« On s'ennuie de tout, mon ange, c'est une Loi de la Nature ; ce n'est pas ma faute.
Si donc, je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement
depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute. Si, par exemple, j’ai eu
juste autant d’amour que toi de vertu, et c’est sûrement beaucoup dire, il
n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma
faute. Il suit de là, que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais
aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est
pas ma faute. Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te
sacrifie. Ce n’est pas ma faute. Je sens bien que voilà une belle occasion de
crier au parjure : mais si la Nature n’a accordé aux hommes que la
constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma
faute. Crois-moi, choisis un autre amant, comme j’ai fait une autre maîtresse. Ce
conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma
faute.
Adieu, mon ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je
te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute. »
Lettre CXLI
La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont
Publiées en 1782, Les Liaisons dangereuses de Monsieur Choderlos de Laclos
sont bel et bien un monument de la littérature du Siècle des Lumières — donc de
la littérature mondiale. Mais un monument qui n'a rien d'intimidant. Les
relectures ne l'entament jamais, c'est un bonheur à chaque page que de savourer
ce style impeccable, cette jouissance de la langue qui s'avère aussi délectable
que le machiavélisme des personnages principaux. Mécanique sublime, le livre
est également d'une formidable richesse concernant les mœurs de son temps,
décrits avec une ironie mordante sous couvert d'édification morale. On
conseillera de le lire dans l'édition Livre de poche, dont l'appareil critique
est aussi avisé que lumineux.
C'est un roman épistolaire touffu et jouant à fond la carte de l'éloquence et de la séduction par l'écrit. Par principe, l'adapter à l'écran relevait par conséquent de l'impossible. L'expérience à été cependant tentée à plusieurs reprises, avec plus ou moins de réussite selon qu'on garde ou non à l'esprit l'œuvre originale. Surtout c'est l'occasion pour des acteurs de trouver des rôles en or, au premier rang desquels Valmont et Merteuil offrent tout un éventail de performances entre pleine maîtrise de soi et émotion qui fait craquer le vernis.
C'est un roman épistolaire touffu et jouant à fond la carte de l'éloquence et de la séduction par l'écrit. Par principe, l'adapter à l'écran relevait par conséquent de l'impossible. L'expérience à été cependant tentée à plusieurs reprises, avec plus ou moins de réussite selon qu'on garde ou non à l'esprit l'œuvre originale. Surtout c'est l'occasion pour des acteurs de trouver des rôles en or, au premier rang desquels Valmont et Merteuil offrent tout un éventail de performances entre pleine maîtrise de soi et émotion qui fait craquer le vernis.
Les Liaisons dangereuses, Roger Vadim, 1959
Avec : Jeanne Moreau (Merteuil), Gérard Philipe (Valmont), Annette Vadim (Tourvel), Jeanne Valérie (Cécile), Jean-Louis Trintignant (Danceny)...
Alors au faîte de sa gloire, Vadim modernise le roman en imaginant des Valmont et Merteuil vivant dans les années 60, s'efforçant ainsi d'enter en résonance avec les spectateurs d'alors. Robes de soirée et costumes-cravates remplacent corsages et perruques poudrées. Le film a fait son petit scandale à une époque où le réalisateur d'Et Dieu créa la femme était considéré comme un cinéaste sulfureux.
Avec : Jeanne Moreau (Merteuil), Gérard Philipe (Valmont), Annette Vadim (Tourvel), Jeanne Valérie (Cécile), Jean-Louis Trintignant (Danceny)...
Alors au faîte de sa gloire, Vadim modernise le roman en imaginant des Valmont et Merteuil vivant dans les années 60, s'efforçant ainsi d'enter en résonance avec les spectateurs d'alors. Robes de soirée et costumes-cravates remplacent corsages et perruques poudrées. Le film a fait son petit scandale à une époque où le réalisateur d'Et Dieu créa la femme était considéré comme un cinéaste sulfureux.
Son audace doit
gentiment faire sourire aujourd'hui. Au moins la présence d'un duo de stars au
sommet de leur beauté n'en fait pas un spectacle désagréable. Il s'agit d'un
des derniers films de Gérard Philipe.
