24 avril 2019

Histoire permanente du cinéma américain, 1956-1959

Giant (Géant), George Stevens, 1956
Sur la foi de mes lectures critiques (Lourcelles, Tulard, Tavernier & Coursodon), Georges Stevens avait pour moi plutôt mauvaise presse, et je m'étais longtemps tenu éloigné de son œuvre. Un peu comme Wyler, cinéaste immensément respecté aux Etats-Unis mais dont j'avais l'impression qu'il était assez majoritairement dénigré en France (ça a peut-être changé depuis). Je ne gardais pas un souvenir particulier de Géant. Je l'ai revu dans la superbe copie du collector Warner, enfin en version originale qui fait honneur aux acteurs, et ce fut une révélation. Je ne m'attendais pas du tout à être à ce point conquis non seulement par un récit formidablement romanesque, mais surtout par l'étonnant travail de caméra et de montage de Stevens, qui n'a vraiment rien d'académique. Sa mise en scène m'est apparue aussi audacieuse qu'inventive, avec une extraordinaire façon de jouer sur le hors-champ, le non-dit et l'ellipse (Dennis Hopper annonçant son mariage à ses parents, sa voix couverte par les musiciens sur scène), se permettant à l'occasion de dissimuler ses acteurs par un élément de décor. La composition picturale de certains plans est éblouissante, jouant magnifiquement de la profondeur de champ. Il y a toujours une fenêtre ou une porte dans le fond qui ouvre sur l'horizon, et les paysages texans sont filmés avec poésie dans un splendide Warnercolor (en fait Eastmancolor) miraculeusement préservé, apportant au film son côté bigger than life.

Le regard de Stevens semble à la fois tendre mais sans complaisance pour son sujet. Les personnages sont dépeints dans toute leur complexité, tantôt aimables tantôt ignobles. La réussite de James Dean se fera au prix de sa déchéance. Ainsi lors du dîner d'inauguration de son hôtel censé montrer aux yeux du monde sa consécration, il n'est plus qu'une épave, seule et pathétique. L'envers du décor texan est révélé, avec ses figures archaïques, arrivistes et racistes. Le duo d'acteurs Rock Hudson / Liz Taylor est magistral, avec un vieillissement des plus crédibles. Hudson, s'accrochant désespérément à la tradition familiale, Taylor en femme moderne dont les principes vont à leur tour être bousculés par les désirs de la nouvelle génération. Et c'est ça qui est beau : le film n'est pas figé dans une quelconque iconisation des valeurs du passé, il s'efforce de résonner avec un présent en mouvement, à l'écoute de la voix d'une jeunesse qui se fait alors de plus en plus entendre au cœur de cette Amérique des 50's.




Cat on a hot tin roof (La Chatte sur un toit brûlant), Richard Brooks, 1958
L'œuvre théâtrale de Tennesse Williams a régulièrement connu les faveurs d'Hollywood, et on peut s'en étonner tant le caractère sulfureux des thématiques explorées par le dramaturge sied mal à une industrie encore soumise au code Hays. Comme le Gigi de Minnelli qui adaptait Colette, La Chatte sur un toit brûlant a sans doute été produit trop tôt, apparaissant trop timidement adapté alors que le sujet est par nature licencieux. Brooks fait des pieds et des mains pour traiter un sujet carrément graveleux sans non plus oser aller trop loin. Les « bull...! » éructés par Big Daddy pour ne pas dire « bullshit » m'ont ainsi paru d'une consternante hypocrisie, et la scène où Maggie retire ses bas en contre-plongée m'a semblé franchement gratuite.

L'art de la suggestion ne suffit pas, et on ne comprend plus rien des réactions des personnages, qui semblent alors suivre un peu artificiellement les différentes étapes programmées par le script. On les observe de loin se débattre dans des tourments qui nous échappent. J'en retiendrais finalement surtout — et c'est loin d'être insignifiant — la beauté révoltante de Liz Taylor. D'ailleurs Brooks lui-même reconnaissait que ça posait problème à la crédibilité de son film : « Au cinéma, vous voyez un homme à l’écran qui passe son temps à dire qu’il n’a pas envie de coucher avec Elisabeth Taylor, alors le public commencera à siffler. Ils ne peuvent s’identifier avec le héros parce qu’eux ont envie de coucher avec Elisabeth Taylor. »




The Cool and the crazy, William Witney, 1958 
Une production American International Pictures tout à fait typique de son époque, avec sa petite ville américaine où les jeunes sont livrés à eux-mêmes le week-end et s'amusent comme ils peuvent, cherchant des noises aux honnêtes gens, narguant la flicaille et sabotant les soirées dansantes. Un petit nouveau débarque et les initie à la marijuana pour le compte d'un truand. Les acteurs qui jouent les blousons noirs sont un peu trop âgés pour le rôle, et en leader of the pack Scott Marlowe adopte un jeu très marqué Actor's studio qui détonne un peu par rapport aux ambitions de ce pur film d'exploitation.

On s'amuse des clichés enfilés comme des perles, du fait que le scénario est bourré d'incohérences, et surtout on reste stupéfait par la puissance du matos fumé ici, puisqu'un seul joint suffira à rendre ces gamins addicted. Les voilà alors parcourus de sueurs froides et prêts à tous les vices pour se payer leur prochaine dose. Le tableau aurait été parfait si le film s'était montré plus généreux en rock n'roll et poursuites en bagnoles. Le plus rigolo c'est sans doute le texte en épilogue qui précise non sans humour que certaines libertés ont été prises avec la réalité de ce grave problème social qu'est la drogue. En 1994, la chaîne câblée Showtime produira la série Rebel highway, invitant quelques grands noms du cinéma à s'inspirer de ces teen movies A.I.P. pour en donner leur propre version. Parmi eux, rien de moins que William FriedkinJohn MiliusRobert Rodriguez ou Joe Dante qui réalisera l'excellent Runaway daughtersEt c'est Ralph Bakshi qui écopera de The Cool and the crazy.




Solomon and Sheba (Salomon et la reine de Saba), King Vidor, 1959
Sur la papier, on a la promesse d'un péplum biblique spectaculaire en Technirama 70mm Technicolor dirigé par le grand King Vidor (Duel au soleil). À l'écran, on obtient malheureusement un film pataud, risible même par moments. Tout juste rescapé des Dix commandements, Yul Brynner fait vraiment regretter Tyrone Power, décédé au cours du tournage. Et j'ai trouvé Lollobrigida, dont j'ai jamais apprécié le "jeu", pénible. Le comble du ridicule étant atteint dans une scène de baston au burlesque involontaire entre Salomon et des espèces de ninjas sur la terrasse du palais. On n'échappera pas non plus à l'incontournable bacchanale avec le Reine de Saba et son peuple, lors d'une danse qui se veut lascive au milieu d'un flamboyant assemblage de carton-pâte (vive Broadway !). Pour le reste, je trouve l'intrigue et les dialogues sans génie.

Les seuls moments où j'ai eu l'impression que ça s'animait un peu, sur le plan des idées de mise en scène et du rythme, sont les grandes scènes de batailles (l'armée égyptienne tombant en masse dans le ravin). C'est d'autant plus navrant qu'elles sont sans doute davantage l'œuvre de la seconde équipe que celle de Vidor. Pour leurs fins de carrière respectives, Anthony Mann et Nicholas Ray s'étaient aussi retrouvés sur des grosses machines tournées en Europe. Mais la réussite était au rendez-vous. Vidor laisse lui une catastrophe cinématographique que je rapprocherais du calamiteux Sodome et Gomorrhe, d'Aldrich.

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