31 août 2016

Le Cinéma de John Woo III. 1993-1997


Hard target (Chasse à l'homme), 1993
Passé à l'Est via Jean-Claude Van DammeWoo va se contenter pour son premier film hollywoodien de montrer son savoir-faire. Ce qui n'est déjà pas peu dire, pour un cinéaste styliste tel que lui. Hard target s'apparente à un honnête film d'action, sans prétention, une série B qu'on disait à l'époque formatée pour les videoclubs. Soucieux de ne pas rater la marche, le réalisateur faisait profil bas, laissant juste quelques colombes roucouler autour de la silhouette à mulet du kickboxeur belge.

Mine de rien, le réalisateur de The Killer, dont l'œuvre avait déjà directement nourri l'imaginaire d'un Quentin Tarantino et de son Reservoir dogs, posait là la première pierre qui allait radicalement renouveler le cinéma d'action américain, intégrant à sa grammaire les techniques de chorégraphie et de montage du cinéma hongkongais. Dans la foulée, Tsui HarkRingo Lam, Ronny Yu, Jet Li ou encore Yuen Woo Ping vont venir jouer leur carte, pour le pire comme le meilleur.




Broken arrow, 1996
Pour son deuxième film hollywoodien, Woo a la permission de boxer dans une catégorie supérieure : budget plus conséquent, sortie plus soutenue, noms bankables. Travolta, réssucité par Pulp fiction, est revenu au panthéon des stars les mieux payées. Il se plaira à partir de là à collectionner les rôles de personnages troubles ou carrément psychopathes, performances pleines d'une jubilation communicative, que ce soit chez McTiernan (Basic), Tony Scott (Pelham 123), ou Dominic Sena (Swordfish).

Passés quelques morceaux de bravoure qui peuvent faire illusion, le résultat ici se révèle cependant peu ambitieux, transcendant difficilement un scénario primaire fait de situations improbables et de personnages sans épaisseur, à l'image de l'encombrant faire-valoir féminin, qu'on devine imposé par le studio. En rabaissant ses exigences de spectateur, on pourra discerner quelques-unes des thématiques du réalisateur, sa fascination pour la lutte intestine à laquelle se livrent le bien et le mal (Slater et Travolta), à la fois dissociés et fusionnés. Ce qui donnera lieu à d'intenses moments d'affrontements au corps à corps, très physiques, rejouant la scène d'ouverture sur le ring en passant cette fois de la théorie à la pratique. Le score synthético-grandiloquent d'Hans Zimmer colle bien aux images et aux effets peu subtils de mise en scène. 

Par son titre (homonyme du très beau film pro-indien de Delmer Daveset par son cadre, le film renvoie inévitablement au western, et on peut imaginer que Woo s'est plu à dérouler son histoire au sein des paysages qui ont marqué sa mémoire de cinéphile. Je n'ai pas revu le film depuis sa sortie, et il n'est pas sûr qu'il me passionne aujourd'hui davantage. Je le vois comme un palier supplémentaire dans l'ascension de Woo à Hollywood, qui va trouver son aboutissement avec le titre suivant.




Face / off (Volte-face), 1997
Sans conteste le chef-d'œuvre insurpassé de la carrière américaine de Woo. Sa découverte fut d'autant plus un choc, qu'après ses deux films précédents on n'attendait plus grand chose du cinéaste, convaincu qu'il s'était perdu en traversant le Pacifique, comme tant d'autres avant lui broyés par le studio system. Alors qu'il part d'un postulat de science-fiction hautement improbable facilement menacé de ridicule, le film parvient à trouver un génial équilibre. Tous les éléments semblent ici miraculeusement en place pour parfaitement servir les visions et les obsessions du cinéaste. Le scénario est riche de potentialités, et parvient à en explorer toutes les pistes jusqu'au vertige. On bascule du polar viscéral à la tragédie poignante, en passant par le cauchemar kafkaïen, où le corps devient littéralement une prison.

Le réalisateur semble enfin disposer ici de moyens sans limites, qui lui permettent enfin de donner libre cours à sa folie de la mise en scène lors des séquences d'action ébouriffantes qui ponctuent le film — poursuites, gunfights — mais aussi lors de purs moments de grâce révélés par sa science du cadre et du rythme, et sa capacité à assumer la part de grotesque dans ses élans lyriques (ce qu'il échouera totalement à reproduire dans l'embarrassant Mission : impossible 2). 

Woo a toujours été fasciné par la dualité humaine, montrant de film en film à quel point le bien et le mal sont indissolubles, l'un ne pouvant exister sans l'autre. Il trouve avec cette folle histoire d'échange d'identités, qu'il parvient en seulement une poignée de scènes à rendre presque crédible, le sujet rêvé. Le bon policier doit incarner sa propre Némésis, endosser la peau et l'âme de son exact contraire. Les cartes sont redistribuées, et c'est évidemment lorsque la main va échapper au joueur principal que le film déploie toute sa puissance. Pour le duo de comédiens ici à l'affiche, parfaitement casté, Face / off est évidemment un terrain de jeu sans équivalent, inespéré. Ces deux grands acteurs de composition que sont Travolta et Cage se voient offrir la chance de jouer chacun un double-rôle, sans caricature mais exploitant toutes les ficelles de leur métier, de la tête au pieds. Doublement incarné, Castor Troy devient alors l'un des plus formidables méchants du cinéma de la décennie. Récit passionnant, acteurs fascinants, spectacle haut en couleurs... Face / off est un film qui se revoit toujours avec la même stupéfaction. 



DOSSIER JOHN WOO :

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