15 juillet 2015

Polars d'été français

Maurice Leblanc, L'Aiguille creuse, 1909
Je découvrais Leblanc et son Arsène Lupin avec ce titre. Du bon feuilleton, dont le ton déjà un peu désuet n'est pas le moindre des charmes. On est dans une chasse à la vérité qui débouche sur des clés de l'énigme multiples et toutes aussi improbables. Le but étant de captiver et divertir le lecteur avec des jeux intellectuels, Leblanc s'inscrit donc dans la veine ludique d'un Conan Doyle, Gaston Leroux ou Agatha Christie.

La mécanique est bien huilée, on se triture les méninges face à des situations impossibles, et l'on se laisse agréablement prendre par la toute-puissance manipulatrice du gentleman cambrioleur. Mais cet antihéros ne fait pas à lui seul tout le sel du récit, et l'étudiant-enquêteur amateur Isidore Beautrelet, qui va perdre progressivement sa candeur au profit de son obsession, m'est personnellement vite devenu une figure attachante.





Maurice G. Dantec, Les Racines du mal, 1995
Du désormais (mais pas à l'époque de ma découverte) controversé Dantec, je n'avais lu que La Sirène rouge, bon polar plutôt efficace à défaut d'être surprenant, servi par une plume affutée sans pour autant afficher une ambition déplacée. Précédées par une réputation limite intimidante, ces Racines du mal se présentent assurément comme un texte plus abouti. Je m'attendais cependant à plus original du point de vue de l'intrigue. 

Peut-être trop touffu, le roman donne l'impression que Dantec est un peu victime de son inspiration trop généreuse. Le gars est manifestement doué, mais il tend à complexifier inutilement l'histoire et donne l'impression de détourner artificiellement le lecteur du fond de l'histoire, surtout que le final est un peu décevant, pas très crédible. On se lasse de l'usage un peu trop fréquent de scènes où les personnages s'engueulent presque de ne pas avoir abouti à des déductions qui leur semblent évidentes, alors que pour le lecteur la démonstration reste à faire. Du coup, j'en venais à considérer les personnages et le narrateur d'assez loin, comme les simples pantins du romancier qui peut nous faire croire ce qu'il veut. Malgré ces quelques choix, le récit reste heureusement passionnant et se dévore très bien. Le plus convaincant, ce sera finalement cette volonté courageuse et vraiment appréciable de mélanger les genres. La façon dont le bouquin s'ouvre progressivement et comme naturellement à des éléments SF fonctionne étonnamment bien. Le concept des neuromatrices est vraiment original et savoureux, et l'on note un petit côté Philip K. Dick certainement assumé, qui n'est évidemment pas pour me déplaire. Les Racines du mal ne m'ont cependant pas pour autant encouragé à poursuivre ma découverte de l'œuvre de Dantec, d'autant plus que je ne vois plus très clair dans ses propositions littéraires. 




Patrick Pécherot, Belleville-Barcelone, 2003
Sympathique polar qui déroule son enquête sur fond de fin de Front populaire, avec la Guerre d'Espagne en arrière-plan. Derrière la reconstitution, le plus délectable c'est vraiment le travail de l'auteur sur le langage, son jeu avec l'accent parigo populo, qui renvoie directement à Léo Malet. J'ai appris après coup que c'était une référence revendiquée par Pécherot. On y est donc bien.

À l'arrivée, ça reste quand même un roman sans trop de prétention, une pure histoire de détective avec toutes les figures du genre (bourre-pifs, secrétaire complice, bars interlopes et truands pittoresques), où l'on se laisse balader de suspects en faux témoignages. Un aspect un peu fétichiste, un peu pastiche, qui exprime clairement l'amour d'un genre et la nostalgie d'une époque.






Fabienne Ferrère, Un chien du diable, 2006
Premier roman de l'auteur, qui choisit ici d'œuvrer dans le genre du polar historique et s'invente ici le personnage de Gilles Bayonne, à la fois détective et bel esprit, sachant manier l'épée, et mettant ses talents au service d'Henri IV. Il enquête ici sur un crime sanglant qui pourrait cacher un complot contre le Roi. On le suit donc sous la pluie de Rouen, interrogeant ses suspect, suivant pistes sur pistes, et se sortant de méchantes chausse-trappes. C'est écrit avec beaucoup de soin, on sent que Fabienne Ferrère est passionnée par l'époque et elle nous y plonge grâce à une foule de petits détails pittoresques tant sur les lieux que sur la façon dont les gens vivaient alors. Le plus réussi ce sont sans doute les échanges dialogués, véritables joutes verbales très savoureuses.

