Paru la même année que l'excellent Pendule de Foucault d'Eco, Le Huit s'apparente lui aussi à un gros thriller ésotérique totalement rocambolesque, avec tout ce que cela implique de réactions absurdes des personnages face aux dangers mortels qui leur
tombent dessus, et de coïncidences improbables. Pour son premier roman, mettant à profit toute son expérience professionnelle et ses voyages, Neville fait preuve d'une ambition démesurée, alternant entre les
époques et les lieux, et menant son récit avec une assurance folle. Sans que ça
tienne du gadget, elle réussit à mettre dans son creuset pratiquement tout ce
qui peut exister de mythes et de croyances sur la planète, et réussit à en faire
les expressions d'un seul et même système.
S'appuyant manifestement sur de vraies
connaissances, tant culturelles que géographiques, elle nous fait voyager avec
ses personnages dans des ambiances très variées, qu'il s'agisse de la France de la Terreur, du Manhattan des 70's ou de
l'Algérie post-coloniale. On s'y croit, le suspense est bien tenu, même si on se fiche un peu
de la résolution d'une énigme qui a tendance à trop épaissir. Comme de coutume dans ce genre de roman dès qu'il est question d'Histoire, on y croise forcément que
des personnages célèbres, que ce soit Rousseau, Talleyrand, Napoléon, Bach ou Catherine II, et c'est fait avec une générosité telle, avec ce qu'il faut de sérieux dans la
documentation et d'ironie dans les péripéties, qu'on s'amuse beaucoup tout du
long. Et quand on y regarde de plus près, on apprécie également le fait que ce
soit plutôt très bien écrit.
Connie
Willis, Le Grand livre, 1992
Willis est une auteur qui m'intriguait depuis
longtemps. Ce titre en particulier a eu récemment les honneurs d'une belle réédition
grand format chez J'ai lu, et été auréolé de rien de moins que les
prix Hugo, Nebula et Locus. Je m'attendais donc à quelque chose de puissant. La déception n'en fut que plus grande. J'ignore si la traduction est en cause, mais j'ai
rarement eu autant l'impression d'avoir affaire à un roman aussi inabouti. Le récit est inexplicablement répétitif, l'intrigue se traîne tellement que je me
suis demandé si Willis ne s'était pas contentée de livrer son premier jet, sans jamais
se relire, ce qui est évidemment improbable de la part d'une auteure ayant autant de métier. Les personnages ne cessent de se poser les mêmes questions, c'est
sans rythme ni action, alors qu'on est plongé dans un monde (deux mondes, en fait)
qui devrait nous fasciner.
Il y est question de voyages temporels, mais le
système est décrit avec une absence totale de crédibilité. Les scènes du présent se révèlent vite sans intérêt, les personnages étant contraints à des
aller-retours entre une université et un hôpital pour mener une enquête sur les
origines d'une épidémie, mais sans jamais parvenir à mettre en lumière le moindre indice. En parallèle, les scènes
médiévales mettent en scène une héroïne qui se retrouve bien vite à faire pareillement du surplace. On appréciera les touches régulières
d'humour et une certaine loufoquerie, mais ce sont toujours les mêmes ressorts employés. Alors, certes, les cent dernières pages de ce pavé qui en compte sept cent sont formidables, dressant un
tableau aussi effroyable qu'émouvant des ravages de la peste dans un petit
hameau de l'Angleterre du XIVe siècle, et c'est ce qui permet d'achever sa lecture sur une
forme de récompense. Mais moi qui abordais cet écrivaine avec enthousiasme, me
voilà bien refroidi à l'idée d'en prolonger la découverte en ayant à nouveau affaire à ce style.
Kate
Mosse, Labyrinthe, 2005
Un autre pavé estival, thriller historique proposant lui aussi une alternance entre deux époques qui se répondent à travers le temps. Le roman n'est pas
toujours très fin sur le plan du style et de la construction de l'intrigue
policière, et Mosse ne parvient pas vraiment à composer des personnages attachant, tombant un peu facilement dans les stéréotypes. Mais le voyage est plutôt bien conduit, nous emmenant de Chartres aux Pyrénées, avec la cité de Carcassonne
comme pivot.
C'est surtout tout l'aspect historique qui tient en haleine,
incontestablement documenté et dont on sent que le sujet passionne l'auteur.
Mosse nous fait en effet revivre avec émotion et précision le monde du Midi en
pleine époque de croisade contre les Cathares. La reconstitution de cette période est évidemment bien plus palpitante que les chapitres contemporains prenant la forme d'une enquête, même s'il y est question du passionnant langage de l'architecture religieuse. Ayant continué à œuvrer dans cette même veine, il sera intéressant à l'occasion de voir si les titres suivants de l'auteure ont gagné en finesse d'écriture.
Dan
Simmons, Drood, 2009
Pour une première rencontre avec l'œuvre de Simmons, ce ne fut pas la révélation espérée. On assiste ici de très près aux dernières années de la vie de
Dickens, narrées en toute subjectivité par son confrère Wilkie Collins. Tout en nous plongeant dans une étrange affaire à la Dr Mabuse, Simmons a apparemment
eu à cœur d'offrir la reconstitution la plus riche possible du milieu
littéraire de l'époque, quitte à s'attarder sur des éléments qui jouent
finalement peu dans l'intérêt de l'intrigue proprement dite. Ce qui aboutit à un
roman ultra touffu de pratiquement mille deux cent pages, qui n'a réellement commencé à
m'amuser qu'à partir de la 600e (je sais, je suis un acharné), alors que je m'attendais à un page turner jubilatoire.
Si on est amateur de Dickens, ça doit être un régal de voir
ainsi revivre le Saint-Patron des écrivains anglais, ses petites manies, ses angoisses et ses aveuglements. Personnellement, dès qu'on s'éloignait trop du récit de
mystère patiemment construit, j'avais envie de crier au hors sujet. Et si Simmons sait
incontestablement raconter, son bouquin n'est pas non plus du genre de ceux qui transcendent par leur style. Ça ne m'empêchera évidemment pas de revenir vers d'autres titres, et j'aurais sans doute du commencer par me tourner vers les valeurs plus sûres que sont ses grands cycles (Hypérion, Ilium ou l'Echiquier du mal).
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