16 mars 2016

Légendes de l'Ouest I. 1939-1946

Gone with the wind (Autant en emporte le vent), Victor Fleming, 1939
Il y a une bizarre impression de trop-plein dans ce film un peu monstre, qui tient sans doute pour une bonne part au très grand nombre de personnes qui se sont succédés au scénario. Gone with the wind déroule un écheveau de relations sentimentales extrêmement complexes et finalement peu conventionnelles. La durée du film permet en effet de développer une intrigue étonnamment riche, avec des personnages qui se transforment sous nos yeux, au risque que leur comportement nous échappe. Ainsi rien n'est jamais figé et ça reste passionnant à suivre. La fin, incroyablement ouverte, montre bien que le récit aurait pu continuer encore. Le résultat est donc relativement hétérogène, et sans l'avoir lu je doute que la fidélité au roman de Margaret Mitchell ait été le premier souci du mogul Selznick

On est vraiment dans le mélodrame flamboyant, plus que dans l'épopée romantique. Le film est en fait assez peu épique, les grands moments de mise en scène se révèlant plutôt sur des scènes discrètes (le suspense autour de l'accouchement de Melanie, le meurtre d'un déserteur yankee). On reste assez discret sur le contexte historique, et l'on se gardera bien de faire du film une référence sur la question de la guerre civile américaine. On n'y trouve aucune scène de bataille, tout est relégué en hors-champ ou résumé par des cartons, ce qui renforce pas mal le côté théâtral du long-métrage (voir à ce titre la scène où des soldats nordistes veulent perquisitionner la demeure des Wilkes : on ne sort pas du salon). Le spectaculaire est pourtant loin d'être absent, mais sa rareté aurait tendance à l'affaiblir. Le fait que plusieurs réalisateurs aient collaboré à cette superproduction n'aide sans doute pas à percevoir une unité de style. Apparemment, ce serait à William Cameron Menzies que l'on doit la scène de l'incendie de l'entrepôt, à Cukor celle du bal de charité. Sam Wood aurait réalisé la séquence de la gare d'Atlanta et celle du meurtre du pillard nordiste, tandis que Fleming serait responsable de tout le reste, bénéficiant ainsi du crédit officiel de mise en scène. Mais j'ai lu d'autres attributions. 

Plutôt que de trouver le film pleinement convaincant, je préfère donc me repaître des qualités de la direction artistique, pour l'essentiel œuvre de Menzies. Les toiles peintes, l'enluminure limite naïve des plans en ombre chinoise (Scarlett face à sa terre), les costumes de Walter Plunkett (la fabuleuse robe de rideaux), la somptuosité des décors... Tout cela marque bien la rétine. La plus belle scène étant pour moi celle, expressionniste à souhait, où Scarlett descend l'escalier en robe rouge, rejoignant Butler qui la force à boire avant de lui écraser le visage de ses mains et de la porter dans ses bras vers le lit. Portant incontestablement le film sur ses épaules, Vivian Leigh est tout simplement géniale, tour à tour espiègle, craquante, peste, femme-enfant et forte tête, allant jusqu'à abandonner toute fierté pour s'en sortir. Je trouve ses minauderies irrésistibles, et j'adore notamment cette scène où elle se ballade avec Butler et Bonnie Blue dans son landau, affichant un hypocrite sourire pincé à chaque voisin croisé. Quant à Gable, je ne peux que le remercier de façon posthume d'avoir accepté ce rôle, véritablement icônique, d'un aventurier censé être un peu voyou alors que c'est, de tous les personnages masculins du film, celui qui a le plus de classe. Tout simplement fascinant. Seul le jeu de Olivia de Havilland m'a gentiment agacé, avec ses airs de Sainte-Vierge, personnage débordant d'une bonté qui va jusqu'à l'aveugler (de même, dans un registre différent, les réactions un peu grossières de Suellen, sœur de Scarlett). Ce qui n'empêche pas que le respect sincère de Butler pour elle me touche, aboutissant à un vrai et beau moment d'émotion.