J'ai tendance à le constater un peu trop souvent avec les derniers polars que j'ai lus, je suis souvent un peu déçu par la résolution de l'énigme, ici encore bien tirée par les cheveux. À l'arrivée, c'est comme si ça tenait plus du prétexte pour justifier l'atmosphère de tout ce qui a précédé, tout en épaississant le mystère pour espérer captiver durablement le lecteur. La fabrication de cette atmosphère étant néanmoins plaisante, on ne rechignera pas à l'occasion pour retrouver Gilles Bayonne dans ses aventures suivantes.




Hervé Le Corre, Derniers retranchements, 2011
J'ai vraiment fait la découverte d'une authentique plume avec ce recueil de nouvelles. Les premières ne se sont pourtant pas révélées très convaincantes. Je leur reprochais une inspiration que je qualifierai d'un peu adolescente (mais qui suis-je pour m'autoriser un tel jugement ?). Mais pour le reste, c'est incroyablement puissant.

Le Corre nous plonge sans aucune concession dans les tréfonds de la misère humaine. C'est fort et impitoyable. Sa capacité à rendre palpable des sensations est impressionnante et on sort vraiment lessivé de chaque nouvelle. Là, j'ai pour le coup grandement envie d'apprécier son talent dans le cadre d'une narration plus largement romanesque, l'œuvre de l'auteur étant d'ailleurs régulièrement  multiprimée.






Jean-Christophe Grangé, Kaïken, 2012
Profitant de l'avoir sous la main, j'ai découvert Grangé avec ce dernier polar en date. De lui, je ne connaissais que son premier opus Le Vol des cigognes, qui m'est tombé des mains, et l'adaptation vraiment pas emballante de ses Rivières pourpres. N'en attendant donc rien, la surprise fut excellente. Le monsieur a clairement du métier, ce dont je ne doutais pas étant donné sa productivité. Sa façon d'accélerer le rythme et de rendre son récit haletant est assez impressionnante. Personnellement, je n'aime pas trop céder à ce genre de comparaison, mais il y a quand même quelque chose de viscéralement cinématographique dans sa construction, la gestion du rythme et — ce qui m'a particulièrement plu — dans sa description des lieux et des espaces. 

En se limitant à des détails pertinents, Grangé parvient à restranscrire avec énormément de vérité des zones urbaines typiques comme Paris et sa banlieue, de même qu'une certaine culture japonaise. L'homme sait de quoi il parle, il en rend compte avec une vraie acuité, sans jamais donner l'impression d'en user comme d'un simple gadget. On tolérera une ou deux grosses facilités dans l'évolution de l'enquête, ainsi que le traitement un peu douteux accordé à un personnage. Même si je ne suis pas sûr pour autant d'avoir envie d'en lire d'autres, je n'hésite pas à recommander la lecture de ce titre pour lequel je n'ai clairement pas boudé mon plaisir.





Joël Dicker, La Vérité sur l'affaire Harry Quebert, 2012
Polar français mais d'inspiration totalement américaine. Par le choix de l'environnement, bien sûr, mais aussi par le style. Dicker nous plonge dans une ambiance qui n'est pas sans évoquer Twin Peaks, avec sa petite ville où tout le monde se connaît, sa galerie de personnage, ses lourds secrets. Et même s'il y a un petit côté fabriqué dans tout ça, on finit quand même par se laisser prendre, et la chasse à la vérité tient bien en haleine.

Incontestablement ambitieux, ce n'est pas non plus le grand roman espéré. J'ai quand même été un peu déçu par une écriture un peu trop scolaire à mon goût, et des situations qui n'échappent pas toujours aux clichés (l'aspect romance n'est pas le plus réussi). Malgré ça, dans sa volonté de mise en abîme du texte, sa gestion un peu sadique du mystère et des rebondissements,  la lecture procure un vrai amusement.




Dominique Forma, Hollywood zero, 2014
C'est à l'occasion d'un festival, sur la seule foi du titre qui me plaisait bien et parce que l'auteur fort sympathique était présent, que j'ai eu la curiosité de lire ce bouquin. C'est une vraie série noire efficace et sans prétention, écrite avec la bonne dose de nervosité et d'humour, qui va à l'essentiel pour assurer au lecteur sa ration de distraction. 

Forma captive surtout parce qu'il dépeint ici un petit milieu d'arnaqueurs au sein du système de production hollywoodien, qu'il a connu de près puisqu'il y a travaillé. Comme j'ai toujours aimé tout ce qui traite de l'usine à rêve et de son envers du décor, le sujet m'a évidemment plu. Et en même temps, on n'est ni dans un roman à clé, ni dans un pamphlet, et Forma ne perd jamais de vue les enjeux de son intrigue, et les désirs de ses personnages. Ce n'est donc certainement pas un texte inoubliable, mais le contrat est rempli.



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