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26 mars 2020

Kings of Hong Kong XI. 2013-2015

Detective Dee II : La légende du dragon des mers, Tsui Hark, 2013
Avec Detective Dee, Tsui Hark semble avoir trouvé son nouveau Wong Fei-Hong. Il se plaît donc à prolonger son existence avec cette prequel dans laquelle Andy Lau ne rempile pas puisqu'il s'agit en effet de raconter les années de jeunesse et de formation du héros, incarné par un Mark Chao qui se révèlera tout à fait convaincant même si moins charismatique que son prédécesseur. On apprécie toujours autant le génie de déductions et les talents d'artiste martial du personnage. Son invincibilité est cependant telle qu'on y perd un peu en implication lors des scènes d'action. L'émotion est davantage sollicitée lorsqu'il s'agit de développer sa relation avec ses compagnons.

Cet épisode déroule une nouvelle enquête pas inintéressante, mélangeant complot à la Cour impériale et craignos monster, dans des décors qui semblent encore avoir gagné en opulence. Le spectacle projeté à l'écran est stupéfiant, et même si les chorégraphies de Yuen Bun ne seront pas les plus marquantes de sa carrière, il serait malvenu de jouer les blasés face à leur folle inventivité — jusqu'à une bataille navale qui cherche sans doute à rivaliser avec Pirates des Caraïbes. On pourra regretter le score inconsistant de Kenji Kawai. La franchise sera encore enrichie d'un troisième volet en 2018, La Légende des rois célestes, qui reprend les mêmes ingrédients avec la même jubilation.




The Grandmaster, Wong Kar Wai, 2013
Figure historique devenue légendaire, fierté nationale et contributeur essentiel au renouveau du kung fu, Ip man fut aussi connu pour être un des maîtres de Bruce Lee. À partir de 2008, il retrouve les faveurs du cinéma, notamment via les incarnations de Donnie Yuen. Après son appropriation des codes du wu xia pian sur Ashes of time (1994), Wong Kar Wai applique au film de kung fu son écriture si particulière, imprégnant chaque image d'une forme de langueur mélancoliquePlus qu'un biopic du grand maître, c'est une évocation, faite d'ellipses et de non dits, que le cinéaste élabore méticuleusement, transcendant une histoire relativement classique de rivalité entre écoles et de relations de maître à disciple. Il y est question du sens des traditions et de la nécessaire adaptation aux mouvements de l'Histoire, dans une Chine qui tantôt subit tantôt accompagne les influences extérieures. C'est également une réflexion sur le temps et l'amour, signifiée avec évidence par l'utilisation du thème de Morricone pour Once upon a time in America.

The Grandmaster à l'écran c'est un Tony Leung impeccable, Wong Kar Wai retrouvant son acteur fétiche. Ça m'a tout autant fait plaisir de revoir Zhang Ziyi, comédienne qui eut un début de carrière prodigieux et que je regrettai d'avoir perdue de vue. Le duo est au diapason dans l'émotion comme dans l'action. Les chorégraphies virtuoses de Yuen woo ping sont particulièrement sublimées par la mise en scène, avec la volonté d'aboutir à un spectacle maîtrisé dans ses moindres détails, et un niveau d'exigence qu'on n'avait sans doute plus vu depuis le Crouching tiger hidden dragon d'Ang Lee. La caméra et le montage accompagnent ainsi chaque mouvement des adversaires, des mains aux pieds, enluminant impacts et esquives en une suite d'éblouissants et généreux ballets, qui font vibrer jusqu'aux décors (tous splendides).




La Bataille de la montagne du tigre, Tsui Hark, 2014
Visuellement, Hark offre un spectacle assez grandiose, à mi-chemin entre la rusticité d'un Seven swords et l'opulence des plus beaux Il était une fois en Chine. La bouche des personnages laisse constamment échapper de la vapeur, et n'ayant pas eu l'impression qu'il s'agissait de CGI, j'en conclus que le réal a véritablement embarqué son équipe en haute montagne, et que tout le monde s'est manifestement pelé. À l'écran évidemment ça paye, et j'ai vraiment adoré le rendu de ce village croûlant sous des tonnes de neige. Je me suis quand même étranglé lors du premier quart d'heure avec ces horribles ralentis en mode bullet time, craignant que tout le film cède aux excès de style. Dès qu'il les laisse de côté, et même si ça manque de prouesses acrobatiques, Tsui Hark démontre heureusement sa pleine maîtrise de l'action, et la plupart des scènes d'assaut et de canardage sont plutôt époustouflantes. 

