29 septembre 2016

Le Cinéma de John Woo IV. 2001-2008

Windtalkers (Les Messagers du vent), 2001
Désormais solidement installé à Hollywood, Woo acquiérait ici une réelle liberté dans les moyens et le choix d'un sujet qui lui tenait à cœur : l'histoire vraie de soldats Navajos chargés de coder les transmissions pendant la bataille du Pacifique. Découvert à sa sortie, j'avais été moyennement emballé par le film, concédant tout de même à son réalisateur la maîtrise impeccable d'une production aussi importante. Revu dans son director's cut sorti en video, j'ai davantage apprécié ses réelles qualités, qui tiennent en grande partie à la très grande justesse de l'interprétation, en particulier Nic Cage, toujours aussi crédible lorsqu'il laisse briller la folie dans son regard, soldat traumatisé ayant perdu la foi recherchant clairement à payer de sa vie son sentiment de culpabilité, et Adam Beach le souriant Navajo, qui va progressivement quitter l'enthousiasme juvénile du début et s'endurcir sur le champ de bataille. On appréciera également de voir Woo dirigier à nouveau Christian Slater — acteur qui est un peu passé à côté de sa carrière — composant un personnage plein de bienveillance mais jamais mièvre. 

Consciencieux, le cinéaste se laisse complètement aller à la dénonciation la plus implacable des horreurs de la guerre, parvenant à recréer le sentiment permanent de danger éprouvé par les soldats. Les scènes d'action sont d'autant plus impressionnantes que les plans sont assez longs, avec une caméra effectuant des mouvements souvent complexes sans jamais manquer de fluidité. Vues aériennes, grue et steadycam sont exploitées au maximum, les explosions et les cadavres pleuvent de partout avec un réalisme saisissant et où le spectateur finit par ne plus distinguer les artifices. Derrière cette reconstitution enragée d'événements historiques, derrière l'hommage rendu à la mémoire des Indiens Navajos et au code qu'ils ont préservé, le réalisateur raconte une nouvelle fois une belle et intense histoire d'amitié, avec des hommes qui apprendront à se connaître et à s'aimer. L'essentiel du film est ainsi loin d'être uniquement dans les scènes d'action, au contraire. On se familiarise avec les personnages. La musique de James Horner joue la carte de l'émotion mais, malgré un thème principal assez beau dans certaines de ses variations, m'a semblé quand même la plupart du temps passe-partout. Il manque encore quelque chose au film pour que j'y adhère totalement, et je ne sais vraiment pas quoi étant donné que j'en pense et en écris plutôt du bien. C'est une œuvre incontestablement sincère, mais sans doute encore trop bridée par la dignité qu'implique le respect dû à une histoire vraie.




Paycheck, 2003
Pas trop de raison de s'attarder sur cette oubliable adaptation d'une nouvelle de Phil Dick, l'auteur ayant opportunément retrouvé les faveurs d'Hollywood après la réussite du Minority report de Spielberg. Je n'ai pas cherché à me renseigner sur les raisons qui ont conduit le réalisateur sur ce projet, mais on ne le sent jamais concerné par l'envie de raconter son histoire. Le concept du film à base de mémoire trafiquée est exploité sans conviction, et d'ailleurs bien vite évacué au profit d'un enchaînement de scènes d'action mécaniques totalement dépourvues de la moindre justification. 

Ben Affleck qui n'a jamais brillé par son épaisseur dramatique donne ici du grain à moudre à ses détracteurs, échouant à nourrir le sentiment de paranoïa que devrait légitimement exprimer son personnage. Mais le pire étant que Woo se permet de ne même pas rendre glamour sa vedette féminine, Uma Thurman, dont je ne m'explique pas ici la laideur. Bref, un film aseptisé qui aura peut-être le mérite de réévaluer à la hausse un Mission : impossible 2 finalement plutôt grisant dans sa façon d'érotiser les corps en action.




