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29 septembre 2016

Le Cinéma de John Woo IV. 2001-2008

Windtalkers (Les Messagers du vent), 2001
Désormais solidement installé à Hollywood, Woo acquiérait ici une réelle liberté dans les moyens et le choix d'un sujet qui lui tenait à cœur : l'histoire vraie de soldats Navajos chargés de coder les transmissions pendant la bataille du Pacifique. Découvert à sa sortie, j'avais été moyennement emballé par le film, concédant tout de même à son réalisateur la maîtrise impeccable d'une production aussi importante. Revu dans son director's cut sorti en video, j'ai davantage apprécié ses réelles qualités, qui tiennent en grande partie à la très grande justesse de l'interprétation, en particulier Nic Cage, toujours aussi crédible lorsqu'il laisse briller la folie dans son regard, soldat traumatisé ayant perdu la foi recherchant clairement à payer de sa vie son sentiment de culpabilité, et Adam Beach le souriant Navajo, qui va progressivement quitter l'enthousiasme juvénile du début et s'endurcir sur le champ de bataille. On appréciera également de voir Woo dirigier à nouveau Christian Slater — acteur qui est un peu passé à côté de sa carrière — composant un personnage plein de bienveillance mais jamais mièvre. 

Consciencieux, le cinéaste se laisse complètement aller à la dénonciation la plus implacable des horreurs de la guerre, parvenant à recréer le sentiment permanent de danger éprouvé par les soldats. Les scènes d'action sont d'autant plus impressionnantes que les plans sont assez longs, avec une caméra effectuant des mouvements souvent complexes sans jamais manquer de fluidité. Vues aériennes, grue et steadycam sont exploitées au maximum, les explosions et les cadavres pleuvent de partout avec un réalisme saisissant et où le spectateur finit par ne plus distinguer les artifices. Derrière cette reconstitution enragée d'événements historiques, derrière l'hommage rendu à la mémoire des Indiens Navajos et au code qu'ils ont préservé, le réalisateur raconte une nouvelle fois une belle et intense histoire d'amitié, avec des hommes qui apprendront à se connaître et à s'aimer. L'essentiel du film est ainsi loin d'être uniquement dans les scènes d'action, au contraire. On se familiarise avec les personnages. La musique de James Horner joue la carte de l'émotion mais, malgré un thème principal assez beau dans certaines de ses variations, m'a semblé quand même la plupart du temps passe-partout. Il manque encore quelque chose au film pour que j'y adhère totalement, et je ne sais vraiment pas quoi étant donné que j'en pense et en écris plutôt du bien. C'est une œuvre incontestablement sincère, mais sans doute encore trop bridée par la dignité qu'implique le respect dû à une histoire vraie.




Paycheck, 2003
Pas trop de raison de s'attarder sur cette oubliable adaptation d'une nouvelle de Phil Dick, l'auteur ayant opportunément retrouvé les faveurs d'Hollywood après la réussite du Minority report de Spielberg. Je n'ai pas cherché à me renseigner sur les raisons qui ont conduit le réalisateur sur ce projet, mais on ne le sent jamais concerné par l'envie de raconter son histoire. Le concept du film à base de mémoire trafiquée est exploité sans conviction, et d'ailleurs bien vite évacué au profit d'un enchaînement de scènes d'action mécaniques totalement dépourvues de la moindre justification. 

Ben Affleck qui n'a jamais brillé par son épaisseur dramatique donne ici du grain à moudre à ses détracteurs, échouant à nourrir le sentiment de paranoïa que devrait légitimement exprimer son personnage. Mais le pire étant que Woo se permet de ne même pas rendre glamour sa vedette féminine, Uma Thurman, dont je ne m'explique pas ici la laideur. Bref, un film aseptisé qui aura peut-être le mérite de réévaluer à la hausse un Mission : impossible 2 finalement plutôt grisant dans sa façon d'érotiser les corps en action.