Étalée sur plus de 2 heures, La Bataille de la montagne du tigre n'est cependant pas qu'un gros barnum d'action, contrairement à ce que voudrait laisser croire son affiche française (j'ai guetté pendant tout le film cet avion, et l'ai un peu regretté au vu de la scène qui lui est consacrée...). Il y a cette idée intéressante de suggérer qu'on serait devant un film populaire à l'ancienne, idéalisé par le point de vue contemporain du narrateur, et justifiant ainsi que tout le récit aligne les conventions du cinéma d'aventure : de l'amitié, de la trahison, de l'infiltration, un assaut à ski, des méchants ultra-typés assez marrants, des actes héroïques, un McGuffin. Malheureusement, les séquences au présent sont honteusement traitées par dessus la jambe, présence juste syndicale où le cinéaste échoue lamentablement à susciter le moindre sentiment de nostalgie. Pour ce qui est de susciter le sentiment de camaraderie, les personnages sont bien trop réduits à l'état de silhouettes, malgré le côté sept samouraïs / mercenaires qui réussit quand même à en distinguer quelques-uns. Et je me suis quand même demandé s'il fallait tiquer face à la peinture de cette armée nationaliste à la cohésion sans faille, chaque soldat dévoué jusqu'au sacrifice. Tsui Hark ne connaît pas la demi-mesure et c'est souvent ce qui fait la valeur de son cinéma. Sauf lorsqu'ici cela se traduit par un film qui n'en finit plus de finir, se prolongeant carrément par l'inclusion d'une fin alternative balancée n'importe comment, alors que le générique a déjà été entamé mais au milieu de l'épilogue. Ce que j'ai pris comme un désolant manque de considération du spectateur.





Office, Johnnie To, 2015
Le genre de la comédie musicale semble être un rêve régulièrement caressé par un paquet de cinéastes, (Scorsese, AllenMoretti), tous ne passant cependant pas toujours à l'acte. Fasciné comme John Woo autant par le cinéma de Melville que par celui de Jacques Demy, Johnnie To aura lui l'occasion d'y plonger avec cet étonnant long-métrage. Fable grinçante sur l'arrivisme, le capitalisme et la pression du travail en entreprise, dans un Hong Kong définitivement absorbé par la volonté de croissance économique chinoise, Office fait défiler une conséquente galerie de personnages, que le cinéaste s'efforce de traiter sur un même pied d'égalité. Ce souci d'équilibre, s'il est louable, a cependant pour conséquence que le film manque d'un véritable point d'ancrage. Heureusement, l'interprétation est globalement excellente, avec des personnages qui, à quelques exceptions près, évitent la caricature, au premier rang desquels un Chow Yun Fat en patron faussement doucereux, qu'il est amusant de retrouver ici en figure vénérable, définitivement rangé des flingues.

La comédie musicale est un genre qui me plaît parce qu'elle suscite frisson et délectation. On appréciera ici des cadres et une photographie ultra classieux, ainsi que l'aisance de la mise en scène. Cherchant sans doute à assumer le caractère artificiel d'un genre où les personnages sont soudainement invités à pousser la chansonnette, le réalisateur opte pour un étonnant décor tout en transparence et lignes, évoquant un peu la scénographie de Lars von Trier sur Dogville et ManderlayMais on n'est pas vraiment emporté ni séduit par l'entreprise. On déplorera surtout une partition et des chansons franchement pas mémorables. Le comble étant que To ne s'aventure même pas dans la chorégraphie, alors que c'est précisément là qu'on l'attendait. Et ce qui s'annonçait donc comme une évidence dans sa filmographie, prend finalement la forme d'un rendez-vous manqué.


DOSSIER KINGS OF HONG KONG :

22 avril 2019

Kings of Hong Kong VIII. 2004-2005

2046, Wong Kar Wai, 2004
Le cinéaste profite de sa consécration sur In the mood for love pour obtenir les pleins pouvoirs, exploiter les stars les plus en vogue du moment, et s'affranchir définitivement des contraintes de production et des méthodes traditionnelles de tournage et d'écriture. Je n'ai vraiment pas su comment entrer dans cet étrange objet filmique, qui s'offre telle une rêverie, au risque d'hermétisme. Parfois je tentais de me laisser porter par les images et les sons, mais bien vite je me rendais compte que la fascination ne pouvait jouer seule. La précision des dialogues et du monologue, le récurrence de certains plans (la terrasse de l'hotel), les musiques qui tournent en boucle, tout ça m'amenait à penser que quelque chose se racontait, que tous ces élements semaient les graines d'une histoire, qu'en perdre une miette ruinerait ma compréhension.

