Avec : Julie Bowen, Jenny Lewis, Holly Fields, Dick Miller, Paul
Rudd, Chris Young, Robert Picardo, Wendy Schaal, Belinda Balaski, Dee
Wallace-Stone
Alta Vista, Californie, années 50, au
cœur de l'american way of life. Les rumeurs les plus folles courent à propos
d'un satellite que l'URSS aurait placé sur orbite. Angie, Mary et Laura, trois
jeunes filles issues de classes sociales différentes partagent leur temps entre
les études, les garçons et les sorties au drive-in. Face aux demandes
insistantes de son petit ami, Mary accepte de "passer à l'acte".
Quelques semaines plus tard, elle s'aperçoit qu'elle est enceinte. Apprenant la
nouvelle, le garçon lui promet le mariage juste avant de s'enfuir en direction
de San Diego, afin de s'enrôler chez les Marines. Les trois amies, trouvant là
l'occasion de bousculer quelque peu leur morne quotidien, décident de se lancer
à sa poursuite. Ne pouvant se confier à leurs parents, elles mettent en scène
un enlèvement, et prennent la route à bord d'une voiture volée. La police ne
tardera pas à être alertée, bientôt devancée dans ses recherches par un
détective privé...
Pure œuvre de
commande, ce téléfilm est d'autant plus intéressant qu'il se révèle
symptomatique du "système Joe Dante." D'année en année, et malgré les
avanies, le réalisateur cinévore est en effet toujours parvenu à associer son
talent à des projets dans lesquels sa personnalité trouve à s'exprimer.
Lorsqu'en 1994 la chaîne câblée Showtime le sollicite, ce n'est pas par hasard.
Le réseau souhaite en effet lancer une collection de films intitulée dans un
premier temps Drive-in classics puis Rebel highway, qui consiste en une série
de remakes d'une dizaine de teenage
movies produits dans les années 50 par American International Pictures
(AIP). Le projet est chapeauté par Debra Hill, productrice bien connue pour ses
fructueuses collaborations avec John Carpenter. « Nous avons budgété chaque film à 1,3 millions et demandé à des
réalisateurs établis de retrouver le type de cinéma qu'ils avaient fait à leurs
débuts », déclare-t-elle en note
d'intention. Ainsi seront mis à contribution des cinéastes issus comme Dante
des studios New World de Roger Corman, tels Jonathan Kaplan et Alan Arkush,
mais également William Friedkin, John Milius, Robert Rodriguez ou John
McNaughton.
Ce n'est pas la
première fois que Dante travaille pour la télévision. Dès 1982, après être
entré dans la cour des grands avec The Howling, il réalise pour ABC quelques épisodes de Police squad !, mythique série du trio Zucker/Abrahams/Zucker avec
Leslie Nielsen, qui inspirera plus tard les Y a-t-il un flic pour sauver...? Il s'associera par la suite à des
séries fantastiques importantes comme Amazing
stories (NBC 1985-1987 sous le patronage de Spielberg), ou The Twilight zone (CBS 1985), avant d'être promu creative consultant et
réalisateur sur Eerie, Indiana (NBC
1991-1992), série remarquable suspendue pour insuccès d'audience. Son approche
du média est particulièrement décomplexée. Lorsque le projet Rebel
highway arrive sur son bureau, il entrevoit immédiatement les possibilités
qu'il peut en tirer. « Je suis un enfant de la télévision. J'ai un respect lucide pour ce moyen de communication, je sais ce qu'il peut faire et ce qu'il ne devrait pas faire. Un programme de télévision est vu en une fois par bien plus de gens qu'un film dans toute sa carrière en salles », dit-il.
Parmi les titres
à remaker qui sont proposés, le choix de Dante se porte sur Runaway daughters, un film de 1956
réalisé par Edward L. Cahn et écrit par Lou Rusoff. Cahn s'est précisément fait
connaître grâce à ses séries B fantastiques distribuées en double-programme par
AIP. Bandes tournées pour un budget dérisoire, peuplées de zombies,
d'envahisseurs de l'espace et autres savants fous, la plupart du temps sur des
scénarios du même Rusoff. Son titre de gloire : It ! The Terror
from beyond space (1958), avec son histoire d'extraterrestre infiltrant
l'équipage d'une navette spatiale, film souvent considéré comme la source
d'inspiration du Alien de Ridley
Scott (1979). Runaway daughters est pour sa part un pur film d'exploitation qui visait avant tout le public adolescent des
drive-in, mettant en scène une jeunesse cumulant sans nuance tous les vices de
son temps (sexe, alcool, délinquance et rock n'roll), selon la formule
consacrée par les nababs du cinéma bis, Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson,
fondateurs et patrons d'AIP. Qui mieux que Dante pouvait répondre à semblable
commande ? Ce type de cinéma l'a captivé lorsqu'il était enfant puis
adolescent, faisant littéralement naître sa vocation. Entre nostalgie et
fanatisme, il n'a jamais caché son goût pour ces films fauchés, naïfs mais
pleins de charme, au sujet desquels il est franchement incollable, au point de
déclarer : « tous les films d'Edward L.
