Bronco
Billy,
Clint Eastwood, 1980
Son visionnage relativement tardif fut pour moi une extraordinaire
découverte. Je suis aujourd'hui bien tenté de le considérer comme l'un des plus
beaux films de son auteur. Le scénario est vraiment très riche, avec cette
nouvelle famille recomposée de parias de l'Amérique. L'atmosphère bien Middle
West s'inscrit dans la même veine qu'Every which way but loose, son tournage précédent. Et derrière l'humour
bien présent et souvent généreux se dissimulent une vraie humanité et la quête
d'un idéal, de quelque chose qui n'a jamais existé que dans un passé
mythifié.
Bronco
Billy McCoy est un personnage passionnant, jouant le jeu des gosses qui voient
en lui un héros, chef autoritaire et de mauvaise foi aux coups de gueule
hilarants, et qui se révèle vraiment émouvant lorsqu'il laisse un peu parler son
cœur. Sondra Locke reprend le rôle de la garce de service où elle excelle, et
les rapports amour/haine entre les deux ne sont pas sans évoquer certaines screwball
comedies de la grande époque. On pense également au cinéma de John Ford
dans sa tendance à privilégier les moments creux, ceux où s'exprime la chaleur
humaine, plutôt que de se contenter de la seule progression narrative. Et puis
quelle brillante idée que ce chapiteau fabriqué par des malades mentaux aux
couleurs du drapeau américain. Formidable.
Any
which way you can (Ça va cogner !), Buddy Van Horn, 1981
Everywhich way but loose
avait fait un carton, le plus gros succès qu'aura connu Malpaso, la société de production d'Eastwood. Homme d'affaires avisé, celui-ci s'autorise donc logiquement une suite, confiant cette fois la mise en scène à son
fidèle chef cascadeur Buddy Van Horn, qui s'acquitte ici de sa tâche sans réel génie. On est en effet bien loin
de l'énergie et de la fraîcheur du premier opus. Les personnages sont moins
bien écrits. Sondra Locke joue les utilités.
Si
quelques gags font toujours mouche (Clyde défonçant les bagnoles, le gang des
Black Widows toujours aussi rigolo), le film se vautre un peu trop souvent dans
la vulgarité — parfois réjouissante c'est vrai, mais souvent repoussante. Il y a en
particulier cette infâme nuit au motel où tous les personnages semblent soudain
pris d'une frénésie sexuelle, y compris Clyde et cette bonne vieille Ma.
L'aspect le plus réussi demeure la confrontation entre les deux champions du
film, Philo Beddoe et son adversaire Wilson. Confrontation faite de fair play
malgré la présence de mafieux en organisateurs de combat. La baston finale
demeure un moment d'anthologie pour les amateurs de bourre-pif et de cinéma
burlesque. Musicalement, l'atmosphère country est toujours aussi agréable, avec
notamment le chaleureux morceau d'ouverture Beers to you, interprété par
Clint et Ray Charles.
Firefox, Clint Eastwood, 1982
Certainement
l'un des films les moins intéressants et les moins personnels de Clint, mais sa
présence et son talent de réalisateur en font un divertissement efficace. Pour
moi c'est surtout un grand souvenir d'enfance. La photo de Bruce Surtees est
superbe, le scope est géré avec élégance. La première partie joue la carte de
l'espionnage et de l'infiltration. Le vétéran Mitchell Gant reprend du service
pour aller dérober un avion top secret au cœur même du territoire ennemi. La
tension est permanente, le héros ne cessant de voir son identité contrôlée par
la police moscovite ou le KGB. Et on a vraiment le sentiment que la moindre erreur
peut lui être fatale. Film de guerre froide, Firefox est également un bel exemple de ce qu'on a pu appeler le cinéma reaganien. Le régime soviétique nous est montré comme un état policier
où même les touristes américains sont suspects, où le délit d'opinion existe et
vous condamne à des années de cachot. Les militaires sont du type droit dans
mes bottes et ont toujours un train de retard sur la stratégie des américains.
