29 avril 2019

Histoire permanente du cinéma américain, 1961-1971

The Errand boy (Le Zinzin d'Hollywood), Jerry Lewis, 1961 
Troisième réalisation pour Jerry Lewis, et un film qui m'a moyennement emballé, à mon grand regret. La plupart des gags sont assez poussifs et manquent cruellement de sens du timing, s'enchaînant trop vite ou, à l'inverse, s'étirant désespérément. Sans parler du cabotinage pénible de certains personnages secondaires, notamment le réalisateur allemand qui enrage en mangeant son chapeau (le sous-fifre lèche-bottes du patron du studio est par contre bien marrant). Quelques scènes surnagent heureusement, même si elles sont prévisibles, et c'est toujours un plaisir pour moi que ces films qui prennent Hollywood comme centre de l'action. 

Le film a une certaine dimension critique sur le fonctionnement parfois inhumain de la machine hollywoodienne, ce qui le rend au final étrange. Le concept du gaffeur qui passe de plateau en plateau en ruinant différents tournages a très certainement influencé l'hilarant climax du Pee Wee's big adventure de Tim Burton, y compris la conclusion où les exploits malheureux du héros sont projetés et provoquent l'hilarité des cadres du studio qui décident alors d'en faire une star du comique. Là où le film devient singulier c'est dans certaines scènes qui assument totalement leur côté fantaisiste : un tableau dont les éléments figuratifs prennent soudainement du volume et s'effondrent, et surtout cette parenthèse à la tonalité mélancolique inattendue où Jerry assiste à un magnifique numéro de marionnette. Le clown nous demande ici de tout simplement croire à l'illusion, de retrouver la simplicité de la magie du cinéma.




Camelot, Joshua Logan, 1967
Ça faisait très longtemps que ce titre m'intriguait, à la fois pour sa splendide affiche à la Klimt / Mucha, mais aussi parce que je m'étais laissé dire qu'il bénéficiait d'une remarquable direction artistique. Camelot est un musical hollywoodien emblématique de cette période. On a en effet affaire là à une très grosse machine, à la fois par sa durée (3h avec entracte), et par le luxe des moyens mobilisés : vastes décors en dur riches de détails et d'accessoires, avec notamment une forêt entière reconstituée qui n'aurait pas dépareillé chez les Shaw brothers, costumes très soigneusement fignolés dans leurs formes et leurs matières, et pas mal de figuration. Sauf qu'au lieu d'aboutir à un grand spectacle enthousiasmant, c'est la lourdeur qui domine l'ensemble.

Lourdeur de la mise en scène de Logan qui, alors qu'il est censé être un professionnel aguerri de Broadway abonné aux transpositions cinématographiques, se révèle ici désespérément incapable de tirer parti des moyens mis à sa disposition. Le film est, il est vrai, dénué de toute chorégraphie (à l'exception des gentillettes bacchanales printanières, franchement peu travaillées), et privilégie les numéros solos. Sauf qu'au lieu de profiter des dimensions en scope de ses images, le réalisateur s'endort très régulièrement sur des cadrages en gros plan des visages de ses acteurs qui chantent, avec pas même un petit mouvement pour accompagner. Résultat, passé quelques moments de ravissement lorsqu'un nouveau décor se dévoile, c'est vraiment l'ennui voire le désintérêt qui pointent. Logan réussit même à rendre soporifiques les quelques scènes d'action, tel le tournoi de chevalerie qui avait pourtant tout pour être impressionnant, de même que l'assaut de l'armée de Lancelot. Si encore j'avait été un tant soit peu touché par la musique ou les chansons, pourtant signées Loewe et Lerner (Brigadoon, Gigi, My fair lady).