The Return of Frank James (Le retour de Frank James), Fritz Lang, 1940
Des deux westerns que Lang a signé aux États-unis que j'ai pu voir, je retiens surtout celui-ci. À une époque ou les suites se limitaient plutôt au films de monstres et ne s'étaient pas tant imposés dans le système de production hollywoodien, The Return of Frank James démarre exactement là où s'arrêtait le Jesse James de Henry King, qui avait cartonné l'année précédente. Production de commande et donc purement opportuniste, c'est d'abord un film de vengeance, sans grosse prétention dans son scénario, mais qui ravit en même temps qu'il surprend par la solidité de sa narration et le ton détendu qu'il choisit d'adopter pour la conduire. 

Mais c'est aussi, et peut-être surtout, un film qui convainc par sa forme, que l'on n'espérait pas aussi soignée. Formidablement enrobés dans ce Technicolor de l'âge d'or, décors et paysages naturels sont magnifiés, et l'on sera particulièrement impressionné par cette vision de la ville de Denver, grouillante de monde. Lang exploite en maître qu'il est le langage cinématographique, n'hésitant pas à l'occasion à plonger ses personnages dans l'ombre. Le film reste également mémorable par la présence lumineuse de Gene Tierney, rôle féminin qu'on n'attendait pas au sein de ce monde de cowboys revanchards et qui, loin de servir de faire-valoir à Henry Fonda, apporte une efficace dimension supplémentaire au récit.



Billy the kid, David Miller & Frank Borzage, 1941
Tout comme Jesse James, Calamity Jane ou Wyatt Earp, Billy the kid fait partie de ces personnalités historiques qui ont très tôt offert un matériau idéal au cinéma hollywoodien. Parmi les nombreux biopics dont il a bénéficié, celui-ci est un western MGM Technicolor de première classe. En fait le film est seulement signé Miller, mais j'ai appris que c'est Borzage qui avait commencé le tournage avant d'être appelé ailleurs. La mise en scène s'efforce aussi souvent que possible de profiter des superbes paysages désertiques de Monument Valley, avec des cadrages toujours intéressants qui mettent en valeur l'action, qu'il s'agisse de chevauchées furieuses ou d'impressionnants détournements de bétail. Dans le rôle-titre, Robert Taylor tout de noir vêtu se montre parfaitement convaincant. L'acteur qui conserve pour moi l'image d'un homme guindé, se révèle ici formidable cavalier, et dégaine véritablement plus vite que son ombre... de la main gauche s'il vous plaît. Son incarnation du bandit légendaire compose un personnage d'une complexité bienvenue. 

Le film est moins une biographie qu'un récit de ses dernières années, qui le voient presque tenté de s'engager enfin sur le chemin de la rédemption. Le Kid apparaît alors comme un héros torturé, vivant au jour le jour, luttant farouchement pour son indépendance dans le déni de la justice. Pris dans une sombre histoire de rivalité entre deux grands propriétaires de bétail, il va retrouver un vieil ami, véritable frère d'adoption très finement interprété par Brian Donlevy qui va tenter de le sauver. Ce n'est pas Pat Garrett mais les rapports entre les deux hommes sont assez proches puisque le second incarnera précisément la loi qu'il devra faire passer avant l'amitié. Sans complexe, le scénario ne fait pas de cadeau à son protagoniste : quand bien même il acceptera de s'engager sur une bonne voie, toute possibilité d'un avenir meilleur ne cessera de lui échapper, y compris l'amour. 

Les moments dramatiques sont toujours filmés avec beaucoup de pudeur, la caméra filmant l'action de très loin ou carrément hors champ, jusqu'au final, aussi beau que puissant, où Billy va abandonner ce qui lui restait encore de principes avant de se sacrifier. Ça donne notamment lieu à un plan superbe de Robert Taylor plongé dans l'ombre d'une grange, et dont on ne distingue que le bout du colt et les yeux qui brillent. D'un côté la morale est sauve puisqu'en tant que criminel il est finalement puni, mais en même temps on ne peut s'empêcher de trouver cette conclusion particulièrement noire. Elle est d'autant plus émouvante que le film s'achève sur un commentaire présentant le héros comme le dernier représentant de ces hommes de la violence, alors que la loi gagne enfin le Far West. Une vraie découverte, et un merveilleux western.