Et si leur Firefox est effectivement d'une technologie supérieure, ils le
doivent en grande partie aux scientifiques juifs qu'ils détiennent prisonniers
et qu'ils obligent à collaborer. Heureusement, les autorités russes n'ont pas
su éteindre le sentiment d'injustice et de révolte et l'on croisera quelques
opposants prêts à se sacrifier pour la cause américaine.
Parmi les
points vraiment faibles, on sourira de l'inévitable trauma vietnamien
qu'Eastwood ne fait pas beaucoup d'effort pour rendre convaincant (flashback
aux effets de montage paresseux, frémissement de narine). La dernière partie
vire au spectaculaire avec cette longue fuite à bord du Firefox et ce déploiement
d'effets spéciaux signés John Dykstra, plutôt sympathiques même si les
incrustations ont un peu mal vieilli. L'appareil supersonique file en
rase-mottes, créant derrière lui un souffle qui retourne les forêts et soulève
les océans. En parallèle, on a droit aux réunions stratégiques il est vrai peu
palpitantes de l'état-major soviétique, face à la coolitude des ricains. Le
duel entre les deux avions sera le clou du spectacle. Redécouvrir Firefox en VO
change pas mal la personnalité du protagoniste. La voix de Clint semble
beaucoup moins assurée que celle de son doubleur, rendant donc son personnage
bien plus vulnérable. J'ai vu le film un paquet de fois en VF et je m'étais au
contraire habitué à un héros plutôt décontracté, notamment sur quelques
répliques que j'adore mais qui n'ont plus du tout le même ton en VO.
Honkytonk
man, Clint Eastwood, 1982
Si Firefox apparaît à juste titre comme une production artistiquement peu ambitieuse, voire sans risques, il a permis en contrepartie à son réalisateur de pouvoir tourner un projet plus personnel. Eastwood produira ainsi à plusieurs reprises au cours de sa carrière des films ouvertement commerciaux, comme gage destiné aux studios lui offrant ensuite plus de liberté pour des œuvres plus fragiles. Maîtrisé,
profondément humain et humble, Honkytonk man est un road movie
initiatique qui se révèle aussi riche qu'émouvant dans son portrait d'une
certaine Amérique. À travers la peinture d'une relation adulte/gamin —
qu'Eastwood abordera sous un angle nouveau avec Un monde parfait — c'est
tout un pan de l'Histoire américaine qui nous est ainsi dévoilé.
On retrouve
cette thématique de la famille recomposée, avec notamment le personnage du
grand-père, dernier témoin d'un monde révolu. Le film
est touchant parce qu'il pose un regard juste sur ses héros, il ne les idéalise
aucunement, oscillant entre le drame et de vrais moments de drôlerie
picaresque. Il me semble vraiment passionnant parce qu'il autorise plusieurs
approches, la musique n'en étant pas la moindre, et la bande son est à ce titre superbe. Si
on peut trouver la conclusion prévisible, sa simplicité me laisse toujours
bouleversé. L'idée que la musique rend l'homme éternel est toute simple, mais
c'est amené sans prétention et je trouve ça beau.
Sudden
impact (Le Retour de l'inspecteur Harry), Clint Eastwood, 1983
On
retrouve cette bonne vieille trogne d'inspecteur, plus rentre-dedans que
jamais. Il sème les cadavres partout où il passe, collant des sueurs froides à
ses supérieurs. Ce quatrième épisode de la série semble chercher à atteindre de façon presque maladive
un point-limite, poussant la logique du personnage jusqu'à rendre indispensable
une sortie de route. On quitte alors San Francisco pour la petite ville
portuaire de San Paulo. Les punchlines sont toujours aussi irrésistibles, mais
l'enquête principale qui l'a amené ici révèle un drame bien malsain qui finit
par largement prendre le pas sur cette apparente légèreté. Ça en devient même
assez surréaliste avec une bande de tarés congénitaux, un décor de fête foraine,
et toute une série d'images bien symboliques.
