9 décembre 2018

Le Cinéma de Jean Renoir III. 1953-1962

Le Carrosse d'or, 1953
Fièrement présenté comme la première superproduction française en Technicolor. Il m'aura cependant fallu plus d'une vision pour vraiment apprécier la richesse thématique et visuelle de ce film éblouissant. La mise en scène est loin d'être plate, Renoir poussant même assez loin son goût pour la mise en abîme (tant dans la forme que dans le fond), parfaitement à son aise lorsqu'il s'agit de mélanger non seulement la vie dans le théâtre, mais aussi le théâtre dans le théâtre. Sa maîtrise du sujet et de l'espace filmique impose le respect.

François Truffaut, particulièrement ébloui par ce film pourtant si éloigné des canons et inspirations de la Nouvelle vague, voyait en Renoir un père spirituel, y retrouvant sans doute son idéal secret pour le romanesque. Le Carrosse d'or peut également s'apprécier comme un hommage à la gloire de la Magnani, ici réellement impériale et véritable pivot du récit. Je n'en ferai pas mon Renoir préféré, mais c'est assurément un film qui se bonifie au fil des revoyures (décidément une constante chez le cinéaste).




Le Testament du Docteur Cordelier, 1959
Une adaptation de L'Étrange cas du Dr. Jeckyll et de Mr. Hyde de Stevenson pas franchement mémorable. On n'attendait pas vraiment Renoir dans ce registre du cinéma de genre, lui qui s'est toujours tenu bien loin du fantastique poétique de Cocteau, René Clair et autres Franju. Il dut sans doute voir dans ce sujet l'occasion d'une nouvelle expérience mais le résultat ne respire pas vraiment le goût de l'audace.

Pensé pour le cinéma mais avec les moyens de la télévision, le film pêche par une esthétique sans éclat. La réalisation est assez terne, donnant l'impression que la caméra se tient trop souvent loin de l'action, ne parvenant jamais à transcender l'impression d'artificialité d'un décor de studio. Dans le rôle titre, Jean-Louis Barrault  — qui n'avait encore jamais tourné sous la direction du Patron — fait preuve d'un bel abattage mais cela ne suffit pas pour convaincre. Une curiosité, comme on dit parfois avec condescendance.




Le Caporal épinglé, 1962 
Dernier long-métrage de cinéma de Renoir, d'après le roman de Jacques Perret. Après La Grande illusion, retour au film de prisonniers de guerre. Sauf qu'ici nous sommes en 1940, et que la société a changé. Sans jamais tomber dans la redite, Renoir ménage des ruptures de ton aussi réjouissantes que glaçantes. Car on rit beaucoup devant ce film, avant que soudain le rire ne s'étrangle dans la gorge. Rien à voir avec les comédies de bidasses qui inonderont les écrans dans la décennie suivante, en France comme en Italie. Le ton est souvent picaresque, avec ces tentatives d'évasions qui ne cessent de rater. Des séquences entières fonctionnent sans dialogues, semblant sortir tout droit d'un burlesque début de siècle. 

En pieds nickelés du régiment, Jean-Pierre Cassel, Claude Brasseur et Claude Rich campent des personnages solides, tantôt braves, tantôt misérables. Leur interprétation comme leurs répliques, aussi brillantes les unes que les autres, sont incroyablement chargées d'humanité. Les Allemands sont traités sans grossier manichéisme. On nous montre même un paysan français qui explique très bien les raisons qu'il a de travailler en Allemagne (esclave ici ou ailleurs, quelle différence ?).

C'est une magnifique ode à l'amitié que chante Renoir, sans jamais verser dans la facilité, car le drame n'est jamais loin. Le sentiment de liberté, l'horreur de la mort, le besoin de croire en quelque chose de meilleur, la lucidité quant à ce qui nous attend ou pas derrière les barbelés, toutes ces émotions sont intelligemment rendues en autant de scènes franchement anthologiques, de l'ultime tentative d'évasion de Claude Rich au bouleversant final sur un pont de Paris. Le noir et blanc de Georges Leclerc est superbe, plein des nuances du paysage ou des uniformes. Bref, non seulement je ne le considère pas comme un film mineur, mais j'en ferais même un de mes préférés du cinéaste.

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