Dangerous liaisons (Les Liaisons dangereuses), Stephen Frears, 1988
Avec : Glenn Close (Merteuil), John Malkovich (Valmont), Michelle Pfeiffer
(Tourvel), Uma Thurman (Cécile), Keanu Reeves (Danceny)...
Christopher Hampton avait connu un certain succès à Broadway en adaptant
le roman pour la scène. Il reprend ici son travail pour livrer un scénario qui
demeure jusqu'à présent le plus fidèle à l'œuvre de Laclos. C'est ainsi que
des scènes importantes du livre sont littéralement transposées, de même que de
nombreuses répliques marquantes. Cet aspect seul suffit à combler de plaisir le
spectateur-lecteur. Mais son adaptation, en plus de se montrer extrêmement fidèle,
s'avère particulièrement intelligente. En effet, ne tombant jamais dans le piège de la banale illustration, Hampton et son réalisateur témoignent d'une compréhension profonde et offrent une restitution juste des enjeux du roman, de sa technique et de ses beautés.
Pour son premier film américain, Frears tente le pari assez osé du film
en costume. Sa mise en scène donne l'impression de faire corps avec ses
personnages, souvent filmés de très près. Lors de ma première vision, j'avais
moyennement accroché à ce principe que j'accusais d'être trop théâtral, mais en
le revoyant j'ai trouvé que c'était finalement assez puissant, donnant vraiment
une force et un poids impressionnants aux moindres apparitions de Merteuil et
Valmont. L'interprétation est incontestablement la cerise sur le gâteau. À sa
sortie, le film proposait rien de moins que l'un des plus beaux castings de
l'année. Jeu ciselé au millimètre de Glenn Close. Sous la poudre, Malkovich
fier et soudain enragé, qui incarne avec brio la chair de son personnage. Et
une Michelle Pfeiffer idéale en Madame de Tourvel fragile au possible,
contemplant avec effroi et grâce l'abîme qui va la dévorer. Uma Thurman
est assez inattendue dans le rôle de la naïve Cécile mais passe plutôt bien. Keanu
Reeves en Chevalier Danceny fait moins d'étincelles. La musique de George
Fenton qui accompagne ces images est très belle et évidemment dans un style
baroque tout à fait approprié.
Valmont, Milos Forman,1989
Avec : Annette Bening (Merteuil), Colin Firth (Valmont), Meg Tilly (Tourvel), Fairuza
Balk (Cécile), Henry Thomas (Danceny)...
Cinq ans après Amadeus, Forman tourne à nouveau un film sur le XVIIIe.
Sa version sort quelques mois à peine après celle de Frears et cette double
impression de redite lui fera manquer son public. En ce qui me concerne, je
l'avais adoré à sa sortie, et je l'ai souvent revu depuis avec un plaisir
renouvelé. Ce qui me plaisait particulièrement, c'était la transformation de Meg
Tilly en Madame de Tourvel qui, lorsqu'elle s'abandonne à la passion, apparaît alors avec ses
beaux cheveux noirs défaits.
Je ne vais pas m'attarder sur les costumes, la photo, les décors, la jolie
musique sur instruments d'époque. Ici les personnages vivent vraiment. Ça
respire, la mécanique est un peu moins écrasante, l'atmosphère un peu plus
humaine. L'adaptation de Jean-Claude Carrière est en fait assez impitoyable
vis-à-vis du roman. C'est presque une autre histoire, une variation sur des personnages et leurs passions. La façon dont le film se
termine semble justifier son titre, au sens où la conclusion ne s'attarde que
sur le seul destin de Valmont. Il semble emporter son secret avec lui dans la
tombe. Tous les autres personnages viennent se recueillir, mais rien ne nous
est dit quant à leur propre devenir et il n'apparaît pas qu'ils soient alors
particulièrement perdus (La Tourvel en particulier donne l'impression d'avoir
juste vécu une douloureuse parenthèse). Or, dans le bouquin, le final est
réellement effroyable. Entre la mort, le couvent, la maladie, la ruine et le
déshonneur, c'est presque une danse de damnés. Chez Forman, ça reste
relativement paisible. Les personnages sont caractérisés avec précision, et on
assiste à pas mal de scènes qui restaient hors-champ dans le roman.