En ange
exterminateur, Sondra Locke est excellente, entre froide détermination et vraie
fêlure (terrifiant autoportrait peint). Harry Callahan lui-même devient inhumain,
sortant miraculeusement indemne des nombreuses tentatives d'assassinat, allant
jusqu'à surgir d'une poubelle et revenant quasiment d'entre les morts à la fin.
Eastwood donne l'impression de s'autoriser toute latitude pour ne pas sombrer
dans la facilité de la redite. Tout n'est pas toujours inspiré : l'utilité
douteuse du pote d'Harry, le clébard pêteur ; Mais au final, c'est un polar
assez déstabilisant, d'une noirceur inédite.
Tightrope
(La Corde raide), Richard Tuggle, 1984
Excellent
film où Clint interprète avec talent un flic particulièrement ambigu, à côté
duquel Dirty Harry fait presque figure de mormon. Il poursuit avec cette histoire de
serial killer l'exploration de sa part sombre, et ce n'est guère reluisant.
Divorcé et père de deux enfants, Wes Block est habité par certaines obsessions
que son travail et cette enquête en particulier lui permettent de concrétiser.
En gros, ça suinte pas mal le sexe et l'on navigue entre fantasme, folie et
crudité bien réelle. L'ambiance de la Nouvelle-Orléans rend tout ça encore plus
fascinant, avec ces scènes de carnaval, ces masques et tous ces bars louches,
et la photographie de Bruce Surtees réalise encore des miracles.
Si le mot
"interlope" a un sens, c'est bien ici qu'il le trouve. On n'oubliera pas, par exemple, cette étonnante
scène de la visite de la fabrique de bière, remplie de symboles sexuels. La
psychologie du tueur échappe à toute logique, et sa capacité à apparaître
n'importe où et à maîtriser une patrouille entière de police abuse certes un
peu trop des conventions du genre, ou en tous cas demande beaucoup de crédulité
au spectateur. Mais on est agréablement perdu par une intrigue et des effets
qui multiplient les parallèles entre le serial killer et celui qui le traque.
On se rend alors compte que le flic précède systématiquement le tueur, jusqu'à
un ultime face à face assez éprouvant. Très chouette présence de la toute jeune
Alison Eastwood. Le rôle de Genevieve Bujold est intéressant,
mais sa relation avec Clint m'a parue un peu forcée.
City
heat (Haut les flingues), Richard Benjamin, 1984
Prometteur
sur l'affiche, le duo Reynolds/Eastwood aurait pu fonctionner davantage
au sein de ce polar léger et rétro. Comme souvent, Clint conserve son attitude
stoïque et mutique. Il reste passif durant les bagarres, jusqu'à ce qu'un coup
qui ne lui était pas destiné l'atteigne. Il voit alors rouge et sort de ses
gonds. L'effet est savoureux. En contrepartie, Burt est réellement celui qui emporte
le morceau. Son personnage de détective privé fanfaron a bien plus de présence
à l'écran et mène véritablement l'action. Les deux compères ne se réunissent
vraiment que dans la dernière demi-heure, avec de bons moments bien loufoques, tel celui où ils font face au big boss portant une malette prétendument piégée,
où lorsqu'ils vont libérer une amie retenue prisonnière dans un bordel. Burt
visite alors les chambres déguisé en loup, et chaque ouverture de porte recèle
un gag digne de Tex Avery.
Je
retiens également le personnage de la secrétaire, réussi et intéressant, ainsi
qu'un happy end exemplaire. La mise en scène de Benjamin est la plupart
du temps impeccable — alerte dirais-je même — sauf lors de quelques gunfights
malheureusement assez confus. Sympathique reconstitution d'époque, avec ses
vieilles bagnoles, ses mafieux, l'alcool de contrebande, le jazz et les
speakeasies, le tout enjolivé par une très belle photo aux teintes sépia. On
devine ce que Blake Edwards, qui en a signé le scénario et qui
était engagé au départ pour le réaliser, aurait pu faire d'un tel cocktail, lui
qui a toujours su mêler avec une grande élégance les atmosphères rétro et la
comédie.
Heartbreak
ridge (Le Maître de guerre), Clint Eastwood, 1986
Un film
qui exsude la testostérone, et qui n'est pourtant pas dénué de sensibilité.