C'est au fond assez paradoxal. D'un côté on a une forme apparemment très libre et une construction éclatée, de l'autre on a une composition des plans très rigoureuse (champs / contrechamps sans profondeur, qui écrasent les personnages dans un décor qui tourne à l'abstraction), avec des éléments très importants montrés presque en images subliminales, à l'image de Maggie Cheung, pourtant rien de moins que le pivot du récit. Ne trouvant pas de position de spectateur idéale, j'ai suivi ça sans trop de passion. Au fond, j'ai eu l'audace d'estimer que Wong Kar Wai racontait mal son histoire. Certes tous les éléments sont là, il y a une cohérence incontestable, mais c'est communiqué avec une telle distance que j'ai été trop rarement ému. Seule la relation Tony Leung / Zhang Ziyi s'est révélée belle et touchante. C'est encore un peu confus dans mon crâne, mais j'avoue être resté perplexe pendant quasiment toute la durée du métrage. Certains films sont comme des rendez-vous manqués. Peut-être celui-ci mériterait une seconde chance.





Breaking news, Johnnie To, 2004
Johnnie To ne connaît décidément pas le pilotage automatique. Pas de repos pour les braves. Ses films se suivent et ne témoignent d'aucun essoufflement ou de facilité. S'il continue à creuser le registre du polar, le réalisateur démontre ici une maestria impressionnante et une vraie volonté de livrer un divertissement qui se plaît à travailler la forme, d'exprimer un vrai amour du cinéma bien fait.

Breaking news s'impose ainsi d'entrée de jeu par un phénoménal plan séquence d'ouverture en pleine rue, jouant aussi bien sur l'horizontalité que la verticalité de l'espace. Louée à juste titre, cette prouesse technique ne constitue heureusement pas le seul intérêt d'une œuvre qui a d'autres trouvailles à proposer. S'ensuit en effet un film de siège efficace, où l'on voit se débattre des deux côtés de la barrière flics et truands, comme autant de victimes d'une situation qui leur échappe, personnages intelligemment développés et incarnés par des acteurs charismatiques. Observation, tension et toujours ce talent du cinéaste à glisser quelques touches d'humour entre deux scènes d'action explosives supervisées par Yuen Bun. Le tout se double d'un commentaire sévère sur la façon dont les médias se complaisent dans la couverture d'une actualité en temps réel, tantôt manipulant, tantôt manipulés.




Kung fu hustle (Crazy kung fu), Stephen Chow, 2005
Déjà superstar chez lui, le comédien-réalisateur Stephen Chow connaît un inespéré triomphe international avec Shaolin soccer. Trois ans lui seront nécessaires pour son film suivant. Kung fu hustle déstabilise par la différence de traitement entre l'extrême soin accordé à la forme (décors ambitieux, lumière et cadrages joliment travaillés, riche musique), et la maigreur d'un scénario qui part un peu dans tous les sens et n'a a aucun moment le moindre souci de cohérence. Le personnage de Chow lui-même déçoit pas mal puisqu'il est en mode mineur pendant la majeure partie du métrage, à tel point qu'on ne peut pas vraiment dire qu'il y ait un personnage principal. Le spectateur ne sait trop du coup à qui s'attacher, le récit semblant manquer d'un véritable point d'ancrage.

Grand spectacle, le film se montre fort généreux en action, où Chow donne libre cours à ses visions, avec les complicités de Sammo Hung et Yuen Woo Ping. Personnellement, je ne suis pas trop fan de ce style de combats assistés par ordinateur. Ça peut certes donner de très belles idées visuelles, mais lorsque les effets sont techniquement pas très fignolés comme ici, le résultat est peu emballant, ne suscitant pas de vraies sensations. En dehors de ces réserves qui font que j'en suis sorti un peu déçu (car je partais très enthousiaste), le film est quand même bon, précisément par ce souci appréciable de la forme. Les gags sont nombreux et vraiment drôles, c'est spectaculaire, cruel, violent, cartoonesque, poétique. Big up, Stephen !




Seven swords, Tsui Hark, 2005
Il est toujours bon de revenir à des valeurs sûres, en l'occurence avec Seven swords Tsui Hark s'offre une énième resucée des Sept samouraïs, référence écrasante mais pas intimidante. J'en ignore les raisons, mais le film a été présenté comme une œuvre charcutée au montage. Je l'ai donc abordé comme s'il s'agissait d'une copie de travail, d'un bout à bout qui laisserait une moitié de métrage en plan. Mais Tsui Hark n'a jamais été reconnu pour la clarté de sa narration. Cela se ressent à certaines scènes pas très compréhensibles dans leurs enchaînements (l'apparition des guerriers), d'autant plus que sur certains brefs plans, l'obscurité ou le cadrage empêchent de distinguer vraiment l'action filmée. On pourrait regretter que les personnages soient peu développés, mais j'ai trouvé au contraire que ça renforçait leur côté archétype du héros. Ce sont un peu des figures mythiques qu'on vient réveiller dans leur montagne pour les rappeler au champ de bataille. De même, j'ai trouvé très réussie la caractérisation du bad guy, avec son rire sifflant et ses moments de lassitude.

