18 avril 2019

Histoire permanente du cinéma américain, 2013-2016 (say it with music)

Oblivion, Joseph Kosinski, 2013
Il a un peu marché ce film ? J'ai l'impression d'avoir complètement raté sa sortie. Un très malin et très bon scénario S.F., adapté par Kosinski de son roman graphique, qui se déguste scène après scène sans vrai temps mort. La mystification vertigineuse à la Philip K. DickPlanet of the apes n'est évidemment pas loin, mais le film ne repose heureusement pas que sur une seule grosse révélation, plutôt sur une cascade. Séduit par son esthétique froide, j'ai choisi de toutes façons assez vite de ne pas chercher à anticiper et de laisser tomber le jeu des hypothèses. Et ce qui est plaisant, c'est qu'au sortir du film, l'édifice ne souffre pas trop d'incohérences. Kosinski propose des climats suffisamment variés pour maintenir l'attention, il adopte un rythme plutôt posé, qui colle bien à son approche visuelle élégante et très épurée. Il parvient surtout à composer un univers solide, assez complet et surtout crédible qui accroche tout de suite. Ça passe notamment par la qualité du mecha design — vaisseaux, drones — sous forte influence japonaise (les mangas et animés de S.F. ont toujours su mettre en avant la crédibilité de leurs inventions technologiques). Une direction artistique de très haute tenue, aussi classieuse que celle du Passengers de Morten Tyldum. Seules concessions au mauvais goût, la course-poursuite dans les falaises et le look post-apo des Chacals, pas de première fraîcheur.

En réduisant au maximum les éléments de son histoire (en gros deux mondes et cinq personnages), le film génère de vrais moments de poésie. Ça s'ouvre sur une sorte de rêverie amoureuse suivie d'un questionnement existentiel, plaçant ainsi avant tout l'humain au cœur du récit. Même si les acteurs auraient pu briller davantage pour porter pleinement l'émotion attendue, j'ai été assez sensible à cette dimension très intime qui ne sombre pour moi jamais dans le ridicule. Les événements racontés sont graves, et il y a quand même quelques discrètes touches d'humour, d'autant plus bienvenues qu'elles ne jouent pas non plus sur l'autodérision et qu'on reste premier degré. Cruise ne phagocyte pas du tout un film qui ne se complaît jamais dans la surenchère en terme d'action (à part 2-3 roulades il n'est pas du tout en mode démo). Malgré ses efforts, Kosinski échoue néanmoins à obtenir quelque chose de véritablement contemplatif. La musique de M83 colle joliment à ses images léchées. Ça m'a autant surpris que fait plaisir de voir le nom du "groupe" (que j'aime beaucoup) au générique, persuadé tout le long du film que j'allais voir celui de Hans Zimmer, le score sonnant étonnamment proche de son travail (dans ses bons moments). Après Daft punk pour Tron legacy, j'aime bien l'idée que le réal persiste à faire appel à ce genre d'artistes :








Love & mercy, Bill Pohlad, 2015
L'édifiante vie et carrière des Beach boys contient tous les ingrédients romanesques nécessaires pour nourrir un film (je recommande la mini-série produite pour ABC en 2000, An american family, qui reste à mes yeux insurpassée). Au-delà du fait que j'adore ses chansons, Brian Wilson est un mec que j'ai toujours trouvé super touchant, me donnant l'impression d'être un gars aux intuitions géniales, n'ayant jamais perdu la candeur de l'enfance. Bill Pohlad a manifestement eu à cœur de tracer un portrait digne de toutes les personnalités évoquées, s'entourant de gens compétents et obtenant même les supervisions de Brian et son épouse. Dans son écriture comme dans son interprétation, son film se montre ainsi constamment juste, abordant sans trop de lourdeur les éléments biographiques importants, et traitant pleinement le génie artistique du compositeur. Je ne sais pas si le film pourra intéresser le spectateur à qui les Beach boys ne parlent pas, mais pour les fans c'est un régal. Car ici la musique est reine, entre l'utilisation généreuse des morceaux originaux, et les reconstitutions convaincantes du travail en studio en compagnie du mythique Wrecking crew. Le film se permet sans doute de broder sur certains passages, mais je j'ai à aucun moment eu l'impression qu'il prenait trop de libertés.

Paul Dano confirme sa prédilection pour les rôles hors-normes, le caméléon Paul Giamatti est une nouvelle fois parfait, et on n'est pas mécontent de voir John Cusack redonner un peu de dignité à sa carrière. La mise en scène de Pohlad ne fait pas vraiment d'étincelles, mais évite au moins les fautes de goût, laissant le temps à chaque scène de s'installer et donc aux personnages d'exister, le film privilégiant d'ailleurs les moments creux. Avec l'ambition de nous faire entrer dans la tête abîmée de son protagoniste, il aurait été facile de céder à des effets psychédéliques lourdauds. Or ici c'est vraiment le son qui est à l'honneur, et l'essentiel du travail passera donc davantage par les oreilles que par les yeux. Love & mercy a aussi été l'occasion pour moi d'apprendre que Wilson avait encore sorti un nouvel album solo, No pier pressure, découvrant lors du générique de fin le très beau One kind of love, qui fait sortir du film sur une note poignante et authentique :








La La Land, Damien Chazelle, 2016
Découvert en janvier dernier, 1000 ans après tout le monde. L'émotion fut si intense qu'elle m'a fait réaliser que ça faisait trèèès longtemps que je n'avais pas ressenti pareil coup de foudre cinématographique. Je me suis régalé de la virtuosité ahurissante de la mise en scène de Chazelle, toute de grâce et d'apesanteur, parvenant à faire perdre de vue la complexité folle que dut représenter une réalisation au millimètre. Pas seulement par la précision des nombreux plans-séquences, mais aussi par celle des raccords dans le mouvement entre les plans, par l'importance accordée aux couleurs. Le tout s'harmonisant avec les émotions et le parcours des personnages. J'ai savouré ça comme un cadeau d'exception, fait pour combler précisément mes attentes de spectateur en terme d'émotion purement filmique.


Chazelle reprend le genre de la comédie musicale là où Scorsese (New York New York) et Coppola (One from the heart) l'avaient laissé. Il puise comme eux au meilleur du musical hollywoodien, en premier lieu celui de Minnelli, et y ajoute la sentimentalité mélancolique des films de Demy & Legrandsans pour autant verser dans le fétichisme complaisant, poussant au maximum l'exigence en terme de chorégraphie et d'orchestration. Pour ces raisons, j'y vois un peu la même démarche opérée par le Crouching tiger, hidden dragon d'Ang Lee avec le wu xia pian. L'intrigue est relativement convenue, certes, mais intelligemment dégraissée pour ne parler que d'art, de sacrifice et d'engagement personnel. Ça aboutit à une super-comédie musicale feu d'artifice, une explosion de couleurs et de mouvement, et une déclaration d'amour fou à la musique de la part d'un type qui avait déjà exprimé la fièvre de sa passion avec le prodigieux Whiplash. Respect au génie  — oui-oui, j'assume le terme — de Chazelle et Justin Hurwitz (rappelez-moi leur âge ?) :






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