Cahn devraient faire l'objet d'un remake. » De tous les réalisateurs
sollicités, Dante apparaît donc comme le plus qualifié, ayant déjà une longue
pratique du pastiche. On peut en effet trouver dans quasiment chacun de ses
films au moins une séquence de remake, véritables films dans le film qui
poussent le mimétisme aussi bien dans le fond que dans la forme : de Starkiller, la parodie de SF italienne
pour Explorers, à Mant !, le film d'insecte mutant projeté
dans Matinee (Panic sur Florida Beach),
des innombrables singeries de Gremlins 2
aux sketches pour Amazon women on
the moon (Cheeseburger film sandwich), les spectateurs ont eu de nombreuses
occasion de se régaler de ces délicieuses contrefaçons, fabriquées sans cynisme
aucun.
Dante possède
l'avantage d'avoir vu le film d'Edward Cahn à sa sortie. Son approche va alors
être d'autant plus confiante et détendue. «
Contrairement aux autres films AIP dont on nous proposait de faire des remakes,
celui-ci comportait de nombreux rôles d'adultes. Je me suis dit : "je vais
réunir tous mes amis et on s'amusera bien." » Un témoignage assez
parlant sur sa façon de concevoir le travail de réalisation. La famille Dante
est donc conviée une fois de plus. Dick Miller et Robert Picardo bien
évidemment, mais aussi les plus discrètes mais tout aussi fidèles Belinda
Balaski et Wendy Schaal. Don Steele prête sa voix à X-Ray le disc-jockey de la
radio locale qui passe les messages personnels des auditeurs. Roger Corman et
sa femme sont également de la partie, tandis que Samuel Z. Arkoff lui-même fait
un caméo en patron d'épicerie. En conviant Miller, Corman et Arkoff, Dante
pense ainsi son film comme un véritable hommage à la glorieuse époque d'AIP. Il
démarre d'ailleurs sur une scène de I was a teenage
werewolf (Gene Fowler Jr, 1957), autre production AIP, historiquement
importante, avec Michael Landon en loup-garou des campus. Plus tard, on notera
au détour d'un plan l'enseigne d'une station service portant la mention American International Petroleum. Le film est de plus dédié à la
mémoire de James H. Nicholson et Lou Rusoff. Et, comme si cela n'était pas
suffisant, les personnages portent les noms de famille des auteurs du film
original : Cahn, Rusoff, Nicholson ou Gordon (du nom d'Alex Gordon,
co-producteur). À ce casting adulte vient s'ajouter le couple vedette de The Howling, Dee Wallace-Stone et son
mari Christopher — dans un de ses derniers rôles —, de solides professionnels
qui jouent les notables de province avec une complicité évidente. On notera
enfin l'apparition surprise de Cathy Moriarty (la Vickie de Raging bull), en femme de milicien
compréhensive.
Quant aux
véritables héro(ïne)s du film, les trois fugueuses, elles seront incarnées par
de jeunes talents du petit écran. La plus sérieuse de la bande, Laura, est
jouée par Jenny Lewis, actrice bien expérimentée puisqu'elle avait à peine 10
ans qu'elle faisait déjà ses premières apparitions télévisées pour des
publicités ou des séries. Elle poursuivra cette activité, avec de rares
passages sur le grand écran, avant de réussir une belle carrière de chanteuse,
au sein de son groupe pop Rilo Kiley puis en solo. Le rôle de Mary, la gentille fille qui a le malheur de tomber
enceinte pour la seule fois où elle concédait ses faveurs à son petit ami, est
confié à Holly Fields, autre enfant de la télévision. Angie, la gosse de riche,
est interprétée par Julie Bowen, qui a quant à elle démarré sa carrière
d'actrice seulement deux ans plus tôt. Paul Rudd, enfin, interprète son petit
ami, le mauvais garçon à moto et cuir noir, sorte de James Dean de banlieue. Il trouvait ici l'un de ses premiers rôles à l'écran, avant d'être consacré comme une figure majeure de la Team Apatow. Tout ce petit monde donne réellement l'impression de s'amuser des
situations proposées. La caractérisation des parents et la façon dont chacun
réagit à l'annonce de la disparition des filles est assez réjouissante. Les
filles elles-mêmes, avec leurs caractères respectifs, créent une alchimie qui
apporte dynamisme et tendresse au récit.
