J'ai
l'impression que ce Eastwood est un peu mésestimé, jugé au mieux anecdotique au
pire ridicule. Pour ma part, j'avais été conquis dès sa découverte en salle. Le
pitch est osé, assurément. Comment concevoir en effet qu'un gros studio comme la Warner accepte
de produire un film ayant pour héros des représentants du troisième âge, donc à
mille lieues des contingences marketing ? D'entrée de jeu, Space cowboys fait donc déjà figure de
petit miracle.
Le
réalisateur désormais septuagénaire nous offre un regard sur la vieillesse sans
condescendance, un mariage harmonieux entre comédie, drame et film d'action. On est épaté du début à la fin par la fluidité sans faille de la mise en scène comme par la qualité de l'interprétation, en particulier un
Tommy Lee Jones plus que parfait, profondément humain. Le long-métrage n'est pas loin
de ressembler parfois à un film de potes, et les yeux rieurs du quatuor de papys laissent facilement
deviner l'amusement réel qui dut être celui des comédiens sur le plateau. Les effets spéciaux qui
m'avaient énormément impressionné en salle tiennent bien la route et j'adore la
façon dont le vieux satellite russe est doté d'une vraie personnalité grâce à
son design, son animation et ses effets sonores. Le dernier plan du film est
fabuleux, un véritable poème. Plus qu'un agréable divertissement, Space cowboys est une œuvre
émouvante et belle, d'une inattendue mélancolie, et que je prends énormément de plaisir à revoir.
Mystic
river, Clint Eastwood, 2003
Une
tragédie d'une densité assez éprouvante, un film tendu et douloureux servi par
une troupe d'acteurs éblouissants. Clint ne fait appel qu'à des têtes connues
sans que l'on perde de vue le personnage derrière la star et sans non plus
tomber dans le numéro d'acteur, chacun jouant sur une gamme à la fois différente et complémentaire. Je demeure en admiration devant la moindre
subtilité du jeu des interprètes. L'histoire est d'autant plus bouleversante
qu'on sait assez vite qu'il ne pourra jamais y avoir d'issue dès lors qu'il est
question d'enfance gâchée. La quête d'absolution n'aboutira qu'à un écœurant
simulacre où nul ne sort libéré de son propre drame, de sa culpabilité.
Fidèle à
lui-même, le regard du cinéaste ne vient juger personne, il se pose avec une
douceur et une honnêteté désarmantes sur des événements bien atroces qui
résonnent profondément en nous, car ils brassent finalement des inquiétudes et des
sentiments universels. Un très beau film, d'une cohérence formelle indiscutable, y compris dans son emballage musical très sobre, et dont je suis encore loin d'avoir fait
le tour.
Million
dollar baby, Clint Eastwood, 2004
Ce titre restera éternellement associé pour moi au souvenir
d'une séance de cinéma magique, où la salle a atteint une parfaite harmonie avec le spectacle sur l'écran. L’objectivité du spectateur est une chimère,
qu’on peut prétendre approcher dans certains cas. Mais lorsqu’il s’agit de
Clint, il faut accepter de me voir quasiment conquis d’avance, fétichisant le
moindre élément composant le film (la seule apparition du logo Warner bros.
suffisant à démarrer mes frissons). Million dollar baby s'est donc imposé à moi
comme une œuvre magnifique, presque hors du temps. À plusieurs reprises, je me
faisais en effet la réflexion qu'il n'était pas si évident que ça de situer
l'action à une époque précise. Tout — des décors aux personnages — semble figé
dans une sorte d’entre-deux mondes : le passé et l’avenir, la faute et le pardon,
l’ombre et la lumière. Un lieu où les fantômes du passé ont leur place.
J'adore
ce goût que cultive le réalisateur de film en film pour le clair-obscur, la
sous-exposition à la limite des conventions admises par les majors qui le
financent. Ici, on atteint de nouveaux sommets, et Tom Stern mérite désormais
pleinement sa place aux côtés des fidèles Jack Green et Bruce Surtees. La
découverte de cet univers visuel en scope a fait son petit effet à l’ouverture
du film, avec ces ambiances nocturnes aux frontières du réel. De même, le
travail sur le son est tout à fait remarquable, dynamisant incroyablement les
scènes de boxes, elles-mêmes brillamment chorégraphiées. Toujours fidèle au poste, le vétéran Buddy Van Horn s'est
surpassé : les coups font mal, et la succession de KO est franchement
spectaculaire. Eastwood manipule son spectateur en maître. J’ai rarement eu à
ce point l’impression de faire corps avec un film.