Red cliff (Les Trois royaumes), 2008
Cette histoire de conquêtes, d'alliances, d'exploits héroïques et de loyauté intransigeante en des temps si lointains qu'ils acquièrent une patine mythologique, c'est un peu une Illiade chinoise. On est projeté dans un monde où les gens ne connaissent que la guerre, s'efforçant de mettre en pratique leurs expériences, sagesses et connaissances théoriques inspirés de Sun TzuGrosse entreprise à échelle cosmique — même si les Dieux en sont absents, les éléments naturels sont eux-mêmes acteurs du récit — le film fonctionne autant dans l'attente des batailles que dans leur exécution. Pour ce faire, il fallait des personnages charismatiques, et c'est ici plutôt le cas, chaque interprète étant fortement caractérisé, souvent de façon très visuelle. Au premier rang trônent le costume et la posture immobile du charismatique Takeshi Kaneshiro, ainsi que le mutisme et l'irrésistible sourire en coin de Tony Leung (formidablement introduit en hors-champ et en musique). 

Le film va interroger la loyauté de toute une troupe de figures pittoresques face à un conflit qui, plus que politique, va se révéler d'ordre sentimental. Ponctué de séquences époustouflantes, il nous permet de retrouver tout l'art du geste et du mouvement du metteur en scène (ses travellings et fondus enchaînés), cette symbiose entre rythme et images, son talent pour faire soudain surgir la grâce au milieu du chaos, qu'il s'agisse d'accompagner le ballet des corps ou les mouvements de la pensée. On assiste ainsi à une sorte de partie d'échec aux proportions épiques, jouée par des virtuoses qui doivent anticiper la stratégie de l'adversaire. C'est pas non plus du Shakespeare, les relations et enjeux sont relativement balisés, mais incarnés avec ce qu'il faut de panache pour que ça soit plaisant à suivre. Le score symphonique de Taro Iwashiro est plutôt efficace et bien utilisé, emballant avec ce qu'il faut de lyrisme les hauts faits des guerriers.

Toutes ces qualités étant posées, le film est quand même loin d'être parfait. Dès lors qu'il faut plonger ce petit monde dans le choc du champ de bataille, ça manque un peu d'homogénéité. On alterne entre purs morceaux de génie et passages plus plats voire confus. Peut-être sont-ce les dimensions colossales de l'entreprise, toujours est-il que le film m'a semblé un peu inégal sur le plan de l'inspiration. Un peu comme si, forcé de déléguer à ses équipes, Woo s'était ensuite dépatouillé pour donner (trouver ?) sur son banc de montage une cohérence. De la part d'un cinéaste aussi rompu aux grosses productions, c'est évidemment peu probable mais ce fut mon impression. Les scènes enchaînent des plans qui ne sont pas tous visuellement stimulants, avec cet usage auquel je suis toujours allergique du ralenti saccadé et un fréquent non-respect de la règle des 180° qui fait qu'on ne sait pas toujours qui tue qui (et on n'est pas aidé par le fait que les 2 camps portent exactement les mêmes armures). Certes, on peut se dire qu'une bataille de cette ampleur doit par nature brouiller les repères, mais en tant que spectateur — qui plus est face à un John Woo — on attend un maximum de lisibilité pour pouvoir s'impliquer dans le spectacle des corps qui tombent. Seul l'affrontement central du piège de la tortue émerge du lot, fulgurant morceau de bravoure cinématographique où le rapport entre l'individu et la foule m'a semblé le plus harmonieusement exploité.

C'est donc une semi-déception, m'attendant sans doute trop au film épique ultime. Film du retour au pays natal, Red cliff est à l'arrivée un grand spectacle relativement inoffensif, plutôt tous publics, qui ne marquera pas ma mémoire. Il présente pour moi un peu les mêmes défauts que Windtalkers, énorme machine de guerre qui, si elle a beau être une production très personnelle pour son réalisateur, noie inévitablement une bonne partie de son âme dans les nécessités pyrotechniques (mais parce qu'il met en scène du trouffion de base à la place de seigneurs compassés, Windtalkers m'apparaît en comparaison plus touchant, plus humain).



DOSSIER JOHN WOO :

31 août 2016

Le Cinéma de John Woo III. 1993-1997


Hard target (Chasse à l'homme), 1993
Passé à l'Est via Jean-Claude Van DammeWoo va se contenter pour son premier film hollywoodien de montrer son savoir-faire. Ce qui n'est déjà pas peu dire, pour un cinéaste styliste tel que lui. Hard target s'apparente à un honnête film d'action, sans prétention, une série B qu'on disait à l'époque formatée pour les videoclubs. Soucieux de ne pas rater la marche, le réalisateur faisait profil bas, laissant juste quelques colombes roucouler autour de la silhouette à mulet du kickboxeur belge.