Clint s'est travaillé une voix étonnamment rauque, composant un vieux baroudeur
ultra-décoré et plus que jamais irréductible face à un état-major qui le
considère comme un fossile. L'atmosphère du camp de Marines autorise un langage
particulièrement fleuri qui n'est pas sans rappeler les outrances de The Gauntlet.
Eastwood
assure donc le spectacle d'un film a priori bien codifié et parvient néanmoins
à susciter une vraie empathie pour ses personnages, encore une fois en
s'attardant sur les à-côtés de l'intrigue principale, c'est-à-dire en accordant
l'attention nécessaire aux figures qu'il met en scène. Si Mario Van Peebles
amuse en rock star de pacotille, le couple que forment Clint et son ex-femme,
tous deux représentants de la vieille école et qui en ont souffert, est tout à
fait savoureux (il faut voir Clint lire Cosmopolitan dans son pick up)
mais aussi vraiment touchant. Le final avec le retour des héros vers ces femmes
qui les attendent est d'une chaleur qui, une nouvelle fois, n'est pas sans évoquer certaines
ambiances fordiennes. Parvenir ainsi à proposer un film aussi viril et pourtant
plein de cœur est assez étonnant et fait pour moi tout le prix de ce titre. Dans
la série des Eastwood mineurs, je le préfère d'ailleurs à Firefox. Le
protagoniste y a plus d'épaisseur.
Bird, Clint Eastwood, 1988
Fabuleuse
plongée dans une époque, dans un milieu, dans un corps, dans une tête. Devant
ce film, j'oublie complètement que j'ai affaire à du cinéma, c'est-à-dire à une œuvre résultant de l'association de toute une série d'éléments. Évidemment, si
je prends de la distance je suis capable de reconnaître le magnifique travail
sur l'ombre et les couleurs de Jack Green, la bluffante direction
musicale de Lennie Niehaus, la finesse du scénario et des dialogues de Joel
Oliansky, l'interprétation phénoménale de Forrest Whitaker (mention
spéciale à Diane Venora dans le rôle de Chan Parker), la justesse
de la mise en scène d'Eastwood, toujours proche de ses personnages.
Mais au
final l'ambiance du film, son histoire, sa musique, m'ont littéralement
absorbé. C'est d'une fluidité parfaite, et la dédicace finale aux musiciens du
monde entier ouvre le film à d'insoupçonnées dimensions. Malgré un sujet qui
présentait de nombreux risques, jamais Clint ne sombre dans la quête du
pittoresque facile ou de l'emphase mélodramatique, nous épargnant toutes les balises habituelles du biopic. Une alchimie rare et
précieuse. Un film profondément beau et magique. Un chef-d'œuvre.
White
hunter, black heart (Chasseur blanc, coeur noir), Clint Eastwood, 1989
Un film
qui est particulièrement cher à mon cœur puisque c'est celui qui à l'époque
m'a révélé Eastwood en tant que grand réalisateur. J'ai très tôt eu un faible
pour les films sur Hollywood et celui-ci nous offre le portrait délicieux bien
que romancé d'un réalisateur qui ne pouvait que plaire à Eastwood. Vérité et
fiction se mélangent, le script est plein d'idées et offre ainsi un récit stimulant pour un spectacle magnifique et troublant. Car à y regarder de plus près, le personnage de John Wilson est
autant John Huston qu'un nouvel avatar du héros eastwoodien.
Clint trouve certainement ici un de ses plus beaux rôles,
loin de tout manichéisme, à la fois odieux et génial. Son obsession d'ordre
quasi mystique, mettant en péril l'existence d'une production, est traitée
tantôt avec humour tantôt avec une vraie gravité. Melville et le
capitaine Achab ne sont jamais bien loin (et quoi de plus cohérent pour évoquer Huston ?). Et le dernier plan, la dernière
réplique, sont sans doute un des morceaux de cinéma les plus vertigineux que je
connaisse. Grand film.
DOSSIER CLINT EASTWOOD :
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