Une fois ça admis, j'ai vraiment pris mon pied devant la splendeur de la photographie, le côté brut des décors et des costumes, et des chorégraphies câblées à couper le souffle qui ne cèdent pas aux effets numériques, auxquelles a participé le grand Liu Chia Liang. Il y a un côté brut que je trouve très réussi, collant parfaitement avec le côté rustre et barbare du monde que Tsui Hark cherche à peindre, tel un retour bienvenu à la fièvre de The Blade. Sa mise en scène est dans certains plans plus calligraphique que jamais. Certaines scènes sont géniales d'audace et de poésie. Le travail de la caméra, associé à celui du son, fait des merveilles. La générosité du réalisateur, notamment lors de l'ultime baroud, est comme un cadeau fait au spectateur. On devine parfaitement la puissance des différentes épées, et le duel final autour de Chimère est un pur morceau d'anthologie. C'est virtuose, ça fait mal et c'est beau.


DOSSIER KINGS OF HONG KONG :

1 avril 2019

Kings of Hong Kong VI. 1996-1998

Beyond hypothermia, Patrick Leung, 1996
À cette date sur le point d'être rétrocédé à la République Populaire de Chine, Hong Kong voit son industrie cinématographique peu à peu désertée par les grands noms qui l'ont consolidée durant une décennie, désormais tous passés à l'Ouest. Du côté des réalisateurs ce sera John Woo (Hard target), Tsui Hark (Double team), Ringo Lam (Risque maximum), Ronny Yu (Magic warriors) ou encore Kirk Wong (l'excellent The Big hit). Du côté des acteurs, on aura rien de moins que Jackie Chan (Rush hour)Jet Li (Lethal weapon 4), Michelle Yeoh (Demain ne meurt jamais), Chow Yun Fat (The Replacement killers) et même Sammo Hung réduit pour sa part au petit écran (Le Flic de Shanghai). Profitant de ce boulevard laissé vacant, le réalisateur Johnnie To s'associe à son collègue scénariste Wai Ka-Fai pour fonder Milkyway image.

Ce studio repose sur un système économique très équilibré, avec des films au budget serré tournés à la chaîne — donc facilement rentables — et pourtant amoureusement fignolés, qui sont autant de vraies propositions personnelles et artistiques, comme insérées en contrebande dans ce qui reste du cinéma commercial où le polar domine. Pour optimiser les coûts, To place sous contrat et emploie les mêmes équipes de techniciens, scénaristes, réalisateurs, compositeurs et chorégraphes. Il tourne autant que possible dans les décors des environs, transformant de film en film la ville en un étonnant terrain de jeu, parcouru par les sempiternels mêmes archétypes — truands, tueurs à gages, flics — avares en dialogues. Ce sens de l'épure se retrouve jusque dans l'action, chorégraphiée avec un goût du minimalisme qui transforme gestes et gunfights en autant de figures quasi-abstraites. L'influence du polar froid français à la Melville est certaine, comme chez John Woo, mais avec une attention peut-être davantage portée à l'alchimie du groupe qu'aux individualités. L'ensemble met à l'honneur une troupe d'acteurs solides, superstars comme seconds couteaux, qui composent pour le spectateur un univers familier Simon YamAndy LauAnthony WongLau Ching WanLam Suet ou encore Wong Tin Lam. La formule est tellement au point, qu'elle aboutit cependant souvent à des œuvres qui, à quelques exceptions, n'ont pas vocation à s'inscrire dans le temps et laissent un souvenir qu'on aimerait moins volatil. Outre Beyond hypothermia, extraordinaire polar conceptuel, je retiendrais de cette première période The Odd one dies (parfois lourdingue, parfois rafraîchissant de liberté), le très bon Expect the unexpected, ainsi que le sympathique A hero never dies, que To signe seul en 1998.




The Longest nite, Patrick Yau, 1997
Dix ans plus tôt, Johnnie To s'était vu dépossédé de la réalisation de The Big heat par Tsui Hark. Devenu patron de studio, il n'hésitera pas à procéder de même avec son poulain Patrick Yau. On ne saura dire à quel point il aura ici sauvé les meubles, mais The Longest nite m'avait plutôt déçu. J'avais trouvé le film prétentieux, se la jouant petit malin, un peu comme le personnage interprété par Lau Ching Wan. Manifestement réécrit en cours de route, le scénario en fait trop, en rajoute dans la noirceur, la violence et les manipulations improbables. Le spectateur avale couleuvres sur couleuvres, contraint d'accepter que toutes les réactions de Tony Leung ont été évidemment prévues depuis le début.

