Plus de dix ans après son exil, Wilder retourne à Vienne, mais la Vienne des studios d'Hollywood et de son Technicolor irréaliste. The Emperor waltz, avec son intrigue d'opérette au ridicule assumé, propose une sorte de vaudeville de palais où sont mis en parallèle les marivaudages des humains... et ceux de leurs chiens. Son comique de situation souvent efficace, la joie de vivre du personnage de Bing Crosby, et ses décors de carton-pâte, en font un spectacle involontairement savoureux.
En ce qui me concerne, le film vaut d'être vu pour un fabuleux et hilarant numéro chanté. La scène se passe dans un chalet suisse (tel que se l'imagine Hollywood). Bing Crosby pousse la chansonnette et emmène dans sa danse la tenancière bien en chair, tous les touristes qu'elle accueille ainsi que quelques Tyroliens de passage. Ça virevolte joyeusement et même les chiens s'y mettent, composant un beau et improbable moment d'hallucination. À l'échelle de la carrière de Wilder, le film est clairement dispensable, mais rien que pour cette séquence, il ne sombrera pas dans l'oubli.
Sunset boulevard (Boulevard du crepuscule), 1950
Dernier des films que Wilder écrira et produira en collaboration avec Charles Brackett. Découvert lors d'une de mes toutes premières séances à la Cinémathèque française, Sunset boulevard est non seulement devenu l'un de mes films fétiches, du genre que je m'étais même offert en VHS, mais également un des titres qui a longtemps trôné dans mon trio de tête à l'époque où j'acceptais encore de faire des tops. J'ai jubilé de la moindre seconde de cet épatant spectacle sur les fantômes d'Hollywood. Du début à la fin, Wilder nous régale par l'approche libre et audacieuse de son sujet, nous épargnant toutes conventions, portant au sommet l'art du dialogue (et de la voix off). La maestria s'étend jusqu'à l'interprétation, avec une Gloria Swanson phénoménale, et le rôle bouleversant et terrifiant à la fois de Von Stroheim, que Wilder retrouve après Five graves to Cairo. Même De Mille se montre excellent acteur : son regard plein de douleur et de compassion pour son ancienne actrice est très touchant. Car c'est bien la résonnance entretenue entre ces figures emblématiques de l'industrie cinématographique et le rôle qui leur est alloué dans le film qui provoque le vertige. Rien à jeter dans ce qui est bien plus qu'une mécanique parfaite. Jusqu'au score de Franz Waxman, d'une fabuleuse expressivité dans sa capacité à accompagner les différentes atmosphères proposées par le récit.
Jacques Lourcelles écrivait à propos du film : « C'est une histoire de fantômes qui mettent la main sur un vivant et ne rendront qu'un cadavre, lequel racontera lui-même son histoire. » Quand on voit ce qu'Hitchcock fera avec Rear window ou Michael Powell avec Peeping tom, comment douter encore du caractère profondément morbide qui nourrit le cinéma, peut-être le seul art qui permet de donner vie aux fantômes (nous ne cessons de voir des morts finalement avec tous ces films naphtalinés) ? Sunset boulevard est littéralement une histoire de vampirisme. Le film revient sans cesse vers des éléments funestes : le récit est fait par un mort, William Holden est pris pour un embaumeur lorsqu'il débarque chez la diva oubliée, on y parle de la mort du cinéma muet, de la façon dont survivent les vieilles gloires du passé (la partie de bridge, réunion de momies). Soutenu par l'extraordinaire photographie de John F. Seitz, le climat fantastique de certaines scènes est incontestable (Norma projetant ses vieux films, le bal sans invités). Le jeu de Swanson lui-même est complètement expressionniste, singeant le style des actrices d'antan (c'est-à-dire le sien !). Vingt-huit ans plus tard, Wilder offrira un prolongement encore plus terrifiant peut-être à cette vision avec Fedora.
Quant à la romance, si au début Joe a bien conscience d'être devenu un gigolo (Norma l'achète avec un étui à cigarette), sa conscience est sauve puisqu'il peut se justifier en disant qu'il travaille pour elle. Mais par la suite, sa fascination et son amour prendront le dessus. Lorsqu'il se précipite vers elle après sa tentative de suicide, il ne triche plus : il tombe le masque et accepte alors de basculer de l'autre côté. Le fait de construire le récit en flashback, en nous faisant savoir que Joe meurt in fine, cela pousse le spectateur à considérer chaque scène comme conduisant inéluctablement à cette issue tragique. Lorsqu'il entreprend de la quitter parce qu'il trouve qu'elle va trop loin, il est déjà trop tard. Son amour avec Betty était impossible, une fois la main tendue à la mort, on ne peut s'y soustraire. Coincé dans cet entre-deux, entre le monde des vivants (Betty) et celui des morts (la maison de Norma), Joe est condamné. Du début à la fin, on reste dans un système de narration subjectif, dans la fiction, dans l'illusion de la vérité. Finalement tous ces éléments s'interpellent et se mêlent pour nourrir la tragédie, rendant ce génial chef-d'œuvre infiniment riche et passionnant.
