21 novembre 2018

Le Cinéma de Jean Renoir I. Partie de campagne, 1936

Partie de campagne, 1936
Adaptant Maupassant et tourné effectivement en 1936, le film fut laissé inachevé et sortit finalement en 1946 alors que Jean Renoir travaillait encore à Hollywood (je recommande d'ailleurs le documentaire Un tournage à la campagne, montage de rushes et témoignage savoureux de l'atmosphère du tournage). Loin cependant d'apparaître comme une œuvre en lambeaux, cette Partie de campagne est un petit bijou, pleinement abouti. D'une fraîcheur désarmante, le film respire l'évidence et la simplicité en même temps qu'il fait naître des sentiments tristes et désabusés qui lui donnent toute sa profondeur.

Sous l'apparence d'une escapade sans enjeux, Renoir y développe tout un discours sur une Nature mouvante et pourtant immuable, elle-même spectatrice des jeux humains et révélatrice des âmes. Une Nature qui peut se montrer tantôt accueillante, tantôt menaçante — c'est-à-dire indomptable — à l'inverse de ce que vivent les personnages, précisément contraints eux d'apprivoiser leurs désirs. Renoir suspend le temps et nous invite à un retour aux origines, saisissant la pureté des éléments (le soleil, le vent, la terre, l'eau, la chair). L'ambiance bucolique est en effet marquée du sceau du primitivisme, notamment via cette scène où l'un des canotiers imite la danse du Dieu Pan pour séduire la mère. C'est l'après-midi d'un faune, une atmosphère propice à tous les abandons, mais qui ne durera qu'un temps, avant le retour à une vie moderne sans joies.


Le Déjeuner au bord de la rivière, 1879

Les rides que l'on fait apparaître sur l'eau finissent toujours par disparaître. S'il ne fera pas varier le cours de leur destin, ce dimanche à la campagne restera cependant comme une parenthèse non refermée pour Henriette (Sylvia Bataille). C'est le sens d'un épilogue déchirant, et le spectateur lui-même repensera longtemps à la force cosmique de la musique de Joseph Kosma sur ces images de la Nature déchaînée, et conservera l'écho de la dernière réplique d'Henriette.


Le Déjeuner des canotiers, 1881

Nostalgique, le film est certes plein du sentiment d'une époque révolue et regrettée, du souvenir d'avant la tempête. Mais ce que je trouve beau c'est aussi son côté intemporel, exprimé par la modernité de sa mise en scène (savants mouvements de caméra, naturalisme du jeu des comédiens), que Renoir continue à parfaire de film en film jusqu'à l'exquis aboutissement que sera La Règle du jeu. Ça a peut-être même encore plus de force pour les spectateurs d'aujourd'hui que ceux d'hier. Bref, un merveilleux film au charme fou, qui me fait dire des choses un peu bêtes, que c'est beau le cinéma.


La Balançoire, 1876

Sous influence évidente de la peinture impressionniste — malgré le recours obligé au noir et blanc — Partie de campagne peut aussi s'apprécier comme un hommage à Renoir père. On y retrouve en effet les motifs, les sujets, et jusqu'aux costumes, qui ont inspiré Pierre-Auguste en particulier dans sa série de tableaux sur les divertissements légers des bords de Marne. On plonge littéralement dans la toile, dont le cinéaste nous montrerait l'envers,  dévoilant les pensées de ces figures que l'on se contentait d'observer mais demeuraient une énigme. Le cinéaste ira encore plus loin dans son travail sur la lumière et les couleurs dès que l'occasion lui sera donnée de tourner en Technicolor. Le Fleuve, Le Carrosse d'or, French cancan, Elena et les hommes, Le Déjeuner sur l'herbe peuvent ainsi être vus comme autant de flamboyants tributs à un précieux héritage.

La Promenade, 1870

Les Amoureux, 1875




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