17 février 2017

Craig Thompson, Habibi, 2011

Craig Thompson, Habibi, 2011
Les mots me manquent pour exprimer la chef-d'œuvritude de ce roman graphique. Déjà en 2003, Blankets avait créé l'événement par la maturité impressionnante dont y faisait preuve son auteur, avec un récit ample, impudique et sensible. Nouvel accomplissement, Habibi se révèle comme un pavé d'une prodigieuse richesse visuelle et narrative, une lecture qui procure un choc émotionnel comme j'ai rarement eu l'occasion d'en connaître. 

Du point de vue romanesque, c'est aussi dense que le plus gros des romans, les personnages passent par toute une série d'épreuves initiatiques, et grâce à un vrai sens du suspense et de l'invention, leur parcours est rendu captivant. Et Thompson de parvenir à mêler harmonieusement à son intrigue déjà bien riche toute une série de récits envoûtants issus en majeure partie des traditions orientales et des religions du Livre, ce qui lui donne une dimension aussi intemporelle qu'universelle, au parfum de légende, avec une volonté d'indétermination très intéressante quant à l'époque où est censée se dérouler l'histoire. Ce qui créé des moments très forts lorsqu'un élément moderne surgit, qu'on serait presque tenté de considérer comme anachronique. 

La claque ne serait évidemment pas totale sans la maestria graphique du dessinateur, avec un trait extrêmement vivant, et en même temps une perfection dans le tracé des visages, le rendu des expressions et des mouvements qui rend chaque planche fascinante à contempler, en plus de ne jamais céder à la facilité. Inspirée par l'art de l'enluminure et de la calligraphie, la composition des pages est absolument splendide, multipliant les trouvailles graphiques virtuoses mais jamais gratuites puisqu'ici la forme épouse le fond comme rarement.



Après un tel travail, le gars peut tranquillement prendre sa retraite. Il s'affirme sans conteste au niveau des plus grands, et ce n'est pas lui faire déshonneur que de préciser que j'ai très souvent pensé au cours de ma lecture à Will Eisner. Les deux auteurs américains semblent en effet partager un même humanisme et une même approche de la mise en scène, où les cases se libèrent des canons narratifs tout en offrant une suprême lisibilité.




4 commentaires:

Véronique Hottat a dit…

Tu m'as juste donnée très très très envie de le lire ! Mais priorité d'abord à Blankets, toujours pas lu à ce jour (pas bien).

Elias FARES a dit…

Saisis la première occasion. C'est du grand.

E.

Véronique Hottat a dit…

A propos de Blankets, il ne me reste plus qu'une centaine de pages à lire et je suis totalement sous le charme. Ce sera mon coup de cœur du mois. Il y a quelque chose de très authentique dans ses portraits, c'est touchant, émouvant, sensible mais sans détours ni angélisme. Vraiment excellent. Je connais Will Eisner de nom mais je pense n'avoir jamais rien lu de lui, je vais essayer de réparer ça aussi.

Elias FARES a dit…

Effectivement, je te conseille de faire une pause après Blankets avant d'enchaîner sur Habibi !

La découverte de Will Eisner, c'est du bonheur en perspective. Un grand conteur et un grand styliste, et on a plutôt de la chance qu'il soit correctement édité en France. Big city sans doute est le gros morceau le plus représentatif de son talent. Et si on aime l'esprit serial, The Spirit se savoure aussi très bien.

E.