L'adaptation est
confié à Charlie Haas, précieux compère du réalisateur depuis Gremlins 2 (1990). Pour ce qui sera son dernier scénario produit, Haas va s'éloigner
du ton assez sombre et sentencieux du scénario original de Lou Rusoff,
préférant opter pour une reconstitution nostalgique d'une époque qu'il avait
déjà revisité pour Dante avec Matinee,
un an plus tôt. L'action reste ainsi située dans les années 50. Le conflit de
génération entre les parents et leur progéniture est bien là mais traité avec
une ironie joyeuse. La plupart des personnages adultes sont d'ailleurs
gentiment moqués, incarnant chacun une part des excès de la société américaine
de l'époque, toujours prêts à faire la morale mais incapables d'écouter ce qu'a
à dire une jeunesse en quête de valeurs. Ou, à l'inverse, libéraux au point
d'avoir abandonné toute autorité. N'oublions pas également l'interprétation
réjouissante de Dick Miller, en détective arrogant mais efficace, régulièrement
victime d'absences qui le font penser à haute voix, à la grande inquiétude de
ses auditeurs. Les trois
fugueuses étouffent dans leur quartier résidentiel où l'on finit par confondre
sa maison avec celle du voisin, environnement confortable, certes, mais
ennuyeux à mourir. Une fois parties à l'aventure, elles auront à faire face à
une autre réalité, périlleuse, menaçante. Leur équipée sauvage les fera passer
entre les mains de flics ripoux puis de miliciens paranoïaques patrouillant en
forêt pour guetter les signes d'une invasion bolchevique.
Dante et Haas savent
manier le suspense et suggérer le danger. Le malaise n'est jamais loin. À
plusieurs reprises, l'épopée menace de basculer dans le drame, mais les auteurs
savent trouver le ton juste pour échapper au rôle de donneurs de leçon et
rester dans le cadre du divertissement plein d'esprit et de piquant, sans
méchanceté gratuite ni angélisme complaisant. Aussi le spectateur rit souvent
au cours de cette balade à travers l'Amérique profonde, tandis que les moments
de tensions lors de péripéties judicieusement distillées dans le métrage
maintiennent constamment l'intérêt éveillé. Le rythme est particulièrement
alerte, bien aidé en cela par une durée assez brève. Selon la volonté du
réalisateur, « le film est aussi court
que l'original aurait du être. » Le film de Cahn s'étalait en effet sur
plus d'une heure et demi contre à peine une heure vingt ici.
Runaway daughters version '94 ne fait donc pas vraiment le
récit d'une descente aux enfers mais revisite une époque et une société dans
toute sa diversité. Sur fond de rock n'roll, le montage d'images d'archives qui
ouvre le film et sur lequel se déroule le générique va brosser en quelques
minutes le portrait de cette Amérique des fifties, entre idéalisme et vérité.
La croissance économique est là, l'industrie du spectacle s'impose, la jeunesse
s'amuse, mais on ne passe pas pour autant sous silence les inégalités sociales
qui touchent la population noire, l'entrée dans l'ère nucléaire et la guerre
froide, ou les débuts calamiteux de la conquête spatiale. C'est vraiment dans
ce juste dosage que le film parvient à être constamment amusant sans cesser
d'être intelligent pour le spectateur d'aujourd'hui. Et c'est comme tel qu'il
est pensé.