C'est faussement machiavélique, d'autant plus qu'une fois qu'il est clair que le spectateur s'est fait avoir, au lieu de défaire ce sac de nœud, l'intrigue lâche définitivement la rampe pour ne proposer que de la confrontation armée, sans le moindre enjeu, avec une scène de duel absurde dans un entrepôt plein de miroirs forcément très joliment et judicieusement disposés. Ma crédulité à ses limites et ça m'a un peu fait hausser les sourcils. Par contre la musique synthétique de Raymond Wong est assez étonnante. On croirait entendre le Hans Zimmer de Backdraft ou Black rain, et moi j'aime bien.




Double Team, Tsui Hark, 1997
Comme ses confrères fuyant la rétrocession John Woo et Ringo Lam, en débarquant à Hollywood Tsui Hark passe obligatoirement par la case Jean-Claude Van Damme. L'acteur américano-belge est alors plus ou moins au sommet de sa popularité, seul dans le genre à voir encore ses films sortir en salle (Chuck Norris fait sa préretraite à la télévision, Steven Seagal voit se profiler les DTV, et Wesley Snipes est juste derrière la porte). Il vient d'achever son propre grand-œuvre avec The Quest et accueille donc l'ex-empereur du cinéma hongkongais. Mais c'est bel et bien d'une série B sans génie qu'écope le réalisateur, dont le nom ne sera même pas jugé digne de servir d'argument promotionnel.

Buddy movie d'action teinté d'espionnage, Double team déroule un scénario crétin, rempli de clichés et de punchlines désolantes. Seule idée amusante, presque involontairement parodique : l'île pour espions en retraite. Sammo Hung vient prêter main forte aux scènes d'action, mais le résultat est la plupart du temps informe, Tsui Hark étant manifestement contraint de brider son style. Le summum de l'indécence étant ce climax où Mickey Rourke, méconnaissable et imposante masse de muscle ressortie du placard, vient castagner Van Damme et l'ex-star de la NBA Dennis Rodman en plein Colisée. Honteuse et douloureuse tentative de rappeler La Fureur du dragon de Bruce Lee au triste souvenir du spectateur.





Knock Off (Piège à Hong Kong), Tsui Hark, 1998
Si John Woo avait pu monter en grade avec son deuxième film hollywoodien, écopant de stars du calibre de Travolta et Christian Slater, Tsui Hark est pour sa part toujours bloqué chez Van Damme, auquel s'adjoint cette fois le pesant comique du Saturday night live Rob SchneiderCe qui aboutit logiquement à un autre film crétin, certes, mais aussi proprement jouissif. Van Damme et Schneider en roue libre jouent les pieds nickelés dans une intrigue absurde qui mêle mafia russe, taupes de la CIA, complot terroriste international, courses de pousse-pousse, angoisse de la rétrocession et personnages féminins forts. C'est un des rares rôles ou JCVD joue clairement un benêt. En dehors de son personnage d'homme d'affaire un peu escroc et pas futé, de nombreuses scènes le ridiculisent ouvertement : sa première apparition lorsqu'il chantonne en cantonais dans sa décapotable, lorsqu'il est fouetté au cul par une anguille pendant la course de pousse-pousse, ou encore quand il craque sa chemise au restaurant. Il est tout à fait possible qu'il s'amuse lui-même de ce jeu avec son image, mais on peut aussi douter que l'humour soit de sa part volontaire.

Il semble donc évident que Knock off n'est à aucun moment à prendre au sérieux. Si la première vision est un choc face à toutes les aberrations que le film propose, on se rend compte par la suite que le talent de Hark est ici très loin d'être en berne. Le rythme du film ne ralentit presque jamais. Supervisées par Yuen Bun et Sammo Hung, les scènes d'action et les cascades en plus d'être nombreuses sont toutes époustouflantes et d'une générosité folle. Tsui Hark est en pleine possession de ses moyens, s'autorisant des angles de prise de vue hallucinants qui ne seront cette fois pas défigurés au montage. Le réalisateur livre au final à la fois un film d'action brillant et qui témoigne parfaitement de sa manière de faire, et une comédie hilarante impitoyable avec ses personnages. Comme un grand bras d'honneur aux exécutifs hollywoodiens qui pensaient le faire rentrer dans le moule. Je suis fan et ça fonctionne étonnamment aussi bien en VO qu'en VF (il est par contre impératif de le voir au format scope respecté).