Mine de rien, le réalisateur de The Killer, dont l'œuvre avait déjà directement nourri l'imaginaire d'un Quentin Tarantino et de son Reservoir dogs, posait là la première pierre qui allait radicalement renouveler le cinéma d'action américain, intégrant à sa grammaire les techniques de chorégraphie et de montage du cinéma hongkongais. Dans la foulée, Tsui HarkRingo Lam, Ronny Yu, Jet Li ou encore Yuen Woo Ping vont venir jouer leur carte, pour le pire comme le meilleur.




Broken arrow, 1996
Pour son deuxième film hollywoodien, Woo a la permission de boxer dans une catégorie supérieure : budget plus conséquent, sortie plus soutenue, noms bankables. Travolta, réssucité par Pulp fiction, est revenu au panthéon des stars les mieux payées. Il se plaira à partir de là à collectionner les rôles de personnages troubles ou carrément psychopathes, performances pleines d'une jubilation communicative, que ce soit chez McTiernan (Basic), Tony Scott (Pelham 123), ou Dominic Sena (Swordfish).

Passés quelques morceaux de bravoure qui peuvent faire illusion, le résultat ici se révèle cependant peu ambitieux, transcendant difficilement un scénario primaire fait de situations improbables et de personnages sans épaisseur, à l'image de l'encombrant faire-valoir féminin, qu'on devine imposé par le studio. En rabaissant ses exigences de spectateur, on pourra discerner quelques-unes des thématiques du réalisateur, sa fascination pour la lutte intestine à laquelle se livrent le bien et le mal (Slater et Travolta), à la fois dissociés et fusionnés. Ce qui donnera lieu à d'intenses moments d'affrontements au corps à corps, très physiques, rejouant la scène d'ouverture sur le ring en passant cette fois de la théorie à la pratique. Le score synthético-grandiloquent d'Hans Zimmer colle bien aux images et aux effets peu subtils de mise en scène. 

Par son titre (homonyme du très beau film pro-indien de Delmer Daveset par son cadre, le film renvoie inévitablement au western, et on peut imaginer que Woo s'est plu à dérouler son histoire au sein des paysages qui ont marqué sa mémoire de cinéphile. Je n'ai pas revu le film depuis sa sortie, et il n'est pas sûr qu'il me passionne aujourd'hui davantage. Je le vois comme un palier supplémentaire dans l'ascension de Woo à Hollywood, qui va trouver son aboutissement avec le titre suivant.




Face / off (Volte-face), 1997
Sans conteste le chef-d'œuvre insurpassé de la carrière américaine de Woo. Sa découverte fut d'autant plus un choc, qu'après ses deux films précédents on n'attendait plus grand chose du cinéaste, convaincu qu'il s'était perdu en traversant le Pacifique, comme tant d'autres avant lui broyés par le studio system. Alors qu'il part d'un postulat de science-fiction hautement improbable facilement menacé de ridicule, le film parvient à trouver un génial équilibre. Tous les éléments semblent ici miraculeusement en place pour parfaitement servir les visions et les obsessions du cinéaste. Le scénario est riche de potentialités, et parvient à en explorer toutes les pistes jusqu'au vertige. On bascule du polar viscéral à la tragédie poignante, en passant par le cauchemar kafkaïen, où le corps devient littéralement une prison.

Le réalisateur semble enfin disposer ici de moyens sans limites, qui lui permettent enfin de donner libre cours à sa folie de la mise en scène lors des séquences d'action ébouriffantes qui ponctuent le film — poursuites, gunfights — mais aussi lors de purs moments de grâce révélés par sa science du cadre et du rythme, et sa capacité à assumer la part de grotesque dans ses élans lyriques (ce qu'il échouera totalement à reproduire dans l'embarrassant Mission : impossible 2). 

Woo a toujours été fasciné par la dualité humaine, montrant de film en film à quel point le bien et le mal sont indissolubles, l'un ne pouvant exister sans l'autre. Il trouve avec cette folle histoire d'échange d'identités, qu'il parvient en seulement une poignée de scènes à rendre presque crédible, le sujet rêvé. Le bon policier doit incarner sa propre Némésis, endosser la peau et l'âme de son exact contraire. Les cartes sont redistribuées, et c'est évidemment lorsque la main va échapper au joueur principal que le film déploie toute sa puissance. Pour le duo de comédiens ici à l'affiche, parfaitement casté, Face / off est évidemment un terrain de jeu sans équivalent, inespéré. Ces deux grands acteurs de composition que sont Travolta et Cage se voient offrir la chance de jouer chacun un double-rôle, sans caricature mais exploitant toutes les ficelles de leur métier, de la tête au pieds. Doublement incarné, Castor Troy devient alors l'un des plus formidables méchants du cinéma de la décennie. Récit passionnant, acteurs fascinants, spectacle haut en couleurs... Face / off est un film qui se revoit toujours avec la même stupéfaction. 