Si le plaisir
pris au visionnage du téléfilm est incontestable, on pourra cependant émettre
une réserve à l'encontre du dénouement. Le choix d'un happy end n'est pas
contestable en soi mais apparaît cependant un peu trop brutalement expédié pour
être pleinement satisfaisant, au point qu'il menace de rendre bancal tout
l'édifice. Nous ne le décrirons pas ici dans le détail afin de préserver les
futurs spectateurs, mais il faut savoir que la virée s'achève de telle sorte
qu'elle donne finalement l'impression de n'avoir été qu'une distraction
parfaitement inconséquente alors qu'elle aurait pu marquer davantage l'esprit
des jeunes filles, confrontées qu'elles ont été à des périls inconnus. Le film
proposait pourtant un authentique voyage initiatique, et cette conclusion vient
en désamorcer la portée. Aussi on quitte un peu l'aventure sur une note peu
inspirée, alors qu'elle nous avait jusque là comblé. Nous ignorons si Dante et
son scénariste ne se sont pas vu imposer une fin à ce point rassurante — ce qui
n'aurait pas été une première pour le réalisateur. Il faudrait également
pouvoir comparer avec le film original d'Edward Cahn, qu'on imagine plus
dramatique, d'après toutes les informations récupérées à son sujet.
Sur le plan
formel, Dante parvient miraculeusement à donner à son remake une authentique
patine vintage, c'est-à-dire qu'il nous fait oublier assez vite qu'on est là
face à une création des années 90. Les coiffures, les costumes, le travail sur
la couleur et l'utilisation intelligente des décors, voitures et accessoires
acquièrent très vite une dimension temporelle crédible et dépaysante. La mise
en scène et la photographie aux ambiances très estivales sont en accord avec ces
recherches, et on peut très facilement se persuader d'avoir affaire à une
production millésimée 1950. Les allusions à cette époque, à ses peurs (l'atome,
spoutnik), à ses plaisirs (les séries B fantastiques, la musique) et à son
esprit de rébellion font ici sourire de la même façon que lorsqu'on les voit
représentées dans le cinéma d'hier. La bande sonore est inévitablement
contaminée par cette atmosphère, et les titres rock se succèdent, d'Eddie
Cochran à Ricky Nelson, en passant par Fats Domino. Le film bénéficie également
d'une musique originale de Hummie Mann, un compositeur que Dante retrouvera sur l'excellent téléfilm produit pour HBO en 1997, The Second civil war.
Orchestré au synthétiseur, ce score peine malheureusement à cacher son manque
de moyens et rabaisse un peu les prétentions du film au mimétisme.
Du côté de la
technique, la production souhaite imposer un tournage rapide et un budget
réduit. Ces contraintes tendent précisément à retrouver les conditions de
travail en vigueur au temps d'AIP, ce qui convient tout à fait à un réalisateur
comme Dante, venu lui aussi du cinéma d'exploitation. Runaway daughters sera ainsi mis en boîte en douze jours, avec de
nombreux extérieurs en Californie du Sud, road
movie oblige. C'est peu de dire que jamais le film ne semble pâtir de
cette rapidité d'exécution. Dante prouve qu'il maîtrise l'art de faire beaucoup
avec peu, ce que l'on savait déjà depuis ses toutes premières réalisations
bricolées que furent Hollywood boulevard
(1976) ou Piranhas (1978). Il n'a
manifestement pas oublié les leçons dispensées par l'école de Roger Corman.
Par
souci d'efficacité et d'économie, les mêmes techniciens se partagent entre les
différents films de la collection Rebel
highway. Dante ne peut donc bénéficier de ses collaborateurs habituels,
notamment pour la photographie, mais Richard Bowen s'acquitte de sa tâche avec
talent. Au montage, on repérera le nom de Mark Helfrich, spécialiste du cinéma
d'action (Rambo II, Predator, Le Dernier
samaritain) et qui est aujourd'hui le monteur attitré de... Brett Ratner.
Diffusé sur l'antenne de Showtime le 12 août 1994, Runaway daughters reçoit un excellent
accueil, le meilleur de tous les films de la collection. Durant les quatre
années qui vont suivre, Joe Dante enchaînera encore plusieurs commandes pour la
télévision avec plus ou moins de bonheur. Ce n'est qu'en 1998 qu'il se verra
enfin offrir une occasion de travailler à nouveau pour le cinéma lorsque Steven
Spielberg, par l'intermédiaire de son nouveau studio Dreamworks, lui confiera
la mise en scène de Small soldiers.
Un cadeau empoisonné qu'il parviendra néanmoins à transcender.
Toutes les citations sont extraites de
l'ouvrage Joe Dante et les Gremlins de Hollywood, Éd. Cahiers du Cinéma/Festival international du film de Locarno, 1999
DOSSIER JOE DANTE :
V. Le Retour perdant 1994-2003
VI. Du grand au petit écran 2005-2006
VII. Le Trou noir 2009-2014 (prochainement...)
VI. Du grand au petit écran 2005-2006
VII. Le Trou noir 2009-2014 (prochainement...)
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