18 octobre 2017

Le Cinéma de George Cukor VII. 1964-1972

My fair lady, 1964
Le film s'inscrit dans cette époque charnière où Hollywood concevait ses comédies musicales comme un art total, une superproduction qui exploite tous les moyens propres au cinéma pour damer le pion à la télévision concurrente (qui lui rapporte pourtant en parallèle), et justifier l'intérêt de la salle auprès du public. Donc budget record qui doit se voir à l'écran, tournage en 70mm qui explose de couleurs (et qui rend le spectacle un peu mesquin sur une TV), durée fleuve et, tant qu'à faire, transposition sans risque des musicals les plus célèbres de Broadway. Une formule qui sera payante quelques années — de West side story à Funny girl, en passant par Mary Poppins, The Sound of music ou Oliver ! — avant de ne soudainement plus du tout être en phase avec les nouvelles attentes des spectateurs à la fin de la décennie, lorsque de petits films réalistes et contemporains se révèlent bien plus rentables que ces grosses machines pour papys. Soit les triomphes du Lauréat, Easy rider et Midnight cowboy face aux flops de Star !, Dr. Dolittle, Hello Dolly, Paint your wagon, Camelot ou Darling Lili.

Confié à Cukor, valeur sûre du bon goût et du box office, ce My fair lady est donc un pur produit de studio, bichonné dans ses moindres détails par Jack Warner. Acteurs et figurants se baladent dans des décors vastes et opulents, prétexte à un défilé de costumes proprement insensés signés Cecil Beaton, véritables chefs-d'œuvre de haute-couture. Ce professionnalisme à tous les étages, cette façon de ne pas regarder à la dépense ont sans doute permis au film de récolter ses 8 Oscar. Mais cette débauche de moyens m'a paru un total non-sens tant ça ne m'a jamais vraiment semblé agir au bénéfice de l'histoire, pour ce qui ambitionne d'abord d'être une comédie centrée sur ses personnages, appelés à évoluer intimement comme dans leur relation. La première moitié opte pour le registre comique de la confrontation. Par les chansons comme par les dialogues, les personnages sont donc brossés comme des caricatures, mais on n'est pas non plus chez Wilder/Diamond et leurs échanges m'ont à peine fait sourire. Et sans non plus espérer un discours marxiste, j'ai même été gêné par la caractérisation des pauvres, forcément pittoresques dans leur malheur. La seconde moitié passe en mode romantique, mais le professeur Higgins demeurant un goujat jusqu'au bout, je n'avais personnellement aucune envie de voir Eliza finir avec lui. Dès lors, impossible de ressentir la moindre empathie pour cette histoire sans vrai point de vue, au potentiel si platement exploité, et qui semble même se disperser inutilement : ses numéros sont peut-être ceux que j'ai préférés mais pourquoi consacrer autant de temps de présence à papa Doolittle ? Quand on pense que Cukor a souvent vu ses films injustement sucrés ou caviardés (A star is born, Bhowani junction), on en vient à penser que ça n'aurait peut-être pas fait de mal à celui-ci.

La mise en scène a beau se montrer alerte et inventive (les figurants qui se figent), j'ai paradoxalement eu l'impression d'un spectacle étriqué, d'une atmosphère un peu étouffante, malgré le charme de l'artificialité assumée des extérieurs en studio. Il faut dire que ce ne sont pas non plus les chorégraphies basiques d'Hermès Pan qui auraient pu remonter mon enthousiasme, tant nulle est la volonté de performance. Restent heureusement des comédiens en tous point excellents, qui font que le film reste vivant malgré tout et n'ennuie pas, avec en premier lieu l'abattage d'une Audrey Hepburn exquise tout du long. Mais de là à chérir ce classique officiel...







Travels with my aunt (Voyages avec ma tante), 1972
Il est sûr qu'au milieu du nouveau visage du cinéma américain des 70's, ce Cukor a
dapté du roman picaresque de Graham Greene paru à peine deux ans plus tôt, paraît bien déconnecté. C'est un résidu de ce qu'on pourrait qualifier de Vieil Hollywood, une autre façon de concevoir le cinéma, avec des décors ultra-soignés dignes des productions MGM (car c'en est une) de l'âge d'or (déjà dans le rétro). On ne fréquente ici que des hôtels de luxe, les chambres débordent de bouquets de fleurs, et les costumes visent l'épate, jusqu'à se voir récompensés par un Oscar. On est donc visuellement dans du divertissement haut de gamme, où rien ne dépasse, mais en même temps ça n'a rien de momifié. La mise en scène de Cukor épouse avec une vraie maestria le rythme du récit fait de soudaines accélérations, de descentes d'escaliers au pas de course pour attraper un train, et de confrontations entre 4 murs, avec en fond un chouette score signé Tony Hatch à l'élégance très "mancinienne". Même coincée dans un compartiment de train, la caméra parvient à ne jamais rester figée, et l'on est baladé de la France au Maghreb, en passant par l'Italie et la Turquie, sous la riche lumière de Douglas Slocombe.

Tout le film est mouvement, dès la scène d'ouverture où la Tante attrape son neveu et l'embarque dans une aventure qui tient presque du jeu, jusqu'au final qui préfère relancer la partie plutôt que de conclure. On joue aux espions, on flirte avec le danger sans se priver si besoin de ralentir le rythme, de profiter du temps du voyage pour faire connaissance, permettant à la Tante de faire le récit presque mythique de son passé de cocotte Belle époque. Ce que ces flashbacks laissent alors entrevoir c'est une sincère émotion nostalgique, que Cukor met en scène avec délicatesse. Ça manque cependant un peu d'incarnation pour pleinement émouvoir, Maggie Smith n'y ayant pratiquement pas une ligne de dialogue et les situations manquant un peu de créativité. On se retrouve donc davantage dans le personnage du neveu, bousculé dans sa petite vie bien rangée mais qui va accepter de jouer le jeu, malgré quelques protestations de principe.

Fruit de la construction épisodique du roman, le récit avance avec une sorte de désinvolture assez perturbante au départ, et le spectateur doit accepter un temps de nager dans la confusion. Mais ça colle avec le caractère loufoque de cette protagoniste qui est comme un tourbillon, entourée de personnages qui comprennent et légitiment son comportement et ses codes. L'intrigue assume donc sa fantaisie, et ce sont surtout ses à-côtés qui vont compter. Les personnages sont hauts en couleurs, souvent à fond dans le cabotinage (Lou Gossett), avec évidemment, dominant le film, l'interprétation survoltée de Maggie Smith, incroyablement convaincante en jeune comme en vieille, notamment grâce à un travail de maquillage bluffant. Mais c'est peut-être encore davantage l'interprétation d'Alec McCowen en neveu so british que j'ai trouvée irrésistible. Bref, Travels with my aunt se déguste comme une délicieuse friandise.




DOSSIER GEORGE CUKOR : 

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