4 juillet 2018

Le Cinéma musical de Brian De Palma III. 1981-1984

Blow out, 1981
La richesse et l'intelligence de ce film, où De Palma concentre ses obsessions en une parfaite harmonie, en font pour moi son chef-d'oeuvre. Le scénario repose sur un dispositif magnifiquement inspiré, transcendant celui du Blow out d'Antonioni avec le son qui viendrait remplacer l'image, et des trouvailles poétiques qui tourneraient presque à l'abstraction. Au-delà d'Antonioni on pourra aussi légitimement penser à The Conversation de Coppola, qui mettait lui aussi en scène un personnage hanté par le sens à donner à de maigres indices, témoin accidentel errant seul dans les eaux troubles de la paranoïa et du complot. Avec ce rôle habité et tragique, Travolta faisait clairement là une de ses meilleures compositions

De Palma n'a pas tourné le dos à ses engagements de jeunesse et distille ici encore un vrai discours politique au sein de son thriller. Le fait que l'action se déroule à Philadelphie n'est évidemment pas du au hasard, la ville incarnant le berceau de la Constitution américaine, et devenant le théâtre du crime d'État. Enfin, le film s'achève sur une des plus belles fins du monde, du climax anthologique sous un ciel de feu à la conclusion douloureuse d'amertume. De Palma et Donaggio ne se quittent plus, et ce dernier se montre là à son sommet avec un score assez bouleversant, dont la tonalité romantique joue un rôle essentiel dans la justesse de ton du film :





Scarface, 1983
La grande fresque sur l'Amérique corruptrice, aux dimensions quasi-opératiques. Malgré le statut de remake du film de HawksScarface 1983 ne propose pas un univers décontextualisé, ne cherche pas à jouer au film de gangster référentiel. En ce début des années 80, l'innocence se voit foulée aux pieds, c'est le règne de l'arrivisme, de la vulgarité, de la coke et du fric. Oliver Stone signe un vrai chef-d'oeuvre de scénario, impeccable dans sa progression dramatique. Prenant le risque d'un rôle de brute antipathique, machiste et criminelle, Pacino est magistral et fait entrer Tony Montana dans l'Histoire. Du grand art.

Pour la bande son, j'ignore si ce fut la volonté du réalisateur, toujours est-il que le choix de Moroder apparaît comme une véritable concession à la mode. Le compositeur vit en effet à ce moment-là sa période de gloire à Hollywood (Midnight express, American gigolo, Cat people, Flashdance). Tout ce qu'il touche se transforme en or et ses bandes originales triomphent chez les disquaires. Plus que ses rythmes synthétiques aux couleurs discos qui se veulent le triste reflet des personnages, j'en retiens personnellement surtout le thème d'ouverture, ses nappes sombres associées aux images et au texte d'introduction qui ancre le film dans une réalité politique et sociale essentielle :






Body double, 1984
Jouant jusqu'au vertige avec les notions de voyeurisme et de mise en scène, Body double est un festival pour cinéphiles. Fenêtre sur cour et Vertigo sont une nouvelle fois explicitement conviés, mais de façon presque désacralisée. Le héros manipulé est cette fois un benêt plongé dans un monde de dupes, celui du Hollywood. Non pas le Hollywood glamour des grands studios, mais celui de la porte de derrière, du cinéma d'exploitation, des acteurs qui galèrent et des rôles de figuration où l'on disparaît sous le masque. Pour De Palma c'est un peu l'heure de la récréation, presque du plaisir solitaire. Je conçois donc que le résultat ne soit pas du goût de tout le monde, mais continue à trouver le film très rigolo, et finalement pas tant caricatural qu'ironique. 

Le film est également intéressant parce qu'après Pulsions, le réalisateur continue à œuvrer aux codes du thriller érotique de psychopathe, genre qui va surtout éclore dans la première moitié des années 90 : Fatal attraction, Basic instinct (qui payait lui aussi sa dette à Vertigo), ou encore J.F. partagerait appartement. C'est donc loin d'être une œuvre impersonnelle, et on peut aussi le voir comme une autocritique De Palma sur ses propres trucs de metteur en scène. Difficile néanmoins d'avaler son climax qui se dégonfle et qui donnerait presque l'impression que le film tient de la blague. Impossible également d'être ému par la dimension romantique du récit malgré les efforts qu'y mettent le réalisateur et son compositeur. Les thèmes lancinants aux sonorités électroniques datent sans doute un peu trop le film, mais le score de Donaggio est pleinement à l'image du film, sournoisement séducteur tout en assumant l'héritage hitchockien par des accents très herrmanniens :




Dancing in the dark, 1984
À cette date, ils n'étaient pas très nombreux les cinéastes bien en place prêt à se compromettre dans la réalisation de clips musicaux. C'est un format encore naissant, bientôt célébré par Easton Ellis mais d'abord imposé par l'événement que fut le Thriller de John Landis, et qui fit la gloire d'MTV. Soudainement, la vidéo devient un outil marketing incontournable. Parmi les réalisateurs s'essayant à l'exercice on peut relever Besson pour Adjani, Gainsbourg et Mylène Farmer, Scorsese pour le Bad de Michael JacksonGus Van Sant pour Bowie ou les Red Hot Chili Peppers, ou encore P.T. Anderson (je parle bien de cinéastes tâtant du clip, et pas de clippeurs passés au cinéma comme Fincher, Jonze, Corbijn ou Gondry).

Faisant donc vraiment figure de pionnier en 1984, De Palma réalise d'abord le clip de Relax, premier single phénoménal de Frankie goes to Hollywood, qu'il intègre au cœur se son Body double (et que le groupe refusera finalement). Puis il se met au service de Springsteen qui triomphe alors avec son Born in U.S.A. Je ne m'emballerai pas trop sur le résultat. Déjà ce n'est pas ce que le Boss a fait de plus intéressant musicalement. Et puis là où la plupart des cinéastes trouvent dans le clip l'occasion d'expérimenter, De Palma opte pour une mise en scène franchement sage voire conventionnelle en mode captation de live, sans doute le concept de clip le plus paresseux. Seule originalité, l'invitation à monter sur scène d'une spectatrice, incarné par la toute jeune et mimi Courtney Cox. Image sympathique mais qui ne suffit pas à insuffler le moindre soupçon de dramaturgie :



DOSSIER BRIAN DE PALMA :

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