11 mai 2017

Le Cinéma de Barbet Schroeder I. 1987-1996

Barfly, 1987
Une magnifique retranscription de l'univers de Bukowski,  qui signe lui-même l'adaptation, bien plus convaincante que celle, à mes yeux glacée et soporifique, des Contes de la Folie ordinaire par Ferreri. Je ne l'ai vu qu'une seule fois, et il y a déjà longtemps, mais j'en garde le souvenir fort d'une plongée pleine d'empathie dans un microcosme pourtant peu glamour. Certes, Mickey Rourke a une un peu trop belle gueule dans le rôle d'Hank Chinaski, cet alter ego de l'auteur censé être une épave pathétique, un "vieux dégueulasse". L'acteur vivait là le sommet de sa carrière, et certainement un de ses plus beaux rôles. 

Cru, drôle, triste, violent comme la vie, le film déroule une histoire toute simple de piliers de comptoir qui s'efforcent malgré tout d'exister. Décors, photographie signée Robby Müller, et mise en scène sont au diapason pour capturer et porter à l'écran ces virées nocturnes, entre bars qui ferment et bouts de trottoir déserts. Je recommande par ailleurs vivement la lecture du récit que Bukowski a consacré au tournage du film : Hollywood. Les noms des intervenants ont été changés mais c'est transparent. Tous les passages mettant en scène les méthodes de travail de Golan/Globus sont irrésistibles. Et la prose si typique de l'écrivain y est intacte.





Reversals of fortune (Le Mystère Von Bülow), 1990
Adaptant un fait divers médiatisé, et sur la base d'une reconstitution méticuleuse, Schroeder trousse un film de procès de première classe. Le spectateur est invité à douter jusqu'au bout des apparences, et à voir la vérité lui échapper. Mettant en scène un couple de la haute société qui lutte précisément pour préserver la façade de son image, le film offre des rôles en or à Glenn Close et Jeremy Irons, ce dernier se voyant consacré cette année-là par l'Oscar du meilleur acteur.

Reversals of fortune fait partie pour moi de ces productions impeccablement bien fabriquées, qui ne touchent pas pour autant de corde sensible, et vers lesquelles on n'aura pas forcément envie de revenir, mais qui parviennent à nous happer quand le hasard nous donne l'occasion de nous retrouver devant.






Single white female (J.F. partagerait appartement), 1992
Pas revu depuis sa sortie. Je reste sur le souvenir d'un film de colocataire psychopathe relativement basique et inoffensif, mais efficace dans sa progression. D'abord feutré, le récit propose une suite de variations de plus en plus inquiétantes sur le mimétisme et la parano, dans une veine qui mélangerait les cauchemars domestiques de Polanski et le suspense ludique hitchcockien. Schroeder exploite intelligemment tous les recoins de son décor, cet immeuble de Manhattan qui devient un véritable personnage, sorte de terrain de chasse qui révèle progressivement toutes ses menaçantes potentialités.

Un tel pitch donne une belle occasion à ses actrices de s'amuser, et Bridget Fonda comme Jennifer Jason Leigh participent grandement à l'efficacité du résultat. Rétrospectivement, par son esthétique comme par sa structure, Single white female me donne l'impression de s'inscrire dans une mouvance du thriller typiquement 90's qui compterait des titres moins convaincants comme Sliver, La Main sur le berceau, Cape fear ou Fenêtre sur pacifique.




Before & after (Le Poids du déshonneur), 1996
Très joli film intimiste qui s'intéresse de front aux bouleversements subis par une famille à la suite de la mise en accusation du fiston pour assassinat. Schroeder raconte comment la cellule voit mise à l'épreuve la solidité de ses liens et de ses valeurs face au soupçon de crime. Et c'est bien cette interrogation sur le mal et sur la culpabilité intrinsèque à l'humanité qui irrigue profondément une bonne part de l'œuvre du cinéaste. Il adopte ici un point de vue très réaliste, observant chaque étape du processus et les réactions qu'elles occasionnent, essentiellement chez les parents (Liam Neeson, grandiose, et Meryl Streep impressionnante, forcément). Cela aboutit à un film très sobre, qui fait oublier sa mise en scène, et qui parvient à émouvoir par sa justesse de ton. Les personnages, forcément paumés, ne savent quelle attitude adopter face à une situation qu'ils n'avaient jamais pensé devoir affronter, font des erreurs, espèrent les rattraper. Bref, c'est toute cette complexité qui se voit ici décortiquée, d'ordre moral, éthique, voire métaphysique (référence au sacrifice d'Abraham).

Plus que le "poids du déshonneur" auquel fait référence le titre français passe-partout, il est finalement davantage question ici du poids de la vérité et du mensonge. En fait, on n'est très loin du film de procès et du Mystère Von Bülow, Schroeder s'arrangeant cette fois pour systématiquement éluder les scènes attendues de prétoire, pour mieux se concentrer sur ses personnages, avant et après. Alfred Molina crève l'écran en avocat, et c'est l'époque où Edward Furlong jouait encore dans des bons films (ou avait encore un bon agent). Enfin, Howard Shore donne à ce drame une ampleur orchestrale assez inattendue. Tout le film se déroule dans une atmosphère enneigée proche de ces autres très bons faux polars glacés et vrais drames que sont Un Plan simple et Affliction (et Fargo pas loin évidemment), et qui semblaient alors avoir la côte.


DOSSIER BARBET SCHROEDER :

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