La
progression optimiste de la première partie m’a mis en confiance. Les
personnages parviennent à se sortir des pièges qui se dressent sur leur chemin,
le film évitant ou traitant avec subtilité certains passages obligés. Par
exemple, on sait très bien que Clint va accepter d’entraîner Swank, et qu’elle
se révèlera douée. Mais là n'est pas l'essence du film. Le spectateur est pris
par la main et baladé d'une émotion à l'autre, il commence à se plaire au
milieu de ces personnages attachants, même si tout n’est pas rose, comme dans
la vie. Le match à Las Vegas arrive alors, particulièrement chargé d'espoirs. Après quelques
difficultés, notre héroïne semble en passe de remporter la victoire et Clint
choisit de la mettre à terre à ce moment-là, ce qui produit un effet assez
inouï, qui m’a personnellement laissé le souffle coupé. C'est peu de dire que
l'interprétation de Hillary Swank est magistrale. On oublie complètement
l’actrice au profit de cet incroyable personnage plein de ténacité. Quant à
Clint, plus j’y repense, plus je me rends compte de la puissance de sa
performance, toute en intériorité, jusqu’à cette scène hallucinante où son
visage en larmes se décompose littéralement face au prêtre. Son personnage est
vraiment riche, avec son questionnement sur la foi, sa quête d'une famille, et
tout un tas d’autres trucs qui ne s’expriment pas mais qu’on ressent (les
non-dits sont ici particulièrement prégnants), et que Gran Torino viendra encore prolonger.
Le texte
narré en voix off par Freeman est sublime et les échanges entre les deux vieux
briscards sont à la fois pleins de malice et lourds du poids du passé. Clint
parvient ici à une alchimie assez rare, pour une œuvre qui ne me semble jamais
tapageuse ou malhonnête sur un sujet difficile, où la vie finit quand même par
sortir gagnante (magnifique dernier plan). Lorsque les lumières sont revenues
dans la salle, les applaudissements spontanés des spectateurs célébraient comme
rarement un authentique sentiment de fusion. Au final, je crois que j’ai été
autant bouleversé par l'émotion que charrie le récit que par la réussite cinématographique
que représente ce film.
Flags
of our fathers (Mémoires de nos pères), Clint, 2006
Un grand
et beau film — aussi surprenant par sa façon de déjouer les attentes du film de guerre, que complexe par son propos. Eastwood obtient ici des moyens impressionnants pour une reconstitution audacieuse, mais au service d'une atmosphère
profondément triste. Aucun manichéisme, une volonté d'être juste avec tout le
monde en n'oubliant personne. Scène absolument formidable, le buffet avec les
mères des soldats contient le discours de quasiment tout le film. Flags of our
fathers se révèle alors une passionnante réflexion sur la médiatisation en tant qu'arme politique,
cette capacité d'une nation à préférer vivre dans la fable. C'est un faux film de
guerre à l'approche très originale, pour ne pas dire inédite. J'ai aimé la
façon dont les soldats revivent par flash le champ de bataille et je trouve
assez admirable de construire un film sur l'histoire d'une photographie, point
de départ faussement dérisoire qui renferme un véritable océan de drames
humains. Clint retarde l'instant décisif du cliché sans jamais chercher à faire
le malin. Les scènes de guerre sont éprouvantes, aucun plan ne respire la
facilité, et c'est même généreux en gore.
À
l'époque de Firefox puis de Space cowboys, Eastwood déclarait que ça l'ennuyait
de tourner des films à effets spéciaux. On peut dire là qu'il s'est lâché mais je ne trouve pas qu'il se
soit perdu pour autant, démontrant au contraire une époustouflante maîtrise, qui lui permet de nous plonger viscéralement au cœur de cette atroce mêlée, sur ce
bout de rocher infernal qu'est l'île d'Iwo Jima. Il m'a fallu cependant un peu
batailler contre moi-même et ma vénération pour le reconnaître, mais la
construction très éclatée du récit m'a paru parfois confuse. Et le récit est un peu plombé par un épilogue qui n'en finit pas de conclure sur fond de ritournelle
bluesy, au point d'assécher un peu toute l'émotion accumulée. Cela dit j'ai beaucoup aimé le dernier
plan, image faussement apaisée du passé, pause presque irréelle qui deviendra
pour les personnages un moment d'une saveur inégalable.
