touche graphique. 



 
Meet the Robinsons (Bienvenue chez les Robinsons), Stephen Anderson, 2007
Preuve d'un manque de confiance, le studio n'a pas davantage sorti l'artillerie lourde pour assurer la promotion de ce titre. Film sans prétention, Meet the Robinsons s'avère être un divertissement assez agréable, doté d'un rythme plutôt reposant et qui évite curieusement la surenchère dans le spectaculaire qui semble être le lot des longs-métrages réalisés en images de synthèse, qui se croient tous obligés à un moment où à un autre de proposer une séquence de montagnes russes (Toy story avait sans aucun doute ouvert la voie avec sa poursuite finale). Les visuels ne sont pas particulièrement délirants, techniquement, entre l'animation et la mise en scène, le film se situe dans une bonne moyenne, mais sans pour autant extasier. 

L'ensemble n'est pas trop enfantin et peut s'apprécier à tout âge. L'humour y est plutôt convaincant (la grenouille hypnotisée, le très rigolo bonhomme au chapeau melon, plus bête que méchant). Il y a de belles idées et à l'occasion s'y exprime une forme de gravité liée au statut d'orphelin du héros. Exploitant le thème du voyage dans le temps, les scénaristes ne s'encombrent cependant vraiment d'aucun scrupule pour provoquer d'énormes paradoxes spatiotemporels qui auraient fait s'arracher les cheveux de Doc Brown. Le film est quand même peu mémorable. On retiendra surtout la musique bien inspirée de Danny Elfman, enrichie à quelques reprises de chansons plutôt réussies signées Rufus Wainwright




The Princess and the frog (La Princesse et la grenouille), Clements, Musker, 2009
Le film offre un retour à la 2D qu'on n'espérait plus, véritable cadeau rendu possible par la reprise en main du département animation par John Lasseter qui va mettre un terme à la série noire de cette décennie. Signé du duo mythique Clements et Musker, La Princesse et la grenouille est une vrai réussite qu'on n'attendait pas, parvenant à exploiter comme ils l'ont fait sur La Petite sirène les bases forcément limitées d'un conte. 

Le film vient rappeler une évidence : Disney est le meilleur studio d'animation du monde. Tout est au rendez-vous : scénario remarquablement équilibré, originalité du traitement qui transpose le conte de fée du merveilleux médiéval au bayou de Louisiane (avec la couleur musicale que cela implique, ton humoristique décalé et toujours aussi efficace, méchant rendu encore plus jubilatoire grâce à sa maîtrise de la magie noire, et même pointe d'émotion inattendue qui achève de rendre le film étonnamment attachant. Bref, un vrai beau voyage, pour l'instant demeuré sans suite puisque les long-métrages suivants sont restés sur de l'animation 3D.



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