DOSSIER JOHN WOO :

24 août 2016

Le Cinéma de John Woo II. 1990-1992


Bullet in the head (Une Balle dans la tête), 1990
Les conditions assez particulières dans lesquelles j'ai découvert ce film (grand écran en plein air, après un pique-nique bien arrosé) en ont fait une expérience de cinéma inouïe et inoubliable, qui m'avait fait prononcer à voix haute sans m'en rendre vraiment compte le mot : « hallucinant... » Si on reprend la progression du film, on a trois amis franchement malchanceux qui ne cessent de tomber de Charybde en Scylla, avec une sorte de cruauté presque joyeuse. À chaque nouvelle catastrophe, un choix leur est donné, qui les porte systématiquement vers le pire. Cet enchaînement de galères est un des plus spectaculaires que j'ai pu voir au cinéma. Les scènes de guerre sont incroyables et si Woo sait les filmer (et surtout les monter) avec style, la mort donnée ou reçue est toujours un acte atroce, qui fait mal et qui pousse inlassablement les hommes vers l'animalité. D'où l'impact sur le spectateur, amené à réagir constamment à des images et des situations extrêmes. Rien n'est neutre. On en sort lessivé.

Les acteurs s'y révèlent immenses. La performance de Jackie Cheung en devient étouffante. Tony Leung endosse à la fois le point de vue du cinéaste et celui du spectateur, voyant au cours du film ses idéaux impitoyablement détruits les uns après les autres. Waise Lee s'accroche à la lourde et encombrante malle pleine d'or mais c'est son propre cadavre qu'il tire ainsi sans le savoir. L'idée au cœur de cette amitié si particulière étant comme toujours chez Woo que le bien ne peut exister sans le mal, la lumière se mêlant à l'ombre, dans un esprit qu'on qualifiera aussi facilement que légitimement de yin et yang. Complétant ce trio infernal, Simon Yam incarne pour sa part le héros chevaleresque dans toute sa splendeur, dernier de son espèce. 

Loin de moi l'idée de vouloir réduire Une balle dans la tête à un patchwork, mais j'y ai vu des emprunts possibles évidemment à The Deer Hunter (pour la trame générale, les déchirures de la guerre sur les corps et les âmes), Scarface et The Godfather (pour l'ascencion du truand par les armes et la corruption). Au-delà de ces références, le film lui-même travaille différents genres cinématographiques, comme autant d'étapes dans l'évolution de ses héros. On commence avec du kung-fu urbain, puis on passe aux gunfights et au film de gangsters, qui va nous mener au film de guerre, jusqu'à cet incroyable climax ultra-sophistiqué qui semble tout mélanger, les voitures devenant des sortes de chars d'assaut. Woo parvient à mixer tout ces élements avec un réel brio, une belle inspiration, tout s'emboîte selon une logique imparable, aboutissant à une œuvre totalement baroque, riches en symboles qui, comme souvent chez lui, tendent presque à l'abstraction. Le moindre nouvel élément est porté à son paroxysme, ce qui peut facilement devenir risible (comme The Killer à sa manière). 

Même s'il n'y a pas de colombes à l'horizon, la noirceur du film est néanmoins contrebalancée par une sorte de romantisme naïf, signature de la vision humaniste du réalisateur. C'est ici bien souligné par la musique omniprésente et d'un style assez... étonnant (mention spéciale au thème principal "happy birthday" qui revient toutes les 20 secondes, ainsi qu'aux Feuilles mortes de Prévert et Kosma qui accompagnent les apparitions de Luke). La peinture idéalisée de l'amitié au début du film est toujours à la limite du kitsch, les compositeurs abusent un peu de leur ritournelle mise à toutes les sauces, mais tout cela est à sa place car tellement en accord avec la façon qu'a le réalisateur de penser sa mise en scène. Désespéré et intense, un film à tous points de vue exceptionnel.