Letters from Iwo Jima (Lettres d'Iwo Jima), Clint Eastwood, 2006
Une production courageuse. Eastwood s'offre le luxe de produire un film à gros budget, tourné avec un casting japonais dans leur langue. Côté pile du diptyque qu'il compose avec Flags of our fathers, le film est cependant plus classique dans son propos comme dans sa forme, qui est beaucoup plus linéaire que le premier volet.
Derrière la reconstitution toujours aussi spectaculaire de la bataille d'Iwo Jima, Eastwood ne renouvelle en effet pas véritablement le film de guerre. Le spectacle est une nouvelle fois impeccable, mais au service d'une dénonciation attendue de l'aveuglement militaire et des horreurs du champ de bataille. Sa seule, mais néanmoins appréciable originalité, est de nous proposer le point de vue de l' "ennemi". Et c'est évidemment moins les scènes de guerre qui passionnent que les moments d'accalmie qui permettent de caractériser les personnages avec un louable souci de justesse, offrant à l'occasion d'authentiques instants de poésie. C'est certainement un film qui mérite d'être revu, réexploré, sans forcément le mettre en concurrence avec le précédent afin de ne pas lui faire d'ombre.
Letters from Iwo Jima (Lettres d'Iwo Jima), Clint Eastwood, 2006
Une production courageuse. Eastwood s'offre le luxe de produire un film à gros budget, tourné avec un casting japonais dans leur langue. Côté pile du diptyque qu'il compose avec Flags of our fathers, le film est cependant plus classique dans son propos comme dans sa forme, qui est beaucoup plus linéaire que le premier volet.
Derrière la reconstitution toujours aussi spectaculaire de la bataille d'Iwo Jima, Eastwood ne renouvelle en effet pas véritablement le film de guerre. Le spectacle est une nouvelle fois impeccable, mais au service d'une dénonciation attendue de l'aveuglement militaire et des horreurs du champ de bataille. Sa seule, mais néanmoins appréciable originalité, est de nous proposer le point de vue de l' "ennemi". Et c'est évidemment moins les scènes de guerre qui passionnent que les moments d'accalmie qui permettent de caractériser les personnages avec un louable souci de justesse, offrant à l'occasion d'authentiques instants de poésie. C'est certainement un film qui mérite d'être revu, réexploré, sans forcément le mettre en concurrence avec le précédent afin de ne pas lui faire d'ombre.
Changeling
(L'Échange),
Clint Eastwood, 2008
J'ai été happé par cette histoire, d'autant plus édifiante qu'elle est inspirée d'un authentique et atroce fait divers. Derrière
la maestria de la reconstitution d'époque, Changeling est un film franchement troublant
par son sujet et par la façon dont le metteur en scène élargit progressivement le champ d'action
de son récit, qui prend une ampleur inattendue, comme si, plus libre que jamais, il n'hésitait pas à creuser chaque nouvel élément mis en lumière par son point de
départ. Ça démarre par une situation à la limite du fantastique, avant de basculer dans un cauchemar qui affirme au contraire impitoyablement son ancrage dans un monde bien réel.
Angelina Jolie trouve le juste ton pour incarner ce petit bout de femme brutalement basculée dans un drame, qu'on tentera d'instrumentaliser pour des raisons politiques avant de vouloir la faire taire. D'une élégance absolue dans sa mise en scène, le film est à la fois passionnant, et puissamment bouleversant, posant comme souvent beaucoup plus de questions qu'il n'apporte de réponses. C'est clairement pour moi l'un de ses films les plus forts, et qui témoigne clairement que le cinéaste conserve malgré les années un talent et une audace intacts.
Angelina Jolie trouve le juste ton pour incarner ce petit bout de femme brutalement basculée dans un drame, qu'on tentera d'instrumentaliser pour des raisons politiques avant de vouloir la faire taire. D'une élégance absolue dans sa mise en scène, le film est à la fois passionnant, et puissamment bouleversant, posant comme souvent beaucoup plus de questions qu'il n'apporte de réponses. C'est clairement pour moi l'un de ses films les plus forts, et qui témoigne clairement que le cinéaste conserve malgré les années un talent et une audace intacts.
DOSSIER CLINT EASTWOOD :
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