Derrière son titre
passe-partout un peu trop propice à l'oubli, ce À travers temps (en V.O. : A bridge of years) fut plus qu'une bonne pioche.
Il s'agit d'un roman publié par Wilson en 1991 mais resté inédit en France jusqu'en 2010. Tout le talent de l'auteur naturalisé canadien est déjà
là, à savoir cette capacité à peindre des personnages vrais, qui existent pleinement pour ce qu'ils sont et ce qu'ils ressentent, et pas du tout en tant que pauvres pantins au service d'un pitch-gadget de science-fiction. Wilson ne perd donc jamais de vue la dimension humaine de son récit, lui donnant ainsi une vraie force émotionnelle. Et par dessus-ça, il développe et exploite assez génialement son concept de S.F., décrit avec l'intelligence nécessaire pour le rendre crédible, tout en conservant une part de mystère. Il y est notamment question de voyage dans le temps, sujet toujours un peu risqué car susceptible d'éveiller les soupçon du lecteur en quête d'incohérences. Sauf qu'ici, il ouvre des perspectives aussi poétiques qu'effrayantes.
J'ai donc été très agréablement touché par ce très beau roman, par son écriture et par le destin de ses personnages, dont on partage l'existence de très près, leurs
espoirs, leurs faiblesses, leurs doutes dans lesquelles on peut se projeter, presque trop aisément (humains, trop humains). Et c'est un texte finalement assez
triste, et en même temps passionnant et souvent jubilatoire à lire par le sens du suspense dont fait preuve son auteur.
Spin, 2005
De temps en temps, je pense à me laisser guider dans mes lectures en me fiant à certains prix littéraires. Parmi ceux qui jusqu'ici se sont très souvent révélés fiables, il y a le Pulitzer et le Hugo. Auréolé de ce dernier prix, et bénéficiant d'une réputation presque intimidante, Spin aura effectivement été un très grand moment de lecture, me laissant enthousiaste du début à la fin. Ignorant tout
de son sujet, j'ai été cueilli par son vertigineux postulat S.F. que Wilson parvient à rendre parfaitement convaincant grâce à son sens du juste détail. Il met en scène un trio de personnages idéalement complémentaires, apportant toute la subjectivité
nécessaire pour permettre au lecteur de saisir l'ampleur de l'incroyable phénomène qui va bouleverser leur existence,
n'oubliant aucune de ses conséquences, qu'elles soient économiques, sociales, politiques ou métaphysiques.
Tout ça pourrait n'aboutir qu'à un roman froid, distant, ou platement scientifique. Or
c'est tout le contraire. En effet, Wilson ne perd jamais de vue ses
personnages, qui n'ont pas pour autant oublié de vivre. Il s'efforce de toujours les laisser au premier-plan de son histoire. Et si leur relation
est aussi touchante, et même souvent poignante, c'est bien parce que ce qu'elle met en jeu n'est pas directement lié aux
éléments purement S.F. Et surtout parce que c'est merveilleusement bien écrit, avec un style plein de chaleur, de justesse et de
sensibilité dans sa caractérisation des personnages. Les épisodes s'enchaînent en
multipliant les atmosphères, et Wilson se montre aussi inspiré dans les moments d'émotion et d'introspection que
dans les moments d'action, terriblement palpitants. Du très grand art. Je l'ai lu en sachant que
l'auteur avait depuis prolongé son récit sous forme de trilogie, mais imaginais que ce premier titre se suffisait à lui-même, et ne prévoyais donc pas
forcément de m'intéresser aux volets ultérieurs. Or, la conclusion de Spin
appelle assez clairement une suite, ça va donc être dur de ne pas y jeter un œil.
Mais après une telle réussite, mes attentes sont si élevées que je crains une inévitable déception. Je ne m'y suis donc toujours pas collé, et avoue rechigner un peu.
Julian, 2009
Après l'enthousiasme procuré par Spin, mon Wilson suivant aura finalement été ce Julian, épais roman dont j'avoue être ressorti franchement tiède. L'auteur y développe
et prolonge un texte précédemment publié sous forme de longue nouvelle, et je
m'attendais du coup à quelque chose de très personnel et inspiré qui justifierait qu'il ait ressenti le besoin de revenir sur cette œuvre. Or, le roman
ne parvient jamais réellement à surprendre, l'écrivain échouant à nous faire vraiment croire à la réalité du monde qu'il a choisi de peindre. L'histoire se situe
dans un futur proche qui, suite à différentes crises notamment pétrolières, est
pratiquement revenu au niveau technologique et social du XIXe siècle (pas très éloigné de l'univers du Jeremiah d'Hermann). On est
donc dans une sorte d'uchronie de l'Amérique de ce temps. Wilson revendique ici l'héritage de Mark Twain, et même son écriture
semble contaminée par l'esprit et le style du roman du XIXe, très élégant
certes, mais plein d'une fausse naïveté et d'une ironie qui tendent à créer de la distance. En conséquence de quoi, et c'est un comble chez Wilson, les personnages manquent un peu de profondeur
psychologique et tiennent plutôt du pantin.
Les thématiques conviées ne sont pas
non plus follement originales dans le cadre du genre post-apocalyptique, et on ne s'étonnera pas de voir traitées les questions de dictature politique et d'intégrisme religieux. Les seuls
éléments un tant soit peu convaincants concernent les scènes de guerre, la vie
des soldats au front, dont l'atmosphère est pour le coup assez réussie, la longueur du roman se révélant alors payante. Mais cette relative déception a un petit peu fait baisser ma confiance dans le talent de Wilson, qui ne réussirait donc pas à tous les coups.
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