Hard-boiled (À toute épreuve), 1992
Orchestration déchaînée d'un véritable massacre sur pellicule (combien de morts en deux heures de film ?). Woo semble illustrer comme jamais avant lui la définition du terme "défourailler". Pas inquiet de quelques invraisemblances (les méthodes de polices qui consistent à faire un carnage sur tout le monde plutôt que de procéder à des arrestations, Chow Yun Fat débarquant tout seul pour affronter une cinquantaine de gangsters dans un entrepôt), il se garde néanmoins de proposer des personnages vides. Le duo Tony Leung (d'un charisme ravageur) et Chow Yun Fat (inoubliable Tequila) est admirable et d'une complexité très intéressante, sortes de flics ayant quelque peu dépassé les limites du bon droit, ne sachant plus trop de quel côté ils sont. Belle présence également de Philip Kwok, ici également chorégraphe, et ses déplacements de fauve. Ce qui fait que ce film est loin du simple enchaînement de gunfights (c'est du moins la réputation qu'il avait pour moi avant que je le vois), même si, sans doute, la narration comporte quelques trous.


Thématiquement il est parfaitement à sa place dans l'œuvre de Woo qui se permet même une apparition dans un rôle de barman-mentor. Toute la séquence de l'hôpital — quasiment la moitié du film — est impressionnante, et fait pas mal penser à Die Hard, avec ses deux flics qui se démènent pour passer outre ce qui est devenu un enfer au milieu d'une prise d'otages. On a là effectivement quelque chose qui s'apparente à un morceau de bravoure, qui pourrait clairement supporter une infinité de visions, toujours aussi incrédules et fascinées. Ce chaos est incroyablement dirigé par un sens du montage très poussé, laissant le spectateur en état de choc face au nombre de personnages qui arrivent de partout, aux explosions, élements de décors qui volent sous les impacts, cascades, vitesse, suspense, etc. Chaque scène, chaque mouvement, chaque regard m'apparaît déjà comme autant d'images fétichisées. La bande son, ici encore, a des accents un peu désarmants, Woo ayant décidément des goûts musicaux étranges (peu sûrs ?). J'ai néanmoins vraiment bien aimé la petite intro clarinette de Tequila, très cool dans son Jazz bar.




DOSSIER JOHN WOO :

22 août 2016

Le Cinéma de John Woo I. 1976-1989

Princess Chang Ping, 1976
Je n'y connais rien en opéra chinois, donc je ne peux vraiment pas dire si Woo prend ou non des libertés avec ce genre très codifié. Dans cet univers, les jeunes hommes sont interprétés par des femmes. Les dames parlent et chantent avec une voix excessivement haut perchée. Chaque geste, chaque mouvement de tête est stylisé, tandis que des percussions ponctuent inlassablement l'action en arrière-plan. Pour le spectateur occidental que je suis, et plutôt amateur de comédies musicales, j'avoue que la musique de ce genre d'opéra, par ses rudes harmonies, ne me séduit pas du tout. Et seule la toute fin du film propose véritablement ce qu'on pourra véritablement qualifier de ballet. Soit autant d'éléments qui tantôt rebutent, tantôt fascinent. Et j'ai donc constamment basculé pendant le visionnage entre ces deux impressions, avec cependant de vrais moments de grâce, notamment toute une longue scène centrale où les fiancés se retrouvent à l'entrée d'un couvent sous la neige, tentant de faire revivre un amour que les intrigues de Cour et la guerre avaient compromis. 

Car Princess Chang Ping est un drame historique qui parle d'honneur familial, de loyauté impériale et de sentiments plus forts que tout, dans un monde corrompu. Si on ne l'attendait pas forcément dans le genre précieux et raffiné de l'opéra, John Woo se révèle fond finalement comme un choix pertinent pour accompagner ces thèmes. Pour le reste je trouverais quand même abusif de dire qu'on peut ici reconnaître son style. Sa mise en scène est d'une belle rigueur, mettant bien en valeur la somptuosité des costumes et des décors (sur ce plan-là, le film est admirable), avec quelques mouvements de caméra qui collent bien à l'action, mais sans jamais chercher l'exagération. Le résultat est d'une incontestable cohérence et la curiosité du spectateur mérite de l'emporter, car le dénouement est très beau, tragique et poétique.