Duel in the sun (Duel au soleil), King Vidor, 1946
Titre mythique, indiscutablement lié à l'âge d'or hollywoodien, je n'avais encore jamais eu l'occasion de le voir et, malgré sa réputation, étais incapable de déterminer si j'y allais conquis d'avance ou non. Signé Vidor mais co-réalisé par de nombreux autres cinéastes (on compte notamment von Sternberg, Dieterle, Menzies), Duel in the sun est surtout l'enfant gâté du tycoon David O'Selznick, une sorte de pièce montée amoureusement offerte à son épouse d'alors, Jennifer Jones. Et c'est peu de dire que l'actrice est ici le véritable cœur du film. Non seulement elle y est magnifique, animale, sensuelle, déchirée entre l'abandon aux instincts et la quête impossible de la grâce, mais elle m'a violemment impressionné dans sa façon de se donner corps et âme à son rôle. J'ai bien aimé également l'interprétation grossière de Gregory Peck, précisément pour son absence de nuance. Il joue le salaud intégral, ignoble jusque dans son entêtement à ne jamais se laisser dicter sa conduite. Une sorte de caricature du mâle tel qu'on n'oserait plus la peindre, d'autant que c'est en lui montrant son mépris qu'il témoigne son amour à la belle. En contrepartie, on s'amuse des mauvais traitements qu'il subit, sa virilité étant régulièrement rabaissée par ce qu'on lui envoie à la tête (baffe, tartine de confiture, serpillère, etc.).

Le final qui donne son titre au film, d'un baroque justement loué par des générations de cinéphiles, a largement comblé mes attentes, même si je l'avais déjà vu des dizaines de fois sous forme d'extrait fascinant. La beauté visuelle de la scène, ainsi que la dimension érotique y sont poussées à un paroxysme franchement génial, d'une audace assez inouïe encore aujourd'hui. Les corps se vautrent dans le sang, la terre et la sueur, en un abandon presque cosmique tout simplement sublime. Pour le reste, malgré d'autres moments véritablement forts qui justifient le budget pharaonique pour l'époque (l'ouverture dans le gigantesque saloon, la réunion de milliers de cowboys, le barbecue texan, le travail général sur la couleur et les costumes), j'ai trouvé que l'ensemble souffrait de son manque de cohérence. Je m'attendais même à plus de spectaculaire, plus de décors peints irréalistes. Dans son rythme, cette production m'est finalement apparue pas si bien tenue, peinant à faire bien comprendre ses intentions, entre romance franchement bizarre en mode amour vache, et grande saga familiale de propriétaires terriens. 

Il faut dire que Selznick est assez mauvais dialoguiste, que la plupart des personnages peinent à convaincre, et surtout que l'émotion fonctionne rarement, malgré l'abattage des comédiens. Lillian Gish est plus exaspérante que touchante, Lionel Barrymore incarne un archétype sans surprise, Joseph Cotten, vraiment bien campé au début, devient petit à petit complètement fadasse, tandis que Butterfly McQueen et sa voix suraigüe écope du rôle stéréotypé de la domestique noire idiote dont les répliques censées être comiques apparaissent vite pénibles. Walter Huston s'en sort bien mieux en prédicateur errant, arnaqueur sur les bords. La fin apparaît alors comme un morceau presque détaché du reste. Non pas que ce reste soit terne, mais ça manque d'une progression dramatique cohérente qui aiderait le spectateur à se sentir concerné par les enjeux. Bref, c'est un peu comme si Selznick souhaitait nous refourguer un nouveau Gone with the wind tant dans son ambition que dans sa modernité — la relation Jones/Peck n'est pas si éloignée de celle qui liait Vivian Leigh à Gable — mais en étant faussement inspiré, incapable de composer quelque chose d'harmonieux. Je ne peux donc pas vraiment dire que j'ai trouvé ça très bon, mais j'ai néanmoins bien apprécié le spectacle qui me semble demeurer sans réel équivalent.



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