27 septembre 2017

Deux films de Morten Tyldum

The Imitation game, 2014
La vie et l'œuvre du génial mathématicien Alan Turing présentaient tous les éléments susceptibles de répondre au goût d'Hollywood pour les biopics édifiants. Mais ça n'aura inspiré à Morten Tyldum — cinéaste norvégien passé à l'Ouest — et à son scénariste qu'un film sans saveur, une reconstitution de l'aventure Bletchley park "à la Hollywood". Il y avait pourtant des pistes passionnantes à explorer dans cette histoire d'un homme contraint au secret, que ce soit celui de son homosexualité dans un pays qui la condamne pénalement, ou de sa contribution fondamentale au V-day et à la technologie. En gros, tout ce que le dernier tiers du film survole alors que c'est finalement bien plus riche que de simplement nous montrer les étapes obligées et déjà vues du génie forcément en lutte contre l'archaïsme des institutions. L'essentiel du film déroule en effet sa petite histoire, sans jamais vraiment surprendre.  Même les moments de basculement ne sont pas particulièrement bien soutenus. Ainsi la grotesque scène de l'eureka au bar avec la collègue qui a identifié le style d'un radiomessager (on est quand même face à des génies sélectionnés sur le fil, et y'en a pas un qui a pensé aux mots récurrents dans les messages des nazis pour démarrer leur travail de décryptage ?).

Du coup le magnétique Benedict Cumberbatch (Sherlock, Star trek into darkness) n'a même pas l'occasion de nous impressionner par ce qui se veut calibré comme une performance à oscars. A contrario, preuve de leur incontestable talent, Keira Knightley et Mark Strong parviennent à briller, et le meilleur du film est sans doute à chercher dans leur moments de présence à l'écran.

Autre bonne idée mais à l'exploitation raté, lorsque le réalisateur s'efforce de façon plutôt pertinente de faire apparaître le lien entre le travail de laboratoire des ingénieurs et la réalité de la guerre, ça ne donne que des CGI fadasses de batailles aériennes et des plans de population sous abris échouant à susciter le moindre sentiment, car non incarnés. Jamais on ne ressent le poids du drame qui se joue, alors qu'on voudrait suggérer que des vies humaines sont en jeu à chaque minute perdue (le temps est censé jouer un rôle important). Avec le même type d'image très lêchée pour sa reconstitution d'époque, David Fincher témoignait quand même d'une présence et d'une personnalité bien plus affirmée dans sa mise en scène de Benjamin Button. On est finalement ici plus proche du Ron Howard d'Un homme d'exception, et ce n'est vraiment pas un compliment. J'ai même trouvé le score d'Alexandre Desplat paresseux, joli certes parce qu'il reste un compositeur doué, mais ne cherchant jamais à transcender la commande, ou à prendre des risques.




Passengers, 2016
J'étais plutôt circonspect en apprenant que l'excellente mais pas cinématographique pour un sou nouvelle de Philip K. DickLe Voyage gelé, avait donné lieu à une adaptation hollywoodienne. Et l'aurais été encore plus si j'avais su avant de la découvrir qu'elle avait été confié au réalisateur de l'inoffensif Imitation game. C'est donc tout à son honneur de se révéler ici capable d'un peu mieux tenir la barre d'un projet qui impliquait une vraie rigueur dans le traitement. Le postulat de départ est très bon, et le film s'y tient et le développe dans un premier temps de façon convaincante. J'ai trouvé Chris Pratt vraiment excellent, et j'ignore si c'était volontaire, mais j'ai eu l'agréable impression de voir la gueule de Dick lui-même lorsqu'il est au plus bas et se laisse pousser la barbe. Le film est surtout fascinant pour l'excellence de sa direction artistique, et la minutieuse description du fonctionnement entièrement automatisé du vaisseau. Le soin accordé aux détails, les solutions imaginées pour rendre crédible le voyage sont un régal pour l'amateur de SF. Il y a une inspiration kubrickienne évidente dans le travail sur l'atmosphère, puisque le film propose en quelque sorte un mix entre le Discovery de 2001 et l'hôtel Overlook de Shining. Même si la référence visuelle au bar de Shining n'est pas très subtile, les dialogues avec le barman sont un petit bijou d'écriture, nous amenant constamment à nous interroger sur ses éventuels double-sens ou au contraire sur le fait qu'il s'agirait de jargon préprogrammé et inconséquent juste bon à répondre au désœuvrement de ses clients (et dans le rôle de l'androïde, Michael Sheen est assez bluffant).


S'il offre son lot de rebondissements surprenants et efficaces, on sent cependant que le film s'est vu imposer de nombreuses coupes, le rôle fatigué de Larry Fishburne étant un peu commodément évacué, et la suite du récit déçoit un peu les attentes. Passengers redescent alors à un niveau relativement superficiel, proposant surtout une mise à l'épreuve de ses personnages, dont il enrichit néanmoins la relation par une dimension romantique dont je n'ai pas trouvé déplaisante la représentation à l'écran.



[SPOILER : J'ai été charmé car je ne savais rien du film avant de le découvrir, en dehors du postulat de la nouvelle. Aussi j'ai choisi de ne pas reprendre ici l'affiche originale, trouvant un peu dommage qu'elle gâche une partie du plaisir en révélant d'entrée de jeu la présence de la bankable Jennifer Lawrence, par conséquent laissant deviner que le héros ne va pas longtemps rester seul.] 

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