24 août 2016

Le Cinéma de John Woo II. 1990-1992


Bullet in the head (Une Balle dans la tête), 1990
Les conditions assez particulières dans lesquelles j'ai découvert ce film (grand écran en plein air, après un pique-nique bien arrosé) en ont fait une expérience de cinéma inouïe et inoubliable, qui m'avait fait prononcer à voix haute sans m'en rendre vraiment compte le mot : « hallucinant... » Si on reprend la progression du film, on a trois amis franchement malchanceux qui ne cessent de tomber de Charybde en Scylla, avec une sorte de cruauté presque joyeuse. À chaque nouvelle catastrophe, un choix leur est donné, qui les porte systématiquement vers le pire. Cet enchaînement de galères est un des plus spectaculaires que j'ai pu voir au cinéma. Les scènes de guerre sont incroyables et si Woo sait les filmer (et surtout les monter) avec style, la mort donnée ou reçue est toujours un acte atroce, qui fait mal et qui pousse inlassablement les hommes vers l'animalité. D'où l'impact sur le spectateur, amené à réagir constamment à des images et des situations extrêmes. Rien n'est neutre. On en sort lessivé.

Les acteurs s'y révèlent immenses. La performance de Jackie Cheung en devient étouffante. Tony Leung endosse à la fois le point de vue du cinéaste et celui du spectateur, voyant au cours du film ses idéaux impitoyablement détruits les uns après les autres. Waise Lee s'accroche à la lourde et encombrante malle pleine d'or mais c'est son propre cadavre qu'il tire ainsi sans le savoir. L'idée au cœur de cette amitié si particulière étant comme toujours chez Woo que le bien ne peut exister sans le mal, la lumière se mêlant à l'ombre, dans un esprit qu'on qualifiera aussi facilement que légitimement de yin et yang. Complétant ce trio infernal, Simon Yam incarne pour sa part le héros chevaleresque dans toute sa splendeur, dernier de son espèce. 

Loin de moi l'idée de vouloir réduire Une balle dans la tête à un patchwork, mais j'y ai vu des emprunts possibles évidemment à The Deer Hunter (pour la trame générale, les déchirures de la guerre sur les corps et les âmes), Scarface et The Godfather (pour l'ascencion du truand par les armes et la corruption). Au-delà de ces références, le film lui-même travaille différents genres cinématographiques, comme autant d'étapes dans l'évolution de ses héros. On commence avec du kung-fu urbain, puis on passe aux gunfights et au film de gangsters, qui va nous mener au film de guerre, jusqu'à cet incroyable climax ultra-sophistiqué qui semble tout mélanger, les voitures devenant des sortes de chars d'assaut. Woo parvient à mixer tout ces élements avec un réel brio, une belle inspiration, tout s'emboîte selon une logique imparable, aboutissant à une œuvre totalement baroque, riches en symboles qui, comme souvent chez lui, tendent presque à l'abstraction. Le moindre nouvel élément est porté à son paroxysme, ce qui peut facilement devenir risible (comme The Killer à sa manière). 

Même s'il n'y a pas de colombes à l'horizon, la noirceur du film est néanmoins contrebalancée par une sorte de romantisme naïf, signature de la vision humaniste du réalisateur. C'est ici bien souligné par la musique omniprésente et d'un style assez... étonnant (mention spéciale au thème principal "happy birthday" qui revient toutes les 20 secondes, ainsi qu'aux Feuilles mortes de Prévert et Kosma qui accompagnent les apparitions de Luke). La peinture idéalisée de l'amitié au début du film est toujours à la limite du kitsch, les compositeurs abusent un peu de leur ritournelle mise à toutes les sauces, mais tout cela est à sa place car tellement en accord avec la façon qu'a le réalisateur de penser sa mise en scène. Désespéré et intense, un film à tous points de vue exceptionnel.




Hard-boiled (À toute épreuve), 1992
Orchestration déchaînée d'un véritable massacre sur pellicule (combien de morts en deux heures de film ?). Woo semble illustrer comme jamais avant lui la définition du terme "défourailler". Pas inquiet de quelques invraisemblances (les méthodes de polices qui consistent à faire un carnage sur tout le monde plutôt que de procéder à des arrestations, Chow Yun Fat débarquant tout seul pour affronter une cinquantaine de gangsters dans un entrepôt), il se garde néanmoins de proposer des personnages vides. Le duo Tony Leung (d'un charisme ravageur) et Chow Yun Fat (inoubliable Tequila) est admirable et d'une complexité très intéressante, sortes de flics ayant quelque peu dépassé les limites du bon droit, ne sachant plus trop de quel côté ils sont. Belle présence également de Philip Kwok, ici également chorégraphe, et ses déplacements de fauve. Ce qui fait que ce film est loin du simple enchaînement de gunfights (c'est du moins la réputation qu'il avait pour moi avant que je le vois), même si, sans doute, la narration comporte quelques trous.


Thématiquement il est parfaitement à sa place dans l'œuvre de Woo qui se permet même une apparition dans un rôle de barman-mentor. Toute la séquence de l'hôpital — quasiment la moitié du film — est impressionnante, et fait pas mal penser à Die Hard, avec ses deux flics qui se démènent pour passer outre ce qui est devenu un enfer au milieu d'une prise d'otages. On a là effectivement quelque chose qui s'apparente à un morceau de bravoure, qui pourrait clairement supporter une infinité de visions, toujours aussi incrédules et fascinées. Ce chaos est incroyablement dirigé par un sens du montage très poussé, laissant le spectateur en état de choc face au nombre de personnages qui arrivent de partout, aux explosions, élements de décors qui volent sous les impacts, cascades, vitesse, suspense, etc. Chaque scène, chaque mouvement, chaque regard m'apparaît déjà comme autant d'images fétichisées. La bande son, ici encore, a des accents un peu désarmants, Woo ayant décidément des goûts musicaux étranges (peu sûrs ?). J'ai néanmoins vraiment bien aimé la petite intro clarinette de Tequila, très cool dans son Jazz bar.




DOSSIER JOHN WOO :

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