12 avril 2019

Sept romans d'Arnaldur Indridason

Opération Napoléon, 1999
Un one shot d'Indridason (au sens où il ne s'agit pas d'une nouvelle enquête de son commissaire Erlendur), thriller efficace et même assez brutal. L'intrigue prenant la forme d'une course contre la montre et contre la mort, le rythme est soutenu et ça se dévore donc bien. L'auteur se débrouille pour jouer avec nos nerfs en maintenant jusqu'au bout un suspense reposant sur un sacré postulat. Mais j'ai trouvé au bout d'un moment les réactions de certains personnages assez peu vraisemblables : censés être de "simples" quidams plongés malgré eux dans une affaire d'État, il font preuve d'un sang-froid assez surprenant là où j'aurais attendu un peu plus de doutes, de peurs et de failles.

On est donc assez loin des études de caractères touchantes dont sait habituellement faire preuve le romancier dans sa série policière phare. On continuera néanmoins d'apprécier la façon dont il mêle à travers ses récits l'Histoire sociale et politique de cette île si fascinante qu'est l'Islande. Amusant, donc, mais ça n'a pas d'autre prétention que d'être un bon roman de gare. Bizarrement traduit selon le souhait de l'auteur à partir de la traduction anglaise.




La Femme en vert, 2001
Dans la série des enquêtes du Commissaire Erlendur, j'avais commencé par l'excellent Homme du lac. Cette Femme en vert semble vraiment construite de la même façon, et ça pourrait apparaître à juste titre redondant. Mais Indridason est toujours aussi maître de son récit. Il réussit une nouvelle fois à charmer, avec cette enquête sur une vieille affaire dont la résolution n'a plus aucune nécessité, par conséquent menée sans précipitation. On s'attache à ce personnage de commissaire plus que flegmatique, bien alourdi par le poids de ses obsessions et fautes.

C'est précisément cet ancrage dans un passé sombre qui fait la force du récit, incarné par de réguliers flashbacks qui en profitent toujours pour dévoiler un peu plus les bizarres fondations de la modernité de ce pays à part qu'est l'Islande, notamment tout ce que son économie doit à la présence de l'armée américaine sur son sol. Ça donne également lieu à des pages franchement glaçantes — sans jeu de mots — et terriblement convaincantes sur la perversité à l'œuvre dans la violence conjugale.




Betty, 2003
Nouveau thriller one shot entre deux enquêtes d'Erlendur. Indridason trousse une histoire de manipulation à base de femme fatale, sorte de remake peu imaginatif d'Assurance sur la mort de Billy Wilder. On se dit pendant une bonne partie de la lecture, que ça ne peut pas être aussi convenu, l'auteur dressant un catalogue pratiquement exhaustif de tous les clichés du genre. Le twist attendu sera bien au rendez-vous, mais passé son petit effet, ça reste vraiment un gadget qui ne suffira pas à transcender et redonner de l'épaisseur à l'intrigue.

Grâce à son talent de romancier, Indridason parvient heureusement à demeurer suffisamment divertissant, c'est raconté sans gras pour ne pas tomber des mains, mais au-delà de son astuce de petit malin, Betty laisse sur une impression d'exercice de style relativement anecdotique.




L'Homme du lac, 2004
J'ai adoré l'ambiance si particulière de ce polar qui tire complétement parti de sa localisation si exotique en Islande, distillant une sorte de mélancolie latente. Errant sur une terre franchement peu hospitalière, les personnages et leur flegme sont décrits avec beaucoup de chaleur. Erlendur est un commissaire franchement à la cool, dont la vie privée est un désastre, et ses collègues sont autant de figures humaines qui échappent aux archétypes du genre.

Et je suis décidément très client de cette façon qu'a l'auteur de dévoiler ici encore les dessous louches de l'Histoire et de la société islandaise, offrant notamment une saisissante reconstitution d'une époque où l'utopie communiste séduisait une franche de la jeunesse locale, appelée à partir faire ses études en R.D.A. Rétrospectivement,  par la richesse de son intrigue et justement par cette exploration minutieuse et passionnante d'un passé, je considère ce titre comme le plus accompli de tous ceux que j'ai lus d'Indridason à ce jour.




Hiver arctique, 2005
Le lecteur fidèle de l'œuvre d'Indridason nourrit forcément une insatiable curiosité sur l'Islande, son atmosphère à ses yeux si exotique. Il aime replonger dans cet univers, retrouver ce commissaire en apparence constamment détaché, mais animé intérieurement par des obsessions sinistres et se heurtant à la tragique incompréhension du mal. Pour cette enquête, pas de coups de feu, de poursuite ou de suspense de dernière minute, même si l'intrigue semble condensée sur quelques jours. Le récit est construit sur une succession d'interrogatoires, qui dressent en creux le portrait d'une société islandaise repliée sur elle-même, de son rapport à l'étranger et à sa propre Histoire. 

Ça donne un polar évidemment guère joyeux, mais néanmoins vraiment prenant, grâce à la justesse du regard de l'auteur, qui développe juste ce qu'il faut de la personnalité de ses personnages pour les rendre touchants et crédibles. Un très bon cru.




Le Livre du Roi, 2006
Chronique précédemment publiée ici...

















Étranges rivages, 2010
Un peu réservé sur ce qui fut présenté à sa sortie comme la dernière aventure d'Erlendur (le personnage continuera d'apparaître dans d'autres romans, mais qui seront consacrées à sa jeunesse). S'il est toujours très séduisant de retrouver l'atmosphère singulière de l'Islande et la vision doucement nostalgique de l'auteur, si la personnalité tranquille du commissaire a toujours quelque chose de touchant, je dois avouer que je n'ai pas été particulièrement passionné par la relativement banale histoire criminelle narrée ici. J'ai surtout été peu emballé par la construction de l'enquête qui ne repose que sur des enchaînements d'interrogatoires, Erlendur rendant visite à chaque témoin l'un après l'autre, reconstituant ainsi le puzzle. Cette construction limite paresseuse fonctionnait pourtant dans d'autres romans (Hiver arctique). Elle est sans doute réaliste (et encore), mais manque par trop de variété, et j'ose à peine me permettre de qualifier de paresseux un écrivain avec autant de bouteille qu'Indridason.

C'est d'autant plus dommage — voire incompréhensible — que cette nouvelle enquête est censée être fondamentale dans le parcours du protagoniste, qui va ici jusqu'au bout de la quête qui l'obsède depuis ses débuts, de sa fascination pour les disparitions, et pour l'une d'entre elles en particulier. La lecture n'est pas non plus déplaisante, heureusement, d'autant plus qu'elle s'achève sur une conclusion vraiment émouvante qui permet de sortir de la lecture sur une note marquante, mais j'espérais sans doute davantage d'ambition et de nécessité dans l'écriture de ce volume.

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