17 mars 2019

Le Cinéma de Xavier Dolan II. 2013-2016

Tom à la ferme, 2013
Dolan repasse devant la caméra pour un film à l'atmosphère différente, transposition d'une pièce de théâtre du Québécois Michel Marc Bouchard. L'adaptation est plutôt réussie, jouant vraiment de la mise en scène pour ne pas rendre artificielles les situations de huis clos forcé. C'est une histoire de relation perverse, tendue jusqu'à la rupture, avec un personnage contraint par un autre à jouer un rôle. Et l'on est invité à observer comment ces deux parties vont progressivement céder pour finalement assumer ce qui pourrait être leur vraie personnalité. Plus qu'Hitchcock auquel on l'a souvent rapproché, le film est en fait bien davantage polanskien.

Le réalisateur joue avec le format du film, soigne sa photographie tant en intérieur qu'en extérieur et bénéficie d'un score de Gabriel Yared impeccable. Mais Dolan ne va pas vraiment à fond ni dans l'angoisse psychologique, ni dans le mélodrame. Quelque scènes de confrontation fortes, de suspense ou de basculement surnagent au sein d'un fleuve plutôt opaque. Ce sont ces moments qui réussissent à maintenir l'attention, avec d'étonnant rebondissements presque surréalistes qui participent encore de cette mise à distance de personnages dont les motivations finissent par nous échapper. Le film manque donc un peu de vie, m'a laissé sur le seuil. Il gagne quand même un peu la partie en s'achevant sur le splendide Going to a town de Rufus Wainwright.




Mommy, 2014
Secoué par ce film, du début à la fin. J'en suis sorti en me faisant d'abord la réflexion que Mommy, c'est plus que du cinéma, c'est la vie : l'interprétation est d'une justesse telle, les dialogues sont d'une telle force que j'en oubliais la durée, happé par cette histoire riche en émotions, charriées par des non-dits qui leur donnent peut-être encore plus de force, car laissées à la libre interprétation du spectateur. Le fait d'ouvrir le film par la mention d'une loi punitive fictive suivie d'un crash, laisse planer sur tout le récit la menace d'un drame imminent, et j'avais la certitude que dès qu'un personnage se retrouvait sur la chaussée, une bagnole allait le faucher. Tout le récit acquiert alors une tension qui aurait pu être insupportable si elle n'avait pas été portée par l'interprétation d'ordre viscéral d'un trio d'acteurs aussi exceptionnel qu'inoubliable (composition hallucinante de Suzanne Clément, et encore un rôle magistral pour Anne Dorval).

Mais en fait non, Mommy c'est bel et bien du pur cinéma. Dolan y exploite avec maestria, inspiration et juste ce qu'il faut d'esbroufe, tous les moyens mis à sa disposition par le septième art : enceintes qui dégueulent de musique, caméra en mouvement pleine de lyrisme, montage énergique qui sait accompagner les coups d'éclats comme les moments plus évanescents, photo magnifique au diapason des émotions, tantôt chaude et caressante, tantôt froide et impitoyable. Le choix du format carré crée une incontestable proximité avec l'histoire racontée et les personnages. J'ignorais qu'il allait s'élargir et cet effet a provoqué en moi des bouffées d'euphorie qui m'ont complètement bouleversé. La seconde fois que le réalisateur en use, j'ai failli lui en vouloir parce que je savais que ça allait mal tourner, mais les émotions que ça a fait naître en moi étaient si puissantes que j'ai accepté ce jeu cruel. Ce sont des artifices, certes, mais comme le sont tous les outils du langage cinématographique. Une fois cela posé, demeure un seul constat : mon émotion de spectateur. Elle n'est pas davantage explicable ni justifiable. Juste communicable.




Juste la fin du monde, 2016
6 longs-métrages en 7 ans, donc. Si Mommy signait la consécration internationale du cinéaste, son triomphe à Cannes sera à double tranchant, offrant certes désormais au cinéaste des stars sur un plateau, mais le rendant aussi plus que jamais suspect. Placé sous le feu des projecteurs, le voilà donc soumis pour son prochain film à une grosse attente tant du public que de la critique. Retour à l'adaptation théâtrale après Tom à la ferme. La pièce de Jean-Luc Lagarce était d'inspiration fortement autobiographique. On devine sans mal que cette histoire de retour du fils prodigue entretient également beaucoup de résonance avec le parcours de Dolan lui-même, le héros interprété par Gaspard Ulliel ayant été comme lui promu au rang de wonder kid. Dolan déclarait dès la promo de son premier film qu'il ne pensait pas vivre longtemps d'où son besoin de profiter du temps qui lui était offert pour tourner. Il n'a pas donc du avoir trop de mal à s'approprier un sujet aussi fort, et le dispositif théâtral du matériau de base a du représenter un passionnant défi de mise en scène. Celle-ci se concentre ici plus que jamais sur la scrutation des visages. C'est souvent étouffant (c'est le but) mais aussi fascinant, parce que pour la plupart les visages des acteurs prennent merveilleusement la lumière. La caméra peut donc s'attarder sur eux pour en capturer la moindre émotion. 

Le travail de mise en scène, lorsqu'il joue sur ce type d'épure, m'a laissé captivé, guettant les moments de basculement, de violence sourde ou d'émotion libérée. Les quelques instants de respiration — j'ai compté 2 flashbacks musicaux — marchent du coup formidablement bien, véritables bouffées d'oxygène où Louis peut enfin se libérer du carcan de ce présent qu'il doit affronter. Mais ce n'est à chaque fois qu'une parenthèse qui ne fera que repousser l'inéluctable, et on lui fera bien comprendre que ce passé est bel et bien déjà mort, vain refuge. Louis a fait ce choix contraint de réduire la distance qui le tenait éloigné de sa famille. Il vient pour parler, or il échoue constamment, restant prudemment dans l'expectative. En face de lui, les autres semblent tout autant se refuser à livrer les émotions espérées par de telles retrouvailles. Louis va donc davantage se retrouver à écouter et à recevoir, l'air de rien, les justes reproches d'une famille qui a manifestement toujours respecté ses choix, jusqu'au sacrifice. Il apparaît ainsi presque comme un fantôme chuchoteur qui ne pourra jamais rattraper le temps perdu, offrant aux siens l'occasion de lui confesser, à leur façon souvent elliptique, leur amour. Finalement, ce qui devait être dit par lui ne le sera pas, censuré par le grand frère avec une violence qui ne trompe pas. On devine que ce dernier n'est pas le seul à avoir compris les raisons de la visite de Louis. Tout, dans les réactions paniquées des autres, montre qu'ils le devinent également, qu'ici va s'achever quelque chose qu'on ne retrouvera plus. Chacun aura juste sa propre façon de réagir.

Force m'est de constater cependant que la fin manque de force, entre la métaphore paresseuse et le choix peu imaginatif d'une chanson de Moby qui ne me parle pas (alors que j'ai adoré tout le reste de la riche bande son, dès l'ouverture et la chanson de Camille pour le coup parfaitement à sa place). Si Ulliel est parfait, je n'ai pas toujours été pleinement convaincu par le reste de la troupe. Chaque personnage a incontestablement de beaux moments, mais le film est trop souvent victime de séquences moins inspirées, maladroites, à cause de réactions excessives ou du choix des mots. Ce qui fait que ça restera, avec Tom à la ferme, le Dolan qui m'aura le moins ému, alors que ses thématiques avaient tout pour me toucher.



DOSSIER XAVIER DOLAN :

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