Vanessa Redgrave est magnifique et joue avec conviction un rôle peu intéressant (ses sentiments amoureux valsent selon les caprices du scénario). David Hemmings fait un excellent Mordred et son arrivée apporte pas mal de fraîcheur à un spectacle en passe d'être momifié (et c'est amusant de voir le couple de Blow up partager à nouveau l'affiche ici). Franco Nero est assez improbable en Lancelot à l'accent italien, mais fait preuve d'un entrain qui force le respect. Le problème est que son chevalier en devient presque niais dans l'expression de sa volonté de pureté. Richard Harris mérite sans doute le plus d'éloges. Déjà c'est un comédien qui, par nature, a toujours la classe, et c'est un bonheur de retrouver son timbre de voix si particulier. Malgré les faiblesses du script, il n'a l'air à aucun moment de douter de son rôle et semble s'impliquer totalement dans la restitution des émotions souvent torturées de ce Roi Arthur. Il semble vivre intensément chacune des étapes qui voient mûrir son personnage, avec une force de conviction admirable.

Parce qu'il faut reconnaître que le livret est assez peu inspiré, ouvrant quelques pistes intéressantes — les ambitions politiques d'Arthur — mais passant plutôt de façon incompréhensible à côté de tout le potentiel d'un sujet aussi fascinant que celui des chevaliers de la table ronde, que Boorman saura si merveilleusement exploiter. Merlin est quasi inexistant, le Graal n'est pas au menu, et on ne ressent jamais l'ampleur du monde qu'Arthur est en train de construire, le film préférant utiliser Camelot comme toile de fond à peine pittoresque pour raconter avant tout une histoire d'adultère. Tout ça refroidit encore plus ma curiosité de découvrir les autres musicals de Logan, notamment son western chantant avec Eastwood. Pourtant j'avais un bon souvenir de Bus stop.




Bullitt, Peter Yates, 1968
J'ai vraiment eu la troublante impression de constater que le French connection de Friedkin, consciemment ou non, s'inscrivait clairement dans la voie ouverte ici par Yates. Bien sûr il y a cette poursuite en bagnole méticuleusement pensée comme un morceau de bravoure. Mais c'est surtout cette approche du métier de flic débarrassée de tout héroïsme / idéalisme qui semble caractéristique. Bullitt n'est ni un super-flic décontracté débiteur de punchlines, ni un inspecteur hard boiled aux méthodes de ripou à la Dirty Harry. Il n'a pas d'intuition géniale. Même s'il se retrouve dans une position où il est au bord de s'opposer à sa hiérarchie, il fait juste son boulot comme il pense qu'il doit être accompli. C'est un roc et Steve McQueen prenait un vrai risque avec ce rôle qui n'a rien de flamboyant et est quasiment muet (on doit lui compter pas plus d'une dizaine de répliques de tout le film).

La mise en scène de Yates possède comme celle de Friedkin cette esthétique documentaire, avec des plans pas toujours bien léchés, un aspect pris sur le vif, et les éclats de violence sont assez surprenants pour l'époque par le réalisme sanglant des blessures. Le final sur le tarmac est lui aussi fabuleux, me faisant lui penser à son équivalent dans Heat. Le générique d'ouverture est superbe dans sa façon de jouer avec les crédits, et la musique de Schifrin, que je connaissais par ailleurs, est absolument géniale. Pour toutes ces raisons, je pense profondément que ce film marque une date. Un vrai classique.




Vanishing Point (Point limite zéro), Richard Sarafian, 1971
Une vraie pépite, parfaite incarnation de ce qu'est en train devenir le cinéma américain en entrant dans les 70's, creusant le sillon ouvert par les hippies d'Easy rider. Vanishing point c'est un road movie qui se dénude de tous les oripeaux du genre. Le film réduit son intrigue à moins que l'essentiel. Kowalski devient ainsi une sorte d'icône, développé seulement par de brefs flashbacks, toujours superbement introduits. Ne restent donc que l'exaltation de la pure vitesse, de la fuite absolue en avant, de l'avalage de kilomètres, le trip de la ligne droite tracée dans le désert, au rythme d'une bande originale phénoménale (Super soul is the man !).

Et tout ça pour quoi ? Pour l'oubli, la perte, l'ivresse. En « last american hero » Barry Newman a la classe, et j'ai bien l'impression qu'il assure lui-même la conduite. Je ne suis pas du tout fan de bagnole, mais cette Dogde Challenger blanche et son bruit de moteur vrombissant m'ont fasciné. C'est un spectacle finalement sans trop d'équivalent, et même touchant.

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