Red cliff (Les Trois royaumes), 2008
Cette histoire de conquêtes, d'alliances, d'exploits héroïques et de loyauté intransigeante en des temps si lointains qu'ils acquièrent une patine mythologique, c'est un peu une Illiade chinoise. On est projeté dans un monde où les gens ne connaissent que la guerre, s'efforçant de mettre en pratique leurs expériences, sagesses et connaissances théoriques inspirés de Sun TzuGrosse entreprise à échelle cosmique — même si les Dieux en sont absents, les éléments naturels sont eux-mêmes acteurs du récit — le film fonctionne autant dans l'attente des batailles que dans leur exécution. Pour ce faire, il fallait des personnages charismatiques, et c'est ici plutôt le cas, chaque interprète étant fortement caractérisé, souvent de façon très visuelle. Au premier rang trônent le costume et la posture immobile du charismatique Takeshi Kaneshiro, ainsi que le mutisme et l'irrésistible sourire en coin de Tony Leung (formidablement introduit en hors-champ et en musique). 

Le film va interroger la loyauté de toute une troupe de figures pittoresques face à un conflit qui, plus que politique, va se révéler d'ordre sentimental. Ponctué de séquences époustouflantes, il nous permet de retrouver tout l'art du geste et du mouvement du metteur en scène (ses travellings et fondus enchaînés), cette symbiose entre rythme et images, son talent pour faire soudain surgir la grâce au milieu du chaos, qu'il s'agisse d'accompagner le ballet des corps ou les mouvements de la pensée. On assiste ainsi à une sorte de partie d'échec aux proportions épiques, jouée par des virtuoses qui doivent anticiper la stratégie de l'adversaire. C'est pas non plus du Shakespeare, les relations et enjeux sont relativement balisés, mais incarnés avec ce qu'il faut de panache pour que ça soit plaisant à suivre. Le score symphonique de Taro Iwashiro est plutôt efficace et bien utilisé, emballant avec ce qu'il faut de lyrisme les hauts faits des guerriers.

Toutes ces qualités étant posées, le film est quand même loin d'être parfait. Dès lors qu'il faut plonger ce petit monde dans le choc du champ de bataille, ça manque un peu d'homogénéité. On alterne entre purs morceaux de génie et passages plus plats voire confus. Peut-être sont-ce les dimensions colossales de l'entreprise, toujours est-il que le film m'a semblé un peu inégal sur le plan de l'inspiration. Un peu comme si, forcé de déléguer à ses équipes, Woo s'était ensuite dépatouillé pour donner (trouver ?) sur son banc de montage une cohérence. De la part d'un cinéaste aussi rompu aux grosses productions, c'est évidemment peu probable mais ce fut mon impression. Les scènes enchaînent des plans qui ne sont pas tous visuellement stimulants, avec cet usage auquel je suis toujours allergique du ralenti saccadé et un fréquent non-respect de la règle des 180° qui fait qu'on ne sait pas toujours qui tue qui (et on n'est pas aidé par le fait que les 2 camps portent exactement les mêmes armures). Certes, on peut se dire qu'une bataille de cette ampleur doit par nature brouiller les repères, mais en tant que spectateur — qui plus est face à un John Woo — on attend un maximum de lisibilité pour pouvoir s'impliquer dans le spectacle des corps qui tombent. Seul l'affrontement central du piège de la tortue émerge du lot, fulgurant morceau de bravoure cinématographique où le rapport entre l'individu et la foule m'a semblé le plus harmonieusement exploité.

C'est donc une semi-déception, m'attendant sans doute trop au film épique ultime. Film du retour au pays natal, Red cliff est à l'arrivée un grand spectacle relativement inoffensif, plutôt tous publics, qui ne marquera pas ma mémoire. Il présente pour moi un peu les mêmes défauts que Windtalkers, énorme machine de guerre qui, si elle a beau être une production très personnelle pour son réalisateur, noie inévitablement une bonne partie de son âme dans les nécessités pyrotechniques (mais parce qu'il met en scène du trouffion de base à la place de seigneurs compassés, Windtalkers m'apparaît en comparaison plus touchant, plus humain).



DOSSIER JOHN WOO :

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