Heroes shed no tears (Les Larmes d'un héros), 1986
Un film bourrin assez inclassable par sa façon de s'éparpiller dans des genres hétérogènes, la faute à un charcutage-remontage assez sauvage de la part des producteurs. Relecture du grand succès du moment Rambo 2, pillé par le monde entier souvent pour le pire, le film met en scène une mission commando menée par Eddy Ko qui, en plus de ses potes mercenaires, a la curieuse idée de débarquer avec femme, enfant et beau-père au milieu de la jungle viêtnamienne pour kidnapper un narco-trafiquant. Ces improbables ingrédients vont permettre à Woo de distiller une émotion certes déplacée mais qui fonctionne malgré tout assez bien notamment par la façon qu'à le réalisateur de la styliser, avec cette tendance à l'hyperbole qui n'appartient qu'à lui. Le gamin est particulièrement saisissant. Les scènes qui s'attardent sur sa relation avec son paternel sont certainement les plus intéressantes et ça ne m'étonnerait pas que le tournage ait traumatisé l'enfant, vu le spectacle qu'on lui a mis devant les yeux.

Même si ça sent bien son côté sous-budgeté et que ça profite d'un tournage en Thaïlande pour économiser davantage sur les cascadeurs et leur prime de risque, le film n'est pas complètement une série Z. Si on laisse de côté les intermèdes comique ou érotique ajoutés par le studio, on a quand même quelques scènes de canardage bien violentes où le sang coule à flot des corps explosés, tranchés, criblés, etc., et un affrontement final avec un méchant Lam Ching Ying (Mr Vampire) devenu borgne, au milieu d'un paysage qui s'est littéralement transformé en enfer, fait de métal et de feu. Cette atmosphère de chaos, aussi irréaliste soit-elle, fait son petit effet. Bref un film certainement mineur dans la filmo du Woo, parfois involontairement nanar dans ses situations, et certainement pas tous publics à cause de ses débordements gores dignes des productions hongkongaises de catégorie III. Mais un titre tout de même important puisqu'historiquement le cinéaste y signe ses premiers gunfights.




The Killer, 1989
Peut-être le film le plus abouti du cinéaste, le plus maîtrisé, le plus personnel, toujours à la limite de verser dans le pur exercice de style. Un vrai film d'auteur, brassant toutes les influences (Melville, Godard, Demy) et les thèmes chers au réalisateur. The Killer est loin d'être un enchaînement de fusillades spectaculaires, celles-ci ne sont que le reflet des personnages, de leur rage et de leur désespoir. Chow Yun Fat s'y révèle absolument magnifique, d'une classe inégalable, tandis que Danny Lee fait complétement corps avec son personnage de flic qui n'a pas oublié de rester humain. 

Ma première vision du film remonte à sa sortie en France en 1995, sur fond de rires grinçants de spectateurs. Des plans entiers sont depuis restés ancrés dans ma mémoire, preuve de la force de sa mise en scène. Un de mes préférés restant ce travelling qui montre Chow à travers une porte-fenêtre, le cadrant à chaque fois d'un peu plus près (une figure de style qu'on croise souvent chez le metteur en scène mais qui trouve ici sa plus parfaite expression). À ce titre, la photographie est assez remarquable, créant des éclairages dramatiques plutôt inhabituels dans ce cinéma. J'en profite également pour citer le nom du compositeur du score si réussi, ainsi que des chansons : Lowell LoIl avait déjà collaboré avec Woo sur Le Syndicat du crime 2, et on le retrouve au générique de pas mal de films de Ringo Lam (Prison on fire), Tsui Hark (Le Syndicat du crime 3, Le Festin chinois), Sammo Hung (Dr Wong et les pirates) ou Stephen Chow (Shaolin soccer). Dans les films hongkongais de Woo, les bandes originales ont tendance à flirter avec le kitsch (j'en reparlerai), mais ici cela s'accorde merveilleusement avec l'atmosphère romantique de l'histoire et des personnages. J’adore les mélodies et l’usage qui en est fait. Montage et musique sont en harmonie totale et c'est très beau.

La version longue du film propose un montage un peu moins serré en plus de quelques scènes concernant surtout le tueur et son amie aveugle. Niveau rythme c’est donc moins tendu, cela dit j’ai eu l’impression que les scènes d’action gagnaient pas mal en lisibilité, notamment tout le gunfight de l’église où l’on suit mieux les déplacements des personnages et leur position les uns par rapport aux autres. Et puis les acteurs sont doublés en mandarin.



DOSSIER JOHN WOO :