Bullet in the head (Une Balle dans la tête), 1990
Les conditions assez
particulières dans lesquelles j'ai découvert ce film (grand écran en plein air,
après un pique-nique bien arrosé) en ont fait une expérience de cinéma inouïe et inoubliable, qui
m'avait fait prononcer à voix haute sans m'en rendre vraiment compte le mot : « hallucinant... » Si on reprend la progression du film, on a trois amis franchement malchanceux qui ne cessent de tomber de Charybde en Scylla, avec une sorte de cruauté presque joyeuse. À chaque nouvelle catastrophe, un choix leur est donné, qui les porte systématiquement vers le pire. Cet enchaînement de galères est un des plus spectaculaires que j'ai pu voir au cinéma. Les scènes de guerre sont incroyables et si Woo sait les filmer (et surtout les monter) avec style, la mort donnée ou reçue est toujours un acte atroce, qui fait mal et qui pousse inlassablement les hommes vers l'animalité. D'où l'impact sur le spectateur, amené à réagir constamment à des images et des situations extrêmes. Rien n'est neutre. On en sort lessivé.
Les acteurs s'y révèlent immenses. La performance de Jackie Cheung en devient étouffante. Tony Leung endosse à la fois le point de vue du cinéaste et celui du spectateur, voyant au cours du film ses idéaux impitoyablement détruits les uns après les autres. Waise Lee s'accroche à la lourde et encombrante malle pleine d'or mais c'est son propre cadavre qu'il tire ainsi sans le savoir. L'idée au cœur de cette amitié si particulière étant comme toujours chez Woo que le bien ne peut exister sans le mal, la lumière se mêlant à l'ombre, dans un esprit qu'on qualifiera aussi facilement que légitimement de yin et yang. Complétant ce trio infernal, Simon Yam incarne pour sa part le héros chevaleresque dans toute sa splendeur, dernier de son espèce.
Loin de moi l'idée de vouloir
réduire Une balle dans la tête à un patchwork, mais j'y ai vu des emprunts possibles évidemment à
The Deer Hunter (pour la trame générale, les déchirures de la guerre sur les
corps et les âmes), Scarface et The Godfather (pour l'ascencion du truand par
les armes et la corruption). Au-delà de ces références, le film lui-même
travaille différents genres cinématographiques, comme autant d'étapes dans
l'évolution de ses héros. On commence avec du kung-fu urbain, puis on
passe aux gunfights et au film de gangsters, qui va nous mener au film de
guerre, jusqu'à cet incroyable climax ultra-sophistiqué qui semble tout
mélanger, les voitures devenant des sortes de chars d'assaut. Woo parvient à mixer tout ces élements
avec un réel brio, une belle inspiration, tout s'emboîte selon une logique imparable, aboutissant à une œuvre totalement baroque, riches en symboles qui, comme souvent chez lui, tendent presque à l'abstraction. Le moindre nouvel élément est porté à son
paroxysme, ce qui peut
facilement devenir risible (comme The Killer à sa manière).
Même s'il n'y a pas de
colombes à l'horizon, la noirceur du film est néanmoins contrebalancée par une sorte de romantisme naïf, signature de la vision
humaniste du réalisateur. C'est ici bien souligné
par la musique omniprésente et d'un style assez... étonnant (mention spéciale
au thème principal "happy birthday" qui revient toutes les 20 secondes, ainsi qu'aux Feuilles
mortes de Prévert et Kosma qui accompagnent les apparitions de Luke). La peinture
idéalisée de l'amitié au début du film est toujours à la limite du kitsch, les
compositeurs abusent un peu de leur ritournelle mise à toutes les sauces, mais
tout cela est à sa place car tellement en accord avec la façon qu'a le
réalisateur de penser sa mise en scène. Désespéré et intense, un film à tous points de vue exceptionnel.
Hard-boiled (À toute épreuve), 1992
Orchestration déchaînée d'un
véritable massacre sur pellicule (combien de morts en deux heures de film ?). Woo semble illustrer comme jamais avant
lui la définition du terme "défourailler". Pas inquiet de quelques
invraisemblances (les méthodes de polices qui consistent à faire un carnage sur
tout le monde plutôt que de procéder à des arrestations, Chow Yun Fat
débarquant tout seul pour affronter une cinquantaine de gangsters dans un
entrepôt), il se garde néanmoins de proposer des personnages vides. Le duo Tony
Leung (d'un charisme ravageur) et Chow Yun Fat (inoubliable Tequila) est admirable et d'une
complexité très intéressante, sortes de flics ayant quelque peu dépassé les
limites du bon droit, ne sachant plus trop de quel côté ils sont. Belle
présence également de Philip Kwok, ici également chorégraphe, et ses déplacements
de fauve. Ce qui fait que ce film est loin du simple enchaînement de gunfights
(c'est du moins la réputation qu'il avait pour moi avant que je le vois), même
si, sans doute, la narration comporte quelques trous.
Thématiquement il est
parfaitement à sa place dans l'œuvre de Woo
qui se permet même une apparition dans un rôle de barman-mentor. Toute la
séquence de l'hôpital — quasiment la moitié du film — est impressionnante, et
fait pas mal penser à Die Hard,
avec ses deux flics qui se démènent pour passer outre ce qui est devenu un
enfer au milieu d'une prise d'otages. On a là effectivement quelque chose qui
s'apparente à un morceau de bravoure, qui pourrait clairement supporter une
infinité de visions, toujours aussi incrédules et fascinées. Ce chaos est
incroyablement dirigé par un sens du montage très poussé, laissant le
spectateur en état de choc face au nombre de personnages qui arrivent de
partout, aux explosions, élements de décors qui volent sous les impacts,
cascades, vitesse, suspense, etc. Chaque scène, chaque mouvement, chaque regard m'apparaît déjà comme
autant d'images fétichisées. La bande son, ici encore, a des accents un peu désarmants, Woo ayant décidément des goûts musicaux étranges (peu sûrs ?). J'ai néanmoins vraiment bien aimé la petite intro clarinette de Tequila,
très cool dans son Jazz bar.
DOSSIER JOHN WOO :
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