Colin Firth est vraiment excellent dans le rôle-titre, Annette Bening
compose une Merteuil qui sait parfois émouvoir. Et il est toujours sympathique
de retrouver Jeffrey Jones chez Forman, de même que l'inévitable trogne
de Vincent Schiavelli. La meilleure idée de casting est sans doute d'avoir confié
le rôle de Cécile Volanges à Fairuza Balk, la Dorothy de Return to Oz. L'actrice a enfin l'âge du rôle et son physique étonnant, associé à
son interprétation et à la manière dont elle est habillée et filmée, lui permet d'une scène à l'autre d'afficher tantôt une moue d'enfant, tantôt le visage
d'une presque femme. Son ingénuité est délicieuse (irrésistible scène du petit
déjeuner où elle croit bien faire en répondant qu'une fois mariée avec
Gercourt, elle gardera Danceny comme amant !).
Cruel intentions (Sexe intentions), Roger Kumble, 1999
Avec : Sarah Michelle Gellar (Merteuil), Ryan Philippe (Valmont), Reese
Witherspoon (équivalent de Tourvel), Selma Blair (Cécile)...
Nouvelle modernisation avec une intrigue transposée cette fois dans le milieu
des campus américains, sa jeunesse décadente, friquée et arriviste. Projet qui semblait prometteur au premier abord mais qui
se révélera une fausse bonne idée. Certes, les efforts de Roger Kumble —
à la fois réalisateur et scénariste — pour donner à son récit une couleur "dixhuitièmiste" sont louables (décors, accessoires), mais les manœuvres de
cette jeunesse contemporaine n'a plus grand chose de troublant aujourd'hui. Le
pari entre Valmont et Merteuil n'est plus qu'un inconséquent marivaudage, un plan drague plutôt pathétique, d'où toute subversion est absente. Le récit de Laclos
trouvait justement sa force par rapport à la société de son temps, offrant un
cruel tableau des mœurs, de la condition de la femme et de l'hypocrisie de la
noblesse. Ici, la conclusion nous montre les soi-disantes victimes interprétées
par Selma Blair et Reese Witherspoon s'associer et retourner un
peu trop facilement le plan de Sarah Michelle Gellar contre elle-même.
Leur attitude montre bien à quel point leurs mésaventures n'en sont pas
vraiment, arborant un sourire comme pour une mauvaise farce. Preuve de cette inconséquence, le film générera deux suites, vrais sous-produits télévisuels.
En dehors de Ryan Philippe qui est un acteur que j'aime bien et
de Witherspoon qui s'en sort pas mal, l'interprétation est très moyenne. J'ai
vu des acteurs réciter leur texte, mais à aucun moment vivre, souffrir, être
troublés. Tout cela commençait plutôt bien avec un très beau générique et Every
you every me de Placebo en fond sonore, suivi d'une scène d'ouverture
assez maligne. Le reste de la bande son est occupé par des titres qui semblent
là pour justifier l'édition d'une BO-compilation pour teenagers. En dehors de deux ou
trois scènes, la fusion image/musique est ratée. Et je ne parle même pas de
l'espèce de soupe qui sert de bande originale.
Les Liaisons dangereuses, Josée Dayan, 2003
Avec : Catherine Deneuve (Merteuil), Rupert Everett (Valmont), Nastassja Kinski
(Tourvel), Leelee Sobieski (Cécile), Tedi Papavrami (Danceny)...
Pas vu, mais tout me semble annoncer une catastrophe. Les échos que j'en avais
eus évoquaient même un truc assez ridicule. Éric-Emmanuel Schmitt signe
l'adaptation télévisée, faussement modernisée puisque l'action est située dans
les 60's. À ce titre, c'est presque un remake du film de Vadim. Josée Dayan régnait alors sur les productions de prestige de la télévision française, réalisatrice compétente mais peu exaltante d'autres adaptations de classiques de la littérature (Le Comte de Monte-Cristo, Les Misérables).
Casting
international classieux mais dont les choix m'apparaissent peu convaincants : Deneuve
est bien trop vieille pour donner corps à Merteuil, l'offensée rancunière. La
durée conséquente de la série (252 minutes en deux ou trois épisodes) peut
néanmoins permettre une transposition plus souple et ouverte. Mais je ne
m'acharnerai pas forcément à chercher l'occasion de voir ça.
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