DOSSIER KINGS OF HONG KONG :

29 septembre 2016

Le Cinéma de John Woo IV. 2001-2008

Windtalkers (Les Messagers du vent), 2001
Désormais solidement installé à Hollywood, Woo acquiérait ici une réelle liberté dans les moyens et le choix d'un sujet qui lui tenait à cœur : l'histoire vraie de soldats Navajos chargés de coder les transmissions pendant la bataille du Pacifique. Découvert à sa sortie, j'avais été moyennement emballé par le film, concédant tout de même à son réalisateur la maîtrise impeccable d'une production aussi importante. Revu dans son director's cut sorti en video, j'ai davantage apprécié ses réelles qualités, qui tiennent en grande partie à la très grande justesse de l'interprétation, en particulier Nic Cage, toujours aussi crédible lorsqu'il laisse briller la folie dans son regard, soldat traumatisé ayant perdu la foi recherchant clairement à payer de sa vie son sentiment de culpabilité, et Adam Beach le souriant Navajo, qui va progressivement quitter l'enthousiasme juvénile du début et s'endurcir sur le champ de bataille. On appréciera également de voir Woo dirigier à nouveau Christian Slater — acteur qui est un peu passé à côté de sa carrière — composant un personnage plein de bienveillance mais jamais mièvre. 

Consciencieux, le cinéaste se laisse complètement aller à la dénonciation la plus implacable des horreurs de la guerre, parvenant à recréer le sentiment permanent de danger éprouvé par les soldats. Les scènes d'action sont d'autant plus impressionnantes que les plans sont assez longs, avec une caméra effectuant des mouvements souvent complexes sans jamais manquer de fluidité. Vues aériennes, grue et steadycam sont exploitées au maximum, les explosions et les cadavres pleuvent de partout avec un réalisme saisissant et où le spectateur finit par ne plus distinguer les artifices. Derrière cette reconstitution enragée d'événements historiques, derrière l'hommage rendu à la mémoire des Indiens Navajos et au code qu'ils ont préservé, le réalisateur raconte une nouvelle fois une belle et intense histoire d'amitié, avec des hommes qui apprendront à se connaître et à s'aimer. L'essentiel du film est ainsi loin d'être uniquement dans les scènes d'action, au contraire. On se familiarise avec les personnages. La musique de James Horner joue la carte de l'émotion mais, malgré un thème principal assez beau dans certaines de ses variations, m'a semblé quand même la plupart du temps passe-partout. Il manque encore quelque chose au film pour que j'y adhère totalement, et je ne sais vraiment pas quoi étant donné que j'en pense et en écris plutôt du bien. C'est une œuvre incontestablement sincère, mais sans doute encore trop bridée par la dignité qu'implique le respect dû à une histoire vraie.




Paycheck, 2003
Pas trop de raison de s'attarder sur cette oubliable adaptation d'une nouvelle de Phil Dick, l'auteur ayant opportunément retrouvé les faveurs d'Hollywood après la réussite du Minority report de Spielberg. Je n'ai pas cherché à me renseigner sur les raisons qui ont conduit le réalisateur sur ce projet, mais on ne le sent jamais concerné par l'envie de raconter son histoire. Le concept du film à base de mémoire trafiquée est exploité sans conviction, et d'ailleurs bien vite évacué au profit d'un enchaînement de scènes d'action mécaniques totalement dépourvues de la moindre justification. 

Ben Affleck qui n'a jamais brillé par son épaisseur dramatique donne ici du grain à moudre à ses détracteurs, échouant à nourrir le sentiment de paranoïa que devrait légitimement exprimer son personnage. Mais le pire étant que Woo se permet de ne même pas rendre glamour sa vedette féminine, Uma Thurman, dont je ne m'explique pas ici la laideur. Bref, un film aseptisé qui aura peut-être le mérite de réévaluer à la hausse un Mission : impossible 2 finalement plutôt grisant dans sa façon d'érotiser les corps en action.




Red cliff (Les Trois royaumes), 2008
Cette histoire de conquêtes, d'alliances, d'exploits héroïques et de loyauté intransigeante en des temps si lointains qu'ils acquièrent une patine mythologique, c'est un peu une Illiade chinoise. On est projeté dans un monde où les gens ne connaissent que la guerre, s'efforçant de mettre en pratique leurs expériences, sagesses et connaissances théoriques inspirés de Sun TzuGrosse entreprise à échelle cosmique — même si les Dieux en sont absents, les éléments naturels sont eux-mêmes acteurs du récit — le film fonctionne autant dans l'attente des batailles que dans leur exécution. Pour ce faire, il fallait des personnages charismatiques, et c'est ici plutôt le cas, chaque interprète étant fortement caractérisé, souvent de façon très visuelle. Au premier rang trônent le costume et la posture immobile du charismatique Takeshi Kaneshiro, ainsi que le mutisme et l'irrésistible sourire en coin de Tony Leung (formidablement introduit en hors-champ et en musique). 

