Ça a beau être un premier film, je ne lui ai trouvé aucun côté brouillon ou bricolé. Le fond a beau être autobiographique, le cinéaste ne sombre jamais dans la complaisance. Le rôle qu'il s'y donne n'en est qu'un parmi d'autres, au sein d'un récit où il s'agit avant tout de tracer le plus juste portrait d'une relation filiale douloureuse. Pas plus de narcissisme que de manichéisme, tout le film est porté par une pure volonté romanesque rendue encore plus captivante par le soin formel que lui accorde son réalisateur. J'ai apprécié la qualité quasi photographique des images : de la composition du cadre aux accessoires et décors, en passant par les costumes, la lumière, le choix des couleurs. Chaque plan est excessivement travaillé, sans pour autant sombrer dans la préciosité. Manifestement amoureux fou de cinéma, de peinture, de littérature et de musique, Dolan enrichit son film d'envolées lyriques et de belles phrases. Et là encore, tous ces éléments participent de sa trame narrative, échappent à la gratuité de la citation snob comme à la tentation de la dispersion. Je n'ai personnellement jamais trouvé ses références écrasantes. À mes yeux (et mes oreilles), elles nourrissent et le propos et mon implication de spectateur. Comme chez ces autres cinéastes de la citation que sont Godard, Tarantino, ou Joe Dante, elles me grisent, alimentent un dialogue au-delà de l'écran.
À la fois plein d'humanité et d'attention accordée au moindre de ses personnages, le film est aussi animé d'une vitalité constante, et on a droit à des numéros d'acteurs régulièrement touchants, avec un sens du dialogue que je trouve finalement bien plus convaincant que les improvisations répétitives et artificielles d'un Kechiche. Je ne peux donc qu'être impressionné et applaudir une telle œuvre qui se suffit déjà à elle-même, et qui n'est pas simplement un premier effort qu'on qualifierait avec condescendance d'encourageant.
Les Amours imaginaires, 2010
Un film qui se nourrit de pas grand chose. Sa seule substance c'est l'émotion pure, la beauté de ses acteurs et le plaisir formel. Plus précisément — mais moins poétiquement — je devrais écrire le plaisir audiovisuel, parce qu'ici encore le travail sur le son et la musique fait littéralement corps avec celui sur l'image (couleurs, cadrages et costumes au diapason).
À l'arrivée, Dolan n'a pas creusé tellement profond. La trajectoire des personnages a juste tracé un bref arc. Si l'on résume le film sur le papier, c'est même vite dénué d'intérêt. Si on se laisse en plus aller au jeu des comparaisons, on dira que c'est sans doute son film le plus modeste dans ses ambitions. Les Amours imaginaires apparaît donc comme bien plus fragile, et pas entièrement satisfaisant, et on pourra cette fois légitimement accuser Dolan de céder parfois à une sorte de coquetterie en se regardant filmer. Mais je suis malgré tout client de cet appétit et de cette sensibilité que je ne peux m'empêcher d'estimer sincère. Monia Chokri est fabuleuse, et la façon dont la caméra du réalisateur met en valeur son regard et ses mouvements est en soi la preuve d'une maîtrise qui a plus d'une fois suffit à me réjouir. Au fond, c'est un film sur l'art de la séduction.
Laurence anyways, 2012
Dolan exploite une nouvelle fois sans vergogne tous les outils que le cinéma met à sa disposition (cadre, lumière, sons, montage, interprétation, écriture). Et cette ambition formelle sert harmonieusement son ambition romanesque, ici plus poussée que jamais. Le sujet est risqué mais il est abordé sans tomber dans la démonstration de thèse. Le cinéaste ne se prive pas d'y injecter drôlerie et légèreté dans les moments où on ne s'y attend plus, nous offrant un vrai rollercoaster émotionnel qui est un pur bonheur de spectateur.
Quelle richesse dans la caractérisation des personnages (et il y a foule), leurs relations, les aléas de leurs destins, les situations, les lieux... Le couple y a sa place autant que l'individu. Les dialogues sont plein de vie, impeccablement portés par des acteurs qui habitent leur personnage. Je ne sais pas pourquoi, mais cela m'a fait immensément plaisir que Melvil Poupaud ait écopé de ce rôle-là, si singulier. J'ai toujours adoré cet acteur, que j'associerai toujours à ce cinéma français tant aimé qui a accompagné mes 90's (chez Haudepin, Ruiz, Dubroux, Rohmer). Je ne lui veux que du bien. Enfin, le montage est ici un peu bousculé, avec ces irruptions de l'interview retrospective qui apporte une dimension poétique supplémentaire : puisque c'est quand même Laurence qui narre l'essentiel de son histoire, la porte est ouverte à ses visions surréalistes et à des sorties de rail. Bref, j'ai partagé un spectacle extraordinaire, capable à la fois de m'émerveiller, de m'émouvoir et de m'enthousiasmer, et pas seulement par ses choix plastiques (même si chaque plan a séduit mes pupilles).
DOSSIER XAVIER DOLAN :
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