28 septembre 2018

Le Cinéma de F.F. Coppola VII. 2007-2012

Youth without youth (L'Homme sans âge), 2007
Après dix ans sans tourner, dix années une nouvelle fois pavées de projets avortés comme l'arlésienne Megalopolis, Coppola revient. En 2007, une telle annonce pouvait encore faire figure d'événement. D'autant que ce fut un retour via une œuvre difficile, très personnelle, et non un énième film de commande — quand bien même il est toujours parvenu dans ces cas-là à des résultats ne respirant pas trop la compromission (on se rappellera que The Godfather était une commande).

Comme la plupart du temps avec le cinéaste, la source est littéraire. Adaptant une nouvelle de Mircea EliadeL'Homme sans âge est une œuvre de poète, osée, étrange et finalement très attachante, riche d'idées formelles qui laissent deviner la touche du fidèle complice Walter Murch au montage. Coppola, qui imprima si souvent dans nos rétines l'image d'une Amérique mythique, s'exporte et laisse enfin pleinement s'exprimer sa sensibilité européenne. Le film raconte l'histoire d'une quête douloureuse à travers le temps des Hommes, et invite à un voyage passionnant aux origines du langage. Progressivement émerge une émouvante romance mystique qui n'est pas sans évoquer, toutes proportions gardées, Bram Stoker's Dracula, alternant moments dérangeants et pur envoûtement. Tim Roth et Bruno Ganz sont de la partie et l'on se dit alors que Mister Francis is still alive.





Tetro, 2009
C'était il n'y a pas si longtemps encore un cinéaste qu'on n'attendait plus. Miraculeusement, voilà que Coppola se retrouve à enchaîner les tournages, et parvient encore à surprendre, manifestement désormais affranchi des exigences commerciales des studios et libre de créer. Le spectateur est embarqué dès les premiers plans dans l'atmosphère très épurée, presque rêvée, d'un Buenos Aires intemporel magnifié par le noir et blanc. Échappant à toute catégorie, Tetro rappelle comme une évidence ce qu'est le cinéma, ce qu'il doit être : splendeur de la photographie, élégance des cadrages, goût du risque avec un rythme fait de nonchalance et de sorties de routes, confiance donnée à des acteurs capables de tenir une scène dans sa durée. J'ai apprécié retrouver Vincent Gallo, perdu de vue depuis sa grande période dans les 90's, et le jeune Alden Ehrenreich est une vraie et belle révélation. Le film développe leur relation fraternelle complexe, entre admiration et salutaire mise à distance, tandis que la figure de Maribel Verdu complète le triangle. Se cantonnant pour un temps à l'observation de leur cohabitation en appartement, le film fascine par sa liberté et sa théâtralité, comme si le maître retrouvait la fraîcheur du débutant.

Et puis la vie de Buenos aires s'immisce, on se familiarise avec le petit monde exubérant du music hall et de cette troupe de théâtreux de quartier. Gallo avait plus ou moins réussi à s'y faire une place en tournant le dos à son passé, et son petit frère va en quelque sorte réussir à trouver sa voie en occupant la place laissé vacante. Entre deux fulgurances visuelles où Coppola rend hommage au cinéma de Powell et Pressburger, le récit déroule une histoire très riche sur la famille, le poids de l'héritage, la soif d'absolu de l'artiste confrontée à la présence écrasante du patriarche auquel on est censé tout devoir (impeccable Brandauer). Et l'on est une nouvelle fois fortement tenté d'y voir une projection du cinéaste lui-même et du combat de toute sa vie. Mes seules réserves porteront sur un dernier quart d'heure moins convaincant, où les situations semblent un peu s'embourber dans le cadre d'un festival présidé par Carmen Maura qui manque étrangement de vraisemblance, alors que jusqu'ici authenticité et poésie se mariaient idéalement.




Twixt, 2012
Retour au film de vampire, que Coppola avait lui-même revitalisé exactement vingt ans plus tôt. Mais on est loin du baroque de son Dracula. Tourné avec peu de moyens, et en équipe réduite, Twixt ressemble presque à un film de jeunesse. Inspiré d'un rêve du cinéaste, le scénario ne cherche jamais à solidifier cette base, et aurait sans doute mieux tenu la distance sur un court-métrage. Coppola nous invite à un voyage aux sources de l'inspiration de l'artiste. Ici il s'agit d'un écrivain, mais on pourrait aussi y voir le portrait du cinéaste, écartelé entre les nécessités matérielles qui le contraindraient presque à la commande commerciale, et ses envies d'œuvres plus personnelles mais que personne ne veut financer. Son imagination s'abreuve autant de son vécu, douloureux ou prosaïque, que de ses rêves, qui sont eux-mêmes le fruit de la réalité qu'il vit et de ses références culturelles. Le terreau est donc assez riche.

Placée sous le signe de la poésie macabre et romantique d'Edgar Poe, mais loin de la vision romanesque qu'en donna Roger Corman, la trame est relativement lâche, et si elle fonctionne à peu près, c'est en partie grâce à l'amusante prestation d'un Val Kilmer gentiment hagard. Visuellement, reflétant la fièvre et les fantasmes de son protagoniste, le film présente une esthétique très travaillée et volontairement artificielle. Le traitement numérique de l'image est toutefois moins heureux que les effets optiques tout aussi anachroniques d'un Dracula. Le budget n'explique pas tout, mais difficile de résister à l'impression d'avoir davantage affaire à un Direct to video qu'à un long-métrage de cinéma. Jusqu'à l'épilogue qui tient presque de la blague. Mais je prèfère ça plutôt que de nous infliger un sérieux papal tout du long. 

Twixt tient donc un peu de la récréation, et court sans doute le risque de ne pas marquer les esprits, mais pour une fois son peu d'ambition n'est pas pour autant indigne d'intérêt. On notera enfin l'excellente bande son, pas du tout conventionnelle dans ses orchestrations, signée par l'Argentin Osvaldo Golijov, qui collaborait ici pour la troisième fois avec le metteur en scène. 



DOSSIER FRANCIS FORD COPPOLA :

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