Le film va interroger la loyauté de toute une troupe de figures pittoresques face à un conflit qui, plus que politique, va se révéler d'ordre sentimental. Ponctué de séquences époustouflantes, il nous permet de retrouver tout l'art du geste et du mouvement du metteur en scène (ses travellings et fondus enchaînés), cette symbiose entre rythme et images, son talent pour faire soudain surgir la grâce au milieu du chaos, qu'il s'agisse d'accompagner le ballet des corps ou les mouvements de la pensée. On assiste ainsi à une sorte de partie d'échec aux proportions épiques, jouée par des virtuoses qui doivent anticiper la stratégie de l'adversaire. C'est pas non plus du Shakespeare, les relations et enjeux sont relativement balisés, mais incarnés avec ce qu'il faut de panache pour que ça soit plaisant à suivre. Le score symphonique de Taro Iwashiro est plutôt efficace et bien utilisé, emballant avec ce qu'il faut de lyrisme les hauts faits des guerriers.

Toutes ces qualités étant posées, le film est quand même loin d'être parfait. Dès lors qu'il faut plonger ce petit monde dans le choc du champ de bataille, ça manque un peu d'homogénéité. On alterne entre purs morceaux de génie et passages plus plats voire confus. Peut-être sont-ce les dimensions colossales de l'entreprise, toujours est-il que le film m'a semblé un peu inégal sur le plan de l'inspiration. Un peu comme si, forcé de déléguer à ses équipes, Woo s'était ensuite dépatouillé pour donner (trouver ?) sur son banc de montage une cohérence. De la part d'un cinéaste aussi rompu aux grosses productions, c'est évidemment peu probable mais ce fut mon impression. Les scènes enchaînent des plans qui ne sont pas tous visuellement stimulants, avec cet usage auquel je suis toujours allergique du ralenti saccadé et un fréquent non-respect de la règle des 180° qui fait qu'on ne sait pas toujours qui tue qui (et on n'est pas aidé par le fait que les 2 camps portent exactement les mêmes armures). Certes, on peut se dire qu'une bataille de cette ampleur doit par nature brouiller les repères, mais en tant que spectateur — qui plus est face à un John Woo — on attend un maximum de lisibilité pour pouvoir s'impliquer dans le spectacle des corps qui tombent. Seul l'affrontement central du piège de la tortue émerge du lot, fulgurant morceau de bravoure cinématographique où le rapport entre l'individu et la foule m'a semblé le plus harmonieusement exploité.

C'est donc une semi-déception, m'attendant sans doute trop au film épique ultime. Film du retour au pays natal, Red cliff est à l'arrivée un grand spectacle relativement inoffensif, plutôt tous publics, qui ne marquera pas ma mémoire. Il présente pour moi un peu les mêmes défauts que Windtalkers, énorme machine de guerre qui, si elle a beau être une production très personnelle pour son réalisateur, noie inévitablement une bonne partie de son âme dans les nécessités pyrotechniques (mais parce qu'il met en scène du trouffion de base à la place de seigneurs compassés, Windtalkers m'apparaît en comparaison plus touchant, plus humain).



DOSSIER JOHN WOO :

24 août 2016

Le Cinéma de John Woo II. 1990-1992


Bullet in the head (Une Balle dans la tête), 1990
Les conditions assez particulières dans lesquelles j'ai découvert ce film (grand écran en plein air, après un pique-nique bien arrosé) en ont fait une expérience de cinéma inouïe et inoubliable, qui m'avait fait prononcer à voix haute sans m'en rendre vraiment compte le mot : « hallucinant... » Si on reprend la progression du film, on a trois amis franchement malchanceux qui ne cessent de tomber de Charybde en Scylla, avec une sorte de cruauté presque joyeuse. À chaque nouvelle catastrophe, un choix leur est donné, qui les porte systématiquement vers le pire. Cet enchaînement de galères est un des plus spectaculaires que j'ai pu voir au cinéma. Les scènes de guerre sont incroyables et si Woo sait les filmer (et surtout les monter) avec style, la mort donnée ou reçue est toujours un acte atroce, qui fait mal et qui pousse inlassablement les hommes vers l'animalité. D'où l'impact sur le spectateur, amené à réagir constamment à des images et des situations extrêmes. Rien n'est neutre. On en sort lessivé.