Stalag 17, 1953
Un authentique bijou. On devine qu'il s'agit là pour l'expatrié Wilder d'un sujet sensible qui, au lieu de le refroidir, lui permet peut-être encore plus d'audace dans sa peinture de ces officiers allemands (Preminger qui enfile ses bottes uniquement pour pouvoir les claquer lors d'une conversation téléphonique avec ses supérieurs). Encore une fois, la liberté de ton du dialoguiste Wilder fait des merveilles, et le film est bourré de punchlines acérées. La mise en scène n'est pas en reste, louvoyant à partir d'un univers clos entre suspense, comédie et drame. Et puis la scène de danse où l'un des soldats travestis est pris par son copain pour Betty Grable semble annoncer Some like it hot. Ce copain est joué avec gourmandise par Robert Strauss, qu'on retrouvera en concierge salace dans 7 ans de réflexion.
Le personnage de William Holden est assez passionnant parce qu'il n'a rien d'un héros idéal auquel on peut confortablement s'identifier. L'acteur, dont je suis plus que jamais fan, compose un individualiste qui porte un regard tellement lucide sur ce qui l'entoure qu'il paraît suspect. Il ne cherche pas à lutter et s'efforce de profiter autant que possible de la situation présente, sans se préoccuper du politiquement correct. On pourra se demander si Kubrick s'est inspiré de la scène où il se fait tabasser sur son lit par tout le baraquement pour le traitement équivalent que subi l'engagé Baleine dans son Full metal jacket. J'ai également souvent pensé, justement à cause de ce mélange des tons entre drame et comédie, au très beau Caporal épinglé de Renoir. Dans la catégorie des films de prisonniers de guerre et de ses passages obligés (La Grande illusion, La Grande évasion, Le Pont de la rivière Kwai, Furyo), l'un des meilleurs représentants.
Sabrina, 1954
Comédie romantique qui assume d'entrée de jeu son registre de conte de fée, mais pour mieux nous surprendre par ses sorties de route. Ainsi, le prince charmant n'est pas celui qu'on croît, et la jeune première n'est pas si ingénue. C'est donc un film qui déjoue les attentes, qui prend par la main son spectateur en exposant des situations codifiées pour mieux les tordre. Pas du tout l'histoire de la fille transformée en princesse, car le jeu de dupes ne durera pas longtemps. Les personnages vont apprendre à mieux se connaître eux-mêmes, à éprouver la solidité de leurs sentiments. Toujours prompt à la satire, Wilder évite pourtant toujours la cruauté facile, y compris chez les parents (impayable père).
Le film m'a petit à petit fait succomber à son charme, ce savant mélange de gravité, d'humour et de mélancolie que Wilder va parfaire dans ses comédies suivantes : The Seven year itch (que les personnages vont d'ailleurs voir au théâtre), The Apartment, Avanti !... Jusqu'à nous conduire à un final aussi surprenant qu'enthousiasmant. Il y est toujours question de couples mal assortis, présentés d'abord presque comme des caricatures, avant de progressivement faire émerger les vraies émotions qui les habitent, grâce à la subtilité des dialogues, comme des interprétations. S'il offre un très beau rôle à Bogart, homme mûr qui semble avoir déjà défini les limites et les besoins de son existence, le film reste cependant tout entier conçu à la gloire — méritée — d'Hepburn, dont la modernité de jeu, de physique crève l'écran.
Le film m'a petit à petit fait succomber à son charme, ce savant mélange de gravité, d'humour et de mélancolie que Wilder va parfaire dans ses comédies suivantes : The Seven year itch (que les personnages vont d'ailleurs voir au théâtre), The Apartment, Avanti !... Jusqu'à nous conduire à un final aussi surprenant qu'enthousiasmant. Il y est toujours question de couples mal assortis, présentés d'abord presque comme des caricatures, avant de progressivement faire émerger les vraies émotions qui les habitent, grâce à la subtilité des dialogues, comme des interprétations. S'il offre un très beau rôle à Bogart, homme mûr qui semble avoir déjà défini les limites et les besoins de son existence, le film reste cependant tout entier conçu à la gloire — méritée — d'Hepburn, dont la modernité de jeu, de physique crève l'écran.
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