Les acteurs s'y révèlent immenses. La performance de Jackie Cheung en devient étouffante. Tony Leung endosse à la fois le point de vue du cinéaste et celui du spectateur, voyant au cours du film ses idéaux impitoyablement détruits les uns après les autres. Waise Lee s'accroche à la lourde et encombrante malle pleine d'or mais c'est son propre cadavre qu'il tire ainsi sans le savoir. L'idée au cœur de cette amitié si particulière étant comme toujours chez Woo que le bien ne peut exister sans le mal, la lumière se mêlant à l'ombre, dans un esprit qu'on qualifiera aussi facilement que légitimement de yin et yang. Complétant ce trio infernal, Simon Yam incarne pour sa part le héros chevaleresque dans toute sa splendeur, dernier de son espèce. 

Loin de moi l'idée de vouloir réduire Une balle dans la tête à un patchwork, mais j'y ai vu des emprunts possibles évidemment à The Deer Hunter (pour la trame générale, les déchirures de la guerre sur les corps et les âmes), Scarface et The Godfather (pour l'ascencion du truand par les armes et la corruption). Au-delà de ces références, le film lui-même travaille différents genres cinématographiques, comme autant d'étapes dans l'évolution de ses héros. On commence avec du kung-fu urbain, puis on passe aux gunfights et au film de gangsters, qui va nous mener au film de guerre, jusqu'à cet incroyable climax ultra-sophistiqué qui semble tout mélanger, les voitures devenant des sortes de chars d'assaut. Woo parvient à mixer tout ces élements avec un réel brio, une belle inspiration, tout s'emboîte selon une logique imparable, aboutissant à une œuvre totalement baroque, riches en symboles qui, comme souvent chez lui, tendent presque à l'abstraction. Le moindre nouvel élément est porté à son paroxysme, ce qui peut facilement devenir risible (comme The Killer à sa manière). 

Même s'il n'y a pas de colombes à l'horizon, la noirceur du film est néanmoins contrebalancée par une sorte de romantisme naïf, signature de la vision humaniste du réalisateur. C'est ici bien souligné par la musique omniprésente et d'un style assez... étonnant (mention spéciale au thème principal "happy birthday" qui revient toutes les 20 secondes, ainsi qu'aux Feuilles mortes de Prévert et Kosma qui accompagnent les apparitions de Luke). La peinture idéalisée de l'amitié au début du film est toujours à la limite du kitsch, les compositeurs abusent un peu de leur ritournelle mise à toutes les sauces, mais tout cela est à sa place car tellement en accord avec la façon qu'a le réalisateur de penser sa mise en scène. Désespéré et intense, un film à tous points de vue exceptionnel.




Hard-boiled (À toute épreuve), 1992
Orchestration déchaînée d'un véritable massacre sur pellicule (combien de morts en deux heures de film ?). Woo semble illustrer comme jamais avant lui la définition du terme "défourailler". Pas inquiet de quelques invraisemblances (les méthodes de polices qui consistent à faire un carnage sur tout le monde plutôt que de procéder à des arrestations, Chow Yun Fat débarquant tout seul pour affronter une cinquantaine de gangsters dans un entrepôt), il se garde néanmoins de proposer des personnages vides. Le duo Tony Leung (d'un charisme ravageur) et Chow Yun Fat (inoubliable Tequila) est admirable et d'une complexité très intéressante, sortes de flics ayant quelque peu dépassé les limites du bon droit, ne sachant plus trop de quel côté ils sont. Belle présence également de Philip Kwok, ici également chorégraphe, et ses déplacements de fauve. Ce qui fait que ce film est loin du simple enchaînement de gunfights (c'est du moins la réputation qu'il avait pour moi avant que je le vois), même si, sans doute, la narration comporte quelques trous.


Thématiquement il est parfaitement à sa place dans l'œuvre de Woo qui se permet même une apparition dans un rôle de barman-mentor. Toute la séquence de l'hôpital — quasiment la moitié du film — est impressionnante, et fait pas mal penser à Die Hard, avec ses deux flics qui se démènent pour passer outre ce qui est devenu un enfer au milieu d'une prise d'otages. On a là effectivement quelque chose qui s'apparente à un morceau de bravoure, qui pourrait clairement supporter une infinité de visions, toujours aussi incrédules et fascinées. Ce chaos est incroyablement dirigé par un sens du montage très poussé, laissant le spectateur en état de choc face au nombre de personnages qui arrivent de partout, aux explosions, élements de décors qui volent sous les impacts, cascades, vitesse, suspense, etc. Chaque scène, chaque mouvement, chaque regard m'apparaît déjà comme autant d'images fétichisées. La bande son, ici encore, a des accents un peu désarmants, Woo ayant décidément des goûts musicaux étranges (peu sûrs ?). J'ai néanmoins vraiment bien aimé la petite intro clarinette de Tequila, très cool dans son Jazz bar.




DOSSIER JOHN WOO :